Des manuels scolaires faisant la promotion de l'ésotérisme sur une grande échelle existent bien. Aucun doute là-dessus. Mais sont-ils vraiment utilisés à la Commission scolaire de Grandpré?
Pour le savoir, j'ai appellé à cette Commission au retour du congé pascal. Le Directeur n'étant pas au courant, il me refile M. Julien Biron, conseiller pédagogique à la Commission et qui, comme par hasard, se trouve à collaborer avec Georges Pelletier, l'auteur des dits manuels.
Tout fier de l'intérêt que je porte à son collègue qui est professeur de français au CÉGEP de Victoriaville, M. Biron me confirme que oui, ces manuels sont bel et bien utilisés dans les trois écoles primaires de sa Commission scolaire. Depuis au moins 1989. Et en toute légalité d'ailleurs puisqu'ils sont sur la liste des ouvrages approuvés par le ministère de l'Éducation. Il ne voit rien de répréhensible dans leur contenu. « Je les ai moi-même utilisés pendant plusieurs années, me dit-il, et la réaction des élèves a été excellente! »
Pour ce qui est de la promotion de l'ésotérisme à l'école?
Il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Cela s'inscrit dans le cadre d'une activité ludique, me dit-il. Et puis, les enseignants savent faire la part des choses. On peut leur faire confiance pour présenter aux élèves le point de vue critique.
Pas si sûr que ça, M. Biron. Mais je vais de surprises en surprises. M. Biron m'affirme que ces manuels ont reçu l'approbation du ministère de l'Éducation. Est-ce possible? Est-ce possible que ce ministère, avec tous ses experts pédagogues et ses grilles d'analyse couvrant des centaines de pages, ait pu approuver des manuels faisant ainsi ouvertement l'apologie de l'ésotérisme?
Le 20 avril, je réussis à rejoindre M. Claude Despins, coordonnateur de l'évaluation du matériel didactique au ministère de l'Éducation. Pris sans doute au dépourvu, celui-ci ne peut répondre à aucune des questions que je lui pose. Il me demande trois jours pour sortir le dossier et vérifier. D'accord.
Pour lui faciliter les choses, je lui expédie dans l'heure les six questions auxquelles j'aimerais avoir réponses :
Le 28 avril, huit jours plus tard, n'ayant toujours rien reçu, je rappelle M. Despins pour savoir où il en était rendu dans sa recherche.
Elle progresse, mais n'est pas complétée, me répond-il. Vous devez savoir, M. Bonnier, que je suis terriblement occupé de ce temps-ci et que nous manquons de ressources pour répondre à des questions comme celles que vous nous avez posées.
Ah oui? Pourtant, avec mes seules petites ressources, j'avais réussi entre temps à obtenir la plupart des réponses à ces questions en m'adressant à d'autres interlocuteurs : le bureau du MEQ à Laval, la Commission scolaire du Goéland, près de Sherbrooke, la Commission des écoles catholiques de Montréal, la Commission scolaire Chomedey de Laval, la maison Lidec, etc.
Résultat : oui ces manuels ont bel et bien été approuvés par le MEQ - le certificat a été émis le 10 août 1989, pour être précis. Et ce certificat a été prolongé jusqu'en juin 1995, ce qui autorise les écoles du Québec à utiliser ces manuels jusqu'en juin 1998 - pour le secteur catholique à tout le moins, puisque le comité protestant, pour sa part, a refusé son approbation. Un bon point pour les protestants! Et un bon point aussi pour le ministère de l'Éducation de l'Ontario qui aurait également refusé son aval.
M. Despins soutenait que, de toute façon, le problème soulevé par ces manuels lui paraissait mineur étant donné que ceux-ci étaient très peu utilisés. Très peu utilisés? M. Despins a été incapable de chiffrer ce qu'il entendait par là.
Disons-lui tout de suite dans ce cas : Lidec confirme en avoir vendu 22 000 copies. Ces copies sont, la plupart du temps, achetées par les écoles puis prêtées aux élèves. Prix de vente total : 550 000 CAD (dont quelque 10 % reviennent à l'auteur, M. Georges Pelletier, c'est-à-dire 55 000 CAD)! C'est payant l'ésotérisme!
Et en sept ans, si vous faites le calcul, vous arriverez à quelque chose comme 150 000 enfants qui ont été touchés. 150 000 enfants à qui on a menti en leur faisant accroire des âneries! C'est rien, ça?
Hé! Ho! On assassine 150 000 Mozart sous votre gouverne, M. Despins, et vous trouvez qu'il n'y a rien là?
Eh bien, allons voir dans ce cas si le grand public, qui paye pour ces conneries, est du même avis…