La chiropratique : une perspective sceptique
La chiropratique est le plus important système de soins de santé non scientifique aux États-Unis. En raison de leur haut degré d’organisation et de leur virulence, les chiropraticiens sont habilités à pratiquer dans chacun des 50 États et dans plusieurs autres pays. Bien qu’une minorité de chiropraticiens offre des traitements rationnels, le culte de la chiropratique est si bien enraciné que la profession devrait être considérée comme un problème sociétal et non seulement comme un concurrent du système de soins de santé ordinaire.
Manipuler la colonne vertébrale peut être utile, mais les fondements théoriques de la chiropratique reposent largement sur la notion étrange et jamais démontrée de « subluxations ». « Chiropratique » signifie littéralement « fait à la main » (chiros = main ; praktos = pratique) et se réfère à la manipulation vertébrale. La manipulation (c.-à-d. « le déplacement forcé, passif, d’une articulation au-delà de sa limite active de mouvement », selon le dictionnaire médical illustré de Dorland) ne relève pas du domaine exclusif des chiropraticiens. Des praticiens populaires qu’on appelle parfois des « rebouteux » recourent depuis longtemps à la notion que des os peuvent « sortir de leur place » pour expliquer des maladies, et usent de la manipulation comme d’une panacée. Andrew Taylor Still inventa « l’ostéopathie » en se fondant sur la théorie selon laquelle les os luxés interfèrent avec la circulation sanguine, provoquant toutes sortes de maladies. (L’ostéopathie a officiellement abandonné la théorie de Still en 1948).
Aujourd’hui, les physiothérapeutes, entraîneurs sportifs et plusieurs catégories de médecins emploient parfois la manipulation pour des affections neuro-musculo-squelettiques. Il y a suffisamment de preuves que la manipulation peut, au moins temporairement, améliorer l’amplitude de mouvement d’articulations endommagées et soulager la douleur – parfois de façon spectaculaire – pour en faire une procédure médicale utile, bien que limitée. La manipulation requiert beaucoup de compétences individuelles, que possèdent de nombreux chiropraticiens.
Historique
Ce qui rend la chiropratique unique, ce n’est pas son usage de la manipulation mais la justification théorique de cet usage – ce qui explique aussi pourquoi les chiropraticiens abusent de la manipulation vertébrale (MV), qu’ils appliquent souvent sans justification.
La chiropratique est l’invention de Daniel D. Palmer, un amateur qui, à la fin du 19e siècle, aborda les soins médicaux du point de vue métaphysique. Palmer avait pratiqué la phrénologie et la guérison magnétique, et avait reçu des rudiments de formation ostéopathique. Il a rapporté qu’un médium spirite l’avait inspiré dans sa quête « de la cause unique de toute maladie ». Il était surpris que des germes pathogènes puissent être trouvés tant chez les personnes saines que malades et tentait d’y trouver une explication. (Aujourd’hui, nous savons que le système immunitaire fait la différence). Il prétendit avoir rendu l’ouïe à un concierge, Harvey Lillard et en conclut que la colonne vertébrale était la clé de la santé et de la maladie.
Une théorie unique
Palmer élabora la notion que les "subluxations" de la colonne vertébrale empiètent sur les nerfs, interférant avec le flux nerveux, qu’il rebaptisa Force de Vie Innée. Il ajouta qu’il suffisait à un praticien d’ajuster la colonne vertébrale – le pouvoir guérisseur de la nature ferait le reste. Ni Palmer, ni aucun autre chiropraticien n'ont jamais été capables de prouver de façon fiable l’existence des « subluxations », et encore moins de valider leurs effets sur la santé et la maladie. Cependant, la chiropratique a prospéré et compte aujourd’hui 60 000 praticiens aux États-Unis.
Quand on demande aux chiropraticiens d’expliquer précisément l’effet que cet empiétement nerveux est censé avoir sur le signal nerveux (par exemple, fréquence de propagation, amplitude, etc.), ils ont recours à des notions métaphysiques de Force de Vie Innée, ou à une des nombreuses stratégies habituelles telles que :
- Faire de leur ignorance une vertu en rétorquant qu’ils ne savent pas comment ça marche mais que ça marche.
- Prétendre que des études qui expliquent le mécanisme sont actuellement en cours, ou achevées mais pas encore publiées (la stratégie du « Oh, mais tu n’es pas au courant ? Tu es à la traîne ! »)
- Modifier la rhétorique officielle en ajoutant du langage ambigu : « Les processus pathologiques peuvent être influencés par des perturbations du système nerveux... Des perturbations du système neveux peuvent être causées par les dérangements de la structure musculosquelettique. Des perturbations du système neveux peuvent causer ou aggraver la maladie de diverses parties ou fonctions du corps » [1]. Ces trois affirmations sont vraies mais ne confirment ni la théorie chiropratique de la subluxation, ni la notion générale que les problèmes vertébraux sont une cause sous-jacente de maladie.
Et dans le même temps, ils continuent de pratiquer comme si les subluxations étaient une réalité établie.
Absence de validité de la théorie chiropratique
Une critique exhaustive de l’absence de validité scientifique de la théorie chiropratique a été publiée en 1963 par le Collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec. Toujours d’actualité, elle déclare :
« Les chiropraticiens affirment que les subluxations, ou déplacements partiels des vertèbres, causent une perturbation de la distribution des influx nerveux aux tissus et aux cellules. Les neurophysiologistes ont développé des méthodes pour mesurer le passage des impulsions dans les nerfs. Des appareils exceptionnellement sensibles sont à la disposition de quiconque désire s’en servir. Aucune étude scientifique n’a jamais été publiée sur le sujet par un chiropraticien. Aucun chiropraticien n’a jamais défini, que ce soit quantitativement ou qualitativement, ce que la chiropratique entend par une perturbation des influx nerveux. Est-ce leur nombre, leur amplitude, leur fréquence, ou la structure des ondes qui sont affectés ? Toutes ces caractéristiques peuvent être identifiées, enregistrées et étudiées. Il n’est plus admissible d’accepter de simples affirmations empiriques. La preuve aurait dû précéder la mise en pratique. Quand la prémisse est intenable, le reste s’effondre [2]. »
En 1973, Edmund Crelin, professeur d'anatomie à l'université de Yale, a démontré qu'on ne pouvait créer des subluxations suffisamment sévères comprimant les nerfs qui passent dans les foramens intervertébraux sans provoquer une complète invalidité [3]. Il a ensuite observé que, au lieu de la réaction scientifique qui consisterait à tenter de reproduire ses recherches, l'Association Américaine de Chiropratique (ACA) a simplement déclaré que son travail n’était pas valide parce qu’il avait été exécuté sur des cadavres [4]. En fait, Crelin explique que l’absence de réponse réflexe dans un cadavre devrait faciliter la production de subluxations. Face à ces preuves, un chiropraticien convaincu me fit un jour la remarque que si Crelin n’avait pas pu démontrer l’hypothèse chiropratique, c’est parce qu’il travaillait sur des cadavres qui ne contenaient plus la Force de Vie Innée !
Pendant des années, les chiropraticiens ont justifié l’absence de preuves scientifiques de leur théorie en arguant que le gouvernement ne voulait pas financer la recherche nécessaire. La fausseté de cette affirmation fut révélée en 1972, quand l’Association Internationale de Chiropratique (AIC) annonça que le gouvernement fédéral avait accordé une subvention à Chung Ha Suh, docteur à l’université du Colorado, afin de développer une méthode pour mesurer les configurations vertébrales et déterminer l’existence de subluxations chiropratiques. L’AIC ajoutait qu’il s’agissait d’une première dans l’histoire de la chiropratique. [5]
Scott Haldeman, docteur en neurophysiologie, est un chiropraticien de la 3ème génération tellement déterminé à prouver la validité de la chiropratique qu’il a obtenu un doctorat en médecine et un doctorat de neurophysiologie. Il a critiqué les tentatives de Suh et d’autres « de découvrir des moyens de mesurer une subluxation en l'absence d'aucune donnée solide justifiant le bien-fondé d'une telle mesure » [6]. Même s’il a apporté de l’eau au moulin des services de relations publiques de la chiropratique pour dix ans, le travail de Suh sur cette illusoire subluxation n’a jamais abouti à rien et semble pour le moins vain aujourd’hui.
Absence de fiabilité clinique
Les défenseurs ont une marge de défense dans les débats parce qu’il est difficile d’établir des mécanismes de cause à effet dans de nombreux autres domaines de la science. Un test plus facile et pratique de la chiropratique est celui de la fiabilité (c.-à-d. la cohérence) de l’habileté clinique des chiropraticiens à identifier une subluxation. Ils n’ont pas brillé lors de ces tests.
Le reporter d’investigation Ralph Lee Smith a visité la clinique Palmer à Davenport, Iowa, puis la National College Clinic à Lombard, Illinois, le lendemain. À la clinique Palmer, on l’informa qu’il souffrait de subluxations à la neuvième dorsale et à la cinquième lombaire ; à National College, on lui diagnostiqua uniquement une subluxation de la cinquième dorsale. Aucune des deux cliniques n’identifia les autres subluxations soi-disant découvertes par un autre chiropraticien vu précédemment [7].
En 1973, Stephen Barrett, docteur en médecine, envoya une petite fille de quatre ans en bonne santé voir cinq chiropraticiens pour un « bilan ». Le premier dit que les omoplates de la fillette étaient « déplacées » et découvrit « un pincement de nerfs allant vers l’estomac et la vésicule biliaire ». Le second prétendit que le pelvis de l’enfant était « tordu. » Le troisième affirma qu’une hanche était « surélevée » et que des désalignements vertébraux pouvaient provoquer « maux de tête, nervosité, problèmes d’équilibre et de digestion » à l’avenir. Le quatrième prédit « des règles douloureuses et des accouchements pénibles » si sa « jambe gauche plus courte » n’était pas soignée. Le cinquième lui trouva non seulement des problèmes aux hanches et au cou, mais les « ajusta » également sans prendre le temps de lui demander la permission. Plusieurs années plus tard, 11 chiropraticiens qui examinèrent deux femmes adultes aboutirent à des conclusions tout aussi hétérogènes [8].
Mark L. Brown, un journaliste pour le Quad City Times, qui dessert la région de Davenport, Iowa, a mené sa propre enquête durant cinq mois. Il a produit un supplément éclairant au journal du dimanche, long de 36 pages, et révélant certaines pratiques étranges et d’autres, utiles. Brown a également découvert de nombreuses incohérences, y compris des diagnostics affirmant que sa jambe gauche était plus courte que l’autre et vice versa ! [9]
Isolement
Les chiropraticiens attribuent généralement leur manque de science aux autres, affirmant avoir été isolés par la médecine organisée. En réalité, l’isolement de la chiropraxie est volontaire. Les chiropraticiens substituent la philosophie chiropratique à la science et se vantent fréquemment de leur supériorité intellectuelle. Les adeptes fervents disent qu’un jour, le monde reconnaîtra la grandeur de la chiropratique. Il serait impossible pour des chiropraticiens qui adhèrent à la théorie et à la philosophie chiropratique de travailler avec des prestataires de soin de santé scientifiques. Les concepts chiropratiques relatifs aux causes et aux soins des maladies diffèrent radicalement ; et si les scientifiques du domaine de la santé peuvent surmonter les obstacles provoqués par des différences de langue et de culture grâce au socle commun de la science, ils ne peuvent travailler avec des pseudo-scientifiques.
Permettre à des chiropraticiens de servir comme prestataires de soins de santé primaires n’est probablement pas une bonne idée. Les praticiens fidèles à une approche pseudo-scientifique de la maladie sont susceptibles de passer à côté de maladies graves quand ils écoutent les plaintes de leurs patients. Le chiropraticien réformateur Peter Modde a conclu que les erreurs médicales sont une conséquence inévitable de la formation et de la philosophie chiropratiques [10].
Il est difficile d’évaluer à quel point la théorie de la subluxation est répandue parmi les chiropraticiens. Dans un rapport de 1981, 88% des 268 chiropraticiens ayant répondu ont évalué l’importance des subluxations dans les problèmes musculosquelettiques à 70 % ou plus, et 60% des 265 réponses ont évalué l’importance des subluxations dans les désordres intestinaux à 70% ou plus [11]. Effectuée aujourd’hui, une étude similaire montrerait probablement des pourcentages plus faibles mais encore importants. On ne sait pas quelle est la proportion de chiropraticiens qui croient à la notion métaphysique de Force de Vie Innée.
Dissensions
La chiropratique est devenue un conglomérat de factions en conflit, unies seulement par leur opposition aux critiques extérieures. Au moins une douzaine de notions différentes divisent les praticiens quant à la façon dont la colonne vertébrale doit être corrigée. Certains disent que seul l’atlas doit être ajusté ; d’autres se positionnent à l’autre extrémité de la colonne vertébrale et affirment que seule la zone du sacrum est importante. D’autres encore ont recours aux deux extrémités (sacro-occipital). Nombreux sont ceux qui associent des zones vertébrales spécifiques à des organes ou maladies spécifiques. Certains mesurent la longueur des jambes ou testent les muscles – une procédure appelée « kinésiologie appliquée » – pour en mesurer la faiblesse ou la force en association à des nourritures, des couleurs, de la musique, et à peu près tout et n’importe quoi. (Même l’inventeur de la kinésiologie appliquée a émis des doutes quant à l’opportunité d’utiliser cette technique afin de déterminer quelle est notre étoile personnelle).
La rupture la plus évidente entre chiropraticiens est celle entre les « orthodoxes » et les « déviationnistes ». Les orthodoxes adhèrent davantage à la théorie et à la pratique originelles, tandis que les « déviationnistes » (un terme appliqué par les orthodoxes et impopulaire auprès des déviationnistes) peuvent incorporer toutes sortes de modalités à leurs pratiques. L’ICA est l’organisation nationale des orthodoxes, et l’ACA représente les déviationnistes.
La confusion, au sein de la chiropratique, au sujet des subluxations, du cadre de la profession et d’autres questions de santé majeures a été décrite par le bureau de l’Inspecteur général (OIG) du département américain de la santé et des services à la personne. Il déclare dans un rapport de 1986 :
Une controverse animée quant à la théorie de la chiropratique et à son application continue d’exister… Des discussions de vive voix et par téléphone avec des chiropraticiens, leurs écoles et leurs associations, associées à un examen de la documentation de référence… brossent le portrait d’une profession en transition et contiennent plusieurs contradictions… Il subsiste un certain désaccord au sein de la profession quant aux conditions appropriées pour des soins chiropratiques et concernant les paramètres de traitement adéquats. [12]
Les enquêteurs de l’OIG notèrent également le « côté problématique de la chiropratique ». Le rapport déclare :
Malgré les preuves présentées au cours de l’étude quant à l'importance accrue donnée à la science et au professionnalisme… il existe également des tendances à user de pratiques qui au mieux s’apparentent à du marketing excessivement agressif et, dans certains cas, semblent des tentatives délibérées de tromper les patients et le public quant à la l’efficacité des soins chiropratiques [12].
Il existe également des chiropraticiens qui exercent une thérapie manipulatoire conservatrice et rationnelle pour des désordres neuro-musculo-squelettiques. Ils ne prétendent pas être des praticiens alternatifs mais offrent leurs services comme thérapeutes de la manipulation vertébrale lorsqu’un tel traitement est médicalement justifié. On ne sait pas quelle proportion des chiropraticiens correspond à cette description. L’Association nationale de médecine chiropratique (NACM) a été formée en 1984 pour tenter d’organiser les chiropraticiens partisans de réformes. Il est possible qu’un nombre substantiel de chiropraticiens rationnels vivent ainsi cachés. Notre vision de la chiropratique serait alors déformée par les bonimenteurs et les zélotes au sein de la profession.
Évaluation de chiropraticiens individuels
Étant donné la grande diversité parmi les chiropraticiens, il est impossible d’évaluer des praticiens individuels en se fondant sur la dichotomie d’usage entre orthodoxes et déviationnistes. On commet souvent l’erreur de croire que les orthodoxes sont conservateurs (autrement dit non scientifiques) et les déviationnistes modernes (c’est-à-dire scientifiques). Bien que les orthodoxes puissent être étiquetés « fidèles » parce qu’ils adhèrent au dogme de Palmer, les modalités additionnelles employées par les déviationnistes peuvent être tout aussi peu scientifiques. Les déviationnistes ont recours à : irrigation du colon, iridologie, appareils non testés, kinésiologie appliquée (tests musculaires), mégavitamines, herbologie, cristaux, variations de l’acupuncture, thérapie glandulaire, craniopathie et à un éventail apparemment interminable de diagnostics, prescriptions et procédures thérapeutiques douteux.
Bien entendu, ceux qui usent de méthodes douteuses peuvent être rejetés car c’est la preuve qu’ils ne sont pas dignes de confiance, mais comme les chiropraticiens sont férus de philosophie, on peut remettre en question les individus en fonction des raisons pour lesquelles ils ont recours à la manipulation vertébrale. Les chiropraticiens convaincus sont peu enclins à admettre que leurs prestations se limitent à traiter les symptômes plutôt que leurs causes sous-jacentes. Cela les rétrograde de leur supériorité imaginaire de « vrais médecins » à de simples thérapeutes. Les chiropraticiens rationnels admettront facilement que la MV soulage les symptômes et non leurs causes. Elle procure surtout un soulagement somatique temporaire plutôt que de s’attaquer aux facteurs causaux des désordres. Cela est prouvé par le grand nombre de visites régulières qu'elle suscite. La fréquence trop élevée des traitements est un facteur qui a été soulevé par presque toutes les commissions qui ont évalué la chiropratique. Les tiers payants régulent généralement les coûts de chiropratique en en limitant le nombre de séances ou le montant annuel des remboursements que les adeptes peuvent recevoir.
Des chiropraticiens individuels peuvent également être jugés en fonction de leur opposition ou de leur soutien à des pratiques de santé publique scientifiquement avérées, telles que fluoration, immunisation, pasteurisation et technologies alimentaires modernes. Les chiropraticiens sont souvent à la pointe des mouvements sociaux anti-scientifiques qui s’opposent à de telles pratiques.
Fidélisation des patients
Malgré son absence consternante de fondements scientifiques, la chiropratique a une clientèle fidèle. Je pense que cela peut être attribué au soulagement somatique de la MV et aux aspects psychologiques des soins chiropratiques. La MV implique l’imposition des mains, une pratique censée avoir pour effet de détendre les patients. On dit aussi que l’imposition des mains augmente la suggestibilité, ce qui améliore les effets placebo de la MV. Le réformateur Samuel Homola, D.C. a déclaré :
La majorité des "subluxations" communément découvertes par de nombreux chiropraticiens sont probablement indolores ou imaginaires. En replaçant ces subluxations imaginaires, le praticien place ses mains sur le dos du patient et applique une pression soudaine, provoquant un rapprochement des os et un son similaire à « l’écrasement d’un vieux panier ». Cette pression, et le "pop" des vertèbres, a une influence psychologique énorme tant sur l’esprit du patient en bonne santé que sur celui du patient malade. Si ce son sec est en soi dénué de sens… (comme le craquement des phalanges)… cette influence peut être mise à profit afin de soigner des affections psychosomatiques - à condition d’informer le patient que l’os est « remis à sa place » et n’en bougera plus. Toutefois, un tel traitement peut également causer de graves dégâts sur une personne nerveuse ou mentalement instable, en perpétuant une affection psychosomatique, voire même en provoquant une nouvelle maladie psychologique. [13]
Ainsi, Homola indique que l’effet placebo peut également être néfaste. En ressentant du soulagement, on apprend la maladie au patient par un conditionnement qui produit un effet. En plus des effets physiques directs décrits par Homola, les chiropraticiens se livrent à un conditionnement verbal important. La manipulation elle-même peut être agréable (bien qu’elle puisse aussi être douloureuse) et peut provoquer une dépendance, selon le chiropraticien réformateur Charles DuVall, D.C. [14].
Les chiropraticiens ont démontré qu’ils satisfaisaient mieux les patients que les médecins. Cela est dû au fait qu'ils confirment les patients dans des problèmes que les médecins tendent à minimiser, offrent des explications simplistes sur la santé et la maladie, et s'appliquent à être chaleureux. La chiropratique offre également une explication tant mécanique que métaphysique de ses effets, répondant ainsi aux deux besoins. La rhétorique chiropratique s’est adaptée aux parfums contemporains des soins holistiques. En réalité, la chiropratique n’est pas holistique mais focalisée sur la colonne vertébrale, mais cela semble avoir échappé à l’attention.
Vendre la chiropratique
Les promoteurs de succès qui donnent des séminaires de formation aux chiropraticiens sur la manipulation psychologique des patients représentent un problème malheureusement bien connu au sein de la profession. J’étudie un grand nombre de pseudosciences de la santé mais je ne connais aucune autre profession qui rende officielle la tromperie des patients dans la formation de ses praticiens. Si nombre des procédures enseignées sont de simples bonnes pratiques, beaucoup d’autres sont frauduleuses. [8]
L’ancien consultant en relations publiques de l’ACA, Eric Baizer, dit que l’ACA mène un programme de relations publiques agressif, visant à vendre les chiropraticiens comme des médecins de famille et des prestataires de soins de santé primaires. Baizer décrit comment, en tant qu’expert en relations publiques, il défendait publiquement la chiropratique en répondant aux reportages négatifs dans la presse. Il dit qu’il employait des phrases toutes faites et des clichés réutilisables – ce qu’un auteur a nommé des « factoïdes », c’est-à-dire des affirmations conçues pour ressembler à des faits). « Par exemple, » Baizer écrit, « si quelqu'un attaquait la qualité de la formation chiropratique, on allait rétorquer que les chiropraticiens font leurs études dans des collèges accrédités par une agence reconnue par le Bureau américain de l’éducation – sous-entendant que les écoles doivent être de grande qualité. Le programme de chiropratique est-il bon ? Les professeurs sont-ils qualifiés ? Les inspections des collèges sont-elles rigoureuses ? Mieux vaut ne pas explorer ce type de questions. » [15]
Survie d’une pseudoscience
La "subluxation" illusoire n’est pas seulement le fondement théorique de la chiropratique mais en constitue également la base légale. De nombreuses lois étatiques décrivent la chiropratique comme la recherche et la suppression des subluxations. Il est surprenant qu’un tel système prospère encore à la fin du vingtième siècle, qui a vu tellement de progrès, tant dans les sciences de la biologie que dans les soins de santé. Alors que les biologistes ont expliqué la double hélice de l’ADN, les chiropraticiens ne sont pas parvenus à définir scientifiquement leur théorie ou le cadre de leur profession, ni à justifier leur existence même en tant que prestataires de soins de santé primaires.
La survie et le succès de la chiropratique sont sans doute dus au fait que procurer des soins de santé implique bien plus que la science. La politique, des considérations économiques et l’art clinique prennent souvent la priorité. Même si c’est la validité scientifique des méthodes employées qui justifie les soins de santé modernes, en termes pratiques de survie sur le marché, la chiropratique démontre quotidiennement que les aspects scientifiques des soins de santé sont les moins importants et ceux qui nécessitent la plus grande protection.
La corporation des chiropraticiens est douée pour parvenir à ses fins auprès des politiciens. Cela semble essentiellement dû à son application des lois du commerce au marché de la santé. Les chiropraticiens se présentent comme des concurrents de la « médecine allopathique » (un terme inapproprié, puisque la médecine allopathique, qui avait recours aux saignées, aux purges, etc. afin d’équilibrer les quatre humeurs des Grecs, a été remplacée depuis longtemps par l’émergence de la science médicale). Malheureusement, de nombreux législateurs considèrent la médecine ordinaire comme simplement détentrice d’une opinion parmi d’autres. Les chiropraticiens promeuvent l’idée qu’ils sont un système de prestations de soins différent mais équivalent. Ils trouvent des alliés parmi ceux qui présentent la science comme de la simple « pensée occidentale » et qui trouvent que la notion de Force de Vie Innée est compatible avec la pensée métaphysique orientale.
Les politiciens semblent avoir des difficultés à distinguer les croyances religieuses des croyances dans différentes formes de soins de santé. Les clients de la chiropratique sont fidèles, et son influence politique dépasse celle de ses détracteurs. Les patients coopèrent volontiers avec les chiropraticiens quand on leur demande d’envoyer des courriers aux législateurs. Nombreux sont ceux qui adhèrent au mythe d’une profession médicale vindicative et désireuse d’écraser ses opposants.
En dernière analyse, la validité de la chiropratique est moins une controverse de la médecine que de la biologie fondamentale. Medicare rembourse chaque année des millions de dollars versés par les contribuables à des chiropraticiens pour avoir enlevé des « subluxations » prétendument prouvées par des radiographies. Les scientifiques en biologie fondamentale ont le devoir public de tester impartialement une théorie aussi radicale que la chiropratique afin d’en déterminer la validité. Ne pas requérir de validation scientifique pour un système entier de prestations de soins de santé offre à d’autres systèmes non scientifiques un précédent inquiétant d’accès au budget public. La chiropratique et les autres formes non scientifiques de soins de santé survivront tant que le public n’exigera pas que la validation scientifique devienne un prérequis à la légalisation et au remboursement.
Références
- American Chiropractic Association. Chiropractic: Chiropractic State of the Art, 1994-1995. Arlington, VA: American Chiropractic Association, 1994.
- College of Physicians and Surgeons of the Province of Quebec. The scientific brief against chiropractic. The New Physician, Sept 1966.
- Crelin ES. A scientific test of the chiropractic theory: The first experimental study of the basis of the theory demonstrates that it is erroneous. American Scientist 61:574-580, 1973.
- Crelin ES. Chiropractic. In Stalker D, Glymour C (editors). Examining Holistic Medicine. Amherst, NY: Prometheus Books, 1989.
- International Chiropractic Association. International Review of Chiropractic, April 1972.
- Haldeman S. The importance of research in the principles and practice of chiropractic. Worldwide Report, Jan 1997.
- Smith RL. At Your Own Risk: The Case Against Chiropractic. New York: Pocket Books, 1969.
- Barrett S. The spine salesmen. In Barrett S (editor). The New Health Robbers. Philadelphia: George F. Stickley Company, 1980.
- Brown M. Chiro: How much healing? How much flim-flam? Davenport, IA: Quad-City Times, December 13, 1981.
- Modde PJ. Malpractice is an inevitable result of chiropractic philosophy and training. Legal Aspects of Medical Practice, February 1979, pp. 20-23.
- Quigley WH. Chiropractic's monocausal theory of disease. ACA Journal of Chiropractic 18(6):52-60, 1981.
- Moran WC and others. Inspection of Chiropractic Services Under Medicare. Chicago: OIG Office of Analysis & Inspections, 1986.
- Homola S. Bonesetting, Chiropractic, and Cultism. Panama City, FL: Critique Books. 1963.
- DuVall C. Chiropractic Claims Manual, 1984.
- Baizer E. Inside the American Chiropractic Association: Selling the chiropractor as a family doctor. CCAHF Newsletter 6(1), 1983.
- D.D. Palmer. The Chiropractic Adjuster.
Cet article a été révisé le 28 avril 2000.
Dernière mise à jour le 16 novembre 2019.
Source: Quackwatch