Personnalité à tendances fabulatrices
(Fantasy-prone personality)
Expression inventée par les psychologues Cheryl Wilson et Theodore Barber en 1983 dans le cadre d'une étude de faible envergure sur la susceptibilité à l'hypnose. Le travail reprenait des thèmes abordés par Ernest et Josephine Higard, deux pionniers dans le domaine de l'hypnose.* Après avoir interviewé des personnes facilement hypnotisables Wilson et Barber ont cru découvrir chez leurs sujets une importante tendance à la fabulation. Ils ont tiré de leurs entrevues un ensemble de 14 caractéristiques qu'on pourrait souvent associer aux personnes concernées. La recherche ultérieure n'a cependant pu confirmer d'association étroite entre tendance à la fabulation et susceptibilité à l'hypnose.* Des recherches additionnelles ont également remis en question l'idée que la tendance à la fabulation constitue un type de personnalité unitaire (Lynn et Rhue, 1988, p. 43). En outre, certains des sujets de l'étude Wilson/Barber ont rapporté que leurs parents les avaient fortement encouragés à puiser dans leur imagination, tandis que d'autres semblent s'être créé une vie imaginaire comme moyen d'échapper à des sévices subis durant l'enfance.* Il n'y a que peu de preuves qu'un pourcentage important d'enfants soumis à des sévices deviennent plus tard des adultes à tendances fabulatrices. Tous ces faits remettent en question l'idée qu'on puisse prédire l'apparition d'une tendance à la fabulation chez les enfants ayant subi des violences, comme certains chercheurs l'ont avancé.
Très peu de recherches ont tenté de répéter ou de valider le travail de Wilson et de Barber.* Néanmoins, l'idée qu'on puisse associer un type précis de personnalité à différentes formes de fabulation sans pour autant lui faire franchir la limite indicible entre la normalité et la maladie mentale s'est révélée populaire auprès de certains chercheurs qui se penchent sur des phénomènes comme les enlèvements par des extraterrestres et la médiumnité. On a employé le terme «personnalité à tendances fabulatrices» pour décrire les personnes qui font état de pouvoirs métapsychiques, de voyages astraux, d'expériences relatives aux ovnis, de thérapies par l'énergie, de faux souvenirs, d'écriture automatique, de terreurs nocturnes, de visions et de messages religieux, de personnalités multiples et d'hallucinations.
Wilson et Barber ont dressé une liste de 14 caractéristiques s'appliquant aux personnes à tendances fabulatrices: (1) être susceptible à l'hypnose; (2) avoir eu des amis imaginaires durant l'enfance; (3) fabuler fréquemment au cours de l'enfance; (4) avoir adopté une identité imaginaire; (5) considérer comme réelles des expériences imaginaires; (6) connaître des perceptions sensorielles très vives; (7) revivre des expériences passées avec intensité; (8) affirmer avoir eu des vies antérieures; (9) avoir parfois la sensation de flotter à l'extérieur de son corps; (10) recevoir des poèmes, messages, et autres d'esprits ou d'intelligences supérieures; (11) participer à des séances de «guérison» par la foi; (12) voir des apparitions; (13) avoir des hallucinations hypnagogiques ou hypnopompiques; (14) voir des images hypnagogiques typiques (comme des esprits ou des monstres extraterrestres). Les personnes à tendances fabulatrices doivent présenter au moins six de ces caractéristiques.
Pour autant que l'on sache, ce classement de personnalité à tendances fabulatrices n'explique pas grand-chose et n'a pas grand valeur prédictive. C'est une étiquette commode relativement à beaucoup des médiums et personnages religieux dont les noms figurent avantageusement dans les pages du Dictionnaire sceptique. Bien sûr, on pourrait deviner que des personnalités à tendances clairement fabulatrices comme Sylvia Browne ou Withley Streiber constituent des sources d'information aussi peu fiables que possible, sinon pour les questions les plus banales, mais autrement, à quoi sert ce fameux diagnostic? (Et l'on ne peut que sourciller devant une classification qui met dans le même sac une pie intarissable comme Sylvia Browne et un esprit créatif et solitaire comme Emily Brontë.)
L'une des raisons pour lesquelles les chercheurs s'intéressent si peu à ce classement vient peut-être de ce qu'il semble avoir été créé exprès pour indiquer qu'une personne - même si elle s'illusionne de façon évidente, qu'elle présente un comportement bizarre ou qu'elle croit des choses insolites - n'a pas besoin de traitement clinique. En effet, il n'existe pas de traitement pour des imaginations religieuses galopantes comme celle de Catalina Rivas ou pour tous ceux qui sont persuadés avoir été enlevés par des extraterrestres. Les infirmières qui pensent guérir leurs patients en agitant les mains au-dessus d'eux s'illusionnent, mais ne sont pas folles. Les gens dont la vie imaginaire est riche, y compris ceux ou celles qui ont gardé à l'âge adulte leurs amis imaginaires de l'enfance, peuvent mener des vies tout à fait «normales». Pour ces personnes, les esprits qui vivent à l'intérieur d'elles, les voix des défunts qui résonnent à leurs oreilles, les fantômes ou démons qui hantent leurs maisons la nuit, les vies qu'elles croient avoir menées il y a des siècles, sont aussi réelles que le chien qui a mordu le postier la semaine dernière. La plupart d'entre nous voyons la différence entre jouer au tennis et s'imaginer jouer au tennis; certains ne font pas la distinction entre les deux, mais peuvent tout de même soutenir une conversation intelligente, mettre du beurre sur les épinards et parier sur la bonne équipe quand vient le temps des finales. Bien des personnes à l'imagination débordante ont contribué de façon importante aux arts et aux lettres. Présenter des tendances à la fabulation ne semble pas, en soi, valoir qu'on reçoive une étiquette aussi peu flatteuse. Ce qui compte avant tout, c'est le type d'histoires qu'on invente, l'effet qu'elles ont sur la vie de la personne concernée et ses proches, et si elle est en mesure de voir la différence entre sentir qu'un démon est assis sur sa poitrine, et avoir un vrai démon assis sur sa poitrine.
Steven Novella, m.d., regroupe les 14 caractéristiques de Wilson et Barber en deux ensembles distincts: 1) imagination et créativité exacerbées, et 2) sens de la réalité affaibli et sensations autogènes exacerbées. Seul le second ensemble est nocif. Les sceptiques, quant à eux, se préoccupent des gens qui ne voient pas la différence entre les fruits de leur imagination et la réalité. D'après Novella:
... l'ensemble de la recherche indique que cette entité clinique assez générale qu'on appelle la personnalité à tendances fabulatrices existe, qu'elle regroupe différents états psychologiques et neurologiques auxquels correspondent une imagination plus active et (ou) une capacité amoindrie de distinguer l'imaginaire intérieur de la réalité extérieure. La recherche montre que ce sous-ensemble de la population est à l'origine, de façon disproportionnée, d'un grand nombre de récits d'expériences paranormales, entre autres des récits d'apparitions de fantômes, d'anges, d'extraterrestres, des récits d'enlèvements, d'expériences extra-corporelles, de mort imminente, de récits de réincarnations, et ainsi de suite.
Comme on l'a déjà mentionné, la recherche n'indique pas, jusqu'à présent, que l'étiquette «personnalité à tendances fabulatrices» correspond à une «entité clinique» comme telle. Des grilles d'analyse autres que celle de Wilson et Barber peuvent toutefois s'avérer utiles. Présenter une ou deux caractéristiques de la grille de Wilson et Barber pourrait n'avoir que peu d'effet sur la vie de la personne concernée, mais on pourrait faire exception pour les caractéristiques (8),(10) et (12). On n'aurait pas tendance à croire d'emblée la personne affirmant qu'elle possède une vision à rayons X, qu'elle reçoit des messages d'esprits ou d'extraterrestres, ou que la Vierge Marie lui apparaît tous les dimanches. Une telle personne pourrait souffrir de troubles mentaux, ou tout simplement mentir, et mériterait dès lors une désignation plus précise qu'une simple tendance à la fabulation. Présenter six de ces caractéristiques ou plus, par contre, devrait indiquer qu'on ne doit pas du tout se fier à cette personne si ce qu'on recherche doit ressembler un tant soit peu à la vérité. Par contre, dire que quelqu'un possède une personnalité à tendances fabulatrices selon la grille d'analyse de Wilson et Barber n'élucide pas plus les choses que d'expliquer l'action des somnifères en parlant de leur «capacité d'endormissement».
Voilà un domaine où un travail de recherche additionnel est nécessaire avant qu'on puisse tirer des conclusions définitives. L'une des difficultés qu'éprouveront sans doute les chercheurs éventuels sera de recruter des personnes fondamentalement solitaires pour leurs études. Si la population leur servant d'échantillon ne comprend que des étudiants et des numéros de cirque comme Sylvia Browne, que vaudra leur travail ? Pire encore, s'ils ne se penchent pas sur l'imaginaire religieux, ils laisseront de côté un des très riches patrimoines de l'humanité. Par contre, en incluant l'imagerie religieuse dans les études, ils risquent de décréter que la majeure partie de notre espèce présente des tendances à la fabulation.
* Une étude menée sur 62 sujets concluait: «Les sujets à faibles tendances fabulatrices n'étaient pas moins créatifs et pas moins réceptifs à l'hypnose que leurs homologues à tendances fabulatrices moyennes.» Une autre étude concluait: «On n'a pas déterminé que la tendance à la fabulation et l'absorption [l'ouverture à l'absorption et aux expériences transformatrices] sont deux concepts différentiables». Une étude a découvert une association entre la tendance à la fabulation et la vulnérabilité à la schizophrénie et les expériences d'enlèvements par des extraterrestres, ce qui contredit les conclusions de Robert Baker et Joe Nickell.
Dernière mise à jour le 8 octobre 2019.
Source: Skeptic's Dictionary