LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Hypnose

1810 Sibly - Key to Physic

Processus faisant intervenir un hypnotiseur et un sujet qui accepte de se faire hypnotiser. L'état d'hypnose se caractérise le plus souvent par a) une intense concentration, b) une très grande relaxation et c) une forte suggestibilité.

L'hypnose semble incroyablement polyvalente, car on la pratique dans des cadres tout à fait dissemblables: dans des salles de spectacle, des cliniques, des classes, des postes de police… Lorsqu'ils en font un spectacle, les hypnotiseurs travaillent habituellement dans des clubs de nuit ou des bars, là où l'on bavarde autour d'un verre. Dans un cadre clinique, on l'emploie plutôt pour des sujets qui souffrent d'un mal quelconque, et qui ont entendu dire que l'hypnothérapie permettait d'obtenir un soulagement, de s'affranchir d'une dépendance ou d'une phobie. Certaines personnes, même, cherchent par l'hypnose à retrouver des souvenirs refoulés de sévices sexuels ou de vies antérieures. Des psychologues ou des hypnothérapeutes l'utilisent pour avoir accès à l'inconscient, où sont censées se dissimuler des vérités inaccessibles à la vie consciente. Enfin, la police encourage parfois des témoins ou des victimes à recourir à l'hypnose dans l'espoir qu'ils puissent ainsi se remettre en mémoire certains détails de leur expérience.

Croyances populaires

On croit généralement que l'état hypnotique se caractérise par une espèce de transe, accompagnée d'un état modifié de conscience. Les tenants de cette vision des choses pensent également que l'hypnose sert de porte d'entrée à une partie inconsciente de nous-mêmes, remplie de souvenirs refoulés, de personnalités multiples, d'intuitions mystiques ou de souvenirs de vies passées. Pour de nombreux psychologues, toutefois, il ne s'agit là que de croyances sans fondement. Examinons ces deux mythes, distincts quoique liés, de l'état modifié de conscience et des profondeurs occultes.

Ceux qui s'accrochent au premier de ces mythes citent souvent des études montrant que chez les sujets sous hypnose l'activité électrique du cerveau se modifie, et que leurs ondes cérébrales diffèrent de celles de l'état de veille. Mais alors, aussi bien dire qu'on atteint des états modifiés de conscience lorsqu'on rêvasse, qu'on se concentre, qu'on imagine une couleur ou qu'on éternue, puisque dans de tels cas l'activité électrique du cerveau se modifie également, et que les ondes cérébrales produites alors diffèrent elles aussi de celles de l'état de veille ordinaire.

Pour leur part, ceux qui s'accrochent au mythe des profondeurs occultes s'appuient sur toutes sortes d'anecdotes à propos de gens qui, sous hypnose, se rappellent d'événements récents ou anciens dont ils n'ont aucun souvenir conscient, ou encore, qui évoquent de lieux lointains ou des temps à venir.

La majeure partie de ce que l'on sait (par rapport à ce que l'on croit) à propos de l'hypnose nous vient d'études sur les sujets qui s'y soumettent. Ainsi, on sait qu'il existe une corrélation importante entre imagination fertile et susceptibilité à l'hypnose. Ceux qui sont enclins à se construire des scénarios imaginaires font en général d'excellents sujets. On sait que la capacité de créer des images mentales saisissantes augmente la suggestibilité. On sait que les personnes hostiles à l'hypnose y demeurent insensibles. On sait qu'il est impossible pour un sujet de se transformer en zombi ou de tomber sous la coupe de son hypnotiseur. On sait que l'hypnose n'améliore en rien l'acuité des souvenirs. On sait que l'hypnose peut rendre certains sujets fortement suggestibles, et que leur imagination ou les suggestions de l'hypnotiseur peuvent alors facilement "combler" leurs blancs de mémoire. On sait qu'il peut facilement y avoir confabulation durant l'hypnose, et que bien des tribunaux n'admettent pas en preuve les témoignages obtenus par des hypnothérapeutes parce qu'ils ne sont fondamentalement pas fiables. On sait que ce que le sujet croit à propos de l'hypnose constitue le meilleur facteur de prédiction quant à sa susceptibilité.

L'hypnose dans son contexte socio-cognitif

Si l'hypnose n'est pas un état modifié de conscience ni la clé d'un inconscient occulte, de quoi s'agit-il? Pourquoi tant de gens, y compris des psychologues qui rédigent des traités, des dictionnaires ou des articles d'encyclopédie continuent de répandre de telles idées sur l'hypnose comme si elles avaient été validées par la science? Il faut d'abord savoir que les média perpétuent ces mythes dans un nombre incalculable de livres, de films, d'émissions de télé, etc., et qu'une faction d'hypnothérapeutes y croient, en vivent très bien, et obtiennent, dans le cadre de leur travail, ce qu'ils considèrent forcément comme des "succès", de leur point de vue. À cet égard, ils peuvent même s'appuyer sur des études scientifiques. Cependant, des psychologues comme Robert Baker pensent que ces fameuses études possèdent autant de valeur que celles qui établissent l'existence du phlogistique et de l'éther. Baker affirme plutôt que ce qu'on appelle hypnose est en fait une forme de comportement social acquis.

L'hypnotiseur et le sujet ont tous deux acquis une série d'attentes à propos de l'autre, et leurs comportements respectifs y répondent exactement. L'hypnotiseur formule les suggestions que le sujet s'empresse d'accepter. Le reste - la répétition monotone des mêmes paroles et gestes, la voix douce et relaxante, de même que l'apparente transe du sujet, ou son état de quasi-sommeil - n'est qu'une question d'apparences, de rituel pour conférer son air de mystère à l'hypnose. Lorsqu'on retire cet aspect théâtral, il ne reste qu'une chose bien ordinaire, quoique fort utile: un état auto-induit de très grande suggestibilité.

Le psychologue Nicholas Spanos est d'accord avec Baker: "l'hypnose influence le comportement indirectement en modifiant la motivation, les attentes et l'interprétation du sujet", ce qui n'a rien à voir avec un état de transe ou de maîtrise de l'inconscient. L'hypnose, selon Spanos, est un comportement acquis procédant d'un contexte socio-cognitif donné. On peut arriver à des résultats semblables de bien d'autres façons, en suivant un cours ou une formation, en lisant un livre, en acquérant de nouvelles habiletés, en suivant les conseils d'un motivateur ou en se motivant soi-même, en suivant des cours de motivation, ou simplement en prenant la ferme résolution d'atteindre un objectif précis. Autrement dit, ce qu'on appelle hypnose n'est rien d'autre que du conformisme social plutôt qu'un état unique de conscience. Le sujet agit conformément avec ses attentes face à l'hypnotiseur et à l'hypnose, et se comporte comme il pense qu'on doit le faire sous hypnose. L'hypnotiseur, lui, agit conformément avec les attentes du sujet (ou de son public) et se comporte comme il pense qu'on doit le faire dans la peau d'un hypnotiseur.

Spanos compare la popularité de l'hypnose à celle d'un phénomène du dix-neuvième siècle qu'on appelle aujourd'hui le mesmérisme. En outre, il trace une analogie entre les croyances actuelles à propos de l'hypnose et celles qui portaient jadis sur les possessions démoniaques et l'exorcisme. Chacune, en effet, peut s'expliquer à la lumière de leur contexte socio-cognitif. Les participants suivent un code implicite, établi au sein de leur milieu social, et voient leur rôle renforcé par l'attitude de leurs partenaires. Si, au sein d'un ensemble social donné, on exprime un soutien suffisant envers certaines idées ou attitudes, elles peuvent acquérir la valeur d'un dogme, défendu avec acharnement par la communauté scientifique, religieuse ou sociale.

E.M. Thornton, également psychologue, va plus loin dans l'analogie entre hypnose, mesmérisme et exorcisme. Selon elle, on demande aux sujets sous hypnose d'afficher "ce qui constitue ni plus ni moins une parodie d'épilepsie". Si certains sujets sous hypnose, à l'instar des victimes du mesmérisme, semblent possédés, c'est parce que la possession relève d'un contexte socio-cognitif semblable à l'hypnose, d'un rapport ludique similaire. Les croyances fondamentales diffèrent, cependant, et le concept dominant de l'état modifié de conscience, du magnétisme animal ou de l'envahissement démoniaque confère à chacune de ces expériences leurs caractéristiques particulières. Malgré tout, en fin de compte, l'hypnotisme, le mesmérisme, l'hystérie et la possession ont en commun leur nature de créations sociales, élaborées par des thérapeutes enthousiastes, des forains et membres du clergé d'une part, et des sujets suggestibles, consentants, à l'imagination galopante, aux facultés émotives très élevées d'autre part.

On peut également voir l'hypnose comme un média, une manière de communiquer. Elle ne serait pas plus efficace ou plus utile qu'un autre média mais permettrait au thérapeute d'avoir plus de flexibilité dans son approche (un peu comme l'utilisation du dessin ou d'autres médias artistiques).

Malgré ces éléments, il y a une utilisation de l'hypnose qui est validée par de nombreuses études scientifiques et qui est très efficace : l'hypnosédation. Revenue en force depuis une dizaine d'année dans certains hopitaux, cette pratique qui consiste à combiner hypnose et anesthésie locale a été validée par des études scientifiques de qualité. Les avantages sont nombreux : diminution importante des doses d'anesthésiant et d'anxiolytiques, départ nettement plus rapide après l'opération, disparition quasi complète des nausées post-opératoires, satisfaction subjective des patients plus importante et taux de réussite proche des 100%. L'hypnosédation ne fait donc plus partie des "médecines alternatives" et rejoint les approches médicales basées sur les preuves. Le lecteur intéressé pourra se renseigner sur les travaux de Faymonville pour plus d'informations, elle a contribué à une grande partie des études européennes sur la question et a formé de nombreux médecins anesthésistes à l'hypnosédation en Belgique.

Finalement, il semble utile de faire le point sur les nombreuses études publiées sur l'hypnose du coté des neurosciences. En effet, il y a encore pas mal de recherches scientifiques sur l'hypnose mais elles ne portent pas sur son usage thérapeutique mais plutôt sur les liens entre l'hypnose et la mémoire, la perception, la suggestion. Plusieurs études majeures* ont été publiées récemment dans les revues de neurosciences les plus importantes au monde. Au programme : validation des effets de l'amnésie post-hypnotique et validation des effets des suggestions sur la modification de plusieurs types de perceptions. Le tout avec imagerie cérébrale et protocoles de grande qualité. Ils citent aussi les recherches antérieures car l'amnésie a bien sûr déjà été étudiée. Ces recherches ont permi de montrer, contrairement à ce que pensaient certains auteurs cités plus haut, que les suggestions produisent plus qu'une sorte de soumission librement consentie. Elles produisent des effets cognitifs qui, à ce jour, étaient supposés impossibles. Certains sujets sont capables d'inhiber l'accès à certaines zones cérébrales suites à des suggestions d'amnésie alors que les scientifiques pensaient que ce n'était pas possible jusqu'à présent. Ces nouvelles recherches ouvrent de nouvelles pistes pour les sciences cognitives. Bien sûr, ces effets ne valident en rien le "pouvoir" qu'aurait l'hypnose sur les autres, ils montrent simplement que les suggestions peuvent amener des sujets à s'influencer eux même d'une manière encore mal connue.

 

Le bon, la brute et le truand

Le père de la répression, Freud, avait sagement renoncé à utiliser l'hypnose à des fins thérapeutiques. Malheureusement, on continue de l'employer dans toutes sortes de contextes, dont beaucoup finissent par se révéler nuisibles. L'hypnose peut peut-être aider les gens à cesser de fumer ou à respecter leur régime, mais un échec n'aura aucune conséquence fâcheuse. L'hypnose peut peut-être aider le témoin d'un crime à se rappeler le numéro de plaque d'un véhicule, sans qu'un échec à cet égard n'ait de conséquences fâcheuses. L'hypnose peut peut-être aider les victimes ou les témoins d'un crime à reconstituer les événements, mais elle présente ici un danger, étant donné la facilité avec laquelle l'hypnotiseur peut manipuler le sujet par ses suggestions. Un hypnotiseur travaillant pour la police pourrait très bien, dans un excès de zèle, tenter de faire condamner un prévenu par un témoignage obtenu sous hypnose, plutôt que par des éléments de preuve fondés sur des faits. L'hypnose peut également se révéler dangereuse dans un contexte judiciaire, car trop d'agents de police sont prêts à croire au sérum de vérité, au détecteur de mensonges et à d'autres façons magiques d'obtenir la vérité.

Employer l'hypnose pour permettre à des sujets de retrouver des souvenirs de sévices sexuels subis aux mains de proches parents ou d'extra-terrestres à bord de vaisseaux spatiaux est dangereux et, dans certains cas, clairement immoral et dégradant, surtout lorsqu'on encourage des patients à revivre des événements qui n'ont probablement jamais eu lieu. Si les événements évoqués n'étaient pas si horribles et douloureux, ils demeureraient sans conséquence. Mais en entretenant des illusions à propos de maux imaginaires, les thérapeutes commettent des torts irréparables envers ceux qui leur vouent une confiance absolue, tout cela au nom de l'empathie et du mieux-être.

 

Voir également: Bridey Murphey, Charles Tart, Enlèvements par les extra-terrestres, États modifiés de conscience, Exorcisme, Inconscient, Mémoire, Mesmérisme, Régression à des vies antérieures, Souvenirs réprimés, Thérapie des souvenirs réprimés, Thérapies nouvel-âgeuses et Trouble de personnalité multiple.

 

Dernière mise à jour le 23 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary