Abduction
(enlèvement par des extraterrestres)
«... malgré le fait que nous, les humains, affectionnons les souvenirs de voyage, pas une de ces personnes [qui prétendent avoir été à bord d'une soucoupe volante] n'a ramené ne serait-ce qu'un outil ou un artefact extraterrestre qui aurait pu, une fois pour toutes, mettre fin à l'énigme des ovnis. »
La croyance que des extraterrestres viennent sur Terre pour s'y livrer à des expériences génésiques sur d'heureux élus est étonnamment répandue. Malgré son caractère incroyable et une absence totale de preuves crédibles à ce sujet, elle continue de circuler et de prendre de l’ampleur. Selon un sondage Gallup effectué à la fin du 20e siècle, environ le tiers des Américains croient que nous avons eu des visiteurs extraterrestres, ce qui représente une augmentation de 5 % par rapport à la décennie précédente.
L'un des articles de foi de cette croyance, c'est qu'une soucoupe volante s'est écrasée à Roswell, au Nouveau-Mexique, en 1947. Depuis, le gouvernement américain, qui a récupéré la soucoupe et ses occupants, rencontre des extraterrestres en secret dans un endroit baptisé Zone 51. Si l'on voit davantage d'ovnis qu'auparavant, c'est en raison d'un accroissement des activités extraterrestres sur Terre. Les extraterrestres enlèvent des terriens en plus grand nombre qu'avant, et laissent des traces de leur passage sous forme d'agroglyphes. En outre, ils mutilent le bétail et, à l’occasion, ne dédaignent pas révéler des secrets comme le Livre d'Urantia à des prophètes choisis. Toutes ces croyances s'appuient avant tout sur des spéculations, de l'invention, de la fraude et des conclusions injustifiées, tirées de preuves et de témoignages douteux. Les partisans de l'existence des soucoupes volantes sont également convaincus que les gouvernements et les médias conspirent pour cacher les activités des extraterrestres, ce qui rend extrêmement difficile de prouver leur présence parmi nous.
La présence de formes de vie ailleurs dans l’Univers, et même de vie intelligente, doit être considérée comme possible. Il y a une forte probabilité mathématique que, parmi les trillions d’étoiles que contiennent les milliards de galaxies qui nous entourent, il se trouve des millions de planètes semblables à la nôtre, en orbite autour d’une étoile pareille à notre Soleil. De même, il y a de fortes chances que la vie soit apparue sur quelques-unes de ces planètes, et que son évolution obéisse au principe de la sélection naturelle (Dawkins). Que cette évolution mène à une vie intelligente n’est cependant pas inévitable, encore moins si l’on pense à une intelligence égale ou supérieure à la nôtre. Il se peut que nous soyons uniques (Pinker, 150).
On ne doit toutefois pas oublier que l’étoile la plus proche de nous (outre le Soleil) est si lointaine qu’il faudrait plus que la durée d’une vie humaine pour s’y rendre. Le fait que notre Soleil mette environ 200 millions d’années à faire le tour de la Voie Lactée donne une idée de l’échelle démesurée des voyages interstellaires. Nous nous trouvons à 500 secondes-lumière du Soleil. L’étoile la plus proche, Alpha du Centaure, est située à environ quatre années-lumière de nous. La distance peut sembler modeste, mais elle représente tout de même plus de 50 trillions de kilomètres; même en voyageant à un million de kilomètres à l’heure, il faudrait mettre 5000 ans pour y parvenir. Pour y arriver en 25 ans, un vaisseau spatial devrait filer à 200 millions de kilomètres à l’heure durant tout le trajet *. Voyager, la sonde spatiale la plus rapide jamais fabriquée par l’homme, se déplace à environ 40 000 kilomètres à l’heure. À cette vitesse, elle mettrait 70 000 ans pour atteindre Alpha du Centaure.
Malgré la possibilité que la vie foisonne dans l’Univers et qu’elle comprenne des formes de vie hautement intelligentes, il fort peu probable qu’un signal envoyé par une planète dans une direction quelconque finisse par croiser la trajectoire d’une autre planète habitée. Il serait tout à fait insensé de s’élancer au hasard dans l’espace à la recherche de formes de vies intelligentes; mieux vaudrait savoir d’avance où se diriger. Malheureusement, l’attente d’un message quelconque pourrait durer plus longtemps que la vie même sur la planète réceptrice. En outre, étant donné les distances à franchir, un message extraterrestre pourrait ne nous parvenir que bien après l’extinction de la civilisation l’ayant émis.
Ainsi donc, bien qu’il soit probable qu’il y ait de la vie intelligente dans l’Univers, voyager d’un système solaire à l’autre à la recherche de cette vie présente de sérieux problèmes. Par exemple, il faudrait trouver le moyen de garder en vie les courageux explorateurs pendant de très longues périodes, des siècles, voire des millénaires, ce qui implique qu’ils puissent compter sur du matériel fiable et inusable, ou à tout le moins, réparable ou remplaçable en plein vide interstellaire. La chose n’est pas impossible en soi, mais elle semble constituer une difficulté assez importante pour rendre hautement improbables les voyages spatiaux. En dépit de ces difficultés, on ne manquerait pas de volontaires. Il serait sûrement très facile de trouver des gens prêts à se faire congeler quelques centaines d’années pour partir à la recherche d’une vie extraterrestre. Nul doute, certains croiraient probablement revenir sur Terre au bout de quelques siècles, recevoir un accueil triomphal et passer à la télé.
Viols et enlèvements?
Les voyages interplanétaires paraissent improbables, mais demeurent néanmoins possibles. Peut-être y a-t-il des êtres qui possèdent la technologie et les ressources nécessaires pour construire des vaisseaux spatiaux capables de voyager à des vitesses voisines de celle de la lumière. Ces êtres sont-ils venus jusqu’ici pour enlever des terriens, les violer et effectuer toutes sortes d’expériences bizarres sur eux? On compte de nombreux récits de personnes qui disent avoir été enlevées et soumises à des violences sexuelles par des créatures chauves et de petite taille, de couleur blanche, grise ou verte. Elles avaient le crâne développé, un menton minuscule, de grands yeux en amande et des oreilles pointues, ou pas d’oreille du tout. Comment expliquer que circulent tant de ces histoires? Comment expliquer le fait qu’elles se ressemblent tant? L’hypothèse la plus vraisemblable, dans ce dernier cas, est qu’elles tirent leurs origines des mêmes films, des mêmes histoires de science-fiction, des mêmes émissions de télévision et des mêmes bandes dessinées.
Le point de départ de tous ces récits d’enlèvements et d’expériences pas très catholiques semble avoir été le cas d’un couple américain, Betty et Barney Hill. Les Hill ont prétendu avoir été enlevés par des extraterrestres le 19 septembre 1961. Barney affirmait qu’ils avaient prélevé un échantillon de son sperme. Betty disait qu’on lui avait enfoncé une aiguille dans le nombril. Plus tard, lorsqu’elle a emmené des gens voir le lieu où une soucoupe volante était censée atterrir, elle seule a été capable d’apercevoir l’engin… Les Hill se sont souvenus de ces fameux événements sous hypnose, quelques années après les faits. Barney Hill a alors dit que les extraterrestres avaient des yeux «qui faisaient le tour de la tête», caractéristique assez inhabituelle. Douze jours auparavant, cependant, l’émission de SF «The Outer Limits» montrait précisément des créatures de ce type (Kottmeyer). Mieux encore, selon Robert Schaeffer, «on peut retrouver tous les principaux éléments des récits contemporains d’enlèvements par des ovnis dans la bande dessinée [américaine] des années 1930, Buck Rogers au XXVe siècle».
L’histoire des Hill s’est répétée à de nombreux exemplaires. Une période d’amnésie suit habituellement la rencontre présumée. Seules des séances d’hypnothérapie, de counseling ou de psychothérapie permettent aux événements de refaire surface dans la mémoire des présumées victimes. La seule variation véritable dans leurs récits vient de ce que certaines d’entre elles parlent d’objets qu’on leur a implantés, ou exhibent des marques ou cicatrices laissées par les extraterrestres. Toutes les «victimes» décrivent ces créatures d’un autre monde d’une façon passablement semblable.
Whitley Strieber, qui a écrit plusieurs livres à propos de ses présumés enlèvements, dit qu’il a pris conscience de ce qui lui était arrivé après s’être soumis à des traitements de psychothérapie et d’hypnose. Il affirme avoir vu des extraterrestres incendier le toit de sa maison, et prétend avoir fait l’aller-retour vers des planètes lointaines en une nuit. Il veut faire croire que seuls les membres de sa famille et lui-même voient les soucoupes volantes et leurs pilotes, qui passent inaperçus pour le commun des mortels. En fin de compte, Strieber semble être un type assez dérangé qui croit véritablement que des extraterrestres l’ont enlevé et le harcèlent systématiquement. La description qu’il donne de son état d’esprit aux moments concernés est suffisamment précise pour qu’on en conclue qu’il était déjà très perturbé avant que les petits hommes verts ne s’en prennent à lui. Toute personne souffrant d’un état d’anxiété aussi profond est susceptible de présenter des symptômes d’hystérie et de subir des changements profonds de comportements et de croyances. C’est au cours d’une crise d’angoisse qu’il a consulté son analyste, Robert Klein, et Bud Hopkins, chercheur dans le domaine des enlèvements extraterrestres. Sous hypnose, Strieber s’est mis à se rappeler toutes sortes de souvenirs horribles.
Hopkins a fait la démonstration de sa sincérité et de son incompétence comme enquêteur au cours de l'émission Nova de la télévision publique («Alien Abductions», présentée pour la première fois le 27 février 1996). La caméra a accompagné Hopkins durant ses rencontres avec un «patient» très agité, dont les nerfs étaient à fleur de peau. Ensuite, Nova a suivi Hopkins en Floride, où il a aidé, avec beaucoup d’enthousiasme, une mère visiblement instable à inculquer à ses enfants la croyance qu'ils avaient été enlevés par des extraterrestres. Entre deux rencontres avec ses clients, on l'entend parler à répétition de ses livres, et donner les raisons pour lesquelles il accepte sans le moindre doute les très étranges affirmations de ses «patients». Nova a demandé au Dr Elizabeth Loftus d'évaluer la façon dont Hopkins «aidait» les enfants dont la mère les poussait à croire qu'ils avaient été enlevés. D'après le peu que l'émission montrait de Hopkins au travail, il était apparent qu'il favorisait la création de souvenirs, même s'il prétendait lui-même qu'il aidait à retrouver des souvenirs refoulés. Le Dr Loftus a remarqué comment Hopkins encourageait beaucoup ses «patients» à se souvenir des choses en détail, et comment il récompensait verbalement la récupération de nouveaux souvenirs. Le Dr Loftus trouvait cette façon de faire «risquée», car on ignore quels en seront les effets sur les enfants. On peut probablement prédire un des effets sans crainte de se tromper: ils vont grandir en croyant qu'ils ont été enlevés par des extraterrestres. L'idée aura si bien été enfoncée dans leur crâne qu'il leur sera difficile de penser que cette «expérience» leur a été mise dans la tête par leur mère, pour ensuite être cultivée par des enthousiastes irresponsables comme Hopkins.
John Mack
Mais les rangs des enthousiastes comptent également un psychiatre de Harvard, le Dr John Mack, qui a écrit des livres à propos de ceux de ses patients qui affirment avoir été enlevés. Beaucoup d'entre eux lui ont été envoyés par Hopkins. Le Dr Mack dit que ses patients ne sont pas des malades mentaux (mais alors, pourquoi les traite-t-il?) et qu'il ne voit aucune autre explication pour leurs récits sinon qu'ils sont véridiques. Pourtant, tant que le bon médecin ou l'un de ses patients n'aura pas produit de preuves véritables qu'il y a eu enlèvements, il semblera plus raisonnable de croire qu'ils se trompent ou qu'ils trompent le public. Évidemment, le bon médecin peut se prévaloir de la liberté universitaire et du secret professionnel. Il peut prétendre tout ce qu'il veut et refuser de présenter la moindre preuve en prétextant qu'il violerait ainsi son serment d’Hippocrate. Il peut ensuite publier ses bobards en mettant au défi quiconque de restreindre sa liberté d’universitaire. En fait, il occupe une position que n'importe quel escroc envierait: il peut mentir sans crainte de se faire prendre.
On a également vu le Dr Mack durant «Alien Abductions». Il y affirmait que ses patients étaient des gens normaux, ce dont on peut douter s’ils ressemblent à ceux de Hopkins, et qu’ils n’avaient rien à gagner en inventant des histoires abracadabrantes. On croit souvent, Dieu sait pourquoi, que seuls les faibles d’esprit peuvent être victimes de manipulations ou d’illusions, et qu’on ne peut remettre en cause le témoignage d’une personne lorsqu’elle est désintéressée. Il est tout à fait logique de s’interroger sur le récit de quiconque possède un avantage à le faire connaître (songeons à une personne motivée par l’appât du gain ou l’attrait de la célébrité, par exemple), mais on ne doit pas pour autant accepter d’emblée ce que raconte la personne qui n’a apparemment rien à gagner par son témoignage. Un témoin incompétent, sous l’effet de l’alcool ou de la drogue, qui commet une erreur fondamentale ou qui tombe sous le coup d’une illusion ne saurait être considéré comme fiable, même s’il est innocent comme l’agneau qui vient de naître. Le fait qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme bien sous tous rapports, et qui n’a rien à gagner en racontant des histoires ne rend pas impossible une éventuelle erreur d’interprétation ou de perception.
Et puis, le Dr Mack ne dit rien du fait que ses patients obtiennent beaucoup d’attention en se déclarant victimes d’un enlèvement. Il ne dit pas non plus que Hopkins et lui s’attirent une grande notoriété et vendent beaucoup de livres en encourageant leurs clients à révéler les détails de leur «épreuve». Mack a reçu une avance de 200 000 $ pour son premier ouvrage sur les enlèvements extraterrestres. Il profite aussi du renom qu’il s’est acquis pour solliciter des fonds pour son Centre pour la psychologie et les changements sociaux, de même que pour son Programme de recherche sur les expériences extraordinaires. En passant, le Dr Mack se dit très impressionné par le degré de similitude que présentent les récits de ses patients. Il croit également aux auras, et il semble bien qu’il attribue une partie des problèmes gynécologiques de sa femme à des extraterrestres. Harvard le garde au nom de la liberté universitaire.
Robert Bigelow
Autre grand mythographe dans le domaine, Robert Bigelow, riche homme d’affaires de Las Vegas qui met sa fortune au service de la recherche sur le paranormal (voir l’entrée sur Charles Tart), a financé en partie une enquête Roper sur les enlèvements. On n’a pas demandé de but en blanc aux 5947 répondants si des extraterrestres avaient déjà essayé de les kidnapper, toutefois. On leur a plutôt demandé s’ils avaient déjà vécu les expériences suivantes:
S’être éveillé paralysé, en éprouvant le sentiment étrange qu’une personne, une présence ou quelque chose d’autre se trouvait dans la pièce.
Avoir éprouvé un sentiment de désorientation pendant une heure ou plus, sans pouvoir se rappeler pourquoi ni où.
Avoir aperçu des lumières inhabituelles ou des sphères lumineuses dans une pièce sans comprendre ce qui les causait ni d’où elles venaient.
Avoir découvert d’étranges et inexplicables cicatrices sur son corps.
Avoir senti que l’on volait dans les airs sans savoir comment ni pourquoi.
Répondre par l’affirmative à quatre de ces cinq choix était considéré comme une preuve d’enlèvement par des extraterrestres. Un rapport de 62 pages, accompagné d’une introduction signée par John Mack, a été posté à quelque 100 000 psychiatres, psychologues et autres professionnels de la santé mentale. Apparemment, on pouvait conclure de l’enquête que quatre millions d’Américains ou quelque 100 000 000 de Terriens avaient déjà subi un enlèvement. Carl Sagan ironise: «On s’étonne que les voisins n’aient rien remarqué». L’envoi du rapport tombait pile: juste avant la minisérie que la chaîne CBS a présentée à partir du livre Intruders de Strieber.
Quelques-unes des personnes qui disent avoir été enlevées sont probablement des menteurs, certaines doivent être victimes d’un stress épouvantable, et d’autres encore, de graves troubles psychiatriques, mais la plupart semblent des gens passablement normaux qui font tout simplement preuve d’une imagination débordante. Dans la majorité des cas, ils ne semblent pas intéressés, ne racontent pas d’expériences bizarres pour passer à la télé ou vendre les droits de leur histoire à Hollywood. Autrement dit, les témoignages viennent souvent, sinon la plupart du temps, de gens raisonnablement normaux sans motifs cachés. Si ce qu’ils racontent n’était pas si bizarre, on leur donnerait le Bon Dieu sans confession. Ceux qui les croient font valoir qu’on ne saurait songer à une série de mensonges concertés. Cependant, l’hypnose et d’autres techniques de suggestion sont souvent utilisées pour qu’ils retrouvent ces souvenirs. Or, non seulement l’hypnose est un très mauvais moyen pour retrouver des souvenirs avec exactitude, mais c’est aussi une excellente méthode pour implanter de faux souvenirs dans la tête de certains sujets. En outre, on sait que les gens qui disent avoir été enlevés par des extraterrestres possèdent une imagination fertile. Il n’y a rien d’anormal à cela; on retrouve cette même disposition chez la majeure partie des êtres humains, sinon personne ne croirait en Dieu, aux anges, aux esprits, à l’immortalité, au diable, aux perceptions extra-sensorielles, au sasquatch, etc. On peut croire les choses les plus irrationnelles et fonctionner de façon relativement «normale» dans tous les domaines de la vie si ces croyances irrationnelles font partie de celles que la culture commune accepte. Personne ne s’évertue de comprendre pourquoi le commun des mortels adopte certaines croyances religieuses répandues, par exemple, mais lorsque quelqu’un avance des idées extérieures à l’ensemble des illusions acceptées par la société, on constate immédiatement une tendance à chercher à «expliquer» sa croyance.
Délires culturels
Ceux qui prétendent avoir été enlevés par des extraterrestres pourraient très bien ne pas être fous ni dire la vérité. Il serait plus juste de dire qu'ils partagent un délire de nature culturelle. Ils rassemblent en cela aux gens qui connaissent des expériences de mort imminente, qui sentent qu'ils s'enfoncent dans un long tunnel obscur au bout duquel brille une forte lumière, ou qui voient Jésus leur faire signe. De telles visions sont sans doute dues à des états cérébraux similaires dans un contexte de détresse physique extrême, ainsi qu'à des expériences de vie et des attentes communes face à la mort. Ces gens n'ont perdu ni la raison ni la vie. Il existe une explication naturelle à ce qui leur est arrivé, explication à la fois physiologique et culturelle.
Il est également possible que ces prétendues victimes d'enlèvements se comportent comme des mystiques. Tout comme eux, en effet, ils croient avoir eu accès à des expériences inaccessibles aux autres. La seule preuve de cette expérience, c'est le souvenir qu'ils en ont et le récit qu'ils en font. La comparaison n'est pas aussi outrancière qu'elle pourrait le paraître. Les récits des mystiques se classent dans deux catégories de base: l'extase et la contemplation. Chaque type de mysticisme possède sa propre histoire, faite d'anecdotes et de témoignages. Comme les récits des victimes d'enlèvement, les récits de chaque type de mystique sont très semblables. Les mystiques extatiques tendent à décrire leur expérience en des termes rappelant clairement l'orgasme. Passer de l'obscurité à la lumière rappelle la naissance. Les mystiques contemplatifs, quant à eux, parlent d'une paix et d'un contentement parfaits d'une façon qu'il rappelle ce qu'on éprouve au bout d'une bonne nuit de sommeil. Dans les stades plus avancés de mysticisme, l'expérience décrite est clairement analogue à la mort: un état d'unité totale, sans diversité, sans changement. Bref, le fait que des expériences mystiques soient décrites dans des termes semblables par des personnes nées dans différents pays, à différentes époques n'est pas la preuve de l'authenticité de leurs expériences. Ces similitudes dénotent davantage une uniformité de l'expérience humaine. Chaque culture interprète la naissance, la procréation et la mort de façon semblable.
Les victimes d'enlèvements ressemblent non seulement aux mystiques, mais également aux nonnes du Moyen âge qui croyaient qu'elles avaient été séduites par le démon, aux femmes de la Grèce antique qui pensaient avoir eu des relations sexuelles avec des bêtes, et aux femmes qui s’imaginaient sorcières. Les psychothérapeutes et autres experts des présumées victimes se comportent comme les prêtres des temps anciens qui, loin de remettre en question les idées délirantes de leurs ouailles, les encourageaient fortement et les reprenaient à leur compte. Ils font tout en leur pouvoir pour affirmer l'orthodoxie de leurs récits. Il est très rare de trouver une présumée victime d'enlèvement qui n'a pas été fortement influencée dans ses croyances par des histoires d’extraterrestres ou des livres comme Communion ou Intruders de Strieber, ou encore par des films montrant des extraterrestres. Il sera encore plus difficile de rencontrer une présumée victime qui n'a pas été grandement encouragée dans ses croyances par des gens comme Hopkins ou Mack. On comprend pourquoi tant de gens, de nos jours, croient qu'ils ont été enlevés par des extraterrestres: ils reçoivent les encouragements implicites d'une société qui ne demande qu'à les croire et le renforcement des grands prêtres du culte de l'enlèvement.
Mais s'il existe des êtres dont la technologie est assez avancée pour qu'ils puissent parcourir l'Univers, on peut présumer qu'ils ont également visité la Terre dans l'Antiquité ou au Moyen âge. Pourtant, les gens de ces époques n’ont pas parlé d'extraterrestres ni de vaisseaux spatiaux dans leurs délires, car il s'agit là de créations de notre siècle. Aujourd'hui, on peut bien rire à l'idée que des dieux prennent la forme de cygnes pour séduire les élues de leur cœur, ou que des démons viennent engrosser des nonnes, car la chose ne cadre plus avec notre culture. De même, les gens de l'Antiquité ou du Moyen âge auraient sans doute bien ri de quiconque leur aurait raconté qu'ils avaient été enlevés par des extraterrestres à des fins génésiques. La seule raison pour laquelle on prend ce genre de délires au sérieux aujourd'hui, c'est parce qu'ils cadrent avec nos croyances culturelles sur la possibilité des voyages intergalactiques, et sur le fait qu'il y a très probablement plus d'une planète habitée dans l'Univers. À d'autres époques, personne n'aurait pris de telles affirmations au sérieux.
Évidemment, il y a sans doute bien des «victimes» qui prennent leurs désirs pour des réalités, quoiqu'il est plus facile de comprendre qu'on puisse rechercher une expérience mystique plutôt qu’un rapt par des êtres d'une autre planète. Mais la facilité avec laquelle nous acceptons qu'une personne puisse vouloir de l'expérience mystique est reliée à notre préjugé culturel en faveur de la croyance en Dieu, de la désirabilité d'une union avec Dieu. Le désir de transcender sa propre existence, de parvenir à un plan supérieur, de quitter son corps, d’être choisi par un être supérieur pour une tâche spéciale... toutes ces raisons peuvent être à l’œuvre chez la prétendue victime, autant que chez l'apprenti mystique ou la personne qui recherche une expérience extracorporelle.
Il est également possible, comme le fait valoir Michael Persinger, que les «victimes» décrivent toutes des hallucinations semblables, produites par des états de conscience similaires. De même, les extases et états contemplatifs des mystiques peuvent très bien se ressembler tous parce qu'ils sont dus à des états de conscience semblables associés à un détachement du corps et à un sentiment de transcendance. À l'aide d'électrodes pour stimuler différentes parties du cerveau, Persinger a reproduit chez des sujets le sentiment d'une présence invisible, ainsi que d'autres sensations associées aux états de mort imminente, aux voyages transcendantaux, aux expériences mystiques et aux enlèvements par des extraterrestres. Le souvenir partagé d'une expérience ne prouve pas que l'expérience en question n'était pas délirante. L'expérience que les «victimes» voient toutes ensemble comme un enlèvement peut très bien correspondre à un état de conscience donné. Cet état peut-être associé avec la paralysie du sommeil ou d'autres formes de pathologie du sommeil, y compris des crises d'épilepsie légères. La paralysie du sommeil peut accompagner l'état hypnagogique ou hypnopompique. La description que les «victimes» donnent de leur expérience – l’incapacité de bouger ou de parler, le sentiment d'une espèce de présence, une grande frayeur accompagnée de l'impossibilité de crier – correspond à la liste des symptômes de la paralysie du sommeil, que certains rendent responsable non seulement des hallucinations à propos de l'enlèvement par des extraterrestres, mais également de bien d'autres hallucinations au cœur d'expériences paranormales ou surnaturelles.
On ne doit pas oublier non plus que certains troubles psychiatriques se caractérisent par des délires. Les victimes de ce genre de troubles sont traitées par des médicaments qui ont un effet sur la production ou le fonctionnement des neurotransmetteurs. Ces traitements réussissent à éliminer les délires en question. Persinger a traité au moins une patiente avec des médicaments antiépileptiques qui ont mis fin aux hallucinations fréquentes qu'elle avait, hallucinations semblables à celles que décrivent les «victimes» d'enlèvements et ceux qui souffrent de paralysie du sommeil. Un très grand nombre de schizophrènes et de maniaco-dépressifs, lorsqu'on les traite de façon adéquate, cessent d'avoir des hallucinations à propos de Dieu, de Satan, du FBI, de la CIA et des extraterrestres.
Les récits d'enlèvements ont beau ne pas avoir l'air plausibles, la moindre preuve physique forcerait le pire des sceptiques à revenir sur ses positions. Malheureusement, les preuves qu'on nous offre ne valent pas grand-chose. Par exemple, les fameuses traces au sol faites par des ovnis se révèlent, lorsqu'elles sont examinées par des scientifiques, d'origine tout à fait prosaïque.
Bien des «victimes» d'enlèvements affichent des cicatrices et des incisions sur leur corps comme preuves des expériences auxquelles on se serait livré sur eux. Ces marques non plus n'ont rien d'extraordinaire; elles peuvent très bien avoir été infligées de façons qui n'ont rien de mystérieux.
Les implants que les extraterrestres insèrent dans le nez ou autres orifices de leurs victimes représenteraient sans doute des preuves éclatantes. Budd Hopkins prétend qu'il a examiné un tel implant et qu'il possède des IRM de tels appareils. Lorsque l'émission Nova a offert à des victimes d'enlèvements de faire analyser leurs implants par des scientifiques, il n'y a eu aucun volontaire. De toutes les preuves à propos des enlèvements, les preuves physiques semblent les plus faibles.
- Deux affaires d' "enlèvement" en France (affaire Haravilliers et affaire Nathalie), racontées sur le site de l'ufologue Philippe Huleux.
Dernière mise à jour le 22 mars 2020.
Source: Skeptic's Dictionary