LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Analyse d’énoncé

(ou analyse de contenu)

Analyse des déclarations faites par des suspects au cours d'enquêtes policières afin de déterminer si leur contenu est véridique ou intentionnellement incomplet. Ce genre d'analyse part de l'hypothèse que le suspect donne involontairement des indices d'ordre langagier permettant de découvrir des renseignements cachés, manquants ou faux. Les défenseurs de cette technique croient employer un moyen fiable de déceler le mensonge, qui va au-delà des méthodes éprouvées consistant à formuler des raisonnements logiques à partir de ce qui a été dit, et à identifier les affirmations non plausibles grâce à des connaissances générales ou plus précises. N'importe qui peut confondre un menteur lorsqu'on le surprend à se contredire ou à faire des déclarations incohérentes. Règle générale, la personne qui connaît suffisamment le cas sur lequel elle enquête reconnaîtra rapidement les omissions importantes que pourrait comporter une déclaration. (D'un autre côté, comment se fait-il que les policiers enquêtant sur de prétendus cas de sévices sexuels sataniques ne se soient pas posé de questions quand on leur a parlé de la présence de girafes dans des classes, ou de gens qui prenaient l'avion de Los Angeles jusqu'au beau milieu du désert pour s'adonner à des ébats sexuels avec des éléphants?) Quoi qu'il en soit, des gens comme Aviroam Sapir, concepteur de ce qu'il a baptisé Scientific Content Analysis (ou SCAN), pensent avoir découvert un système qui va plus loin que la simple analyse logique, basée sur le sens commun.

Sapir affirme ainsi que John Ramsey «a commis des sévices, et qu'il sait qui a tué sa fille» [Ndt L'auteur fait allusion à une affaire de meurtre particulièrement scabreuse qui a défrayé la manchette aux É.-U. en 1996.] Il a analysé l'entrevue accordée par les Ramsey à CNN une semaine environ après le meurtre de leur fille, et tire sa conclusion du choix des mots que le couple a employés.* Sapir affirme aussi que Magic Johnson a été infecté au VIH au cours d'une rencontre bisexuelle. Il le sait parce que Johnson n'a jamais dit qu'il n'était pas bisexuel, seulement qu'il n'était pas homosexuel, et qu'il avait la certitude d'avoir reçu le VIH d'une femme. D'après Sapir, l'utilisation du mot «certitude» indique son contraire. On ignore jusqu'à quel point Sapir est certain de cette affirmation.

Selon le site Web Laboratory for Scientific Interrogation Scientific Content Analysis

La SCAN de LSI, développée par Aviroam Sapir, constitue la technique la plus efficace qui soit pour obtenir de l'information et déceler le mensonge à partir des déclarations de témoins ou de suspects. La SCAN (aussi connue sous le nom d'analyse de contenu) est un outil essentiel pour les forces policières, les enquêteurs, les agents des services sociaux, et quiconque doit obtenir des renseignements à l'aide de documents écrits.

Sapir, qui a travaillé pour le service de police de Jérusalem comme polygraphiste, et qui a peut-être fait partie du Mossad, possède un baccalauréat en psychologie et en criminologie, mais il a acquis ses connaissances linguistiques sur le tas, en menant ses propres recherches.

Il semble que le public cible de la SCAN soit le même que pour le Quadro Tracker, le DKL LifeGuard, le TKS-2000, l'ADE 651, et le polygraphe: les forces policières, y compris le FBI.

LSI affirme qu'une analyse linguistique de la déclaration écrite d'un suspect permet

de résoudre chaque cas facilement et rapidement. Il suffit d'employer les propres mots du suspect, donnés de son plein gré.
 
La SCAN vous montrera si le sujet dit la vérité ou cherche à vous tromper, quels renseignements il cherche à dissimuler, et s'il a été mêlé ou non au crime.*

Toujours selon LSI, «tandis qu'ailleurs on cherchera encore des preuves matérielles, vous aurez déjà résolu l'affaire grâce aux propres mots du suspect». La SCAN vous évitera des «interrogatoires stressants», l'analyse de discours inversés, ou d'ennuyeux cours de programmation neuro-linguistique ou de «lecture du langage corporel». De plus, n'importe qui peut apprendre la technique en 26 heures pour 600 $.

La technique SCAN est maintenant employée par le FBI et d'autres organismes fédéraux, par des agences d'exécution de la loi et des organisations militaires partout aux É.-U., au Canada et en Australie, par des enquêteurs de banques et de compagnies d'assurance, de même que par l'industrie privée... On l'emploie également dans bien d'autres pays, y compris le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, Israël, le Mexique et l'Afrique du Sud.*

Comment ça fonctionne? On commence par demander au suspect de rédiger une déclaration de ce genre:

Le 22 février 1989, on a trouvé 5000 $ en billets de dix dollars dans le casier no 3, où l'on garde mon tiroir-caisse. La bande de papier entourant la liasse portait la date du 31 janvier 1989. À cette date, comme la plupart des mardis, je suis responsable de la balance des comptes dans la chambre forte. J'ai effectué cette tâche vers 14 h. L'argent est ensuite placé dans le casier no 5 de la chambre forte. Si ce casier est occupé, on place l'argent dans n'importe quel casier libre, qu'on verrouille ensuite, mais si c'est moi qui m'occupe de cette tâche, je place l'argent dans le casier no 3. Je n'ai pas eu l'occasion de dire quoi que ce soit aux collègues avant qu'ils n'entrent dans la chambre forte. Si j'ai mis la liasse dans le casier no 3, elle y est restée du 31 janvier jusqu'à sa découverte le 22 février. J'ignorais que de l'argent manquait. Je travaille à cette banque depuis plus de deux ans, et si, malgré tout ce temps, vous doutez de ma fiabilité, je suggère que nous en venions à une entente quelconque pour que ce genre de choses ne se reproduisent plus.

On peut ensuite résoudre le cas en appliquant des techniques linguistiques scientifiques spéciales à cette déclaration. Par exemple, vous apprendrez que

dans les banques, le personnel manipule des «liasses» ou du «numéraire», pas de l'argent. On ne peut pas dépenser des «liasses» ou du «numéraire», seulement de l'argent. En parlant d'argent manquant, la personne s'est incriminée sans le savoir.

C'est aussi simple que cela. Un enquêteur inexpérimenté pensera sans doute qu'une preuve plus consistante est nécessaire avant de se présenter devant un juge, mais dans les faits, la SCAN rend les procès obsolètes. Il est tellement plus facile de trancher sur le sort d'un accusé en analysant son choix de termes qu'en suivant la voie traditionnelle - la preuve de la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Le lecteur s'en doute bien, on n'accepte pas la SCAN dans nos tribunaux. Son inventeur en recommande l'utilisation pour «rendre les interrogatoires et enquêtes plus précis, et pour économiser du temps et de l'argent, voire, préserver des vies humaines». Cette dernière citation est tirée du courriel d'un soi-disant «expert en matière de fraude dont le travail a été remarqué». Ses autres titres de compétence sont tout aussi remarquables (20 ans comme professeur de droit criminel, ancien doyen d'un collège en ligne de droit criminel, dix ans comme chargé de cours en matière de recherche, cinq ans comme chercheur pour le Département des services correctionnels). Il a peut-être raison à propos de l'économie de temps et d'argent, mais si la méthode n'est pas à toute épreuve, elle pourrait bien mener à la perte de vies humaines plutôt qu'à leur préservation. À partir d'une mauvaise interprétation d'une déclaration un tant soit peu confuse, on pourrait laisser moisir un innocent en prison, le vrai coupable restant libre comme l'air. Tout bon détective sait qu'on commet une grave erreur en considérant coupable un suspect trop tôt au cours de l'enquête. Comme outil d'enquête, la SCAN ne semble guère plus exacte ou utile que le polygraphe.

On ne fait pas beaucoup pour préserver la confiance du public envers la police quand on voit ses agents suivre des cours auprès d'individus sur lesquels ils feraient mieux d'enquêter. Ces membres de la police se justifient en disant que des méthodes comme la SCAN, le polygraphe, le profilage et l'analyseur de stress vocal «marchent». Si ces trucs les aident à capturer des fraudeurs, c'est que certains de ces criminels sont crédules, et pensent qu'un bidule permet véritablement de détecter le mensonge. Ils «marchent» comme marchent la torture ou l'extorsion: ils permettent, de temps en temps, d'obtenir le résultat visé.

Au nom de la science

Très peu de recherche scientifique a été consacrée à l'analyse de contenu. L'un de ses plus ardents partisans, l'agente spéciale Susan H. Adams, du FBI, croit que la méthode permet aux enquêteurs

d'obtenir une connaissance approfondie d'un suspect avant l'interrogatoire. En étant en mesure, à l'avance, de savoir si un suspect dissimule, on a davantage de chances de trouver le coupable et d'obtenir ses aveux.

L'objectif de l'analyse de contenu, selon Adams, est d'obtenir des aveux. L'hypothèse fondamentale relative à cette méthode veut qu'il y ait des différences entre des déclarations véridiques et inventées, différences qu'on peut identifier sans avoir nécessairement à comparer ces déclarations aux faits. Elle veut également que les gens disant la vérité fassent des énoncés à la première personne du singulier, avec le pronom «je». Toute déviation de cette norme est censée éveiller des soupçons, car elle pourrait indiquer que l'auteur de la déclaration se distancie des faits qu'on y retrouve et que, par conséquent, il ne dit pas toute la vérité. Cette dernière affirmation ne repose sur aucun résultat scientifique, mais sur «des constatations d'enquêteurs». Elle raconte bien d'autres choses, à propos du choix des pronoms, du passage d'un pronom à l'autre, des noms, de la concision par opposition à la prolixité... Rien de tout cela ne s'appuie sur de la recherche pertinente, et dans certains cas, il n'est question que de gros bon sens. (La personne qui n'arrête pas de répéter: «Je ne m'en souviens pas» peut très bien mentir.

Dans sa thèse de doctorat (2002), qu'elle a appelée «étude exploratoire», Adams examine «soixante textes écrits par des suspects et des victimes identifiés par des enquêtes criminelles». La vérité ou la fausseté des déclarations étaient connues a priori. Adams a recherché des récurrences d'«attributs linguistiques et structuraux» dans des déclarations qu'on savait vraies ou fausses. Comme elle n'ignorait pas ce qu'il en était, elle peut très bien avoir évalué inconsciemment chaque énoncé d'une manière conforme à ses préjugés. Quoi qu'il en soit, elle a déterminé que «les prédicteurs les plus significatifs de véracité étaient des détails sensoriels uniques; le prédicteur le plus significatif de fausseté était la longueur relative du prologue». Sa conclusion la plus retentissante est:

L'analyse des récits examinés, rédigés par des suspects et des victimes, permet de croire que les caractéristiques structurelles et linguistiques des narrations écrites mènent à des prédictions sur la véracité ou la fausseté. Ces résultats tendent à corroborer l'hypothèse de Undeutsch (1989) selon laquelle les récits véridiques diffèrent des récits inventés par leur structure et leur contenu. [italiques ajoutés]

Autrement dit, il faut encore d'autres études.

Apparemment, tout ce qu'il y a de scientifique dans l'analyse scientifique de contenu se trouve dans son nom. Les choses pourraient toujours changer, mais tant que l'hypothèse de Undeutsch ne sera pas devenue la loi de Undeutsch, mieux vaut demeurer sceptique. Tant qu'il n'y aura pas eu d'étude à double insu effectuée sur une grande échelle pour vérifier la puissance, l'exactitude et l'utilité de cette technique, les agences de police auront intérêt à la traiter avec circonspection.

 

Voir également: Apophénie; Illusion; Lecture à froid; Personologie; Polygraphe; Prendre ses désirs pour la réalité; Profilage.

Dernière mise à jour le 8 octobre 2019.

Source: Skeptic's Dictionary