LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Preuve par recommandation

(témoignages et anecdotes)

Recommandations et anecdotes frappantes sont l'une des plus populaires et convaincantes formes de “preuves” présentées en faveur de la croyance dans le transcendant, le paranormal et le pseudoscientifique. Néanmoins, recommandations et anecdotes dans ces domaines ont une valeur à peu près nulle pour établir la probabilité des faits qu'elles sont censées supporter. Un récit sincère et vibrant de sa rencontre avec un ange, un extra-terrestre, un fantôme ou le Yéti, ou d'une aura pourpre autour de patients mourants, d'un sourcier miraculeux, d'un gourou qui lévite ou d'un chirurgien parapsychologue est de très faible valeur empirique pour savoir s'il est raisonnable d'y croire. De tels récits sont intrinsèquement peu fiables et biaisés. Ils n'ont pas plus de valeur que les recommandations télévisées de clientes satisfaites du dernier programme minceur à la mode.

Les recommandations d' “expérience personnelle” dans le paranormal ou le surnaturel n'ont pas de valeur scientifique. Si d'autres personnes ne peuvent avoir la même expérience dans les mêmes conditions, il est impossible de contrôler l'expérience. S'il est impossible de vérifier les affirmations, il n'y a aucun moyen de dire si l'expérience était une illusion ou a été correctement interprétée. Si d'autres peuvent connaître la même expérience, alors il est possible de faire une vérification de l'anecdote et déterminer si oui ou non le soit-disant fait basé sur l'anecdote est digne d'intérêt.

La raison pour laquelle les anecdotes à propos d'expériences paranormales ne valent rien d'un point de vue scientifique est que dans ces domaines la pensée sélective et l'aveuglement doivent être contrôlés. La plupart des parapsychologues ne se rendent même pas compte qu'il faudrait qu'ils fassent une expérience contrôlée pour exclure la possibilité qu'ils ne sont pas en train de se tromper eux-mêmes. Leur expérience en tant que parapsychologues leur suffit. Des expériences controlées de parapsychologues prouveront une fois pour toutes qu'ils ne sont pas sélectifs dans leur quête de preuves, c'est-à-dire compter uniquement les succès apparents et commodément oublier ou minimiser les ratés. De tels tests peuvent aussi déterminer si d'autres facteurs, comme la triche, sont impliqués. Ainsi, par eux-mêmes, les recommandations des parapsychologues ne valent rien, du point de vue scientifique.

Si de telles recommandations ne valent rien scientifiquement, comment se fait-il qu'ils soient si populaires et pourquoi sont-ils si convaincants? Il y a plusieurs raisons. Les anecdotes sont souvent très frappantes et détaillées, ce qui les rend crédibles. Elles sont souvent faites par des gens enthousiastes, qui semblent dignes de confiance et honnêtes, sans aucune raison apparente de vouloir nous tromper. Elles sont souvent faites par des gens avec un semblant d'autorité, par exemple un docteur en psychologie ou en physique. Elles sont aussi souvent faites juste après le traitement, avant que l'effet, s'il y en a, se produise. Ainsi, elles mesurent un changement d'humeur plus qu'un changement physique. Enfin, les recommandations sont crédibles parce que les gens veulent y croire. Malgré tout, les anecdotes de faits invérifiables ne valent rien. Et les anecdotes de faits vérifiables sont souvent inutiles jusqu'à ce qu'ils soient testés.

Par exemple, quelqu'un a posté sur http://www2.corenet.net:80/numer…er/healing.html (le lien est maintenant mort, tout comme le patient de l'histoire, j'imagine) une histoire intitulée “traitement du cancer par toucher thérapeutique (TT)”. Elle raconte l'histoire de l'oncle de l'auteur qui avait un cancer et dont le docteur lui avait dit que les deux mois de radio-thérapie qu'il avait eu n'avaient servi à rien. Neuf mois plus tôt, on lui avait annoncé qu'il n'avait plus que deux mois à vivre. D'après son neveu, il est maintenant “ vivant et en bonne santé ” parce qu'un soigneur spirituel l'a traité par le TT. L'auteur décrit comment cela fonctionne.

Le soigneur dirige son énergie vers le corps du patient sans le toucher, onde par onde. Dans notre cas, il mettait ses mains au dessus de la poitrine de mon oncle puis les déplaçait lentement autour de ses poumons pendant environ 30 minutes.

Il est clair que le médecin s'est trompé en prédisant combien de temps il restait à vivre à son patient. Prédire combien de temps il reste à vivre à un cancéreux est un exercice périlleux. Peut-être que cette erreur apprendra au médecin à ne pas être si sûr de lui dans ses prédictions à l'avenir. Ou peut-être que l'oncle et son neveu ont mal compris le médecin, qui avait peut-être nuancé son propos en disant par exemple “La meilleure estimation que je puisse faire est…” ou “En me basant sur les cas similaires que j'ai eu à traiter, je dirais que…”. Il est aussi possible que le médecin se soit trompé sur l'efficacité de la radio-thérapie et que celle-ci ait mieux marché qu'il ou elle ne l'avait prévu. Il est possible que le cancer soit passé en rémission spontanée. Il est possible que l'oncle ait été mal diagnostiqué et qu'on lui ait donné un mauvais traitement et qu'il soit toujours en vie parce que les médecins ont tout arrêté, pensant qu'il ne lui restait plus longtemps à vivre. Il est possible que l'auteur mente. Il est aussi possible que le TT ait marché dans ce cas-là. Mais qu'est-ce qui semble le plus probable? Tout ce que nous savons de certain - en admettant que les faits soient vrais - c'est que l'homme a vécu plus longtemps que le médecin ne l'avait prédit et que radio-thérapie et TT ont été tous deux administrée. La preuve n'est pas suffisament forte pour justifier la croyance que la radio-thérapie ou le TT aient été des facteurs importants dans la survie du patient sept mois de plus que prévu. Des études contrôlées, et non des anecdotes sont nécessaires pour déterminer si le TT est un facteur significatif dans le traitement du cancer.

Enfin, il faut noter que les anecdotes sont souvent utilisés dans de nombreux domaines de la vie courante, y compris en médecine par des docteurs quand ils traitent leurs patients, et que prendre ces récits en compte est considéré sage et non pas idiot. Un docteur utilise les anecdotes de ses patients pour en tirer des conclusions sur certaines prescriptions ou protocoles. Par exemple, un médecin écoutera ce que son patient lui dit à propos d'une réaction à un nouveau médicament et utilisera cette information pour ajuster le dosage prescrit ou changer de médicament. C'est parfaitement raisonnable. Mais le médecin ne peut se permettre d'être sélectif quand il écoute des anecdotes, choisissant seulement ceux qui vont dans le sens de ses préjugés. Le faire pourrait mettre des patients en danger. De même qu'il ne faut pas être sélectif lorsque l'on entend des anecdotes d'expériences occultes ou paranormales.

 

Voir aussi: Auto-tromperie, Effet placebo, Étude contrôlée, Hypothèse ad hoc, Lecture à froid, Pensée selective, Prendre ses désirs pour des réalités, Rasoir d'Occam, Renforcement communautaire, Sophisme post hoc et Validation subjective.

 



Traduit par Christophe Ladroue.

Dernière mise à jour le 23 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary