LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

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Ma visite chez un chiropraticien conventionnel

Dr Stephen Barrett

En novembre 1993, mon épouse et moi-même avons commencé à recevoir des appels téléphoniques provenant d’au moins deux cabinets chiropratiques nous invitant à venir passer une évaluation chiropratique gratuite. Au début, nous les ignorions, mais devant leur insistance, j’ai réalisé qu’ils m’offraient une occasion en or. Même en ayant enquêté à leur sujet depuis plusieurs années, je n’en avais jamais consulté pour un examen complet. Les praticiens en question œuvraient dans un réseau de cliniques de « santé familiale. » Puisqu’ils (ou leurs télévendeurs) ne semblaient pas me connaître, je me suis dit que ce serait pertinent d’expérimenter ce qu’ils proposent à leurs nouveaux patients. En effet, ce fut une expérience.

Ma première visite

Le cabinet comportait quatre salles. La principale, d’environ 20 pieds sur 40 (6 mètres sur 12), incluait une section commerciale derrière un mur bas, un espace de jeux derrière un autre mur bas, des chaises le long d’un mur, deux tables de traitement au centre, et cinq bancs permettant de s’agenouiller. À l’arrière, il y avait deux petites pièces pour effectuer des examens et une troisième permettant de réaliser des radiographies. Les murs étaient décorés avec des affiches schématisant le système nerveux autonome et la colonne vertébrale. Un poster était intitulé : « Subluxations – Le Tueur silencieux – Les Chiropraticiens corrigent les Subluxations. » Des fascicules reliant subluxation et maladie étaient disposés sur deux présentoirs.

À part avoir omis de préciser que j’étais psychiatre, je n’ai rien dit ou fait de trompeur. À mon arrivée, on m’a demandé de remplir un formulaire d’enregistrement, un autre avec mon historique médical, et d’indiquer sur un schéma mes zones douloureuses. J’ai indiqué que je venais principalement pour un contrôle, mais que j’avais des vertiges et une sensation d’obstruction d’une oreille depuis quelques jours. (C’était vrai. Il s’agissait d’une névrite vestibulaire, ou labyrinthite, une inflammation virale de l’oreille interne qui a été diagnostiquée par un médecin et qui était en voie de rémission.) Pour ce qui est de ma santé, j’ai précisé que j’avais eu un pontage coronarien il y a 4 ans. Comme profession, j’ai mis « journaliste. »

Le chiropraticien, que j’appellerai « Dr Y », m’a reçu chaleureusement et conduit dans l’une des petites salles d’examen. Notant que je n’avais jamais eu de soins chiropratiques, il a commencé par m’expliquer la base de la chiropratique et comment les subluxations pouvaient causer une foule de problèmes de santé. Sur un modèle de colonne vertébrale, il m’en a montré les courbures et leur signification supposée. Il m’a expliqué également que son bureau était structuré comme un système “ouvert” qui permet aux patients de se voir et de s’entendre, tout en ajoutant qu’ainsi, les clients qui attendent peuvent constater pourquoi ils devaient attendre. Il a ensuite passé en revue mon histoire, me questionnant et faisant des commentaires sur les points pouvant être reliés à ma colonne et à des subluxations. Il m’a interrogé sur l’existence d’accidents antérieurs, ou chutes, en indiquant que des petits traumatismes pouvaient ne pas causer de problèmes immédiats tout en risquant d’engendrer des ennuis futurs. Il a tout de même posé quelques questions sur mes vertiges et étourdissements, et également demandé si j’avais des troubles de l’audition, mais mes réponses ont semblé le laisser sans réaction. J’ai mentionné que j’avais vomi deux fois au début de ces épisodes vertigineux, mais il n’a pas approfondi le sujet.

Ensuite, il a examiné les degrés de mobilité (souplesse) de mon cou, de mon dos et de mes jambes. Puis m’a placé sur une machine d’analyse vertébrale (« Spinal Analysis Machine », SAM) et a déclaré que mon poids était inégalement réparti, car je pesais 10 livres (environ 4,5 kg) de plus du côté gauche. SAM est un dispositif comportant deux balances intégrées dans sa base et où la personne testée se tient debout, un pied sur chaque balance, tandis que le praticien réalise diverses observations, en lien avec la posture du patient et les valeurs des pesées. Le Dr Y a relié ses constatations à la courbure de mon rachis ainsi qu’à l’angle de rotation de mes hanches (que je pense être normal), il a également noté que j’avais tendance à trop avancer la tête (ce qui est vrai).

La force de mes jambes a été testée, en position allongée, et en poussant alternativement dessus alors qu’elles étaient en extension. Après avoir résumé ses conclusions (en parlant d’une partie de son bilan comme d’un « examen neurologique »), il a réalisé ce qu’il a décrit comme des radiographies de face et de profil de mon cou, et m’a demandé de prendre rendez-vous pour la remise des résultats. (J’ai appris par la suite que le cliché de face était mal centré, car il s’étendait jusqu’au-dessus de mon crâne, ce qui signifie que j’ai reçu une dose de rayons X supérieure à ce qui était nécessaire.)

En sortant, j’ai demandé au Dr Y de me parler de sa formation et j’ai appris qu’il était diplômé du Sherman College of Straight Chiropractic, avait pratiqué dans une autre ville pendant environ trois ans et puis avait été recruté pour cette clinique environ six mois plus tôt. Il m’a dit que l’établissement faisait partie d’un réseau de chiropraticiens « réguliers » (straight), expliquant qu’ils ne réalisaient que des traitements manuels. C’était sa deuxième carrière, après avoir été capitaine d’un yacht.

Lors de ma première visite, le Dr Y n’a pas semblé reconnaître que mes symptômes étaient causés par un problème d’oreille interne. Il n’a rien dit indiquant que mes troubles pouvaient être des signes d’infection, de maladie de Menière, ou bien d’une tumeur cérébrale ou de l’oreille. Il n’a pas vérifié si mes yeux avaient des mouvements anormaux de va-et-vient (nystagmus) ni examiné mes oreilles. Il n’a pas demandé si j’avais des acouphènes (perception sonore non liée à une vibration du monde extérieur, inaudible par l’entourage). Il n’a pas mentionné mon pontage, ni fait d’examen du cœur, et ne s’est pas renseigné sur son état actuel. Son « examen neurologique » n’a pas inclus l’examen de mes nerfs crâniens (qui partent du cerveau et qui vont vers divers organes de la partie supérieure du corps). Il n’a pas examiné la fonction de mon cervelet, cette partie du cerveau qui contrôle la coordination. Ces tests font pourtant partie d’un examen neurologique standard et avaient une pertinence particulière pour la symptomatologie déclarée. Je suis resté totalement habillé durant tout l’examen.

Deuxième visite

Cette visite a duré une demi-heure, pendant laquelle le Dr Y a dit que : (1) mes examens neurologiques et orthopédiques étaient normaux, sauf une certaine limitation de mouvement lorsque je me penche (c’était une observation exacte) ; (2) mon cou avait une restriction de mobilité (vrai, mais pas un problème de santé) ; (3) une épaule était surélevée (vrai, mais pas un problème de santé) ; (4) le côté gauche de mon corps pesait plus que le côté droit (pas vrai, mais pas significatif de toute façon), et (5) comme ces résultats indiquaient des « subluxations possibles », il avait sorti mes radiographies du cou. Il les a comparées à un cliché « normal » qui montrait une courbure considérable de la colonne cervicale. Selon lui, le mien montrait une diminution de 41 % de la courbure. En pointant les os à la base de mon cou, il a dit que les deux plus bas se chevauchaient légèrement. Selon lui, il s’agissait d’une « subluxation » pouvant influencer les nerfs passant dans cette région et être un facteur contribuant à mes étourdissements.

J’ai demandé comment cela a pu arriver, il m’a dit que les nerfs crâniens ont des petites extensions qui entrent dans le cou et vont vers la tête. Je l’ai ensuite questionné sur la localisation de la cause de mes étourdissements, il m’a répondu qu’il ne savait pas, mais a énuméré une liste de causes possibles dont l’infection de l’oreille interne, et un problème avec les canaux vestibulaires. Sa réponse m’a fasciné parce que : (1) elle était exacte ; (2) ni son interrogatoire ni son examen physique n’ont précisément recherché la plupart de ces possibilités ; et (3) il ne semblait pas considérer l’un ou l’autre de ces facteurs quand il a planifié son programme de traitement.

Quand je lui ai demandé s’il était important de savoir à quel élément précis attribuer la cause, il m’a dit que non parce que l’interférence des nerfs peut générer n’importe lequel des symptômes, et que son approche était de traiter cette interférence. Il a ajouté que comme je n’avais pas de signes antérieurs, le traitement du problème n’était probablement pas urgent, mais les étourdissements étaient peut-être le tout premier signe de troubles à venir. Je pourrais m’en sortir sans thérapie – peut-être pour dix ans – mais son protocole, lui, pourrait prévenir la progression de l’arthrose.


Ma radiographie

Voici un cliché de profil de mon rachis cervical, qui a été revu plus tard par mon médecin traitant, un radiologue, et un autre chiropraticien auquel je fais confiance. Les trois sont tombés d’accord sur plusieurs points :

  • les espaces entre les vertèbres sont normaux
  • il n’y a aucun signe de dégénérescence osseuse
  • aucune « subluxation » ou anomalie pouvant causer des lésions nerveuses n’est visible
  • la courbure est subnormale mais pas anormale.
    Il n’y a aucune raison médicale de supposer que cela pourrait engendrer des troubles.
Radiographie de profil de la colonne cervicale

Jugement douteux

Le Dr Y n’a pas suggéré – comme cela aurait été médicalement approprié – que je subisse d’autres tests avec un oto-rhino-laryngologiste pour m’assurer que mes symptômes ne provenaient pas d’une tumeur cérébrale ou d’un autre problème qui, s’il était ignoré ou négligé, aurait pu avoir des conséquences désastreuses. Il m’a plutôt recommandé un traitement chiropratique pour augmenter la courbure de mon cou. Il a proposé de commencer tous les jours, puis de réduire graduellement le nombre de séances à une ou deux par semaine, pour un total d’environ 40 visites au cours des trois premiers mois. Ceci, dit-il, pourrait réduire l’absence de courbure de 22 %, après quoi il réévaluerait la situation et ferait de nouvelles préconisations. Il a précisé que ses honoraires habituels pour ces services étaient de 32 $ pour la visite, plus des frais supplémentaires pour la traction et les blocs de glace, etc., soit un total de 75 $ à 90 $ par visite.

Entre ma première et deuxième visite, le personnel du docteur Y a appelé ma compagnie d’assurance pour se renseigner sur la couverture pour des services chiropratiques. « Votre assurance est un peu spéciale » m’a-t-il dit. « Vous avez une franchise totale de 700 $, mais ils ont refusé de nous dire de combien vous avez déjà été crédité. » Le docteur Y a dit que puisque la fin de l’année approchait, ses honoraires seraient inférieurs au montant de ma franchise. Il expliqua que le coût de son traitement pour le reste de l’année 1993 (près de 500 $) ne serait pas couvert par mon assurance, et, qu’en 1994, l’assurance ne commencerait à couvrir les honoraires qu’après le premier versement de 700 $. Quand j’ai fait la remarque que cela était beaucoup d’argent, il m’a dit qu’il serait d’accord pour accepter 500 $ en 1993 et 200 $ en 1994 et ne pas facturer la différence de la franchise (500 $) pour 1994. En d’autres mots, mes frais seraient de 700 $ au lieu de 1,200 $. Ce jeu avec la portion déductible est illégal et entre dans le cadre de la fraude à l’assurance.

Le docteur Y m’a dit de réfléchir au programme proposé et que ce n’était pas dans ses habitudes de faire pression auprès des patients. Je n’y suis pas retourné, et le bureau n’a pas fait de démarches supplémentaires pour me recruter par la suite.

Est-ce habituel ?

Suite à sollicitation par une agence de télémarketing, j’ai consulté le docteur Y pour un examen gratuit. Comme je l’ai décrit ci-dessus, il : (1) a négligé de réaliser un historique médical complet, (2) a omis de faire un examen physique adapté, (3) a réalisé des radiographies sans rapport avec mes symptômes, (4) a mal interprété cette imagerie, (5) n’a pas fait de diagnostic approprié de mon problème d’oreilles, (6) ne m’a pas conseillé de consulter un spécialiste pour un souci qui aurait pu devenir sérieux, (7) a recommandé un traitement pour une indication qui – si elle était présente – ne me causait pas d’ennuis, (8) a proposé un plan de traitement douteux, et (9) a suggéré une entente sur ses honoraires qui aurait été illégale.

Le Sherman College of Straight Chiropractic enseigne que le fondement de la chiropratique est la « correction des subluxations qui interfèrent dans les capacités naturelles de maintien en bonne santé du corps humain. » Une brochure récupérée lors d’une exposition dans une école en 1995 disait : « Au collège Sherman, vous apprendrez des méthodes hautement sophistiquées permettant de localiser, analyser et corriger les désalignements de la colonne vertébrale qui interfèrent avec le système nerveux ». La philosophie de l’école – comme l’illustre l’approche du docteur Y – considère que le diagnostic médical n’est pas pertinent pour la pratique de la chiropratique. Certains chiropraticiens décrivent ce point de vue comme « super straight » (« ultra-orthodoxe »). Environ 2 % à 4 % (soit un à deux milliers aux États-Unis) des chiropraticiens appartiennent à des organisations qui adhèrent à cette philosophie – considérée comme extrême par la majorité d’entre eux. Toutefois, la proportion de chiropraticiens qui recommandent un grand nombre de consultations dans le but de corriger des « subluxations » est bien plus grande, et il se pourrait que ce soit la majorité.

Pour renseignements additionnels

Dans quelle mesure les chiropraticiens peuvent-ils aider les gens ? Est-ce une bonne idée de consulter un chiropraticien ? Si oui, comment en trouver un qui soit fiable ? Ces questions – auxquelles il n’est jamais simple de répondre – sont longuement discutées dans Chiropractic : The Victim's Perspective, écrit par George W. Magner, III, et Inside Chiropractic : A Patient's Guide (1999), de Samuel Homola, chiropraticien diplômé. Ces ouvrages ont été édités par Prometheus Books sous ma direction. Ensemble, ils constituent l’analyse la plus approfondie du marché de la chiropratique qui ait jamais été publiée. Des informations détaillées sont également disponibles sur Chirobase, notre guide sceptique consacré à l’histoire ainsi qu'aux théories et pratiques actuelles de la chiropratique.

Dernière mise à jour le 23 octobre 2020.

Source: Quackwatch