LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

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Comment la graphologie trompe les gens

Dr Barry L. Beyerstein

Pour l’observateur occasionnel, l’analyse de l’écriture manuscrite jouit d’une plus grande crédibilité que d’autres méthodes occultes ou pseudo-scientifiques de lecture de la personnalité. Prenez l'astrologie ou la chiromancie, par exemple. Il est difficile pour une personne sensée d’aujourd’hui d’imaginer comment les étoiles ou les plis de la paume pourraient affecter le comportement humain. Mais il semble possible que, dans la mesure où l'écriture est une forme de comportement expressif, elle pourrait révéler quelque chose sur nous-mêmes. Après tout, nos manières et notre choix de vêtements, de bijoux et de coiffure semblent le faire, du moins dans une certaine mesure. De plus, étant donné que l'écriture et la personnalité sont toutes deux contrôlées par le cerveau, la suggestion qu'elles pourraient être reliées ne semble pas absurde. Et puisque la personnalité et l’écriture sont indéniablement idiosyncrasiques, beaucoup considèrent qu’il est raisonnable de penser que l’une reflète l’autre. Néanmoins, malgré leur crédibilité apparente, chacun de ces arguments est erroné.

Les graphologues ont largement convaincu un public mal informé que leur métier était une manière scientifiquement respectable d'évaluer la personnalité, les aptitudes et les préférences. Ceci est renforcé par le fait regrettable que beaucoup de grandes entreprises consultent des graphologues. De même, de nombreuses personnes supposent que la graphologie doit être légitime car elle a parfois été acceptée dans les tribunaux. Et beaucoup de sceptiques ont accepté des offres gratuites d'analyse de leurs écrits et ont découvert, à leur grande surprise, que l’interprétation semblait remarquablement exacte.

Cet article traite de chacun de ces domaines. Après une brève introduction historique, je présenterai les objections logiques et scientifiques à la graphologie. Je tenterai ensuite d'expliquer pourquoi une pratique qui échoue systématiquement aux tests scientifiques peut sembler si convaincante à des personnes intelligentes qui la rencontrent au quotidien.

Qu'est la graphologie ?

La graphologie est une pratique prétendument scientifique consistant à déterminer les caractéristiques psychologiques, sociales, professionnelles et médicales de personnes à partir de la configuration de leurs lettres, lignes et paragraphes sur une page manuscrite. Les graphologues nient énergiquement (même si le contraire est prouvé) s’occuper du contenu des textes qu’ils examinent. Ils prétendent révéler les traits de caractère et l’état de santé uniquement à partir de la forme et de la distribution de l'écriture elle-même. Si les graphologues ne revendiquaient rien de plus que le fait que des personnes cultivées puissent écrire d’une main cultivée ou que des personnes avares remplissent tous les coins de la page pour éviter de gaspiller du papier, il n'y aurait guère de problème. Mais ils n’affirment pas simplement que les personnes ordonnées écrivent proprement (ce qui n’est pas toujours le cas, de toute façon), elles prétendent que l’écriture manuscrite révèle l’escroquerie dans votre cœur.

Le terme Graphoanalysis est la marque déposée d'une école d'analyse de l'écriture manuscrite, l’International Graphoanalysis Society, à Chicago, dans l'Illinois. Dans ce chapitre, les termes « graphologie » et « analyse de l'écriture » seront utilisés indifféremment, mais « grapho-analyse » ou « grapho-analyste » ne concerneront que les adeptes de l'école de Chicago. Fondé en 1929, c’est le mieux établi des organismes de formation. Il propose des cours par correspondance, publie son propre journal et attribue à ses diplômés une certification de qualité à l’air très officiel. Les grapho-analystes sont également les plus ardents à revendiquer un statut scientifique tout en niant celui de leurs rivaux [1].

Ce genre de médisance entre factions graphologiques est fréquent. Rien qu’aux États-Unis, il existe plus de trente sociétés graphologiques, dont beaucoup utilisent des méthodes qui, selon leurs promoteurs, ne sont « pas facilement combinées avec d’autres systèmes » [2]. Ce manque de standardisation est aggravé par le fait que de nombreux praticiens locaux élaborent leurs propres schémas intuitifs. Bien qu'il existe des concepts communs à la plupart des systèmes d'analyse de l'écriture manuscrite, il existe également des différends notables quant à la signification des différents « signes ». Prenons, par exemple, deux livres de graphologues de renommée internationale que j'ai lus : l'un considère une certaine manière de barrer les T comme révélant un tempérament vicieux et sadique, l'autre dit qu'elle désigne un farceur. Lequel souhaiteriez-vous que votre patron consulte ?

Histoire de la graphologie

La graphologie est une branche du groupe vaste et diversifié de pratiques connues comme « lectures de caractère ». Depuis l'Antiquité, les gens ont été fascinés par la variabilité humaine et le caractère unique de chaque individu. C’est sur cette base que nous attribuons les plus grands prix et les punitions les plus terribles de la vie. Il est évident que ceux dont le destin est en jeu sont fortement incités à présenter un visage favorable au monde. Pour cette raison, les bonimenteurs qui promettent de percer ce que l’on appelle par euphémisme la « gestion de l’impression » ont toujours trouvé une clientèle enthousiaste. Pensez aux avantages si un employeur, un propriétaire, un conjoint, un associé ou un tribunal potentiel pouvait découvrir rapidement et avec précision ce qu’est réellement une personne. À diverses époques, il a été supposé qu'une telle fenêtre sur la constitution interne de quiconque pourrait être obtenue en interprétant les positions des étoiles (astrologie), les traits du visage (physiognomonie), les lignes de la main (chiromancie), les bosses sur la tête (phrénologie), et la forme et la distribution de l'écriture manuscrite (graphologie). Bien que les graphologues modernes aient essayé de nier tous les liens avec leurs cousins occultes, l’analyse de l’écriture manuscrite, dans ses origines, son raisonnement sous-jacent et ses affiliations New Age, garde des liens évidents avec ces méthodes magiques de lecture de caractère [1,3,4]. Pour une histoire plus détaillée de la graphologie, consultez le chapitre de Nickell [4] sur lequel est basé le bref résumé suivant.

La graphologie a des ancêtres chinois, grecs et romains, ainsi que juifs et chrétiens, mais son incarnation moderne peut être attribuée aux spéculations d’un médecin italien du XVIIe siècle, Camillo Baldi. Les ancêtres les mieux identifiables des fidèles actuels se trouvent cependant dans un groupe influent du clergé catholique du XIXe siècle en France. L'abbé Jean-Hippolyte Michon, disciple de ce cercle, a inventé le terme « graphologie » et a fondé la Société de graphologie de Paris en 1871. Plusieurs livres de Michon restent influents aujourd'hui. Il est le fondateur de l'approche dite analytique, qui attribue des traits spécifiques à des personnes sur la base de signes isolés, tels que les points sur les I et les barres sur les T. Crépieux-Jamin, élève de Michon, a rompu avec son maître pour devenir le fondateur de ce que l'on appelle aujourd'hui l'approche holistique ou gestaltiste. Au lieu de s’occuper d’éléments individuels de lettres, etc., Crepieux-Jamin a préconisé une lecture plus intuitive et impressionniste par laquelle l’analyste absorbe un ressenti général de l’auteur par une sorte de résonance avec le texte dans son ensemble. Les partisans des approches analytique et holistique ont perpétué cette scission jusqu'à nos jours.

Les graphologues français ont continué à dominer le secteur jusqu'au début du XXe siècle, quand ils ont commencé à être éclipsés par des auteurs germanophones. À ce moment-là, des figures telles que Preyer, Meyer, Klages, Pulver et Teltscher ont commencé à suggérer que l'écriture était une sous-espèce du mouvement expressif et que les processus mentaux et l'émotivité pouvaient être lus en analysant ce type de comportement psychomoteur. En réalisant que le cerveau est responsable à la fois des traits psychologiques et du contrôle de l'écriture, ils ont tenté de justifier leurs lectures de personnalité en affirmant que l'écriture manuscrite est une écriture cérébrale. Cela reste le cliché défensif le plus répandu de la graphologie (voir ci-dessous).

Dans les années 1930, le graphologue anglo-tchèque Saudek a tenté d'introduire des méthodes plus rigoureuses et mécanisées de mesure des mouvements d'écriture. Vouloir augmenter la précision de mesures dont la valeur est douteuse au départ doit cependant être considéré comme une méthode douteuse. Au début du XXe siècle, la spéculation graphologique a commencé à émerger en Amérique du Nord. Après Downey en 1919 et l’arrivée de l’émigrée européenne Klara Roman, des Américains tels que M. N. Bunker [5] sont progressivement apparus. En 1929, Bunker a fondé la Société internationale de grapho-analyse. Selon toutes les estimations, l'analyse de l'écriture manuscrite continue de gagner en popularité en Amérique du Nord et en Europe, mais elle semble bénéficier de la plus grande faveur chez les employeurs en France et en Israël. En Chine moderne, la lecture de la personnalité dans la calligraphie ne semble pas avoir imprégné les milieux officiels mais elle reste une superstition populaire [3].

Le raisonnement sous-jacent

Les graphologues d’aujourd’hui soutiennent que leurs vénérables ancêtres ont poussé la graphologie bien au-delà de ses débuts occultes, lorsque des illusionnistes itinérants erraient dans les campagnes en pratiquant cet art. Quoi qu’il en soit, l’examen des ouvrages de graphologie les plus récents révèle que les concepts fondamentaux restent exactement ce qu’ils étaient à l’origine. Malgré les affirmations d’améliorations scientifiques, mon examen de dizaines de livres vantés par des graphologues réputés montre que, comme tous les autres systèmes de présage ou de divination, les fondements de la graphologie demeurent les anciens principes de la magie sympathique [1]. Je dois noter en passant que ce n’est pas encourageant que des candidats au statut scientifique répondent aux demandes des critiques concernant les traités techniques de leur domaine avec les mêmes ouvrages que ceux colportés par les magazines populaires et les librairies New Age. Lorsque je lui ai demandé des preuves, un graphologue de premier plan m'a référé à un article élogieux dans Playboy. Quelques articles favorables à la graphologie ont été publiés dans des revues à comité de lecture [6,7], mais dans l’ensemble, ils sont bien loin d’élaborer des arguments, théoriques [1] ou empiriques [8].

L’essence de toute pensée magique est la correspondance sympathique : qui se ressemble s’assemble. Ceci est également connu dans la tradition mystique comme la loi de la similitude. Si deux choses peuvent être associées mentalement, elles jouissent d'une certaine sympathie ou résonance. L'une ou l'autre peut alors être utilisée pour révéler ou influencer l'autre par leur interconnexion magique. Par exemple, la sympathie peut être établie par un lien conceptuel tel que la propriété. Cela permet prétendument à un médium de décrire quelqu'un qui a possédé un objet, en absorbant les vibrations qu'il lui a transmises. Des croyances similaires au pouvoir de l’esprit sur la matière sont manifestes chez les tribus qui espèrent s’assurer une chasse fructueuse en massacrant symboliquement des modèles en bois de leurs proies, et chez les prêtres vaudous qui pensent pouvoir blesser leurs adversaires en mutilant leurs effigies.

L'astrologie fournit un exemple classique de la façon dont la magie sympathique est utilisée pour attribuer des particularités à des inconnus. Comme nous le verrons, les parallèles avec la graphologie sont frappants. L'astrologie est apparue dans un passé sombre, lorsque les observateurs du ciel nocturne voyaient des crabes, des taureaux, des jumeaux, etc. dans divers groupes d'étoiles. Il n’y avait rien d’inexorable dans ces associations particulières, et des cultures différentes ont mentalement superposé des images différentes aux mêmes constellations. Néanmoins, pour des raisons historiques, celles actuellement acceptées ont survécu [9]. En substance, l'astrologie se résume à ce qui suit : (a) La configuration stellaire me fait penser à un taureau ; (b) Les taureaux sont travailleurs, têtus et obstinés ; et c) Par conséquent, ceux qui sont nés avec cette constellation dans la position appropriée sont condamnés, par infusion sympathique de ces qualités du taureau, à devenir également besogneux, mornes et lourdauds.

Ailleurs [1], j'ai présenté de nombreux exemples montrant que les toutes dernières célébrités graphologiques s'appuient toujours sur ces mêmes principes de magie sympathique pour déduire les attributs de l’auteur d’un manuscrit. Les graphologues ont fait de leur mieux pour dissimuler ce fait en incorporant dans leurs spéculations un jargon psy aux accents modernes, mais il suffit de comparer leurs « signes » avec les traits qu'ils sont supposés dénoter pour voir que le fondement de ces attributions est entièrement allégorique. Depuis que ma critique est parue, j'ai débattu avec de nombreux graphologues, et personne n'a pu réfuter cette affirmation. Par manque de place, je ne peux donner que quelques exemples de présage graphique (pour des citations complètes et des extraits textuels, voir ma critique [1]). Ce qui suit est choisi parmi des textes hautement recommandés par des graphologues en exercice.

Les fondateurs de toutes les écoles de graphologie ont commencé par l'hypothèse implicite selon laquelle, quelles que soient les métaphores évoquées par le tracé du texte d'un individu, elles sont nécessairement descriptives de l'auteur. Ce type d'association libre et d'interprétation symbolique sous-tend toutes les pratiques divinatoires [10]. Cela reste aussi vrai aujourd'hui en graphologie que lorsque les anciens oracles prédisaient les destins des rois en supposant que les associations mentales déclenchées par la forme des entrailles d'animaux se reproduiraient dans les affaires du royaume. Dans une autre ancienne pratique divinatoire, la molybdomancie, l'oracle versait du plomb en fusion sur une surface plane et interprétait la forme qu'il prenait au fur et à mesure de sa solidification, adoptant par magie la forme des choses à venir. Après avoir parcouru les exemples suivants, vous pouvez décider vous-même si la graphologie a réellement abandonné ses racines divinatoires.

Notez la pensée allégorique dans ces échantillons représentatifs, tirés de manuels et d’articles de graphologie. De grands espaces entre les mots désignent supposément une personne qui ne s’associe pas facilement et qui est donc encline à être isolée et seule. Inversement, les personnes qui agglomèrent leurs mots ont tellement envie de compagnie qu'elles choisissent leurs amis sans discernement. Celles dont les lignes vont vers le haut sont des optimistes réconfortantes, tandis que celles dont les lignes descendent sont des pessimistes qui se sentent constamment tirées vers le bas. Les personnes dont les parties supérieures, moyennes et inférieures des lettres sont de grandeur égale ont un bon sens des proportions. Celles dont l’inclinaison des lettres est variable sont imprévisibles ou, comme l’a dit un graphologue, ce sont des gens avec des inclinations changeantes. Les gens qui écrivent des lettres exceptionnellement grandes pensent grand. Un ancien président d'une grande association graphologique américaine affirme que, si une femme mariée signe avec une majuscule plus grande pour son nom de jeune fille que pour son nom d’épouse, elle trahit un mariage malheureux. L'un des gourous de l'écriture les plus en vue au Canada dit que si des T barrés ressemblent à des fouets, l’auteur révèle ainsi sa nature sadique. Sur le plan de la santé, mes informateurs ont affirmé qu’une faible pression d'écriture signale une pression artérielle basse et que des boucles supérieures irrégulières permettent de diagnostiquer une maladie cardiaque. Et une pause entre les parties supérieure et inférieure des lettres est un signe certain de problèmes de dos. Mon attribution préférée, cependant, est la conviction largement répandue dans la communauté graphologique que de grandes boucles bulbeuses sur les G, les Y, etc., pendant lascivement en dessous des lignes, révèlent une forte libido. Divination par magie sympathique, ou quoi ? Au moins, après avoir examiné ses entrailles, on peut faire griller le bœuf.

Conséquences

Tout ce qui précède serait d’une naïveté touchante, voire même comique, sans le fait que ces soi-disant experts donnent des conseils qui peuvent affecter sérieusement la réputation, le bien-être et le statut économique des gens. Par exemple, à Vancouver, en Colombie-Britannique, un graphologue de renom a proposé d’identifier secrètement les agresseurs sexuels réels et potentiels parmi les enseignants locaux, aux fins de mesures préventives à prendre par le conseil scolaire [1]. D'autres ont conseillé des institutions financières sur la solvabilité des emprunteurs, et de nombreuses administrations municipales et grandes entreprises ont admis avoir consulté des analystes d’écriture lors de vérifications préalables à l'emploi. Les graphologues se disent également compétents pour aider à sélectionner les partenaires en vue d’un mariage, et la presse a rapporté qu'au moins un membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada consultait en privé sa sœur graphologue pour sélectionner les prisonniers libérables en toute sécurité. De même, un juge de Denver, dans le Colorado, aurait condamné un détenu à suivre un traitement de graphothérapie (voir ci-dessous et [11]).

Les graphologues avec qui j'ai eu affaire n'ont aucune objection à prédire quels employés voleraient la firme, trahiraient des secrets de propriété ou deviendraient des alcooliques ou des toxicomanes. Un graphologue m'a dit qu'il avait une méthode infaillible à 100 % pour déterminer qui deviendrait violent au travail. Des analystes de l'écriture ont proposé d'exposer les conjoints infidèles sur la base d'échantillons d’écriture et, lorsque la police les prend au sérieux, ils s’empressent de dénoncer des criminels présumés. Une société de graphologie propose aux thérapeutes des cours sur la façon de savoir si des auteurs de textes ont des souvenirs réprimés d'abus sexuels dans l'enfance. Le plus choquant de tout, c’est que de nombreux graphologues annoncent, comme un avantage unique de leurs services, que des tiers inquisiteurs peuvent soumettre un échantillon d'écriture pour analyse et donner suite aux résultats, sans que l’auteur de l’échantillon ne sache jamais que l'évaluation a eu lieu.

De nombreux graphologues n'hésitent pas à divulguer leurs évaluations potentiellement dommageables. Par exemple, quand j'ai demandé des preuves que la graphologie fonctionne, on m'a souvent montré des analyses avec des noms encore visibles. Lorsque mon frère et moi avons aidé l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique à dissuader une municipalité voisine de continuer à faire appel aux services d'un graphologue, ce dernier, se défendant devant le conseil municipal, a fait montre d'un mépris choquant pour les normes de confidentialité que nous avons le droit attendre lorsque des questions personnelles sont discutées en public.

Parce que les attributions sont basées sur le symbolisme et la libre association, les différentes écoles ne sont pas d'accord quant à savoir quels signes sont des marques de quels traits (tout comme les critiques littéraires débattent sans fin du vrai sens du symbolisme en poésie). Ainsi, en tant qu’employé ou emprunteur potentiel, vous pourriez voir votre réputation ternie si vous aviez la malchance d’être évalué secrètement par un graphologue d’une conviction quelconque, mais si par chance votre « vraie nature » avait été devinée par un disciple d’une autre école, vous vous en tireriez facilement.

De toute évidence, lorsque les perspectives de vie de personnes sans méfiance sont en jeu, l’utilisation de ce qui serait autrement un amusement inoffensif cesse d’être une plaisanterie. À notre grande consternation, lorsque nous avons demandé à deux avocats (Robert Carswell [12] du Canada et John Reagh [13] des États-Unis) de suggérer quelles dispositions constitutionnelles et législatives pourraient s'appliquer, ils ont convenu que, dans les deux pays, les citoyens bénéficient de très peu de protection si un employeur privé décide de consulter un graphologue. (La situation est légèrement meilleure dans certaines juridictions si c’est le gouvernement qui engage.) Nous pouvons prendre des mesures contre ceux qui discriminent les Noirs, les Juifs ou les femmes, mais il est apparemment acceptable que des entreprises refusent une situation ou un prêt à quelqu'un dont le seul péché est de barrer ses T d'une manière étrange.

Que prétendent les graphologues ?

La grande majorité des analystes de l'écriture manuscrite sont des autodidactes à partir de livres populaires, ou formés par des écoles par correspondance auto-accréditées ou des cours du soir non accrédités. « En voir un, en faire un, en enseigner un » pourrait être la devise du secteur. Même si je n’ai pas trouvé un seul manuel réputé en tests psychologiques traitant de la graphologie autrement qu’avec dédain, les graphologues prétendent toujours être une branche mal comprise et injustement décriée de la psychologie. D'après mon expérience, peu de graphologues ont une connaissance suffisante de l’évaluation psychologique ou des méthodes modernes de gestion du personnel. Bien qu'ils prétendent avoir été persécutés par un establishment hostile et soucieux de préserver son territoire, les graphologues semblent oublier que, si leurs techniques fonctionnaient réellement et si les professionnels orthodoxes étaient aussi vénaux qu'ils le prétendent, les praticiens autorisés auraient volé leurs puissants outils et évincé ces amateurs autoaccrédités. Sensibles à leur ressemblance avec les diseuses de bonne aventure, les graphologues prétendent ne pas prédire l'avenir. Mais quel intérêt y aurait-il à décrire un inconnu si on ne supposait pas que la description prédirait comment il agirait à l'avenir ?

Il existe peu de domaines de la nature humaine et de la santé mentale ou physique où les graphologues ne se sentent pas compétents. Le fait qu’une seule technique puisse s’appliquer dans tant de domaines différents va à l’encontre de presque toutes les recherches modernes sur l’évaluation psychologique. Cette mégalomanie et cette méconnaissance de la recherche pertinente sont presque des raisons en soi de rejeter la graphologie.

Les graphologues prétendent cerner le tempérament (p. ex. confiance en soi, optimisme, débauche, complaisance ou tempérament explosif). Ils croient également que l'écriture révèle des qualités mentales telles que l'intelligence, la capacité de raisonnement et l'intuitivité, ainsi que des traits sociaux tels que l'introversion, la convivialité et la domination. En milieu professionnel, ils affirment évaluer le leadership, la fiabilité, la diligence, l’attention aux détails, la propension à travailler en équipe et bien plus encore. Sur le plan moral et éthique, les graphologues se prononcent sur l'honnêteté, la loyauté, la générosité, la piété, la cruauté, la jalousie, les tendances criminelles, etc.

La détermination de l'aptitude au mariage occupe une grande partie de presque tous les textes de graphologie. La sexualité est également supposée avoir une multitude de signes écrits. Bien que les graphologues exigent généralement de connaître le sexe de l'auteur à l'avance, ils sont heureux de se prononcer sur son orientation sexuelle et/ou sur sa déviance secrète, ainsi que sur son degré de libertinage et sa capacité d'intimité. Se pourrait-il qu'ils veuillent connaître le sexe à l'avance parce qu’il est trop simple de vérifier l'exactitude d'une telle présomption ? (Ironiquement, des novices non entraînés peuvent discerner avec une précision d’environ 70 % le genre des auteurs à partir d’un échantillon anonyme d’écriture.) Probablement pour des raisons similaires, les analystes de l’écriture manuscrite ne vont pas deviner l’âge de l’auteur, mais ils se contenteront d’évaluer des attributs insaisissables comme sa maturité, ce qui laisse de la marge à l’esquive en cas de contestation.

La prétendue capacité à établir des diagnostics médicaux à partir de l'écriture a déjà été évoquée. Comme je l'ai expliqué ailleurs, certains problèmes médicaux affectent l'écriture, mais pas de la manière supposée par les graphologues [14]. Dans la sphère psychologique, les graphologues prétendent que tout est disponible à qui le veut, de la névrose et de la stabilité générale à la psychose en passant par les phobies, la dépression, la psychopathie et une foule d'autres symptômes cliniques.

Bon nombre des catégories susmentionnées sont combinées lorsque les graphologues abordent le système de justice pénale. Ils prétendent dénoncer des comportements criminels réels ou potentiels, ainsi que la tromperie, le manque de maîtrise de soi, la prédisposition à la violence et les tendances sociopathiques. Les graphologues disent qu'ils peuvent aider la police à appréhender des suspects, aider les tribunaux à choisir des jurys et à déterminer à la fois la culpabilité et la peine appropriée. Ils disent également qu'ils peuvent établir le risque de récidive et le caractère adéquat d’une libération conditionnelle. Le manuel très vanté de McNichol de 1991, par exemple, propose des exercices sur la manière de repérer un meurtrier, une baby-sitter qui peut-être consomme de la drogue et un propriétaire de magasin qui trompe ses clients [15]. « Le sexe et le crime dans l'écriture » de Marne offre de nombreuses façons de dénoncer différents types de criminels [16]. Malheureusement, les signes révélateurs sont tous reconnus après coup, dans l’écriture de criminels déjà reconnus coupables. Marne, comme d'habitude, n'offre aucune preuve qu'elle puisse identifier de manière fiable les coupables dans une pile anonyme composée de textes manuscrits de condamnés et de citoyens honnêtes (en supposant, bien sûr, que le contenu ne contienne aucun indice utile, ce qui est rarement le cas).

Il est déjà assez grave que l’on perde une situation convoitée sur la base de faux conseils, mais voir ainsi menacée sa place dans la communauté, voire sa liberté, cela fait peur. Comment vous sentiriez-vous d'être qualifié de voleur parce que vous avez des « crochets de désir de possession » sur vos S ? Bunker [5], le fondateur de Graphoanalysis, l'école de graphologie autoproclamée la plus scientifique, affirme sérieusement que ces « crochets d'acquisition » révèlent une propension à accaparer le bien d'autrui.

La revendication la plus évidemment absurde dans tout le domaine, si bizarre que tous les graphologues ne l’approuvent pas eux-mêmes, est celle de la graphothérapeutique. Selon ses adeptes, non seulement l'écriture manuscrite révèle infailliblement des attributs personnels, mais si vous n'aimez pas l’un ou l’autre des traits révélés, vous pouvez les effacer en supprimant ses signes diagnostiques de votre écriture [17]. Le tellement scientifique Bunker [5] consacre un chapitre entier à démontrer comment un changement d'écriture changera la personnalité. Ceci souligne simplement l'affirmation selon laquelle la magie sympathique est le véritable raisonnement qui sous-tend la graphologie, car l'essence de la pensée magique est que les causes ressemblent à leurs effets et donc que les deux sont interchangeables. Exemple : les graphothérapeutes insistent sur le fait que la personnalité crée l'écriture qui crée la personnalité. Quelle meilleure preuve que l'affirmation de Bunker [5] : « Il [le client de Bunker] avait fait quelques changements dans son écriture, pas des changements majeurs, et il avait obtenu des résultats ». En l’espèce, l’écrivain, avec des modifications mineures à sa calligraphie, s’est racheté miraculeusement de son personnage précédent, celui de dépensier suicidaire. Nous voyons ici une autre caractéristique commune de la fausse science, à savoir de supposer des effets disproportionnés par rapport à l'ampleur de leurs causes alléguées. Si cela semble trop beau pour être vrai, c'est probablement le cas.

En philosophie, toute doctrine peut être détruite simplement en montrant qu’elle est intrinsèquement incohérente. La graphologie est tellement vague et contradictoire que ses adeptes ont tout le loisir d'en justifier les erreurs flagrantes. D'une part, ils disent que l'écriture est un baromètre psychologique si sensible qu'elle varie d’un moment à l’autre, en réponse à de subtils changements d'humeur. Et puis, ils vous diront que l'écriture est si insensible au changement que vous ne pouvez pas cacher votre vraie nature en falsifiant intentionnellement votre écriture, le vrai vous va encore transparaître. Donc, si l’écriture normale et déguisée d’une même personne ont un aspect différent, elles indiquent toujours les mêmes caractéristiques pour le graphologue ; mais si ces mêmes disparités se trouvaient dans les écritures de deux personnes différentes, le graphologue dira qu'elles sont révélatrices de traits différents. Les graphologues répondent également à ceux qui disent que leur écriture varie en fonction de la hâte, de la position, du désir de faire bonne impression, etc., que bien que l'écriture soit évidemment différente à ces occasions, elle dénote toujours les mêmes attributs personnels. Donc, si vous essayez de tromper le graphologue en changeant votre écriture, votre personnalité rigide conservera obstinément ses signes graphiques, mais si vous modifiez votre écriture à la demande d'un graphothérapeute, votre personnalité malléable se réalignera pour refléter la nouvelle écriture améliorée. Un manuel pour les aspirants graphologues que j'ai examiné conseille aux néophytes de ne pas se décourager, car tout le monde ayant un signe donné ne possède pas le trait suggéré, et tout le monde ayant ce trait n'a pas le signe. Comment le système pourrait-il jamais échouer ? Cette capacité à être tout pour tout le monde rend la graphologie essentiellement irréfutable. Sur cette seule base, elle peut être exclue de la maison de la science.

Critiques des raisonnements « officiels » de la graphologie

Avant de présenter le bilan lamentable de la graphologie dans des tests empiriques, permettez-moi d’abord de présenter plusieurs des rationalisations souvent entendues quant aux raisons pour lesquelles l’analyse de l’écriture manuscrite doit fonctionner.

L'écriture est cérébrale. Oui, c'est vrai, mais la marche est également contrôlée par le cerveau. Pourquoi penser, quelque chose étant contrôlé par le cerveau, que c’est nécessairement en corrélation avec d'autres traits, aptitudes ou propensions ? Ce genre d’affirmation doit être étayée par des preuves, et non juste présumée. Les vomissements ont également un centre cérébral associé. Cela justifierait-il de se baser sur le style de régurgitation individuel pour évaluer le caractère intime d'une personne ?

Dans un chapitre précédent [14], j'ai soutenu que la recherche sur les substrats neuraux de l'écriture et de la personnalité fournit en réalité certains des meilleurs arguments contre la graphologie. Par exemple, une lésion cérébrale peut modifier indépendamment soit l'écriture soit la personnalité. Il n'y a aucune preuve que si une blessure à la tête affecte la personnalité, l'écriture changera nécessairement aussi, comme cela devrait être le cas si la graphologie était valide. De plus, il n’y a aucune raison de penser que les mécanismes cérébraux responsables de l’écriture et ceux du tempérament et des aptitudes pourraient être liés de cette manière étroite, nécessaire pour prendre au sérieux la graphologie. Les recherches sur les corrélations physiologiques de la personnalité montrent que les traits individuels ne sont pas localisés dans des zones cérébrales circonscrites qui pourraient être mises en correspondance individuellement avec les programmes musculaires minuscules qui créent des caractéristiques d'écriture particulières. Dans le même chapitre, j'ai également noté que les notions naïves des graphologues sur la manière dont le cerveau détermine la personnalité, sans parler de leurs conceptions dépassées de la personnalité elle-même [18], sont pratiquement identiques à celles du système discrédité de la phrénologie. La graphologie nécessiterait une organisation du cerveau semblable à celle proposée par les phrénologues afin de la rendre vaguement plausible. Pour qu’existe cette organisation du cerveau, nécessaire mais improbable, elle doit avoir évolué (et donc être héritée) ou être acquise tôt dans la vie. Dans les deux cas, les implications pour la graphologie sont redoutables.

Si la sélection naturelle façonnait la structure du cerveau de manière à permettre la connexion de chaque trait de caractère avec un mouvement d'écriture unique, les graphologues devraient être en mesure de suggérer quels avantages éventuels en termes de survie cette utilisation dispendieuse de ressources biologiques aurait pu conférer. À ce que je sache, aucun graphologue à ce jour n’a compris qu’il s’agissait d’un obstacle sérieux à l’acceptation scientifique de la graphologie. En outre, comme la capacité d’écrire a tout au plus 6 000 ans et que le cerveau a évolué pour prendre sa forme moderne des millénaires plus tôt, les circuits supposés qui relieraient la personnalité à l’écriture doivent avoir évolué dans un autre but. Dans quel but ce nombre incroyable de voies neuronales présumément dormantes ont-elles été sélectionnées et quelles étaient les pressions sélectives qui ont poussé le cerveau dans cette étrange direction, bien avant que les humains n'inventent l'écriture ?

Si au contraire on considère l'expression de la personnalité dans l'écriture comme une compétence acquise, les difficultés de la graphologie sont tout aussi graves. Puisque l’écriture est évidemment un comportement appris, comment le cerveau modifie-t-il infailliblement chaque mouvement d’écriture appris pour le rendre conforme à chacun des nombreux traits qu’un enfant exprimera en grandissant ? Quel type de mécanisme pourrait en principe garantir que tous ceux qui sont voués à être sournois acquerront le même programme neuronal pour tracer leurs l de la même manière, par exemple ? Les parents disent-ils jamais : « Suzie, tu es manifestement douée pour le leadership, assure-toi de former tes majuscules de cette façon, au lieu de la façon que ton professeur a montrée » ? L'écriture varie également selon les groupes linguistiques. Quelles différences dans les expériences précoces des diverses communautés linguistiques garantissent-elles que le cerveau du nourrisson deviendra la variante appropriée, de sorte qu'il attachera des traits de personnalité émergents à des mouvements d'écriture très différents, si l'enfant apprend l’alphabet chinois plutôt que russe, arabe, hébreu ou latin ? L'écriture dans tous ces alphabets devient certes personnalisée, mais cette individualité découle de facteurs biomécaniques très différents et bien plus intéressants que les conjectures de clocher des graphologues [14].

En résumé, l'argument de l’écriture cérébrale des graphologues est vrai, mais il est sans rapport avec leurs allégations. Ce raisonnement ne serait nécessaire que s’il fallait expliquer une relation avérée entre l’écriture et d’autres attributs personnels. Malheureusement pour la graphologie, de nombreuses recherches empiriques, examinées ci-dessous, indiquent que de telles corrélations sont illusoires, pour commencer.

L'écriture est individualisée et la personnalité est unique, de sorte que chacune doit refléter l'autre. Outre la faille logique évidente de cet argument, pourquoi devrions-nous accepter, sans preuves suffisantes, que deux aspects certes idiosyncrasiques d'une personne auront nécessairement une relation particulière l'un avec l'autre ? Il est vrai que des contrefaçons ont été exposées et que des auteurs d'extorsions ont été reconnus coupables sur la base d'une écriture distinctive, mais cela implique-t-il que chacune de ces caractéristiques d'écriture identifiables est liée de manière fiable à un autre attribut unique de l'auteur (chez cette seule personne, pour ne pas mentionner toutes celles qui écrivent de la même façon) ? Les visages sont suffisamment différents pour permettre une identification personnelle sur le permis de conduire, mais l'État exige toujours que vous passiez l'examen pratique avant de certifier vos compétences en conduite. À une certaine époque, on croyait pourtant que les traits du visage pouvaient révéler d’autres caractéristiques personnelles. La pseudo-science de la physiognomie affirmait qu'il y avait des visages honnêtes et des visages criminels, des visages généreux et des visages avares. Seul le plus fumeux des adeptes du New Age pourrait avaler cela aujourd'hui. Pour montrer que la simple unicité ne prouve pas que chaque marque visible est nécessairement typique de quelque chose d'autre, un de mes collègues raconte l'histoire suivante [11]. Comme passe-temps original, il s'est entraîné à identifier les individus par le son distinctif de leurs pas dans le couloir menant à son bureau. Beaucoup de visiteurs étaient déroutés d’être appelés par leur nom, avant d’être vus. Voici une caractéristique personnelle, subtile, mais détectable de manière fiable. Elle peut être bonne pour gagner des paris et surprendre ses amis, mais une personne raisonnable pourrait-elle sérieusement penser que les bruits de pas seraient une bonne base pour embaucher un employé, rejeter un compagnon ou accuser quelqu'un d'avoir volé dans la réserve ?

L'écriture est une forme de mouvement expressif, elle devrait donc refléter notre personnalité. Ailleurs, j'ai passé en revue la littérature sur les mouvements expressifs et les expressions faciales, et montré pourquoi les tentatives visant à renforcer la graphologie en faisant appel à ces données sont insuffisantes [14]. S'il est vrai qu'il existe des études légitimes liant quelques aspects globaux du tempérament à certains styles gestuels, ces données n'apportent aucune aide aux graphologues qui tentent de suivre leur exemple. Les types de styles personnels considérés comme étant vaguement liés aux mouvements expressifs du corps sont beaucoup plus généraux que les traits étroits que les graphologues prétendent déduire de l'écriture. Une tendance à être énergique, irascible ou dominateur peut être lisible à partir du langage corporel mais, même là, les corrélations sont trop faibles pour être utiles à permettre le type d'attributions détaillées que les graphologues tentent. Et aucun scientifique réputé n'a jamais suggéré qu'une chose aussi absconse que la piété ou le sens des affaires soit plus susceptible d'être encodée dans des gestes que, par exemple, le végétarisme. Néanmoins, les graphologues notent avec fierté que l'analyse de l'écriture manuscrite est mentionnée dans le classique de 1933 d'Allport et Vernon, Studies in Expressive Movement. Ils sont cependant moins prompts à dire que, selon l'estimation de ces psychologues respectés, « les termes [graphologiques] utilisés semblent souvent obscurcir plutôt que révéler la personnalité » [19].

De même, les expressions faciales peuvent parfois trahir un mensonge lorsqu'il est énoncé, mais aucun expert compétent ne pense que toutes les personnes ayant tendance à la fourberie ont une gestuelle pour cela ou toute autre propension générale du type que les graphologues prétendent détecter. De plus, les mouvements du corps et du visage étudiés par des chercheurs crédibles sont des signaux sociaux à base biologique. Ils sont non appris et transmettent des informations utiles uniquement parce qu'ils sont identiques pour tous. L'écriture est tout le contraire, une compétence acquise dont les graphologues pensent qu’elle reflète l'individualité parce qu'elle est différente pour tout le monde. Et les bons acteurs sont assez bons à simuler les signaux du corps et du visage, ce qui serait impossible avec l'écriture, selon les graphologues. Le plus préjudiciable à la cause des graphologues est peut-être la preuve que des informations pouvant être extraites de mouvements et d'expressions faciales inconscientes sont lisibles par toute personne sans formation spéciale. Il n'est pas nécessaire de payer quiconque pour les interpréter.

La police et les tribunaux utilisent la graphologie, elle doit donc être valable. Je suis tenté de dire : « Ronald Reagan a utilisé l'astrologie, donc elle doit être valable » et en rester là, mais il y a quelques autres leçons utiles à tirer ici. Oui, malheureusement, certains responsables égarés ont employé des analystes de l'écriture manuscrite dans des contextes médico-légaux, mais la pratique n'est pas aussi répandue que l'impliquent les graphologues. En tant que groupe, les officiers de police, les avocats et les juges ne sont ni plus ni moins enclins à des croyances erronées que quiconque. Confrontés à des décisions difficiles pour lesquelles aucune autre méthode n'offre de certitude (un terreau idéal pour les superstitions), certains membres du système de justice pénale sont parfois emportés dans des absurdités pleines d'espoir, tout comme le reste d’entre nous. La grande majorité n’approuve pourtant pas la graphologie ni les médiums. Les graphologues offrent parfois leurs services à la police et obtiennent une écoute polie, à laquelle tout citoyen a droit. Et pour des raisons liées à l'effet de validation subjective, discuté ci-dessous, les récipiendaires ont peut-être été plus impressionnés que le résultat ne le justifie. Bien sûr, à l'instar des médiums qui prétendent résoudre des crimes, quelques coups au hasard et leur confiance en des indices conventionnels, renforcés par un peu d'embellissement et d'autopromotion, peuvent établir une réputation élevée mais non méritée.

La réputation artificiellement gonflée dont jouit l'analyse de l'écriture manuscrite est en grande partie due à la tendance à confondre la profession de graphologue avec celle d'expert en documents contestés. Comme Dale Beyerstein [20] l’a observé, le non-sens s’appuie souvent sur des connaissances sensées, et la graphologie, bien qu’elle n’ait qu’une ressemblance superficielle avec l’examen scientifique de documents, détourne le prestige bien mérité de ce dernier [21]. Les deux domaines analysent l'écriture manuscrite, mais la ressemblance s’arrête là.

Un expert en documents est un enquêteur en criminalistique, de formation scientifique, qui possède également une connaissance considérable de l’histoire du papier, de l’encre, des instruments d’écriture, des systèmes de calligraphie et des styles d’expression [22]. Ce sont des experts respectés qui sont fréquemment consultés par la police et les tribunaux. Leur mode de fonctionnement est toutefois différent de celui des graphologues. Leur travail est d'établir la provenance et l'authenticité de documents, dont certains sont manuscrits. Contrairement au graphologue, l’expert en documents n'essaierait jamais de deviner la personnalité de l'auteur à partir du texte qu'il examine. Le cas échéant, il comparera l’écriture dans les documents contestés avec des échantillons connus de l’auteur présumé. Ainsi, une question typique pour un expert en documents pourrait être : « S'agit-il d'une lettre authentique de Mozart à son patron, ou d'une habile falsification ? » Ou : « Le défendeur sur le banc des accusés a-t-il écrit cette demande de rançon ? » En comparaison, une question typique pour un graphologue pourrait être : « L’auteur entretient-il un ressentiment secret envers l'autorité ? »

Si nécessaire, un expert en documents analysera chimiquement l'encre, examinera au microscope les fibres et les filigranes du papier et recherchera les marques distinctives laissées par différents types d'instruments d'écriture. En outre, il peut comparer la grammaire, le style et la ponctuation aux normes sociales ou historiques, le tout dans le but de déterminer quand, où et par qui un document donné a été écrit. La révélation que les tristement célèbres journaux d'Hitler étaient des faux a montré des experts fonctionnant au mieux de leurs capacités [23]. En tant que consultants en contentieux ou en litiges historiques, il leur est uniquement demandé d'évaluer la probabilité qu'une personne donnée ait écrit le document en question, et non de décider de la culpabilité, de l'innocence ou de tout autre trait psychologique de l'auteur présumé. Le fait que quelques experts pratiquent également la graphologie sur le côté entraîne également une confusion dans l'esprit du public. La plupart d’entre eux sont aussi mécontents d'être confondus avec des graphologues que le serait un astronome si on le confondait avec un astrologue.

Les gestionnaires de personnel ne jurent que par l'utilité des graphologues pour la sélection des employés. Certains le font. La plupart ne le font pas. Quoi qu’il en soit, de nombreuses raisons, autres que la validité de la graphologie, pourraient expliquer ces approbations relativement rares [11,24]. Premièrement, il y a de nombreuses raisons de croire que, même s'ils n’en sont pas conscients, les graphologues utilisent d'autres indices non graphologiques qui pourraient révéler les meilleurs candidats. Par exemple, le contenu des lettres de candidature manuscrites est riche en informations biographiques utiles. Bien que les graphologues prétendent ignorer ces indices, il existe des preuves du contraire [25,26]. En outre, les graphologues parlent souvent avec les gestionnaires qui les consultent pour savoir quels candidats sont déjà les favoris des employeurs. Ainsi, le graphologue est souvent au courant d’informations conventionnelles sur les candidats et, dans de nombreux cas, il ne fait que renforcer les intuitions des gestionnaires. Les employeurs sont souvent intéressés plus que tout par ce genre de réassurance quant à la correction de leurs intuitions. Cela aide à calmer l’inquiétude entourant la pratique d'embauche, intrinsèquement sujette à des erreurs pouvant coûter cher. Les graphologues peuvent offrir cette tranquillité d'esprit car ils font des déclarations rassurantes mais très exagérées, que l’éthique des experts en personnel ne leur permet pas [24]. Enfin, dans une hiérarchie d’entreprise, où protéger ses arrières est un impératif fondamental, il est également prudent de pouvoir blâmer quelqu'un comme un graphologue si la procédure de sélection d’un employé donne de mauvais résultats.

Une autre source de satisfaction imméritée vis-à-vis de la graphologie provient du fait que les employeurs communiquent rarement les textes de tous les candidats à un graphologue, ce serait trop coûteux. Le graphologue ne voit généralement que les textes des candidats présélectionnés, ceux qui ont déjà été préférés sur la base d'une formation supérieure, de leur expérience professionnelle, de recommandations des superviseurs, etc. Il est donc probable que tous les membres de ce groupe très réduit seraient au moins adéquats pour le poste. Comme les candidats refusés n’ont pas la possibilité de montrer ce qu’ils pourraient faire s’ils étaient embauchés, nous n’avons aucun moyen de savoir s’ils auraient obtenu des résultats aussi bons voire meilleurs que ceux du candidat recommandé par le graphologue. Et bien sûr, le simple fait qu'un graphologue ait nommé le candidat choisi peut avoir une incidence sur l'évaluation ultérieure de son rendement au travail. De nombreuses recherches sur les « effets de halo » montrent qu'une recommandation émanant d'une source fiable peut donner l'impression qu’une performance moyenne est meilleure qu’elle n’est en réalité, et peut également inciter les superviseurs à excuser une performance moins qu'adéquate comme étant une anomalie temporaire. La vaste littérature sur la dissonance cognitive montre que les personnes qui ont misé leur réputation ou des sommes importantes sur un plan d'action, surtout si d'autres ont mis en doute son opportunité, ont de fortes motivations psychologiques pour en interpréter le résultat comme favorable, même devant des preuves du contraire [27].

Des tests scientifiques sur la capacité des graphologues à reconnaître des traits pertinents pour l’emploi permettent de tenir compte de ces sources infondées de satisfaction du consommateur. Klimoski a comparé les méthodes scientifiques de sélection du personnel à celles des graphologues. Il a mené de nombreuses études conçues et réalisées avec la collaboration d'éminents graphologues qui ont préalablement approuvé toutes les procédures. Lors d'essais contrôlés en milieu professionnel, l'analyse de l'écriture manuscrite a obtenu de très mauvais résultats [1,8,25,28,29].

Les graphologues doivent avoir remarqué au fil des siècles que certains types de personnes écrivent de certaines manières. Ils auraient pu, mais ils ne l'ont pas fait. Un investigateur scientifique aurait procédé en dressant une liste systématique de toute relation entre la personnalité et l'écriture mais, comme indiqué ci-dessus, il existe des preuves irréfutables que la graphologie a toujours suivi des règles divinatoires plutôt que celles de la recherche moderne. En fait, comme le soutiennent Dean, Kelly, Saklofske et Furnham [26], les fondateurs de la graphologie n’auraient pas pu garder de traces du nombre considérable de combinaisons d’écritures et de traits de personnalité, variant indépendamment les unes des autres, pour pouvoir extraire de tels modèles, même s’ils avaient existé. Comme ils le soulignent également, c'est parce que :

  1. Les effets graphologiques sont trop faibles pour avoir été observés de manière fiable.
  2. Les caractéristiques graphologiques sont trop nombreuses pour être combinées de manière fiable.
  3. L’évaluation de l’appariement entre la graphologie et la personne présente trop de biais.

Les psychologues ont montré que, sans des outils sophistiqués, les capacités cognitives humaines ne sont pas capables de suivre les relations entre autant de variables simultanément. Il se trouve que les techniques mathématiques modernes révélant de tels schémas n’en trouvent pas, mais même si ces derniers existaient, les graphologues n’ont pas vraiment essayé de les rechercher systématiquement. L’approche intuitive qu’ils ont adoptée n’aurait pas pu extraire le moindre éventuel signal du bruit de fond.

Ça marche. La recherche montre que, lorsque les affirmations d’un lecteur de feuilles de thé, d’une chiromancienne, d’un astrologue ou d’un graphologue sont par hasard exactes, cela comptera beaucoup plus qu’il ne faut pour soutenir la conviction que «  ça marche » (voir « effet de validation subjective » ci-dessous). Si on vous affirme que la consommation de pommes de terre améliore vos performances au tennis et si vous apprenez que vos cinq prochains adversaires de haut niveau ont récemment mangé des pommes de terre, cela ne prouve rien, n'est-ce pas ? Mais les clients et les graphologues ont tendance à être impressionnés par ce type de succès. Ils cherchent rarement à voir combien d'autres personnes ont le signe écrit mais non le trait, et combien ont l'attribut personnel sans son indicateur graphique. Les graphologues s'appuient presque exclusivement sur des rapports anecdotiques et des témoignages personnels, dépourvus de ces comparaisons essentielles. Pour des raisons qui apparaîtront plus loin dans ce chapitre, de telles affirmations sont sans valeur scientifique. La recherche sur les biais heuristiques montre comment des raccourcis de jugement courants nous amènent souvent à épouser des idées fausses [30]. Lorsque des observateurs compétents et impartiaux comptabilisent les succès et les ratés, le bilan apparemment impressionnant de la graphologie disparaît. Passons maintenant à ces preuves.

Les preuves empiriques pour et contre la graphologie

Ma tâche consistant à résumer les recherches scientifiques approfondies en graphologie a été facilitée par le travail remarquable de Geoffrey Dean [8], qui a procédé à une revue exhaustive de la littérature. Dans n'importe quel domaine de controverse scientifique, une seule étude ne tranche pratiquement jamais la question. Ce n'est que par l'accumulation patiente de nombreuses expériences, répliquées par différents chercheurs avec des méthodologies convergentes, qu'un modèle fiable émergera. Jusqu'il y a peu, le moyen le plus courant de tenter de régler des différends dans des domaines litigieux consistait essentiellement à faire un bilan : autant d'études en faveur de la conclusion X et autant contre, la majorité l'emportant. Tous les résultats empiriques ne devraient cependant pas avoir la même valeur dans un tel décompte. Les études sur des échantillons plus importants, avec une meilleure méthodologie et moins de données non significatives devraient peser plus lourd dans le processus décisionnel. Heureusement, il existe un moyen de prendre en compte ces considérations dans l’évaluation globale et de tirer ainsi des conclusions plus fiables de multiples études sur un sujet donné. Cela s'appelle une méta-analyse. Dans son analyse des recherches empiriques sur la graphologie, Dean a appliqué cette technique mathématique pour évaluer l'effet cumulatif de plus de 200 études, publiées dans de nombreux pays et en plusieurs langues [8].

Pour décider si la graphologie fonctionne vraiment, Dean a abordé les questions sur sa fiabilité et sa validité. Dans le cas de la fiabilité, nous nous interrogeons sur la cohérence ou la répétabilité avec une technique de mesure donnée. En d'autres termes, si un opérateur répète une mesure ou si différents opérateurs l'utilisent sur le même objet, les résultats seront-ils concordants ? Le premier cas est appelé « fiabilité test-retest », le second « fiabilité interévaluateurs ». Imaginez un mètre-ruban en caoutchouc donnant des résultats variables à chaque mesure : quelle utilité aurait un tel outil ? Sur le plan technique, nous dirions que sa fiabilité est faible. La fiabilité est une condition essentielle mais non suffisante pour l’acceptation d’une méthode de mesure.

À moins qu'un instrument de mesure ne soit fiable, il ne peut pas avoir de validité, définie comme étant la capacité de la technique, du test, etc., à mesurer ce que ses promoteurs disent qu'ils mesurent. Un thermomètre à mercure, par exemple, manquerait de validité en tant que mesure de l'attraction gravitationnelle. Un thermomètre est fiable en ce que, toutes choses étant égales par ailleurs, des observations répétées produisent généralement un résultat très proche du même résultat. Cette fiabilité, en elle-même, ne constitue pas une garantie de validité. Si j'affirme que le nombre de grains de beauté sur votre dos est un bon moyen d'estimer votre intelligence, je pourrais probablement obtenir à peu près le même total lors de comptes successifs (c'est-à-dire que la mesure est fiable), mais vous auriez raison de me demander la preuve de sa validité en tant qu'indice d'intelligence. Pour vous satisfaire, je devrais présenter une confirmation indépendante, montrant que la variabilité de la densité de grains de beauté dans la population en général correspond bien aux critères acceptés d'intelligence. De toute évidence, cela n’irait pas, de sorte que la mesure manque de validité.

En ce qui concerne la graphologie, la fiabilité intra- et interpraticiens formés par la même école a été acceptable dans certaines études, mais pas toutes. C'est-à-dire que parfois, lorsque le même échantillon d'écriture était soumis deux fois, il revenait avec plus ou moins le même profil après deux lectures par le même graphologue ou deux lectures par deux graphologues différents [24], mais Goldberg [31] et Dean [8] donnent des exemples où même cette exigence minimale n’était pas remplie. Comme les différentes écoles de graphologie sont souvent en désaccord, on ne s’attendrait pas au même résultat avec des adhérents de systèmes différents. Mais si la graphologie, dans les mains de disciples bien exercés de la même école, donne la même réponse après des évaluations répétées du même texte, est-ce une raison suffisante pour croire qu'elle sera exacte lorsqu'elle sera utilisée pour prédire votre degré de convivialité, d’honnêteté, de créativité ou de dévouement à une organisation?

Les scientifiques en informatique nous avertissent constamment du problème GIGO : Garbage In, Garbage Out (Ordures à l’entrée, ordures à la sortie). En d’autres termes, quelle que soit la précision du programme d’un ordinateur, si vous lui fournissez des données dénuées de sens, il produira méthodiquement des résultats tout aussi insensés. Des déchets traités de manière cohérente seront toujours des déchets. Des graphologues tentent de plus en plus des gens sans méfiance en annonçant qu'ils utilisent maintenant des ordinateurs, espérant qu’en adoptant ces signes extérieurs de science ils auront une apparence de respectabilité. L’informatisation peut augmenter la fiabilité des interprétations graphologiques, mais si les matières premières d’une analyse (inclinaisons, pressions, fioritures, points sur les I etc.) ne sont pas des indicateurs valables des traits de personnalité, alors le fait que l’ordinateur tire un portrait similaire du client lors de plusieurs tentatives est de peu de réconfort. Et voilà, en un mot, la question : Les « signes » graphologiques sont-ils des indicateurs valables des traits de personnalité ou des aptitudes supposément en corrélation ?

Afin de répondre aux questions sur la validité, il faut avoir un critère pour le trait qui est censé être indiqué par la mesure. Si nous évaluons un test qui prétend prédire un talent de vendeur, par exemple, le critère peut être le total des ventes annuelles de l'agent ou le nombre de transactions conclues par nombre de contacts. Un test acceptable devrait montrer non seulement que ceux qui réussissent le test tendent à être classés très haut pour ces critères, mais également que ceux qui réussissent mal se retrouvent au bas des tableaux de ventes [24]. Dans sa recherche mondiale d'évaluations empiriques de la graphologie, Dean [8] a mis au jour plus de 200 études présentant des critères de ce type, sans ambiguïté et acceptables concernant la taille des échantillons, les contrôles expérimentaux, les analyses statistiques, etc. Après avoir soumis ces études à une méta-analyse, Dean a montré que les graphologues avaient échoué à démontrer sans équivoque la validité ou la fiabilité de leur art pour prédire les performances professionnelles, les aptitudes ou la personnalité. La graphologie échoue donc pour les normes auxquelles un véritable test psychologique doit satisfaire avant de pouvoir être autorisé éthiquement à être utilisé pour un public sans méfiance.

Dean a découvert qu'aucune école de graphologie en particulier ne réussissait mieux qu'une autre, contredisant ainsi les affirmations prétentieuses de Graphoanalysis selon lesquelles elle est scientifiquement supérieure à ses rivales. En fait, aucun graphologue, quelle que soit son allégeance, n’a pu montrer de façon fiable de meilleures performances que des amateurs non entraînés, en se fondant sur le même matériel. Dans la grande majorité des études, aucun groupe n'a dépassé le simple effet du hasard.

En parcourant les études accumulées par Dean, une relation intéressante émerge. Plus une étude est meilleure méthodologiquement, plus le processus d’évaluation par les pairs de la revue dans laquelle elle est publiée est rigoureux, et plus il est probable que les résultats soient défavorables à la graphologie. Pour cette raison, il n’est pas surprenant que la majorité des études qui trouvent un quelconque mérite à la graphologie soient publiées par les graphologues eux-mêmes, dans des brochures promotionnelles, dans leurs propres journaux spécialisés ou par la presse populaire à but lucratif. Lorsque des articles en faveur de la graphologie sont parfois publiés dans des revues scientifiques, il s’agit généralement des publications ayant les taux de refus les plus bas et qui font payer les auteurs pour le privilège de les publier.

Bien entendu, les graphologues contestent vivement les conclusions précédentes, affirmant que les tests qui minimisent leurs capacités sont injustes et non pertinents. Il n'en reste pas moins que, dans bon nombre des meilleures études, les graphologues ont préalablement approuvé les tâches qui leur seraient confiées et les critères d'évaluation, c'est-à-dire qu'ils étaient disposés à participer jusqu'à ce que les résultats négatifs soient connus. Les sociétés de graphologie ont souvent désigné leurs meilleurs émissaires pour les représenter dans ces tests. Dans une série d'études rigoureuses, réalisées par Klimoski et ses collègues, les graphologues étaient tellement confiants de pouvoir exceller qu'ils finançaient même les projets. Ils ont convenu dès le départ que les tâches assignées constituaient une juste approximation de ce qu’ils faisaient dans leurs pratiques quotidiennes. Ce n’est que lorsque les résultats se sont avérés désastreux pour eux que les graphologues ont commencé à chicaner sur l’équité des tests, allant même parfois jusqu’à menacer de poursuites judiciaires pour empêcher la publication des résultats. En résumant ses propres recherches et celles de nombreuses autres, Klimoski conclut : « le gestionnaire à qui sont proposés des services de graphologie ou de l'aide pour des décisions concernant le personnel serait bien avisé de tenir compte du credo américain, caveat emptor : acheteur, prends garde. » [24:263]

Pourquoi la graphologie semble-t-elle fonctionner ? L'effet Barnum.

Face aux résultats constamment médiocres de l'analyse de l'écriture dans les tests scientifiques, la réponse typique des graphologues est la suivante : « Je n'ai pas besoin de vous prouver quoi que ce soit. Je sais que cela fonctionne et j'ai des centaines de clients satisfaits pour le prouver. » Bien sûr, c’est la même réplique que j’ai reçue de chaque lecteur de feuilles de thé et de cartes de tarot que j’ai investigué. Les gens paient beaucoup d’argent et ils en redemandent. Ils doivent recevoir un bon rapport qualité/prix, non ? Pas nécessairement.

Si les résultats de la graphologie dans des tests à grande échelle et soigneusement contrôlés sont aussi médiocres que le disent les critiques, comment autant de personnes intelligentes et bien éduquées peuvent-elles encore croire que la graphologie a du mérite ? Comme mentionné précédemment, le pouvoir de l'expérience personnelle éclipse souvent les tonnes de tableaux et de graphiques lorsque les gens tentent de faire des jugements complexes sur le monde [30]. L'espoir et l'incertitude suscitent de puissants processus psychologiques qui maintiennent en activité tous les lecteurs de caractère occultes et pseudo-scientifiques. Au quotidien, leurs affirmations peuvent sembler remarquablement spécifiques et révélatrices, même si ce n’est pas le cas. Le sentiment fallacieux que quelque chose de profondément informatif ait été révélé dans une lecture astrologique, graphologique ou psychique découle d'une sorte de glissement cognitif appelé « effet Barnum ». Ses autres noms sont « effet de validation subjective » ou « effet de validation personnelle ». L'appellation plus colorée rappelle le célèbre showman américain, P. T. Barnum, dont le slogan était : « J'ai un petit quelque chose pour tout le monde ».

Comme de nombreuses études l'ont démontré, les gens interprètent invariablement des généralisations vagues et positives qui s’appliqueraient, sous une forme ou une autre, à presque tout le monde, comme si elles concernaient spécifiquement les particularités de leur propre vie [26]. Avez-vous déjà ouvert un biscuit chinois qui ne vous concernait pas ? Ce qui est fascinant c’est que nous lisons les détails sans avoir pratiquement aucune conscience qu'ils découlent de nos propres processus associatifs, plutôt que des observations du « devin ». Ce n'est pas de la simple crédulité. Cela découle plutôt de la surapplication de l’une de nos compétences cognitives les plus utiles, à savoir la capacité de donner un sens au flot d’informations disparates auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. En fait, nous réussissons tellement bien à créer un scénario raisonnable à partir d'entrées incohérentes que parfois nous trouvons du sens au non-sens. La nature humaine est si complexe et le comportement individuel si varié qu'il y a presque toujours quelque chose dans nos antécédents qui correspond aux affirmations du « devin ». Les psychologues ont beaucoup appris sur les variables sociales et cognitives qui font que les généralités de type Barnum semblent si pénétrantes et pertinentes sur le plan personnel [11, 26, 32-34].

L'effet Barnum est si puissant qu'une démonstration informelle de tout test de personnalité, qu'il soit marginal ou orthodoxe, est pratiquement inutile. Nos esprits curieux embelliront automatiquement les bases d'un tel résultat pour le faire paraître comme faisant référence à nous-mêmes. Encore une fois, ce n’est pas de la faiblesse mentale. En fait, les personnes les plus intelligentes ont plus de facilité à assimiler ces extrapolations. Pour cette raison, un test approprié de toute méthode de lecture de caractère devra contrôler ce faux sentiment de pertinence. Ainsi, au lieu de simplement demander aux clients si la chiromancienne ou l’astrologue les a décrits avec exactitude, un test approprié consisterait en premier lieu à effectuer des lectures pour un grand nombre de clients, puis à supprimer les noms dans les profils (en les codant de manière à ce qu’ils puissent ensuite être appariés à leurs propriétaires légitimes). Une fois que tous les clients auront lu tous les portraits de personnalité anonymes, il serait demandé à chacun de choisir celui qui le décrit le mieux. Si le lecteur de caractère a inclus suffisamment d’informations particulièrement pertinentes, les membres du groupe devraient être en mesure de dépasser le seul hasard en choisissant les leurs dans la pile. Aucune méthode de lecture de caractère occulte ou pseudo-scientifique, y compris la graphologie, n’a réussi ce test.

De nombreuses études (voir références ci-dessus) suggèrent que l'exactitude apparente de la lecture de caractère non scientifique est, comme la beauté, dans l'œil du spectateur, ce qui amène les gens à penser qu'ils reçoivent une lecture faite spécialement pour eux. Lorsqu'on demande aux sujets expérimentaux d'évaluer dans quelle mesure le profil obtenu les décrit, ils en approuvent massivement le contenu bien que, à leur insu, ils reçoivent tous le même rapport de l'astrologue ou du graphologue. Dans une étude récente, des sujets ont lu des affirmations sur d’autres personnes, produites par un grapho-analyste certifié, et un certain nombre d’affirmations Barnum, intentionnellement écrites pour être si vagues qu'elles pouvaient s'appliquer à presque tout le monde [11]. Les sujets ont estimé que les descriptions d'inconnus par le grapho-analyste étaient aussi bonnes que les descriptions Barnum intentionnellement vagues. Lorsqu'un groupe reçoit, dans les mêmes conditions, des profils aléatoires à partir de tests psychologiques valables, il ne les considère pas comme correspondant parfaitement, car les outils diagnostiques légitimes produisent des profils qui ne sont pas applicables à tout le monde.

Conclusion

Dans cet essai, j'ai soutenu que la graphologie, malgré ses prétentions scientifiques, reste enlisée dans son passé occulte. J'ai montré pourquoi les justifications préférées des graphologues sont inadéquates et j’ai fait référence à de nombreuses études bien contrôlées qui ont montré que les analystes de l'écriture manuscrite, privés d'indices non graphologiques sur leurs clients, ne font pas mieux que le hasard. En revanche, les clients ne peuvent pas non plus battre le hasard lorsqu’on leur demande de sélectionner les leurs dans une pile de profils graphologiques anonymes. En dépit des résultats médiocres de la graphologie dans ces études bien contrôlées, les praticiens et une bonne partie du public en général continuent de croire fermement qu’elle fonctionne. Les dernières sections de ce chapitre ont été consacrées aux biais cognitifs intéressants qui ont permis à la graphologie de rester en vie en donnant aux clients la forte illusion qu’elle est révélatrice et précise, alors qu’elle ne l’est pas. Si la graphologie ne peut légitimement prétendre être un moyen scientifique de mesurer les talents et les penchants humains, en quoi consiste-t-elle réellement ? En bref, c'est une pseudo-science.

Les pseudo-sciences sont des occultismes à peine déguisés qui ont l’apparence et le prestige de la science mais manquent des attitudes, des méthodes et des résultats reproductibles qui définissent une science réelle [35]. Les pseudo-sciences ont un certain nombre de signes révélateurs. Elles sont généralement isolées des disciplines scientifiques légitimes liées à leur sujet. Leurs adeptes sont susceptibles d'être fiers de leur manque de références orthodoxes, et hostiles envers un « establishment » qu'ils considèrent les ignorer voire les persécuter carrément. Ils se réclament de techniques puissantes mais secrètes qui ne fonctionnent que pour les croyants, mais protestent en cas de scepticisme et de demande de preuves. Les pseudo-scientifiques ont tendance à fuir les analyses mathématiques et à se raccrocher à des données anecdotiques. Les témoignages de clients satisfaits se substituent aux tests rigoureux. L'idée d'un simple groupe contrôle est étrangère à leur façon de penser.

Les pseudo-sciences sont envahies par des fanatiques qui non seulement ignorent la théorie et les données des domaines scientifiques pertinents, mais elles se targuent de résultats fantastiques allant à l’encontre de recherches bien établies. Souvent, ces effets putatifs seraient hautement souhaitables s'ils étaient vrais, mais ils sont postulés sans théories ni mécanismes expliquant pourquoi ils pourraient se produire. Ce qui passe pour une théorie dans une pseudo-science est généralement si vague qu’il est pratiquement impossible de la tester.

Ces champs encouragent des hypothèses ad hoc pour expliquer les conclusions négatives. En un mot, les pseudo-sciences ne sont jamais en faute, rien ne pourrait compter contre leurs théories. Par exemple, lorsque la graphologue Jane Paterson a constaté que Ghandi n’écrivait pas avec les grandes lettres qui, selon elle, étaient typiques des grands dirigeants, elle a expliqué que son écriture montrait qu’il était modeste et préférait diriger depuis une position d’infériorité. Une plaidoirie spéciale, après coup, à la place de prédictions fermes et vérifiables - le fonds de commerce du pseudo-scientifique.

La collecte de données dans les pseudo-sciences est une tâche sans lendemain, et la recherche, si elle est éditée, est généralement autodistribuée plutôt que publiée dans des revues à comité de lecture. Les pseudo-sciences abondent en résultats non reproductibles. Leurs réponses typiques aux critiques sont des attaques ad hominem, tout en ignorant les données négatives. Les sciences factices s'empressent de s'approprier le prestige de la science légitime quand cela leur convient, mais elles vont également s’empresser de diffamer la science lorsqu'elle rejette leurs prétentions fantaisistes. Quand ils échouent par rapport aux normes conventionnelles, les pseudo-scientifiques prétendent soudain faire partie d'un nouveau paradigme que ces lourdauds de scientifiques orthodoxes ne peuvent espérer comprendre. En fait, ce sont les pseudo-sciences qui sont lourdes et immuables. L'une de leurs caractéristiques les plus communes est le respect de textes anciens qui ne sont jamais mis à jour avec de nouvelles découvertes. Une pseudo-science est caractérisée par la stagnation, alors qu’il lui faudrait un ferment intellectuel et une modification constante par de nouvelles découvertes, comme dans les véritables domaines scientifiques. Comme Carl Sagan l'a récemment observé, la vraie science réserve ses plus grands éloges aux jeunes qui prouvent que leurs prédécesseurs avaient tort. Les pseudo-sciences rejettent ceux qui doutent de la corporation.

 

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Cet article a été révisé le 29 août 2002.

Traduction en français le 31 mai 2019 par le Dr Jacek Sierakowski.

Dernière mise à jour le 8 juin 2019.

Source: Quackwatch