Chiropraxie vétérinaire
Si vous avez un chien, un chat ou un cheval, on vous a peut-être déjà proposé des manipulations visant à “ajuster” sa colonne vertébrale. Avant de vous orienter là-dedans, il y a plusieurs choses que vous devriez savoir.
La formation chiropratique ne traite en aucun cas des animaux, et aucune partie de l’enseignement vétérinaire ne fait référence à des pratiques de physiothérapie utilisant des manipulations. Dans la plupart des états (aux États-Unis), la pratique de la chiropratique est, par définition, cantonnée aux humains (définition confirmée par une décision de la cour d’appel du Michigan en 1998.) Néanmoins, certains chiropraticiens prétendent appliquer leurs techniques aux animaux [A, B] et des vétérinaires [C] disent effectuer des ajustements chiropratiques. Un chiropraticien du Wisconsin, par exemple, déclare que « les soins chiropratiques offrent un complément naturel, sans médicament, à l’ensemble des soins de santé » et s’adressent aux chats, chiens et chevaux souffrant de : douleurs cervicales, lombaires, aux jambes ou à la queue ; syndrome du canal carpien, arthrite dégénérative, troubles discaux ; inclinaison de la tête ; blessures dues à des chutes ou glissades ; problèmes temporo-mandibulaires, difficultés à mastiquer ; syndromes douloureux ; névralgie sciatique ; changements soudains de comportement ou de personnalité ; inégalité de développement musculaire ; inégalités du bassin ou des hanches ; perte de poids due à la douleur ; ‘‘une expression faciale évoquant la douleur ou l’appréhension’’ ; et bien d’autres affections [1].
Quelques docteurs ont à la fois des diplômes de chiropratique et de vétérinaire. Il apparaît également qu’il semble y avoir de nombreux ‘‘chiropraticiens’’ destinés aux animaux, qui ne sont ni vétérinaires ni chiropraticiens, mais qui affirment avoir de l’expérience.
Sur le plan juridique, la pratique sur les animaux est réservée aux vétérinaires dans tous les états. Techniquement, des chiropraticiens peuvent travailler sur des animaux sous la supervision directe d’un vétérinaire, à la condition qu’un tel traitement soit justifié. Ce faisant, le chiropraticien exerce alors en tant que technicien vétérinaire non diplômé. De la même manière, un chiropraticien peut alors être en mesure de réaliser des prélèvements sanguins ou des radiographies sur un animal, s’il est correctement supervisé. En conséquence, toute personne qui manipule des animaux sans être vétérinaire ou sans surveillance vétérinaire directe enfreint probablement les lois en vigueur. Les procureurs généraux de près de la moitié des états ont mis en demeure le ‘‘chiropraticien des animaux’’, Daniel Kamen, D.C. de ne plus organiser de séminaires dans leur état, parce que les services qui y sont rendus constituent une pratique illégale de la médecine vétérinaire. Après que Kamen eut défié les autorités aux Nevada, le procureur général du Nevada lui a intenté un procès [2].
L’AVCA (American Veterinary Chiropractic Association) ‘‘diplôme’’ ses élèves après 150 heures de cours et propose également des cours avancés. L’idée que seulement 150 heures de cours puissent suffire pour une formation vétérinaire ou chiropratique peut sembler étrange, mais l’Association affirme que la délivrance de ce certificat n’est que le début. Sur ces rares 150 heures, des séminaires d’une journée sont consacrés aux pratiques sur les animaux. Quelles seraient les réactions si les vétérinaires commençaient à donner des cours d’une journée sur la chiropratique humaine ?
Malheureusement, de nombreux aspects non scientifiques de la chiropratique humaine sont appliqués aux animaux. Par exemple, dans un chapitre d’un manuel destiné aux vétérinaires de 1998, la fondatrice de AVCA, Sharon Willoughby, vétérinaire et chiropraticienne diplômée, a déclaré :
Les chiropraticiens identifient les subluxations de la colonne vertébrale durant l’examen clinique, puis procèdent à leur correction en ajustant spécifiquement les segments impliqués… Un ajustement est une action physique déterminée destinée à renforcer la biomécanique de la colonne vertébrale et à influencer indirectement la fonction neurologique…
Pour le vétérinaire qui comprend les éléments de la pratique holistique et la philosophie de la chiropratique, chaque patient devient un patient chiropratique possible. Chaque consultation doit inclure un examen de la colonne vertébrale et chaque protocole de traitement doit comporter un ajustement si nécessaire [3].
Certains avocats de la « chiropratique vétérinaire » affirment que les problèmes de la colonne vertébrale entraînent des troubles sur d’autres systèmes d’organes. Joyce C. Harmon, vétérinaire diplômé, se qualifiant de « vétérinaire holistique », écrit dans le manuel susmentionné :
De nombreux praticiens estiment que la colonne vertébrale ne vaut pas la peine d’être examinée sauf s’il s’agit d’un problème musculosquelettique. Cependant, chaque cellule du corps est reliée au système nerveux. Le système nerveux est donc important pour la santé de tous les systèmes organiques et un examen chiropratique est conseillé pour chaque patient…
La chiropratique est un excellent moyen de développer une pratique vétérinaire, car elle inclut des soins préventifs une fois le problème initial résolu [4].
Certains organes et cellules fonctionnent indépendamment des influx nerveux ; et il n’y a aucune raison de croire que l’ajustement de la colonne vertébrale chez l’homme ferait autre chose que de détendre les muscles spinaux. Mais, même si les théories de la subluxation étaient totalement valides, il reste évident qu’au niveau mécanique les forces exercées sur la colonne vertébrale d’un animal marchant sur quatre pattes sont différentes chez les humains, qui sont bipèdes. Ainsi, même si les théories chiropratiques étaient plausibles, une application directe aux animaux ne pourrait pas être justifiée. Par exemple, les vertèbres des chevaux ont la taille du poing d’un adulte et sont entourées de couches de muscles, de tendons, de ligaments de plusieurs centimètres d’épaisseur, il semble donc raisonnable de se demander si elles peuvent être manipulées.
Bien entendu, toutes ces préoccupations soulèvent la question de savoir si ‘‘ajuster’’ les chiens, chats ou chevaux fonctionne réellement. Aucune étude scientifique ne montre que les actions chiropratiques apportent quoi que ce soit, et ce quel que soit l’animal. On peut raisonnablement supposer que la mobilisation des membres d’un animal, le massage de ses muscles ou toute autre attention peuvent être bien reçus par un animal, mais rien ne prouve qu’une telle attention puisse améliorer la santé. En outre, aucune étude publiée ne montre comment un problème chiropratique peut être diagnostiqué chez l’animal, ni comment évaluer la réussite ou l’échec du traitement.
Il y a aussi des dangers potentiels. La manipulation chiropratique chez l’homme implique généralement des mouvements de poussée courts appliqués à des segments de la colonne vertébrale ou à des articulations spécifiques. Des chevaux ont été blessés par des manœuvres trop agressives qualifiées de “chiropratiques”. Manipuler la colonne vertébrale d’un chien avec un disque dégénératif comporte le risque de créer des dommages graves et permanents à la moelle épinière. Aucune partie de la théorie de la chiropratique ne suggère que des maillets, des marteaux ou des planches – des appareils ayant fait leur apparition dans le monde équin – devraient être utilisés. (D’ailleurs, le groupe de chiropraticiens-vétérinaires lui-même dénonce l’utilisation de tels dispositifs.) Les mouvements impressionnants qui dépassent les limites de l’amplitude de mouvement normale – par exemple, soulever la jambe arrière du cheval par-dessus son dos – sont potentiellement nocifs. Par ailleurs, aucun animal ne doit être manipulé sous tranquillisation ou anesthésie générale.
Il est facile de voir comment les propriétaires qui souhaitent le ‘‘meilleur’’ pour leur animal de compagnie pourraient être convaincus par des professionnels peu scrupuleux ou naïfs : « si les humains ont besoin d’ajustements – les animaux aussi ! ». Le lien humain-animal est fort. Cependant, il ne faut pas utiliser ce lien sous prétexte d’un ‘‘traitement’’ non validé. Il n’existe aucune preuve scientifique que les manipulations vertébrales puissent agir sur une quelconque maladie animale. La situation actuelle devrait être aussi embarrassante pour les chiropraticiens, au moins ceux qui sont éthiques et/ou scientifiques, que pour les vétérinaires éthiques et scientifiques. Malheureusement, les animaux restent muets.
L’American Veterinary Medical Association (AVMA, association sans but lucratif représentant les vétérinaires américains) a émis des lignes directrices stipulant que l’utilisation de méthodes “complémentaires” ou “alternatives” devrait être fondée sur des preuves scientifiques de sécurité et d’efficacité. La proposition qui a mené à ces bases était :
Les allégations concernant l’innocuité et l’efficacité du CAVM demandent finalement à être prouvées par la méthode scientifique. De telles preuves ne peuvent être établies que par l’étude d’une thérapie spécifique dans un contexte précis. Les vétérinaires doivent être prudents quand ils se basent sur des études réalisées sur une espèce ou dans un contexte spécifique dans d’autres contextes ou pour traiter d’autres espèces. De telles extrapolations pourraient suggérer des thérapies vétérinaires valides, mais elles ne garantissent ni leur sûreté, ni leur efficacité. Certaines contraintes, liées au manque de moyens financiers, de temps et de personnel, suggèrent que l’état actuel des connaissances scientifiques relatives au CAVM est en deçà du minimum souhaitable. Jusqu’à ce que des données valides soient disponibles, les vétérinaires doivent se méfier de la préconisation de pratiques non validées. En fin de compte, ces professionnels devraient rejeter toute pratique ou courant de pensée improuvés ou dangereux [5].
Références
- Chiropratique Kaufman (l’ancien site du Dr Julie Kaufman, indiquant qu’une référence d’un vétérinaire est requise.) Son nouveau site: Animal Holistic Care. ↑
- Ryan C. Nevada sues horse doc from Illinois. Nevada Sun, 27 décembre 1999. ↑
- Willoughby S. Chiropractic care. In Schoen AM, Wynn SG. Alternative and Complementary Veterinary Medicine : Principles and Practices. St. Louis : Mosby, 1998, pp 185-200. ↑
- Harmon JC. Incorporating holistic medicine into equine practice. In Alternative and Complementary Veterinary Medicine : Principles and Practices. St. Louis : Mosby, 1998, pp 631-647. ↑
- Lignes directrices pour la médecine vétérinaire complémentaire et alternative. ↑
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Le Dr Ramey, qui exerce désormais à Sunland, en Californie, est spécialisé en médecine et chirurgie équines. Il est membre des comités de lecture (peer-review) de plusieurs revues vétérinaires professionnelles et y a publié plus de 70 articles préconisant une médecine fondée sur les preuves et étudiant les thérapies ‘‘alternatives’’ (notamment l’acupuncture, la chiropratique, la phytothérapie, l’homéopathie, les lasers et les aimants). On compte actuellement 13 livres qu’il a consacré à la santé équine, et il poursuit la rédaction d’un blog indépendant, DoctorRamey.com, commencé en 2011, qui lui permet de partager sa passion avec le grand public. Il est membre de plusieurs groupes de travail dédiés à ces pratiques dites alternatives, à l’éthique et à la fiabilité de l’information sur la santé.
Dernière mise à jour le 24 mai 2019.
Source: Quackwatch