LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Projet N’kisi

Perroquet N’kisi

Perroquet jaco de huit ou neuf ans (Psittacus erithacus) élevé en captivité par sa maîtresse, Aimée Morgana, qui lui attribue le don de la parole. Attention, elle ne croit pas simplement qu'il répète des mots; selon elle, il utilise bel et bien la langue anglaise, ce qui en ferait un perroquet doué de raison. Par exemple, N'kisi gargouille «médicament jolie senteur» quand il veut décrire les huiles essentielles qu'Aimée emploie pour son aromathérapie.* Qui plus est, le perroquet possède un grand sens de l'humour et se montre capable de rire. Imaginez un peu les conversations que vous pourriez avoir avec un perroquet doué du sens de l'humour: toutes ces choses dont vous pourriez parler et rire, outre l'aromathérapie... Vous pourriez discuter de la gloire dont se couvrirait le propriétaire d'un volatile capable de lancer des aphorismes aussi profonds que Médicaments jolie senteur et Regarde mon joli corps tout nu.* Et vous pourriez vous moquer ensemble de tous ces méchants sceptiques qui douteraient de vous.

Vous pensez sans doute que cette histoire atteint l'extrême limite de ce qu'on peut considérer raisonnable en matière de crédibilité? Pourtant on rapporte des récits de perroquets doués de la parole depuis le XVIIe siècle au moins. John Locke, par exemple, rapporte l'histoire d'un perroquet parlant assez adroitement le portugais dans son Essai philosophique sur l'entendement humain (II.xxvii.8). Tous ces cas mettent cependant surtout en vedette l'auto-illusion, la tromperie et la naïveté plutôt que l'éloquence de la gent ailée. Prenons par exemple un extrait audio où l'on entend N'kisi, Aimée et un jouet qui «parle» quand on pousse un bouton. Écoutons d'abord sans lire la transcription. Ce qui se dit est en partie intelligible, surtout au bout de quatre ou cinq répétitions, mais suivre toute la «conversation» se révèle ardu, surtout quand Aimée emploie le jouet pour stimuler son oiseau. Une bonne partie de l'enregistrement reste du baragouin jusqu'à ce qu'on vous dise ce que vous êtes supposé entendre. Quand on écoute en lisant la transcription, quelque chose d'étonnant se passe: on entend très exactement ce qu'on lit. Comment cela se fait-il? La même chose se produit quand on écoute des enregistrements joués à l'envers. Lorsqu'on ne fait qu'écouter, sans instruction aucune, on ne comprend habituellement pas grand-chose, mais le message ressort instantanément dès que quelqu'un vous dit ou vous montre quoi entendre. Tel est le pouvoir de la suggestion et le fonctionnement de la perception auditive. L'audition est un processus constructif, tout comme la vision, en ce que de courts segments de données sensorielles sont «étoffés» par le cerveau pour produire une perception claire et distincte, mais également conforme aux attentes de l'auditeur. Voyons un peu l'extrait qui suit, tiré d'une interview avec Irene Pepperberg, grande source d'inspiration pour Morgana, qui étudie Alex, lui aussi un perroquet jaco africain, depuis de nombreuses années.

Nous effectuions des démonstrations au laboratoire média [du MIT] pour nos entreprises commanditaires. Les visiteurs voulaient voir Alex au travail, et nous n'avions que peu de temps. Nous avons donc placé un certain nombre de lettres de couleurs différentes sur le plateau que nous utilisons d'habitude, et nous l'avons posé devant Alex en demandant: «Alex, quel est le son de la couleur bleue?» Il répond: «Ssss». C'était la bonne réponse, alors nous disons, «Gentil oiseau», et il fait: «Alex veut une noix».
 
D'accord, mais je ne veux pas qu'il passe une partie de notre précieux temps à manger. Je lui dis d'attendre et lui demande: «Quel est le son de la couleur verte?» Alex répond: «Ccchh». Il a raison, c'est le son ch. «Gentil perroquet!» «Alex veut une noix.» On continue, et Alex devient de plus en plus frustré. Finalement, il me regarde par ses paupières ramenées en fente et dit: «Alex veut une noix. Nnn, ouh, ah».
 
Non seulement on pouvait l'imaginer en train de se dire: «Bande d'idiots! Est-ce qu'il faut que je vous l'épelle?», mais il avait fait un grand bond en avant et maintenant, c'était lui qui se mettait à prononcer les mots pour nous. C'était sa façon de nous dire: «Je sais bien où vous voulez en venir! Allez, grouillez-vous», ce qui nous a donné le sentiment que nous étions sur la bonne piste.*

Mme Pepperberg pense que l'oiseau répond à ses questions au lieu de simplement réagir à un stimulus. Elle pense qu'il devient de plus en plus frustré, mais un peu plus tôt durant l'interview, elle précise:

Je ne prétend pas qu'Alex possède un langage pleinement développé; jamais je ne le ferais. Jamais je ne poserai Alex sur son perchoir pour vous laisser l'interviewer comme vous le faites pour moi.

Ainsi, au lieu de lancer «une noix, sinon pour ton interview, tu feras tintin», comme le ferait n'importe quel être humain, les perroquets doivent compter sur des mouvements et des sons moins directs et plus complexes, à un point tel qu'ils doivent être interprétés pour nous par Pepperberg. D'après elle, Alex «devient de plus en plus frustré», et sa frustration le mène à lancer un regard torve, les «paupières ramenées en fente». Mais ce n'est là que l'interprétation de Pepperberg. Le «Nnn-ouh-ah» aussi. Pour ce qu'on en sait, il n'a peut-être lancé que des sons indistincts, mais Pepperberg facilite la communication avec Alex en nous disant ce qu'elle entend. Le dernier paragraphe indique qu'elle éprouve beaucoup de difficulté à faire la distinction entre imaginer ce qu'un perroquet peut penser et projeter ces idées dans les mouvements et les sons de l'oiseau. Elle éprouve aussi beaucoup de difficulté à obtenir des subventions pour sa recherche (les National Health Institutes des États-Unis ont rejeté sa demande), si bien qu'elle a lancé sa propose fondation privée, la Alex Foundation.

Quand on a mentionné pour la première fois l'existence de N'kisi dans le site BBC online, c'était dans un article d'Alex Kirby où il n'était pas question de conversations tenues avec qui que ce soit d'autre qu'Aimée Morgana. (L'histoire originale venait du USA Today du 12 février 2001.) Malgré le titre - «Un perroquet étonne les scientifiques par son éloquence» -, rien n'indiquait que la bestiole avait étonné qui que ce soit par sa conversation. Il semble bien qu'Aimée est à son perroquet ce qu'un facilitateur est pour son client dans la communication facilitée, à part le fait que le perroquet transmet effectivement des données à interpréter, et qu'il est ainsi plus près de Hans le malin, le cheval qui répondait à des mouvements inconscients de son maître, que d'un handicapé qui se trouve peut-être incapable de communiquer le moindre contenu ou la moindre directive. C'est Aimée qui plaque une intention aux sons qu'émet l'oiseau. C'est elle qui considère comme un rire ses cris, et qui voit la manifestation d'une conscience dans ses réactions, même si elles pourraient être provoquées par l'environnement immédiat ou des stimuli conscient ou inconscient durant la «conversation». Jane Goodall, grande spécialiste des chimpanzés, n'en a pas moins déclaré, après sa rencontre avec N'kisi, qu'il constituait «un extraordinaire exemple de communication entre les espèces». Il y a de nombreuses preuves, toutefois, qu'une bonne partie des études menées auprès de primates utilisant un langage confondent la validation subjective venant des chercheurs et les supposées habiletés linguistiques complexes de leurs sujets animaux (Wallman 1992).

Selon M. Kirby, non seulement N'kisi possède des habiletés langagières, mais il a passé les épreuves de télépathie auxquelles on l'a soumis les deux doigts dans le nez:

Au cours d'un test, l'oiseau et son propriétaire ont été filmés dans des pièces différentes, tandis que Morgana ouvrait différentes enveloppes contenant des images.
 
Une analyse a montré que le perroquet employait des mots-clés appropriés trois fois plus souvent qu'il ne l'aurait fait au hasard.

Kirby ne donnant aucun détail au sujet de l'expérience, le lecteur moyen pourrait en conclure que l'oiseau a obtenu des résultats environ deux fois supérieurs aux participants des expériences de télépathie ganzfeld. Dans ces expériences, des sujets placés dans des pièces différentes étaient suivis pendant qu'ils essayaient de transmettre par télépathie de l'information au sujet d'une photo ou d'une vidéo. De façon typique, les probabilités de simplement deviner quelle était la bonne image étaient de 20 %, mais certaines méta-analyses ont signalé des résultats aussi élevés que 38 %. Si le perroquet a obtenu des résultats trois fois supérieurs, il a vu juste à 60 %. Les probabilités qu'un perroquet bafouille au hasard des mots en relation avec les images qu'un transmetteur regarde au même moment dans une autre pièce 60 % du temps sont quasi impossibles. Cependant, comme on pourrait s'y attendre, l'affirmation de Kirby est quelque peu trompeuse.

On doit présumer, ici, que le journaliste écrivait à propos d'une expérience faite dans le cadre du projet N'kisi, une entreprise commune de Morgana et de Rupert Sheldrake visant à tester non seulement les capacités langagières du perroquet, mais aussi ses aptitudes de télépathe. Sheldrake, qui a déjà validé les capacités télépathiques d'un chien, pense que «les données [de l'expérience] entérinent l'hypothèse que N'kisi réagit télépathiquement à l'activité mentale d'Aimée».*

L'étude complète de Sheldrake a été présentée par une publication approuvée par des pairs, le Journal of Scientific Exploration, et on peut la trouver en ligne. Le titre de l'article a de quoi faire hurler de rire: «Mise à l'épreuve des aptitudes de télépathe d'un perroquet doué du langage». Heureusement pour Sheldrake et ses collègues, il y aura toujours un éditeur assez sympathique pour accepter une nouvelle histoire semblable à celle de J.B. Rhine et la jument télépathe, «Lady Wonder». À tout le moins, le protocole de Sheldrake, contrairement à ceux de Rhine, comportait un certain degré de raffinement. Malgré tout, les commentaires de l'éditeur étaient assez clairs: «Encore une fois, nous nous retrouvons avec des résultats évocateurs, un niveau de signification statistique qui est loin d'être clair, et le vœu habituel que des travaux additionnels, mettant en œuvre des protocoles encore plus précis, suivront».* Il faut donc faire preuve de patience et attendre de voir si de nouvelles études corroboreront l'hypothèse de la télépathie.

Quoi qu'il en soit, voici comment Sheldrake a conçu son expérience. Il a compilé une liste de 30 termes «pouvant être représentés à l'aide d'images» tirés du vocabulaire de l'oiseau. Un ensemble de 167 photos venant d'un fournisseur a été employé pour le test. Comme seulement 20 des photos correspondaient aux mots sur la liste, celle-ci a été ramenée à 20 mots. Le mot «caméra» en a aussi été retiré parce que N'kisi «l'utilisait fréquemment en présence des caméras qui filmaient le test même». Autrement dit, la liste ne comptait que 19 mots.

Durant les tests, N'kisi est demeuré en cage dans l'appartement d'Aimée à Manhattan, seul dans sa pièce. Pendant ce temps, Aimée se trouvait dans une pièce fermée, à un étage différent, où N'kisi ne pouvait la voir ni l'entendre, et d'ailleurs, Aimée n'a pas dit un mot, comme le confirme la bande audio de la caméra qui l'a filmée en continu. La distance entre Aimée et N'kisi était d'une quinzaine de mètres. Aimée pouvait entendre N'kisi grâce à un microphone placé dans la pièce de l'animal; elle s'en servait pour obtenir une certaine «rétroaction» qui l'aidait à modifier son état mental à titre d'émetteur.
 
Durant les tests, autant Aimée que son oiseau de compagnie étaient filmés en continu, sans interruption, par deux caméras synchronisées montées sur trépied mesurant ensemble la durée de l'enregistrement. N'kisi était également enregistré en continu par une enregistreuse audio distincte (Sheldrake et Morgana 2003).

Selon Sheldrake:

Nous avons mené un total de 147 essais de deux minutes. Les enregistrements de N'kisi durant ces essais ont été transcrits en aveugle par trois personnes indépendantes... Il a obtenu 23 bonnes réponses: les mots-clés qu'il a dit correspondait aux images cibles... On comptait une erreur si N'kisi prononçait un mot-clé qui ne correspondait pas à la photographie, et une bonne réponse s'il disait un mot-clé correspondant à la photographie (Sheldrake et Morgana 2003).

Toutefois, soixante des essais ont été rejetés parce qu'à ces moments-là, ou bien N'kisi est demeuré silencieux, ou bien a lancé des sons qui ne formaient pas des mots-clés. Autrement dit, durant ces essais, il n'a montré aucun signe de télépathie. Quelques autres essais ont été rejetés également parce que les personnes qui s'occupaient de la transcription n'étaient pas d'accord entre elles sur ce que N'kisi avait dit. Les conclusions statistiques de Sheldrake sont donc fondées sur les résultats de 71 des essais. Laissons au lecteur le soin de décider s'il était approprié d'omettre 40 % des données parce que le perroquet n'a pas dit de mot figurant sur la liste des mots-clés pendant les essais en question. Certains seront d'avis qu'il faut compter ces essais comme des erreurs, et qu'en laissant ces données de côté, alors que l'animal ne donnait clairement aucun signe de télépathie, Sheldrake montre qu'il est plus intéressé à confirmer ses biais qu'à en arriver à la vérité.

Le rapport de recherche précise que N'kisi a commis 94 erreurs. Dix des 23 bonnes réponses portaient sur l'image correspondant au mot «fleur», que N'kisi a prononcé 23 fois au cours des essais. Cette image, choisie au hasard, a été employé durant 17 des essais. Celle qui correspondait à de l'eau a été utilisé durant 10 des essais. L'oiseau a dit «eau» dans douze des essais et à obtenu deux bonnes réponses. Il semble étrangement biaisé que presque le tiers des images et plus de la moitié des bonnes réponses ne sont venues que de deux des dix-neuf images.

L'un des experts qui a examiné les résultats pensait que le mot fleur et l'image correspondante avaient pesé si lourd dans l'ensemble des résultats qu'ils s'en trouvaient faussés, et qu'il ne fallait donc pas publier l'étude. L'autre expert, cependant, partageait l'avis de Sheldrake, à savoir que même si l'on rejetait les données sur la fleur, on n'en obtenait pas moins une espèce de signification statistique. Peut-être, mais comme l'oiseau était censé posséder un vocabulaire de 950 mots au moment des tests, laisser de côté les essais où l'oiseau n'a rien dit ou a prononcé des mots ne figurant pas sur la liste des mots-clés est injustifiable. En outre, rien n'indique qu'il est raisonnable de penser que lorsque le perroquet se trouve seul et qu'il parle, il tente de communiquer de façon télépathique avec Morgana. À moins qu'il faille penser, avec Sheldrake, que l'oiseau ne fait de la télépathie par à-coups, et qu'il ne la pratiquait que quand il prononçait des mots sur la liste? Cette idée n'est pas plus valide que la croyance de Morgana, qui affirme que la télépathie ne fonctionne pas aussi bien que d'habitude quand elle s'efforce de transmettre un message à son perroquet. Quoi qu'il en soit, on peut se demander pourquoi Sheldrake n'a pas d'abord mené une étude de base, où l'on aurait filmé le perroquet pendant des périodes de deux minutes, tandis que Morgana prend un bain aux huiles essentielles ou médite, ou s'occupe à des tâches sans relation aucune avec les mots-clés et les images. Après avoir filmé plusieurs centaines de ces vidéos, il aurait pu en choisir au hasard 71, qu'il aurait comparé ensuite au 71 essais qu'il a employés pour son analyse. L'absence de différence importante entre les extraits choisis au hasard et ceux des tests aurait infirmé l'hypothèse de la télépathie. Au contraire, une différence statistique robuste y aurait apporté une certaine confirmation. Pourquoi ne fait-il pas quelque chose du genre quand il tentera de reprendre les tests?

Durant certains des essais, il est arrivé que N'kisi répète un mot-clé donné. Par exemple, pendant l'un d'eux, N'kisi a répété «téléphone» trois fois; dans un autre, «fleur» dix fois, et dans la tabulation des données, le nombre de fois qu'il a dit ces mots figurait entre parenthèses, par exemple: téléphone (3); fleur (10). Pour la majeure partie des analyses statistiques, on n'a pas tenu compte des répétitions, mais dans l'une d'elles, le nombre des mots répétés a été comparé statistiquement aux mots qui n'ont été dits qu'une fois, tant pour les bonnes que pour les mauvaises réponses. Pour chaque essai, le mot-clé ou les mots représentés par la photographie ont été totalisés. Certaines images ne renvoyaient qu'à un mot-clé, mais d'autres renvoyaient à deux mots-clés ou plus. Par exemple, l'image d'un couple enlacé dans une piscine comptait pour deux mots, «eau» et «câlin» (Sheldrake et Morgana 2003).

En incluant les répétitions, il a comptabilisé 51 bonnes réponses et 126 mauvaises. Inutile d'aller plus en détail; le tableau d'ensemble devrait être assez clair, maintenant. Une fois que les statisticiens se sont penchés sur les chiffres, ils ont fini par en tirer une forme de corroboration de l'hypothèse de la télépathie, mais nulle part dans le rapport de Sheldrake peut-on voir que le perroquet a obtenu des résultats trois fois supérieurs au hasard. En fin de compte, il faut être d'accord avec l'éditeur du périodique qui a publié les données de Sheldrake: les résultats présentent une signification statistique très peu évidente. Contrairement à lui, cependant, il faut plutôt souhaiter que lorsqu'on va continuer d'en produire de semblables, les journalistes responsables vont continuer de n'y voir que les bêtises qu'elles sont. D'un autre côté, si vous croyez que votre perroquet possède des pouvoirs mentaux spéciaux, envoyez quelques lignes à Sheldrake. Il a créé une page web spécialement pour vous.

Sheldrake a répondu au présent article. On trouvera ses commentaires et ceux de l'auteur ici (en anglais).

Dernière mise à jour le 24 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary