LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Agriculture biologique

 Nota: La présente entrée ne traite ni d’animaux ni de produits animaux.

«Je vais vivre jusqu'à 100 ans, à moins de me faire écraser par un chauffeur de taxi rendu fou par le sucre.»
 
J.I. Rodale, l'un des pères du mouvement de l'agriculture biologique, mort d'une crise cardiaque à l'âge de 72 ans pendant qu'il enregistrait une émission à la télé, peu après avoir annoncé qu'il avait décidé de devenir centenaire et qu'il ne s'était jamais senti mieux de toute sa vie. On n'a jamais diffusé l'émission. [Pour ceux qui pensent qu'il s'agit d'un coup bas, c'est là le genre d'optimisme délirant que l'on retrouve souvent chez les défenseurs du tout bio].
 

Forme d'agriculture regroupant un ensemble de techniques fondées sur des croyances antiscientifiques, des mythes et des superstitions.

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L'une des principales croyances de groupes comme l'International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM) et la Soil Association des États-Unis, qui s'opposent à l'agriculture conventionnelle en faveur de l'agriculture biologique, c'est que les pesticides et fertilisants sont si nocifs qu'il faut absolument les éviter, à moins qu'ils ne soient «naturels». Cette croyance est contredite par la vaste majorité des études scientifiques effectuées sur le sujet (Morris and Bate 1999; Taverne 2006; étude de la NCPA). Le Département de l'agriculture des États-Unis (le USDA) a créé une série de normes nationales auxquelles doivent se conformer les aliments étiquetés «biologiques», qu'ils soient cultivés aux États-Unis ou importés. «Le USDA ne prend pas la position que les aliments de production biologique sont plus sûrs ni plus nourrissants que les aliments de production conventionnelle. Les aliments biologiques diffèrent des aliments conventionnels par la façon dont ils sont produits, manutentionnés et traités.»*

La contamination bactérienne produite par les fertilisants naturels est beaucoup plus susceptible de créer des problèmes (Stossel 2005, p. 194). En effet, la bactérie la plus dangereuse de tous les systèmes d'approvisionnement alimentaire des États-Unis est la E. coli, que l'on retrouve en abondance dans le fumier de bovins, fertilisant « naturel » favori de l'agriculture biologique.

Les résidus de pesticides, naturels ou synthétiques, que l'on retrouve sur la nourriture sont peu susceptibles de nuire aux consommateurs car ils ne sont présents qu'en infimes quantités.* (On ne doit pas en conclure que ces deux types de pesticides sont sans danger pour ceux qui les manipulent et qui sont exposées à de grandes quantités de façon régulière. Il est question ici de résidus, que l'on retrouve sur les fruits et les légumes que nous achetons au marché ou en magasin.) Employer des moyens de lutte biologique naturels plutôt que des pesticides synthétiques présente davantage de danger pour l'environnement (Morris and Bate 1999). Les résidus de pesticides produits par les plantes elles-mêmes ou laissés par les agriculteurs biologiques sont beaucoup plus importants que les quantités de résidus de pesticides synthétiques. Presque tous les pesticides que nous ingérons avec nos aliments sont produits de façon naturelle par des plantes qui se défendent ainsi contre les insectes, les champignons et les animaux prédateurs (Ames et Gold 1997). Autrement dit, manger des fruits et des légumes frais est bon pour la santé, qu'ils soient biologiques ou non.

Plus de 30 études distinctes portant sur environ 500 000 personnes ont montré que les agriculteurs, minotiers, utilisateurs de pesticides et travailleurs forestiers, tous exposés au cours de leur travail à des niveaux de pesticides plus élevés que le public en général, présentent en moyenne des taux de cancer moins élevés (Taverne 2006, p. 73).

Des groupes comme IFOAM disent des pesticides de synthèse qu’ils sont «toxiques», même si les quantités que le consommateur retrouve dans ses produits sont toujours négligeables et sans danger. De nombreuses substances toxiques se retrouvent naturellement dans la nourriture, l’arsenic dans les amandes crues, par exemple, mais dans ses doses si faibles qu’il n’y a aucun lieu de s’en soucier. Dans le site Web d’IFOAM, on peut lire:

Bien qu’IFOAM n’ait aucune position officielle sur la qualité des aliments biologiques, il est facile de conclure que la valeur nutritionnelle et l’effet favorable sur la santé des produits se trouve compromise par des méthodes agricoles qui utilisent des fertilisants de synthèse et des pesticides toxiques.

Il est facile de le conclure, en effet, tant qu’on ne tient pas compte des données scientifiques disponibles.

Les preuves de la supériorité des aliments bio sont surtout de nature anecdotique, et se fondent davantage sur des suppositions irrationnelles et du vent que sur des faits scientifiques. Il n’y a aucune différence significative entre une molécule naturelle et une molécule créée en laboratoire. Être naturelle et biologique ne rend pas une substance sûre* , pas plus qu’être synthétique ne la rend dangereuse. Les aliments biologiques n’offrent aucune protection spéciale contre le cancer ni aucune autre maladie. Les aliments bio ne sont pas plus «sains» que ceux que produit l’agriculture conventionnelle, qui emploie des pesticides et herbicides de synthèse. Il n’y a pas grand preuves scientifiques que les consommateurs peuvent trouver une différence de goût entre des aliments bio et des produits de l’agriculture conventionnelle. La seule chose vérifiable, c’est que plus un produit est frais, meilleur est son goût. Les aliments bio qui doivent parcourir des milliers de kilomètres pour arriver au consommateur sont généralement inférieurs aux mêmes produits venant de l’agriculteur local, biologique ou pas.

Y a-t-il une différence entre les fruits et légumes bio et leur version conventionnelle? Selon un rapport scientifique, il y en a plusieurs:

Les différentes études et expériences scientifiques que nous avons examinées nous permettent de conclure qu’il y a d’importantes différences entre les fruits et légumes conventionnels et biologiques. Ils diffèrent par leur méthode de production, leur étiquetage, leur mise en marché, leur prix et probablement d’autres paramètres.

Pas besoin d’études scientifiques pour apprendre la différence dans les méthodes de production. Quiconque a déjà fait l’épicerie sait qu’on paie beaucoup plus cher pour les produits étiquetés «bio». La mise en marché des aliments bio table sur le vieux mythe que «bio» signifie plus sûr, plus sain et plus savoureux. L’effet est imparable; même Wal-Mart s’est mis de la partie. «Les aliments bio ne représentent que 2,4 % de la production totale de l’industrie, mais cette part croît d’au moins 15 % par année depuis 10 ans. D’une valeur estimée actuellement à 14 milliards de dollars, l’agriculture bio devrait atteindre la valeur de 23 milliards au cours des trois prochaines années, quoique ce chiffre pourrait augmenter encore davantage grâce au coup de pouce de Wal-Mart.»* Les marchés européens sont également en pleine croissance.*

Dans la recherche mentionnée précédemment, on n’a trouvé, dans les différentes études scientifiques, qu’une seule différence, du point de vue nutritionnel, entre les aliments bio et conventionnels: les premiers contiennent davantage de vitamine C.

La façon dont les médias traitent les questions «vertes» explique en partie pourquoi le mythe de la supériorité des aliments bio est si tenace. En voici un exemple, qui provient de BBC News:

La pomiculture bio n’est pas seulement meilleure pour l’environnement que sa version conventionnelle, mais elle produit également des fruits d’un goût supérieur, déclarent des scientifiques américains.

Leur étude fait partie des premières à montrer de façon scientifique que l’agriculture biologique constitue véritablement un meilleur choix.

Les chercheurs ont établi que la culture bio constituait une pratique plus viable que les activités agricoles conventionnelle ou même intégrée, dans laquelle on limite l’utilisation de produits chimiques.

Les scientifiques de l’Université Washington State de Pullman ont découvert que des jurys de dégustation amateurs trouvaient les pommes bio plus sucrées.

Selon eux: «L’escalade de coûts de production, une forte dépendance sur des ressources non renouvelables, une réduction de la diversité biologique, la contamination des eaux, la présence de résidus chimiques dans les aliments, la dégradation des sols et les risques pour la santé des travailleurs agricoles qui utilisent des pesticides remettent en question la viabilité des systèmes d’agriculture conventionnels».

La nouvelle était intitulée: Les pommes bio réjouissent les papilles gustatives.

La plupart des lecteurs se sont sans doute arrêtés au bout de cinq paragraphes vantant les mérites de l’agriculture biologique et énumérant les problèmes auxquels doivent faire face les agriculteurs conventionnels, mais ceux qui ont persévéré ont pu lire également que

...les systèmes d’agriculture bio sont «moins efficaces, posent de plus grands risques pour la santé et produisent moitié moins que les systèmes conventionnels».
 
...les tests «n’ont permis d’établir aucune différence entre les pommes bio, conventionnelles et intégrées quant à leur texture ou leur acceptation par le public».
 
...les agriculteurs dont les pratiques sont plus viables pourraient se voir incapables de conserver leur rentabilité sans incitatifs économiques tels que des prix plus élevés ou des subventions aux produits biologiques ou intégrés.

Apparemment, la mesure employée pour déterminer que l’agriculture biologique était «meilleure pour l’environnement» se fondait sur les propriétés physique, chimique et biologique du sol. Les scientifiques ont créé leur propre indice et ont découvert que les sols bio étaient meilleurs grâce à l’ajout de compost et de paillage. Certes, certaines fermes bio emploient des méthodes de compostage et de paillage qui améliorent les conditions de croissance, mais en agriculture conventionnelle, on peut utiliser des méthodes semblables pour en arriver aux mêmes résultats. Enfin, on retrouve des agriculteurs bio dont les méthodes de compostage et de paillage qui ne font qu’accroître les risques d’infections bactériennes. Seul un journaliste ou un scientifique «vert» peut trouver supérieur à l’agriculture conventionnelle des pratiques moins efficaces, qui présentent de plus grands risques pour la santé, sans donner la moindre différence de texture ou d’apparence, tout en produisant moitié moins que les méthodes conventionnelles.

logo agriculture bio

Voyons un autre exemple de la façon dont les médias et des scientifiques aux motifs cachés déforment les résultats d’études comparant les pratiques agricoles conventionnelles et biologiques. En 2003, Alyson Mitchell, Ph.D., scientifique en produits alimentaires de l’Université de Californie à Davis, a cosigné une recherche portant le titre impressionnant de «Comparaison du contenu total d’acide phénolique et ascorbique de mûres de Marion, de fraises et de grains de maïs lyophilisés et séchés à l’air issus de pratiques agricoles conventionnelles, biologiques et durables». Après sa parution dans le Journal of Agricultural and Food Chemistry, publication évaluée par des membres de l’American Chemical Society, l’article a reçu un accueil enthousiaste de la part de journalistes «verts», qui ont proclamé que d’après l’étude, les aliments biologiques possédaient des niveaux significativement plus élevés d’antioxydants que les aliments conventionnels. (On trouvera des exemples d’articles de presse élogieux ici, ici et ici.) La recherche scientifique montre assez clairement que les régimes riches en antioxydants entraînent une baisse significative des taux de cancer.

L’étude comparait les métabolites phénoliques et l’acide ascorbique pour deux cultures seulement, les mûres de Marion et le maïs. Dans les deux cas, ont les avait fait pousser de façon conventionnelle et biologique dans diverses exploitations agricoles. Les baies biologiques venaient de terres sur lesquelles on faisait pousser des baies depuis quatre ans; les baies conventionnelles venaient de terres sur lesquelles on faisait pousser des baies depuis 21 à 22 ans. Les sols d’où venaient les produits différaient entre eux. Les produits bio avaient poussé dans une «terre franche argileuse», les produits conventionnels, dans un «loam de Ritzville sablonneux». Le sol qui avait servi au maïs conventionnel avait auparavant servi pour du blé; le sol du maïs bio avait été employé pour des haricots verts. La ferme conventionnelle employait de l’eau du puits, la ferme bio, une combinaison d’eau du puits et d’eau de rivière. (Je ne mentionne pas les fraises qui figurent dans le titre, car on n’a pas testé de fraises bio.) Comme on peut le voir par le titre de l’article, les métabolites mesurés ne venaient pas de baies ou de grains de maïs frais, mais d’échantillons qui avaient été lyophilisés ou séchés à l’air. On n’en fait pas mention dans le titre, mais les scientifiques ont également comparé des échantillons qui avaient été simplement congelés.

Les données fournies par les auteurs dans leur étude montrent clairement qu’il n’y avait pas assez d’acide ascorbique mesurable dans les échantillons de mûres de Marion pour qu’on puisse comparer les bio aux conventionnelles. Comme on l’a déjà mentionné, aucune fraise bio n’avait été étudiée. Il n’y avait pas assez d’acide ascorbique dans le maïs lyophilisé ou séché à l’air à des fins de comparaison. Par conséquent, les seules données sur l’acide ascorbique viennent du maïs congelé. Le maïs bio présentait une valeur de 3,2, et le maïs conventionnel, une valeur 2,1. Le lecteur peut se référer à l’étude même pour savoir ce que ces chiffres représentent, mais en aucun cas ils ne méritent la conclusion tirée par les auteurs de l’étude: «Les niveaux d’acide ascorbique des échantillons... d’origine biologique étaient constamment plus élevés que les niveaux des produits issus de l’agriculture conventionnelle».

L’étude comparait aussi ce qu’on y appelle «les pratiques agricoles durables» aux pratiques conventionnelles et biologiques. Ces pratiques durables incluaient l’utilisation de fertilisants synthétiques. «Nos résultats indiquent», écrit l’auteur, «que les phénoliques totaux étaient les plus élevés dans les cultures obtenues par des méthodes agricoles renouvelables par rapport à celles qu’on avait obtenues par des méthodes biologiques.» Selon les journaux, le Dr Mitchell déclare que son étude «aide à mieux comprendre pourquoi le niveau d’antioxydants est beaucoup plus élevé dans les produits issus de l’agriculture biologique». Pourtant, son étude montre de façon claire que les preuves à ce sujet ne sont qu’anecdotiques. En fait, l’auteur déclare au sujet des études comparatives qui ont été effectuées:

Ces données démontrent qu’il y a des différences erratiques dans la qualité nutritionnelle des légumes de production conventionnelle et biologique, à l’exception de ce qui a trait aux nitrates et à l’acide ascorbique.

S’il y a une chose que ces champions du bio font bien, c’est transformer les matériaux vils en or. Dans une autre étude menée par Mitchell, on voit que les tomates bio présentent «des niveaux statistiquement plus élevés (P ‹ 0,05) de quercétine et d’aglycones de kaempferol» que les tomates conventionnelles. L’augmentation de ces flavonoïdes correspond «à des taux réduits d’application de fumier une fois que les sols des systèmes biologiques ont atteint des niveaux d’équilibre de matières organiques». En fait, l’étude laisse entendre que c’est l’azote «dans les systèmes biologiques et conventionnels qui possède la plus grande influence sur ces différences». Selon les auteurs, «la fertilisation excessive (conventionnelle ou biologique) pourrait réduire les avantages pour la santé qu’on peut tirer des tomates». L’argument veut que la production de flavonoïdes constitue une réaction défensive de la part des plantes, et l’une des choses contre lesquelles elles réagissent, c’est la quantité d’azote dans le sol. Quoi qu’il en soit, l’idée maîtresse de cette étude et d’autres travaux semblables, c’est qu’on peut manipuler les produits biologiques et conventionnels afin d’en tirer des niveaux plus élevés d’antioxydants. Au moins une étude a découvert que «les produits issus de l’agriculture biologique présentent une activité totale et une bioactivité d’antioxydants plus élevée que les aliments conventionnels».* L’étude, toutefois, ne portait que sur 10 Italiens âgés de 30 à 65 ans.

On ne peut que rester sceptique face aux études qui affirment avoir découvert que les aliments biologiques sont plus nourrissants et sains que les fruits et légumes conventionnels. Pour l’instant, il n’y a aucun ensemble de données véritablement concluantes corroborant l’hypothèse que les fruits et légumes bio sont supérieurs aux produits conventionnels. Pour les tenants du bio, le meilleur scénario serait que pour obtenir les éléments nutritifs recommandés à partir de cinq portions par jour de fruits et de légumes, il faudrait consommer quatre ou cinq fraises conventionnelles de plus, ou deux ou trois mini carottes de plus que les fruits ou légumes bio correspondants pour obtenir la même quantité de vitamines, de minéraux et d’antioxydants, mais il n’est pas sûr que les données actuelles permettent de soutenir même une position aussi faible.

La dernière enquête nationale sur la diète et la nutrition montre que la consommation moyenne de fruits et de légumes chez les adultes âgés de 19 à 64 ans vivant dans des ménages privés de Grande-Bretagne est inférieure à trois portions par jour. [La plupart des Américains n’obtiennent que trois portions de fruits et de légumes par jour, compte non tenu des pommes de terre.*] Dans l’ensemble, seulement 13 % des hommes et 15 % des femmes consomment cinq portions ou plus de fruits et de légumes quotidiennement. Cette consommation tend à être plus faible chez les jeunes adultes, les enfants, et les personnes à faible revenu. Par exemple, dans l’enquête, les jeunes hommes ne consommaient en moyenne que 1,3 portions par jour, comparativement à 3,6 portions par jour chez le groupe d’hommes plus âgés.*

Petite histoire du bio

La première fois qu’on a largement utilisé le terme «organic», l’équivalent anglais de «biologique», aux États-Unis, c’était sous la plume de J.I. Rodale, fondateur de la maison d’édition Rodale Press, dans les années 1950. «Rodale ne put convaincre les scientifiques de la validité de son approche parce qu’il s’appuyait sur des affirmations à propos des avantages de l’agriculture biologique qu’on a jugées parfaitement non scientifiques.»*

Selon les normes relatives aux aliments biologiques du USDA:

Les aliments biologiques sont produits sans recours à la plupart des pesticides conventionnels, aux fertilisants fabriqués à partir d’ingrédients synthétiques ou aux boues d’épuration, au génie biologique ni aux radiations ionisantes.

Ces normes reprennent l’essentiel de la mythologie du biologique:

  1. Il faut éviter l’usage des pesticides conventionnels.
  2. Il faut éviter l’usage des fertilisants synthétiques.
  3. On ne doit pas modifier les aliments génétiquement.
  4. On ne doit pas soumettre les aliments aux radiations ionisantes.
USDA Organic logo

La mention des boues d’épuration figure dans les normes parce que certains agriculteurs bio suivent la «loi du retour» proposée par Sir Albert Howard (1873-1947), un des fondateurs et pionniers du mouvement biologique. Il préconisait le recyclage de tous les déchets, y compris les boues d’épuration au sein du compost des exploitations agricoles. La pratique consistant à ajouter des matières fécales humaines et animales aux sols est très ancienne, et subsiste encore dans de nombreuses sociétés. Le fait que ces cultures ont développé une telle pratique sans les connaissances modernes qu’on possède sur les bactéries ou les métaux lourds est souligné à grands traits par ceux qui s’accrochent à l’idée romantique que la vie à la ferme d’autrefois était idyllique, alors que l’espérance de vie d’alors n’atteignait que la moitié de celle d’aujourd’hui.

Rudolf Steiner, créateur de cet ensemble de pratiques superstitieuses connues sous le nom d’agriculture biodynamique, préconisait aussi l’utilisation de fumier comme fertilisant, pourvu qu’il soit préparé selon une formule magique fondée sur la croyance que des forces cosmiques pénétraient les animaux par leurs cornes. Steiner aussi avait une vision ultra romantique de l’agriculture. À propos de paysans brassant un tas de fumier, il écrit: «J’ai toujours été d’avis... que la supposée bêtise ou l’idiotie [des paysans] est en fait sagesse aux yeux de Dieu, c’est-à-dire aux yeux de l’Esprit. J’ai toujours trouvé que ce que les paysans disaient relativement à leur propre vie était bien plus sage que ce qu’en pensaient les scientifiques».* Steiner a prononcé des conférences sur l’agriculture, mais sans jamais avoir effectué de recherche scientifique pour mettre ses idées à l’épreuve.

Au centre de ces conférences se trouvait le concept d’«individualisation» de la ferme, qu’on obtenait en y introduisant très peu d’éléments extérieurs, sinon aucun, tout en produisant l’ensemble de ce qui est nécessaire, comme le fumier ou les aliments des bêtes, au sein de ce qu’il appelait l’«organisme agricole». D’autres aspects de l’agriculture biodynamique inspirés par les conférences de Steiner incluent la synchronisation des activités agricoles avec les phases de la lune et les mouvements des planètes, ainsi que l’application de «préparations», qui consistent en des matières naturelles traitées de façon précise, au sol, au compost et aux plantes, dans l’intention de se gagner la sympathie des êtres non physiques et des forces élémentaires. Dans ses conférences, Steiner encourageait ses auditeurs à vérifier scientifiquement le bien-fondé de ses suggestions, ce qu’il n’avait pas encore fait lui-même.*

Steiner s’opposait à l’utilisation des pesticides et fertilisants de synthèse, non pour des raisons scientifiques, mais spirituelles. Il affirmait que «toute l’approche chimique de l’agriculture comportait des insuffisances du point de vue spirituel».* Il se faisait une idée mystique de la ferme, en tant qu’organisme, en tant que «système fermé se nourrissant de façon autonome».*

Laissons tomber la bouse et passons à autre chose. Nous avons déjà examiné la question des pesticides et des fertilisants, qu’en est-il des organismes modifiés génétiquement (OGM) et des radiations ionisantes? Y a-t-il des preuves solides que de telles pratiques doivent être évitées? Non. Pourtant, le public craint les deux, en partie en raison des avertissements hystériques lancés par des organismes comme Friends of the Earth, (les Amis de la Terre), qui déclarait dans son site web:

Le génie génétique est imprécis et imprévisible. En insérant des gènes venant d’organismes qui n’ont jamais été consommés comme nourriture, on introduit de nouvelles protéines dans les chaînes alimentaires humaine et animale. On craint que de telles pratiques puissent causer des réactions allergiques ou d’autres effets nocifs pour la santé. En 1996, par exemple, Pioneer Hi-Bred International Inc. (un semencier appartenant maintenant à DuPont) a créé une fève de soja OGM en utilisant un gène provenant de la noix du Brésil afin d’accroître le contenu protéinique de sa nourriture pour les animaux. Des tests indépendants ont révélé que les personnes allergiques aux noix du Brésil réagissaient à la fève de soja modifiée génétiquement.
 
Les scientifiques sont incapables de prévoir si une protéine donnée deviendra un allergène alimentaire une fois ingéré par des êtres humains. Les aliments OGM constituent donc un risque majeur pour la santé humaine.

Gare aux nouvelles protéines! Ce que les Amis de la Terre ne disent pas, c’est que tous les OGM font l’objet de tests de détection d’allergènes et de toxines rigoureux avant qu’on les autorise. La noix du Brésil regorge d’éléments nutritifs, et le nouveau gène pourrait donner une excellente source d’aliments abordable pour les consommateurs des pays pauvres. Une petite entreprise en biotechnologie a étudié la possibilité de transférer le gène, mais a abandonné l’idée lorsque des scientifiques ont fait valoir qu’il était «peu avisé de transférer le gène d’une noix aux propriétés allergiques connues dans d’autres aliments». Plus tard, Pioneer Hi-Bred a fait revivre le projet pour de la nourriture animale, a testé le produit pour savoir s’il pouvait provoquer des réactions allergiques chez l’être humain, a publié ses résultats et a abandonné le projet (Taverne 2006, p. 112). Les Amis de la Terre ont tort de dire que le génie génétique est imprécis et imprévisible. Le processus scientifique à l’œuvre dans le cas précédent était très rigoureux. Si des tests sont effectués, c’est pour découvrir des effets possibles. Si tout était prévisible, on pourrait très bien s’en passer! Le seul risque majeur est ici couru par l’entreprise qui consacre des fonds à la recherche. Si jamais le produit auquel elle planche se révèle allergène, il ne sera pas développé.

Les Amis de la Terre affirment également

Beaucoup d’aliments modifiés génétiquement contiennent des gènes qui produisent une résistance aux antibiotiques les plus couramment employés. On utilise ces gènes comme «marqueurs» pour montrer quelles cellules ont reçu les nouveaux gènes. Même si leur utilité s’arrête là, ils demeurant au sein des tissus de la plante.
 
La présence de gènes antibiotiques dans les aliments présente un risque pour la santé. Ces gènes pourraient passer dans des bactéries intestinales humaines et animales et rendre les antibiotiques inefficaces en cas de maladie. Un tel scénario aurait des conséquences graves, car des hôpitaux signalent déjà des incidents mettant en jeu des bactéries résistantes aux antibiotiques.

La crainte que des gènes résistants aux antibiotiques passent d’aliments OGM à nos intestins et y rendent les antibiotiques inefficaces n’est fondée sur aucune preuve scientifique (Taverne 2006, p. 111-112). (Voir tout spécialement ici, ainsi que «GM foods – a case for resistance».) Il n’empêche que cette appréhension, même lointaine, a mené plusieurs groupes scientifiques à recommander que de tels marqueurs soient graduellement abandonnés (Taverne, p. 112).

Enfin, les Amis de la Terre affirment

Le génie génétique pourrait également rendre certains aliments toxiques. Les généticiens ne décident pas vraiment où est inséré un gène ni combien d’exemplaires de ce gène sont insérés dans l’organisme receveur. Modifier des organismes au niveau génétique peut changer la composition chimique de végétaux et d’aliments. Des telles modifications – difficiles à prédire pour les scientifiques – pourraient susciter une toxicité inattendue dans le nouvel organisme.

En fait, le génie génétique fait en sorte que les scientifiques savent quel gène est inséré dans les plantes, et leur recherche se fonde sur des connaissances qui leur donnent à penser qu’ils pourront obtenir le résultat visé. Les modifications génétiques des plantes résultant des radiations naturelles des rayons cosmiques, ou de semences par irradiation, sont bel et bien imprévisibles, mais la décision, par exemple, d’introduire un gène de la bactérie Bt dans le coton n’a pas été prise au hasard, et le résultat, une variété de coton qui n’a pas besoin de pesticide, a vu le jour conformément aux plans. Les résultats ont été rien moins qu’extraordinaires.* Encore là, les Amis de la Terre ne mentionnent pas que tous les végétaux génétiquement modifiés sont soumis à des tests rigoureux avant qu'on puisse en approuver l'utilisation générale. Toute toxicité dangereuse au sein de plantes modifiées génétiquement serait inattendue et mènerait à l'abandon du produit, à moins que l'on cherche à créer un poison.

Il est vrai qu'une étude de John E. Losey et autres de l'université Cornell publiée dans la revue Nature (non à titre d'article révisé par des pairs, mais bien comme «correspondance scientifique») «montrait une forte mortalité parmi les larves de monarques qui avaient ingéré du pollen de plantes modifiées génétiquement». Il s'agissait d'une étude de laboratoire dont des militants anti OGM ont déduit que le maïs Bt pourrait se retrouver dans l'asclépiade (la plante sauvage de prédilection de cette espèce de papillon) et faire des ravages dans les rangs du lépidoptère. Par exemple, un communiqué de presse du Environmental Defense Fund (EDF) annonçait:

Le magazine Nature révèle que le pollen de plants de maïs modifiés génétiquement est toxique pour les monarques.

Le titre de ce communiqué de presse dans CommonDreams.org est identique à celui qui figure encore dans le site de l'EDF:

Le génie génétique tue les monarques.

Le Sierra Club non plus n'a pas voulu être en reste. Toutefois, «une étude de l'université Iowa State effectuée par Laura Hansen et John Obrycki a fait état d'une faible mortalité même lorsque les larves de monarques étaient nourries de pollen d’asclépiade possédant les taux les plus élevés de Bt qu'on pouvait trouver à l'extérieur». Anthony M. Shelton, professeur d'entomologie au collège d'agriculture et des sciences de la vie du New York State College de Cornell, ainsi que Richard T. Roush, de l'université d'Adelaide, en Australie, a rappelé au public qu'il ne devait pas se laisser influencer «par des rapports de laboratoire qui, lorsqu'on les regarde d'un œil critique, ne correspondent peut-être pas à la réalité qu'on observe sur le terrain ni même en laboratoire». Shelton et Roush disent qu'il est peu probable que des insectes retrouvent dans la nature des taux de pollen Bt aussi élevés, et il croit que «peu d'entomologistes ou de botanistes familiarisés avec les papillons ou la production du maïs accordent beaucoup de crédit à l'article de Nature».* En outre, Dick Taverne écrit:

Différentes études sur le terrain, contrairement aux études en laboratoire commandées en réaction au rapport de Nature concluait que l'effet du pollen du maïs Bt sur le monarque en conditions réelles était négligeable et ne différait pas de façon importante de l'effet du maïs conventionnel (2006, p. 122).

Les études se poursuivent mais personne ne peut promettre que le maïs Bt ne nuira jamais au moindre papillon.*

ActionAid International, organisme qui lutte contre la pauvreté partout dans le monde, a publié un article intitulé «GM crops – going against the grain» (mai 2003) avançant deux idées qui contredisent les données de la science:

L’adoption généralisée de cultures génétiquement modifiées pourrait bien exacerber les causes sous-jacentes de l’insécurité alimentaire et la famine dans le monde au lieu d’y remédier. ActionAid croit que pour lutter efficacement contre la pauvreté, les décideurs doivent se pencher sur les véritables difficultés auxquelles doivent faire face les collectivités défavorisées, soit l’accès restreint aux terres agricoles, et la question du crédit, des ressources et des marchés, au lieu de se concentrer sur des technologies risquées au sujet desquelles rien n’indique qu’elles permettront de faire reculer la faim dans le monde.

Au contraire, les cultures génétiquement modifiées pourraient très bien faire reculer la faim dans le monde. Avec la raréfaction des terres arables, elles pourraient être notre seul moyen de nourrir une population sans cesse grandissante. Il est totalement faux de prétendre que les biotechnologies n’ont jamais contribué à faire reculer la faim. ActionAid

fait fi des conclusions d’experts indépendants, des Académies des sciences brésilienne, chinoise, indienne et mexicaine, de l’Académie des sciences du Tiers-monde, de l’Académie nationale des sciences des États-Unis, ainsi que de deux rapports de la Royal Society et de deux rapports de la Nuffield Foundation, publiés en 1999 et 2004 (Taverne, p. 81).

ActionAid fonde ses affirmations sur celles de Greenpeace. Malheureusement, Greenpeace n’a pas la réputation de traiter équitablement les preuves relatives aux OGM. Un seul exemple devrait suffire. ActionAid cite Greenpeace à propos du projet Golden Rice, portant sur la création d’un riz génétiquement modifié contenant du β-carotène, précurseur de la vitamine A. Dans ce nouveau type de riz, deux gènes du narcisse des prés ont été insérés dans le génome du riz pour que l’organisme résultant synthétise du β-carotène, que le corps humain convertit ensuite en vitamine A. (Saviez-vous, amis lecteurs, que les carottes étaient jadis blanches ou mauves? Les carottes oranges sont le fruit d’une mutation sélectionnée par un horticulteur néerlandais, il y quelques centaines d’années, parce que la couleur orange était celle de la Maison royale d’Orange-Nassau.) Le riz Golden constitue une source bon marché de vitamine A, ce qui ne veut pas dire grand-chose dans les pays riches, mais ce qui prend énormément d’importance pour les pays pauvres.

ActionAid affirme que le riz Golden est sans valeur, reprenant à ce sujet les chiffres de Greenpeace, à savoir qu’un enfant devrait consommer chaque jour sept kilos de ce riz cuit pour obtenir la quantité appropriée de vitamine A. Le rapport du mouvement écologiste omet de citer les conclusions des chercheurs à l’origine du projet, qui disent qu’un enfant profiterait du nouveau riz en n’en consommant que 200 grammes par jour. En effet, il ne s’agissait pas, dans le cadre du projet, de créer une source unique de vitamine A. (Pour lire davantage de choses du genre, voir «Response to GM Food Myths» dans le site Web d’AgBioWorld. On trouvera davantage d’exemples des avantages du riz modifié ici.)

L’un des fondateurs de Greenpeace, Patrick Moore, a quitté l’organisation et pense maintenant que le mouvement a été noyauté par des extrémistes qui n’accordent que peu d’importance aux faits:

Les gens qui fondent leurs opinions sur la science et la raison, et qui se situent au centre de l’échiquier politique doivent reprendre les rênes des mains des extrémistes qui s’en sont emparés, souvent dans le but de faire avancer des causes qui n’ont rien à voir avec l’écologie. N’oublions pas que le mouvement écologiste n’est vieux que d’une trentaine d’années. Tout mouvement passe par des périodes troubles. Mais la protection de l’environnement est devenue codifiée d’une façon si extrême qu’être en désaccord avec le moindre mot vous précipite ipso facto dans le camp adverse. Toute forme de questionnement fondé sur la raison est activement découragé.*

Un autre ancien membre de Greenpeace et des Amis de la Terre, Dick Taverne, a examiné de près l’opposition de Greenpeace et d’autres groupes aux cultures génétiquement modifiées dans le chapitre six (The Rise of Eco-fundamentalism – L’Avènement de l’éco-fondamentalisme) de son livre The March of Unreason. Il y établit un parallèle entre ces organisations et le fondamentalisme religieux: dans les deux cas, on retrouve un dogme, une orthodoxie, des hérétiques et un mépris des preuves scientifiques. Il n’est pas le seul à avoir établi une telle comparaison. L’auteur Michael Crichton a parlé des aliments biologiques comme de la Sainte Communion, l’hostie qui unit les croyants («Environmentalism and Religion»). «Cette tendance a commencé avec la campagne contre le DDT», écrit-il, «et dure encore aujourd’hui.» Crichton fait allusion à la campagne principalement lancée par Silent Spring, de Rachel Carson (1962).

Stephen Tindale s’est porté à la défense de Greenpeace et a répondu aux critiques de Taverne:

Greenpeace n’a jamais basé ses campagnes uniquement sur la science. La science cartésienne réduit toute chose à des questions de froide logique, sans laisser de place à l’éthique ni à l’émotion. Nous croyons, au contraire, qu’il existe un fondement moral à notre défense du monde naturel...
 
L’agriculture dans laquelle interviennent des modifications génétiques fait mauvais usage de la science, car elle introduit des formes de vie instables et potentiellement nocives dans l’environnement, des formes de vie qu’on ne pourra retirer.
poisson fraise

On n’introduit pas de cultures génétiquement modifiées dans l’environnement sans tests rigoureux. Affirmer que l’agriculture qui emploie des tels organismes représente un mauvais usage de la science est répréhensible. Il s’agit plutôt d’une utilisation de la science dont on doit soupeser les avantages et les dangers. La crainte générale qu’un jour, quelque part, quelqu’un introduira dans l’environnement quelque chose de nuisible n’autorise pas qu’on appelle la recherche sur les OGM un mauvais usage de la science. Des questions morales sont en jeu, sans doute, mais le fait que Greenpeace s’érige en arbitre mondial du bien et du mal constitue un détournement de la logique et de l’éthique. Les avantages des biotechnologies sont bien documentés. En faire fi et colporter des histoires d’horreur à propos d’aliments Frankenstein potentiels constitue un détournement des découvertes et des applications de la science. Les avantages des biotechnologies, comme la possibilité de faire pousser des plantes qui produisent de l’insuline ou des antibiotiques, ou qui nécessitent beaucoup moins de pesticides ou d’herbicides de synthèse doivent être soupesés en tenant compte de leurs inconvénients potentiels. Décider arbitrairement qu’on peut laisser de côté les faits et les possibilités de la science parce qu’on a décidé, avec une sagesse infinie, qu’il faut stopper les cultures génétiquement modifiées pour sauver le monde est un sommet d’arrogance, d’orgueil et de déraison du même ordre que ce qu’on constate dans les religions fondamentalistes. Les riches qui ont les moyens d’avoir une abondance de fruits et de légumes bio sur la table n’ont pas le droit de circonscrire la liberté de choix de milliards de pauvres et se draper dans leur vertu sans même prendre en considération les avantages connus des cultures conventionnelles et génétiquement modifiées ni se pencher sur les véritables preuves scientifiques quant à leurs dangers potentiels.

 


 

Addenda : 

À peu près à la même époque où ce qui précède a été affiché dans le Web, les médias ont annoncé la publication d’une nouvelle étude en Grande-Bretagne selon laquelle les fruits et légumes bio contenaient presque 40 % d’antioxydants de plus que les fruits et légumes conventionnels, ainsi que des niveaux plus élevés de minéraux bénéfiques, comme le fer et le zinc. L’étude avait duré quatre ans et avait reçu 12 million de livres de l’Union européenne en guise de financement. Il s’agissait du projet Quality Low Input Food (QLIF). Les données et conclusions de l’étude n’ont pas été soumises à des pairs aux fins d’examen, mais ont été publiés par le QLIF sous forme de plusieurs brochures. Les conclusions devraient être réunies plus tard dans un ouvrage publié par Blackwell. Par exemple, une des brochures s’intitule «Taste, Freshness and Nutrients Information to Consumers regarding control of Quality and Safety in Organic Production Chains» et porte le symbole Organic HACCP sur la couverture. Cet organisme s’occupe de superviser la salubrité et la qualité des produits alimentaires certifiés biologiques. Les affirmations du projet QLIF contredisent cependant la position de la Food Standards Agency de Grande-Bretagne, qui a déclaré:

Les consommateurs peuvent opter pour de la viande, des fruits et des légumes biologiques parce qu’ils les croient plus nutritifs que les autres aliments, mais dans l’ensemble, les données scientifiques actuelles n’appuient pas une telle opinion.*

Le coordinateur du projet QLIF, Carlo Leifert, est d’avis que le gouvernement se trompe quand il dit qu’il n’y a aucune différence entre les produits biologiques et conventionnels. «Nous avons assez de preuves, maintenant, pour affirmer que les aliments bio contiennent davantage d’éléments bénéfiques», insiste-t-il. Selon le Sunday Times, la Food Standards Agency étudie ces preuves.

Deux choses peuvent chicoter à propos de l’étude QLIF. D’abord, s’adresser directement aux médias et au public sans passer par l’examen par des pairs constitue un signe de science vaudou. Ensuite, faire produire les brochures par un organisme qui défend l’agriculture bio ne permet pas de croire que les études sont parfaitement objectives et non biaisées. Néanmoins, consultons les documents et voyons si l’on y trouve assez d’informations pour évaluer la recherche.

Il existe déjà un résumé d’une des études, intitulé «Comparaison de la qualité des cultures biologiques et conventionnelles» par Jan Hajšlová et autres, de l’Institut de technologie chimique de la République tchèque. Le rapport dit que les comparaisons ont été effectuées, mais aucun résultat n’est donné. L’étude «Le biologique comporte-t-il un avantage par rapport aux cultures conventionnelles du point de vue nutritionnel?» a fait l’objet d’une publication dans Environmental Nutrition, en page 7 (avril 2005)*. Une étude tenant sur une seule page, ça n’est pas très prometteur. Dans la communauté des chercheurs en agriculture biologique, on fait grand cas de la production accrue d’antioxydants, ce qui est une bonne idée. Mais il n’y a aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas créer des cultures génétiquement modifiées pour qu’elles contiennent davantage d’antioxydants.

La BBC a repris une déclaration du coordonnateur du projet, Carlo Leifert: «Nous avons montré que les aliments biologiques contiennent des quantités accrues de certains composés désirables et moins de composés indésirables du point de vue nutritionnel, ou alors, des taux supérieurs des acides gras – qu’on doit rechercher – et moins de ceux qu’il faut rejeter. Notre recherche tente de découvrir d’où vient cette différence entre les aliments bio et les aliments conventionnels». En d’autres termes, Leifert prétend que la supériorité des produits bio est clairement établie, et que son groupe tente d’expliquer d’où cette supériorité vient. Pourtant, dans un rapport, il affirme:

...les différences compositionnelles entre les aliments biologiques et conventionnels sont relativement restreintes, et se situent en général dans les 10 % à 30 %. Il est clairement possible d’obtenir un régime sain et nutritif avec des produits issus d’un type ou l’autre de culture.*

Il soutient toutefois que, puisque les gens ne mangent habituellement pas assez de fruits et de légumes, tout supplément nutritionnel offert par les aliments bio devient intéressant. Il y a quelques années, Leifert a démissionné du comité d’examen des projets scientifiques relatifs aux OGM du gouvernement britannique. Il travaille maintenant au Tesco Centre for Organic Agriculture de l’Université de Newcastle. Dans sa page Web, on ne trouve rien à propos d’une nouvelle étude faisant l’objet d’une publication. Par courriel, je lui ai demandé un exemplaire des études publiées montrant la supériorité des aliments biologiques. (Sa réponse se trouve plus bas.) La BBC rapporte que les résultats du projet doivent être publiés au cours des 12 prochains mois, mais certaines des brochures circulent depuis plus de deux ans. En d'autres termes, il semble que ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, c'est le blitz médiatique, pas l'étude.

Douze brochures ont déjà été produites. Elles semblent moins présenter les résultats d'études scientifiques que faire la promotion de différentes idées au sujet des aliments biologiques. Voici une description de six de ces publications, tirée du site Web QLIF:

  1. La brochure informe les consommateurs sur la façon dont la production, la transformation et l'entreposage des produits ont un effet sur la fraîcheur, le goût et la teneur nutritive des produits biologiques.
  2. La brochure informe les consommateurs sur ce qui est fait pour garantir l'authenticité et l'intégrité des aliments produits de façon biologique, et de ce que les consommateurs peuvent faire pour soutenir les efforts de ceux qui répondent à leurs exigences.
  3. La brochure informe les consommateurs sur les mesures prises pour mieux circonscrire les risques causés par les bactéries pathogènes et les mycotoxines dans les aliments biologiques, et de ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes à ce sujet.
  4. La brochure informe les détaillants à propos de ce qui peut avoir un effet sur le coût, la fraîcheur et la teneur nutritive des aliments biologiques, et sur ce que les détaillants peuvent faire pour y apporter des améliorations et s'assurer de vendre des aliments de la meilleure qualité possible.
  5. La brochure informe les détaillants sur ce qui est fait pour assurer l'authenticité et l'intégrité des aliments produits de façon biologique, et de ce qu’ils peuvent faire pour soutenir les efforts de ceux qui répondent aux exigences des consommateurs.
  6. La brochure informe les détaillants sur ce qui est fait pour mieux garantir la salubrité des aliments jusqu'à leur achat, et de ce qu'ils peuvent faire à ce sujet.

Jusqu'à présent, apparemment, il n'y a aucune étude ni brochure mise à la disposition du public qui permettrait d'évaluer l'affirmation que les aliments biologiques sont supérieurs. Il nous faudra attendre une nouvelle brochure, ou le livre de Blackwell's. Cependant, on peut croire que si le Dr Leifert et son équipe avaient en leur possession des preuves irréfutables de la supériorité du bio, la présente entrée parlerait d'un article publié dans un journal scientifique important. À la place, on doit se contenter d'un brouhaha médiatique apparemment causé par un groupe qui publie des brochures favorable à la nourriture biologique depuis plusieurs années.

 

Mise à jour (2 novembre 2007): J'ai reçu des nouvelles de Carlo Leifert, qui m’informe que l’intérêt récemment exprimé par les médias concernait la publication du dernier rapport QLIF et du «Handbook of Food Safety and Quality » (Manuel sur la salubrité et la qualité des aliments). Dans son courriel, il dit que le manuel a été publié par Woodhouse publishing (www.woodhousepublishing.com), mais un examen du site Web en question montre que cet éditeur ne s'intéresse qu'à la ville d'Ogden, dans l'Utah. Toutefois, un Handbook of Organic Food Safety and Quality a bien été publié par Chipsbooks sous la direction de Julia Cooper. Leifert m'a écrit que le livre était disponible auprès de CRC Press aux États-Unis. Il l'est, en effet, pour la modique somme de 278 $ US. Aux dires de Leifert, on y fait le tour des publications sur les différences entre les aliments biologiques et conventionnels et on y inclut certains des résultats préliminaires du projet QLIF. Le texte promotionnel du site Web de CRC dit: «Ce manuel couvre en profondeur les recherches les plus récentes et les pratiques exemplaires visant à assurer l'innocuité et la qualité nutritionnelle et sensorielle des aliments issus de systèmes de production biologique et à faibles niveaux d'intrants, afin de permettre aux professionnels de répondre aux exigences des consommateurs relativement à des aliments sûrs et de grande qualité». Quoi qu'il en soit, aucune des nouvelles que j'ai lues ne mentionnait de manuel (y compris Nature.com et le Guardian).

Leifert a également confirmé mes soupçons: en dépit de tout le battage médiatique au sujet de la supériorité des aliments bio, le projet «cherchait moins à montrer les différences entres les aliments bio et conventionnels (à partir des publications existantes il y a 4 ans, nous étions déjà convaincus qu’il y avait des différences systématiques) qu’à identifier les composantes du système de production qui mènent à ces différences». Il parle des brochures comme des «documents de travail du QLIF», et fait remarquer que davantage de ces publications seront produites au cours de l’année suivante ou des deux prochaines années.

Il semble évident que la majeure partie du travail effectué au sein du projet QLIF ne visait pas du tout à tester des différences nutritionnelles entre les cultures biologiques et conventionnelles. Pourtant, le gros de la couverture de presse qui a parlé du projet ne traitait que de ce sujet. En fait, le projet semble vouloir contrecarrer les effets de la mauvaise presse qu’a reçue l’agriculture biologique récemment au sujet de la qualité des aliments qu’elle produit. Autrement dit, les brochures ne sont qu’une arme supplémentaire dans la guerre que se livrent les tenants de l’agriculture biologique et ceux de l’agriculture conventionnelle, y compris celle qui utilise des OGM. Malgré tout, il y a trois sections du dernier rapport du QLIF qui traitent de la question de la qualité des aliments biologiques comparativement à celle des aliments conventionnels.

Un de ces rapports comparait des tomates bio et conventionnelles produites en Pologne et concluait : «Les tomates de production biologiques contenaient davantage de matière sèche, de sucres totaux et de sucre réducteur, de vitamine C, de flavones totales et de bêta-carotène, mais moins de lycopène comparativement aux tomates de culture conventionnelle».*

Un autre comparait la qualité du blé d’hiver bio et conventionnel en Italie: «Les échantillons biologiques présentaient un contenu protéinique moins élevé de 20 % et n’offraient que de pauvres qualité de panification».*

Encore une autre étude portait sur l’«Influence du traitement sur le contenu en substances bioactives et en propriétés anti oxydantes de la purée de pomme issue des productions biologique et conventionnelle en Pologne». Selon elle, «La purée préparée avec des pommes de culture biologique contenait une quantité significativement plus élevée de phénols totaux, de vitamine C, ainsi que de flavones totales, et montrait une capacité anti oxydante plus élevée que les purées préparées à partir de pommes conventionnelles». La pasteurisation réduisait cependant ces caractéristiques positives dans les deux types de purée.*

Ce qu’il y a de vraiment impressionnant, ici, ce ne sont pas les résultats obtenus, mais la façon dont la presse les manipule. Dans un article de Deirdre Dolan, daté du 15 novembre 2007, et qu’on a pu lire dans green.msn.com, on constate le même genre de désinformation que dans les nouvelles de la BBC. Le titre en est The Proof is In: Organic is More Nutritious – British studies justifiy the higher cost («Les preuves sont là: le bio est plus nutritif – Des études britanniques justifient le coût plus élevé»). Selon l’auteur, «une nouvelle étude... montre que les aliments biologiques présentent une valeur nutritionnelle beaucoup plus élevée» et «les résultats paraîtront au cours de la prochaine année». Dolan devrait pourtant savoir que tant que les résultats d’une étude n’ont pas été publiés, on ne peut savoir ce que l’étude en question prouve. Quoi qu’il en soit, comme on l’a fait remarquer plus tôt, la dernière publication du projet QLIF n’était pas une étude comparant la qualité des aliments bio et conventionnels. Ceux qui mènent les études comme tels, exactement comme Dolan, sont des convertis qui croient déjà à la supériorité du biologique. (Dolan raconte qu’elle dépense jusqu’à 15 $ par jour en lait biologique, et qu’elle s’inquiète de la présence de toxines dans les objets en plastique que son enfant pourrait porter à sa bouche. Elle pense également que les jouets de bois ne présentent pas de toxines, sans doute parce que le bois est naturel, contrairement au plastique. Mais comment croit-elle que les arbres luttent contre les insectes ravageurs? Ne sait-elle pas que le bois est souvent traité à l’aide de substances toxiques?) Dolan est la co-auteure d’un livre intitulé The Complete Organic PregnancyLa grossesse biologique de A à Z»). Elle semble croire les affirmations du projet QLIF sans enquêter ni lire les publications. On peut soupçonner que d’autres croyants citeront son article comme preuve scientifique de la supériorité en goût et en qualité nutritive des produits biologiques. Pourtant, aucune preuve ne soutient de telles affirmations.

 

Voir aussi: Naturel.

 

La vérité sur les OGM, par Michel Bellemare (fichier PDF).
(Extrait du Québec Sceptique, Numéro 64, page 17, automne 2007)

 

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Dernière mise à jour le 23 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary