LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Arnall Bloxham

Presque n'importe quel sujet capable d'atteindre une transe profonde sous hypnose va se mettre à parler de ses vies antérieures dès que son hypnotiseur l'y invitera. Il parlera tout aussi librement de ses vies à venir...
Martin Gardner

 

Hypnothérapeute gallois qui a enregistré plus de 400 séances de régressions hypnotiques à des vies antérieures au cours des années 1970. À l'époque, les enregistrements ont été transcrits et publiés sous forme de feuilleton dans le Sunday Times. Après avoir écouté les bandes, Jeffrey Iverson, producteur de la BBC qui travaillait à Cardiff, choisit un cas qui, selon lui, était véritablement extraordinaire et susceptible de passer le test d'une enquête fouillée. Il s'agissait de celui d'Ann Evans, pseudonyme d'une mère de famille galloise de 30 ans qui avait évoqué pas moins de six vies antérieures une fois plongée dans un état hypnotique. Iverson produisit une émission télévisée sur le sujet et écrivit même un livre intitulé More Lives than One? The Evidence of the Remarkable Bloxham Tapes (Plus d'une vie? Les remarquables bandes Bloxham), succès de librairie en 1976. Ni l'émission ni le bouquin n'examinaient les preuves données de façon complète et critique.

Les téléspectateurs qui voyaient Jane Evans sous hypnose et entendaient les récits saisissants qu'elle faisait avec conviction avaient toutes les raisons d'être impressionnés. Elle ne donnait aucunement l'impression de chercher à jouer un rôle. Quand sa voix trahissait de la peur ou de l'angoisse, elle était clairement la proie de ces émotions. Son aisance à prononcer des noms parfois compliqués de lieux ou de personnes laissait croire qu'elle se souvenait vraiment de choses dont elle avait eu une connaissance intime (Harris 2003, p. 148).

Les vies racontées par Evans étaient variées et chargées de détail. La première dont elle se souvenait était celle de Livonie, épouse de Titus, tuteur d'un des fils du gouverneur romain (Constantius) de York (Eboracum) au cours du IIIe siècle. En 1189, elle était Rebecca, épouse d'un usurier juif, également à York. En 1450, elle était Alison, servante égyptienne de la maison de Jacques Cœur, riche marchand et financier de Bourges. Début XVIe siècle, elle s'appelait Anna, dame de compagnie de Catherine d'Aragon. En 1702, elle était Anne Tasker, couturière à Londres, et au début du XXe siècle, Sœur Grace, une nonne catholique vivant à Des Moines, en Iowa.

Dans les livres d'histoire, Iverson découvrit un certain nombre de faits qui correspondaient aux récits d'Ann Evans. Il finit par en conclure avec Bloxham que les enregistrements constituaient une preuve solide en faveur de la réincarnation. D'après son éditeur, le livre d'Iverson renfermait «les preuves les plus renversantes de l'existence de la réincarnation jamais consignées... des récits si authentiques qu'on ne peut les expliquer autrement que par la certitude de la réincarnation» (Wilson 1987, p. 45). Un coup d'œil dans Internet mènera à plusieurs sites reprenant cette vision des choses. Les faits, pourtant, semblent tout à fait à l'opposé.

Melvin Harris aussi s'est penché sur les ouvrages d'histoire, mais au lieu d'y chercher ce qui confirmerait l'hypothèse de la réincarnation, il a plutôt cherché des signes de cryptomnésie ou de fraude. Il a en outre ouvert de nombreux romans historiques et livres d'histoire populaire, pour y découvrir quelques faits curieux, y compris certains qui contredisaient les affirmations d'Evans. Harris faisait carrière dans le «dépistage de fraudes et de canulars. Il était particulièrement adroit dans l'identification des origines littéraires de mythes et d'élucubrations».*

La Livonie d'Evans était tirée du roman écrit par Louis de Wohl en 1947, The Living Wood. Des personnages inventés par de Wohl figurent dans le récit d'Evans, aux côtés de personnages historiques, et le roman raconte une histoire identique à celle de la ménagère galloise. Une coïncidence?

L'histoire de Rebecca semble avoir été tirée d'une pièce de théâtre radiophonique au sujet du massacre de York [Le 16 mars 1190, 150 Juifs de la ville d'York ont été connu une mort violente aux mains de leurs concitoyens. Note du traducteur.] (Kelly, p. 88). À plusieurs reprises, Ann décrit l'insigne circulaire jaune qu'on obligeait les Juifs de la ville à porter. En fait, l'insigne n'est entré en usage à York qu'au XIIIe siècle, et il était blanc, et de forme oblongue.

Le récit d'Allison se retrouve dans le roman The Moneyman, de Thomas Costain (1948) sur Jacques Coeur. Dans les souvenirs d'Ann Evans, Jacques Cœur n'était pas marié; il l'était pourtant, et avait même cinq enfants. Costain avait négligé d'inclure ce détail dans son roman, et Evans n'en faisait aucune mention dans son témoignage sous hypnose. Une coïncidence? On retrouve des photos de la maison du banquier dans de nombreux manuels d'histoire, et sa maison est une des demeures privées les plus visitées d'Europe.

La description faite par Alison de la tombe d'Agnès Sorel, la maîtresse du roi, ressemblait au souvenir intime d'une personne directement liée aux événements d'alors. «En vérité, la tombe de Sorel a été placée dans son lieu actuel en 1809» (Harris 2003, p. 158). Au cours de tout le XXe siècle, elle a servi d'attraction touristique, et on en fait une description détaillée dans A Short History of France (Brève histoire de France) de H.D. Sedgwick.

Rien ne permet de croire que Bloxham, Evans ni Iverson aient cherché à frauder qui que ce soit, mais ils ont certainement induit beaucoup de monde en erreur. Il semble très probable que toute cette histoire constitue un cas de cryptomnésie, amplifié par une méconnaissance de la nature des souvenirs qui ressurgissent en cours d'hypnose.

En cherchant les origines des «vies antérieures» d'Ann Evans, Harris a suivi la méthode du Dr Edwin Zolik, qui avait effectué des recherches détaillées sur l'utilisation de l'hypnose pour ramener des sujets à leurs incarnations passées. Il hypnotisait ses sujets et leur demandait de se souvenir de «leurs existences antérieures». Il enregistrait les séances et les faisait rejouer aux sujets une fois qu'ils étaient réveillés. Aucun d'entre eux ne disait connaître quoi que ce fût à propos de ses vies antérieures, et chacun était sincère, selon l'évaluation de Zolik. Il les replongeait alors en hypnose et leur faisait retrouver les sources fictionnelles de leurs fabulations hypnotiques. Comme l'explique Harris, Zolik «a montré que les souvenirs de prétendues vies antérieures pouvaient facilement n'être rien d'autre qu'un mélange de récits entendus précédemment et d'émotions chargées d'une signification symbolique» (Harris 2003, p. 151). Zolik recommandait sa méthode à quiconque s'occupait de régression à des vies antérieures. Bloxham, malheureusement, ne s'est jamais inquiété d'une origine prosaïque possible pour l'une des 400 régressions faites sous ses soins. Iverson affirmait que les enregistrements de Bloxham «avaient fait l'objet de recherches, et que rien n'indiquait que les récits qu'ils contenaient devaient quoi que ce fût à l'imagination... Ils semblaient exprimer exactement ce que les apparences laissaient entendre: qu'ils procédaient d'une expérience et d'une connaissance véritables du passé». Certes, les enregistrements ont fait l'objet de recherches, mais s'agissait-il de recherches adéquates?

 

Voir également: Bridey Murphy et Ian Stevenson.

Dernière mise à jour le 24 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary