LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Sophisme ad hominem

La locution latine ad hominem signifie «à l'homme», en latin. Le sophisme ad hominem se produit quand on affirme que les propos avancés par une personne sont faux à cause de quelque chose qui se rapporte à cette personne mais qui n’a rien à voir avec le sujet.

Le sophisme ad hominem est souvent confus avec l’objection légitime consistant à invoquer qu'une personne n'est pas digne de confiance1. Ce type d’objection est pertinent quand la problématique repose sur si on doit ou non croire le témoin, mais impertinent quand on remet en question la fiabilité ou la moralité d’une personne alors que l'issue serait de déterminer si ses raisons d’avancer quelque chose sont assez bonnes.

Une réfutation adéquate d’un argument donné devrait viser à miner l’exactitude, la pertinence, l’impartialité, la complétude et l’exhaustivité des raisons qui soutiennent une conclusion. Une tactique empruntée par ceux qui n’en sont pas capables est d’attirer l’attention sur autre chose que sur l’argument lui-même, souvent vers quelque chose qui se rapporte à la personne ayant énoncé l’argument. Au lieu de critiquer les hypothèses et le raisonnement de l’interlocuteur, on déblatère sur des choses qui se rapportent à sa personnalité, son occupation, ses connivences, ses passe-temps, ses motifs, sa santé mentale ou ses goûts.

Le sophisme dans l’ad hominem repose sur la nature impertinente de l’utilisation qui en est faite, et non dans sa fausseté intrinsèque (s’il y a lieu). Si ce qui est dit sur la personne est faux, en plus d’être impertinent («prémisses impertinentes»), un autre sophisme est commis : celui de «prémisses fausses».

Plusieurs personnes sont attirées par l’utilisation d’attaques ad hominem. Parfois l’attrait réside dans le fait que cela met de mauvaises doctrines (c’est-à-dire, celles avec lesquelles on est en désaccord) dans la bouche de mauvaises personnes (celles que l’on déteste). Parfois l’ad hominem n’est qu’une façon de se convaincre que l’adversaire est méchant, en plus d’être idiot. Attaquer une personne est généralement plus facile à faire qu’attaquer ses arguments, en plus d’être satisfaisant pour ceux qui divisent le monde en deux catégories de personnes: celles qui sont d’accord avec eux (les bonnes personnes , celles qui ont raison), et celles qui sont en désaccord avec eux (les personnes méchantes, qui ont tort).

L’argument ad hominem attire les penseurs paresseux, qui préfèrent ridiculiser ou diminuer une personne plutôt qu’examiner sérieusement un point de vue différent. L’ad hominem est aussi une tactique employée par des manipulateurs de foules astucieux, les démagogues expérimentés qui savent comment jouer sur les émotions des gens et les séduire jusqu’à transformer leur attitude de désapprobation en un accord.

Un type courant d’attaques ad hominem consiste à prêter des intentions à son interlocuteur, puis à les attaquer au lieu d’attaquer ses arguments2. Par exemple, au lieu de tenter de déconstruire un argument un élément à la fois, on peut simplement avancer que l’interlocuteur fait du lobbying, de la politique, qu’il est payé par une cartel de compagnies pharmacutiques ou qu’il est un agent secret à la solde du gouvernement.

Un des lecteurs des arguments contre les théories du complot visant le 11 septembre rédigés par l’auteur américain Robert Todd Carroll lui a écrit un paquet de choses qui n’ont rien à voir avec ses arguments, mais simplement avec sa personne. «Vous êtes probablement un vieux croulon, et plus on vieillit, moins notre cerveau est apte à composer avec la réalité». Les deux propositions sont possiblement vraies, mais aucune n’est pertinente face à ses arguments. La même personne lui a aussi écrit: «Vos opinions soutiennent un système qui est complètement corrompu car vous avez déjà investi l’argent nécessaire à votre retraite dans ce système même. » Plutôt que d’essayer d’expliquer pourquoi on ne devrait pas faire confiance à tel rapport ou communiqué du gouvernement sur le sujet du 11 septembre, cette personne se contente d’écrire que la position de l’auteur consistant à ne pas remettre le gouvernement en question à propos du 11 septembre est inquiétante. Cette affirmation ressemble à une attaque de type straw man (anglais pour «épouvantail», ou «homme de paille») où on déforme les propos de l’interlocuteur pour les rendre plus faciles à attaquer3. Ce type semble insinuer que l’argument central de Carroll est qu’on doit faire confiance au gouvernement quoi qu’il dise et en toutes circonstances. Une telle caricature, qui n’est rien d’autre qu’une attaque personnelle, tente de passer pour une attaque sur une position que l’auteur ne défend pas ni ne soutient.

Quand les affirmations impertinentes sont négatives, ce sophisme s’appelle empoisonner le puits. Son objectif semble double: d’une part donner à la personne de mauvaise foi l’illusion de réfuter sans qu'elle ait pour autant à donner un argument probant, et d’autre part, donner à la même personne l’impression (fausse) que la position ainsi tenue est de bonne foi tandis que la position qu’elle attaque n’est soutenue que par des gens corrompus comme l'interlocuteur.

 

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Notes du traducteur

On retrouve quelques définitions de la locution ad hominem en français. Au 18e siècle, on appelait argument ad hominem un «argument qui tire sa force des circonstances propres ou relatives à la personne même à qui on l'adresse» (Académie Française, 1798). Une telle définition ne désigne pas nécessairement un sophisme. Au 19e siècle la locution ad hominem en est venue à désigner, parfois, un «argument attaquant directement la personne à qui l'on s'adresse» (Littré, 1877). Une telle définition peut fort bien décrire une attaque impertinente. Toutefois, le sens conféré préalablement par l’Académie demeure même chez Littré, qui ajoute qu’un argument ad hominem peut être un «argument qui consiste surtout à retourner contre l'adversaire ses propres assertions, concessions ou actions». Cette façon d’«opposer à l'opinion actuelle d'un homme ses paroles ou ses actions antérieures» (encore Littré) n’est pas toujours un sophisme, comme le remarque Carroll. Il est parfois pertinent de relever qu’une personne qui prêche quelque chose ne le met pas du tout en pratique, ou qu’une personne qui fait reposer un de ses arguments sur une soi-disant expertise a démontré dans un passé récent qu’elle n’était pas très experte en la matière. C’est ainsi que le philosophe allemand Arthur Schopenhauer, dans un traité traduit sous le titre «L’Art d’avoir toujours raison» (~1830), désigne l’argument ad hominem, mais avec un soupçon de malhonnêteté :

L’argumenta ad hominem ou ex concessis : lorsque notre adversaire fait une proposition, il faut vérifier si celle-ci ne serait pas inconsistante - même si ce n’est qu’une apparence - avec d’autres propositions qu’il a faites ou admises, ou avec les principes de l’école ou de la secte à laquelle il appartient, ou avec les actions des membres de son culte, au pire avec ceux qui donnent l’impression d’avoir les mêmes opinions, même si c’est infondé. Par exemple, s’il défend le suicide, on peut lui répondre : « Alors pourquoi ne te pends-tu pas ? » Ou encore, s’il soutient qu’il ne fait pas bon vivre à Berlin, on peut rétorquer : « Pourquoi ne prends-tu pas le premier express pour la quitter ? »

Malgré la mauvaise réputation du terme, l’argument ad hominem n’est pas toujours un sophisme. Il doit toutefois être utilisé avec justesse.

 

Schopenhauer appelle ce stratagème : les intérêts sont plus forts que la raison (traduction Wikisource).

 

Schopenhauer appelle ce stratagème : l’extension (traduction Wikisource).

Dernière mise à jour le 23 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary