La dentisterie bio-esthétique est-elle valable ?
Dr Robert Baratz, chirurgien-dentiste
« Dentisterie bio-esthétique » est un terme de marketing utilisé par des dentistes qui cherchent à offrir « une santé, une beauté et une apparence dentaires optimales » en corrigeant ce qu’ils considèrent être des défauts du système masticateur. C'est l'une des nombreuses pratiques qui postulent l'existence d'un modèle idéal servant de cadre à des soins dentaires optimaux. Selon ses promoteurs :
Cette approche implique une évaluation complète de l’ensemble du système masticateur. Elle considère les dents, les articulations, les os, les nerfs, les muscles, les lèvres, la langue, la bouche et le visage comme un ensemble plutôt que comme des parties individuelles. L’équilibre entre toutes ces structures permet de créer un sourire naturel et jeune et favorise le maintien d’un système masticateur sain qui offrira à vie l’optimum en termes de confort, de fonctionnalité et de beauté. Le manque d'harmonie entre les composants individuels conduit à une défaillance du système [1].
Les promoteurs affirment en outre que leur modèle leur permet d'observer les tout premiers stades de la pathologie - souvent avant l'apparition de symptômes - et de choisir les soins spécialisés (orthodontie, chirurgie orthognathique, parodontie, prosthodontie et dentisterie restauratrice) [2].
Contexte historique
La dentisterie bio-esthétique a été développée par le Dr Robert E. Lee, chirurgien dentaire, qui avait un « cabinet privé à visée occlusive/esthétique » à Grand Terrace, en Californie, enseignait la dentisterie restauratrice à la Loma Linda University et a fondé Panadent, qui commercialise des produits dentaires « innovants » liés aux pratiques bio-esthétiques [3]. Selon ses promoteurs :
La dentisterie bio-esthétique est basée sur un modèle idéal de dentognathie humaine. Ce modèle a été découvert par l’observation et la mensuration de belles dentures humaines ne présentant que peu ou pas d'usure chez des personnes de plus de 30 ans. Le Dr Lee a utilisé sa maîtrise en biologie pour étudier les systèmes biologiques optimaux. Il a observé et enregistré les dentures réussies, durables et non détériorées dans la nature. Étonnamment, les dentures les plus remarquables avaient les mêmes caractéristiques en commun. En appliquant à ses patients les qualités qu’il a observées dans les succès de la nature, il a trouvé que ses cas étaient très prévisibles, fonctionnels, esthétiques et stables - supérieurs à tout traitement qu’il avait fourni auparavant. Il a appelé cette approche très biologique Dentisterie bio-esthétique pour attirer l'attention [2].
En 1977, Lee a fondé les séminaires Occlusion, qui offraient une formation continue aux dentistes. Ils ont ensuite été rebaptisés Institut Lee de bio-esthétique orofaciale dentognathique. En 1994, il a aidé Charles R. Wold, docteur en médecine dentaire, à lancer Orgognathic Bioesthetics International (OBI) pour perpétuer ses enseignements [4]. La Fondation OBI pour la dentisterie bio-esthétique, qui est maintenant une société sans but lucratif basée à Salem, dans l'Oregon, est désormais la principale source de formation en dentisterie bio-esthétique. En novembre 2008, son site répertoriait 239 dentistes qui avaient complété au moins six jours de cours. Les dentistes qui terminent leurs études sont éligibles à l’Academy of Bioesthetic Dentistry.
La fondation OBI déclare que les dentistes qui suivent ses cours sont « spécialement formés au diagnostic précis des problèmes du système masticateur et offrent les traitements dentaires les plus conservateurs nécessaires pour corriger les causes sous-jacentes, et pas seulement les symptômes, de l'usure dentaire ». Elle affirme en outre que la dentisterie bio-esthétique peut aider à « préserver la fonction et offrir une beauté naturelle durable à vos dents et à votre sourire, pour la vie » et peut également soigner un sourire peu attrayant ; des dents usées, ébréchées, fissurées ou cassées et inefficaces ; les migraines et autres maux de tête ; les douleurs des muscles du visage ou du cou ; les douleurs du haut du dos ou de l'épaule ; les douleurs de l’articulation de la mâchoire ; la mastication difficile ou douloureuse ; le grincement ou le serrement des dents ; les mâchoires qui claquent ou qui grincent ; les dents déchaussées ou les gencives rétractées ; la mâchoire glissant en avant ; les douleurs et la congestion de l'oreille ; et les bourdonnements d’oreille [5].
Soins aux patients
Les dentistes bio-esthétiques effectuent généralement des examens radiologiques des articulations de la mâchoire, des os du visage, des vertèbres cervicales, des sinus et des voies respiratoires ; ils prennent des photos des dents, du visage et du sourire ; et ils vérifient l'alignement de la mâchoire avec des instruments Panadent spéciaux. Ceux-ci, disent-ils, leur permettent de déterminer si les articulations de la mâchoire du patient sont correctement alignées et comment corriger toute « dysharmonie masticatoire » éventuelle. Si les dents sont fort déformées, un orthodontiste peut être consulté. Les informations sont utilisées pour créer un modèle en cire qui servira de modèle au travail correctif [5]. Dans la plupart des cas, une attelle temporaire appelée « orthèse antérieure maxillaire guidée (MAGO) » est portée pendant 2 à 4 mois pour que l’occlusion corresponde à la position correcte de la mâchoire [6]. Une fois la stabilisation réalisée, la position de la mâchoire est maintenue en remodelant les surfaces occlusales des dents et en appliquant des couronnes, des attelles, des facettes et du collage si nécessaire. S’il le faut, un traitement orthodontique est ajouté et, dans les cas extrêmes, un repositionnement de la mâchoire est effectué. Certains cas n’impliquent que des modifications mineures des dents et du collage, tandis que les cas plus complexes nécessitent un rajeunissement de toute la bouche.
Le coût dépend de ce qui est recommandé. Divers sites Web suggèrent que la thérapie MAGO coûte entre 3 000 et 5 000 $, qu’une transformation mineure et un collage coûtent entre 300 et 500 $ par dent, et que les couronnes en porcelaine coûtent entre 900 et 1 500 $ par dent. Un programme qui ne comprend que des modifications mineures et du collage coûterait entre 5 000 $ et 7 000 $, mais un programme au cours duquel toutes les dents sont couronnées pourrait coûter plus de 40 000 $.
Les dentistes bio-esthétiques utilisent les mêmes procédures de restauration que les autres dentistes, mais celles-ci diffèrent quant au motif et au moment où elles sont utilisées. Pour une préparation pour une couronne, il est nécessaire de meuler la dent. Les dentistes bio-esthétiques affirment que les couronnes peuvent grandement améliorer la fonction de la bouche si elles donnent une occlusion parfaite. Mais la plupart des dentistes cherchent à minimiser le retrait de structures dentaires saines, ce qui signifie qu’ils ne couronneraient pas des dents saines à cette seule fin. La pose d’une couronne peut obliger à des traitements du canal radiculaire de certaines dents qui, en cas d’échec, nécessiteraient le retrait complet de la dent et leur remplacement par un bridge ou un implant. Les couronnes exigent également des patients qu’ils déploient des efforts supplémentaires en matière d’hygiène buccale pour maintenir propres et non cariées les marges, là où les bords des couronnes rencontrent les vraies dents et les gencives.
La modification de l’occlusion comporte également des risques. Elle peut entraîner un traumatisme occlusal, une mort dentaire et/ou des bris de couronnes. Elle peut modifier les surfaces occlusales, créer des pièges à nourriture et faire pénétrer des aliments dans les gencives. Cela peut également provoquer des modifications des articulations temporo-mandibulaires (les articulations de chaque côté de la mâchoire), créant des problèmes de conflit osseux, des traumatismes du disque cartilagineux interosseux et des problèmes des muscles, des tendons et des ligaments articulaires qui permettent à la mâchoire de se déplacer correctement dans toutes les directions.
Les images avant-après sur les sites Web des promoteurs indiquent qu'un grand nombre de leurs patients améliorent leur apparence. Certains patients ayant une bouche gravement dysfonctionnelle peuvent également bénéficier de cette approche. Cependant, nous n'avons trouvé aucune donnée publiée sur les effets à long terme du traitement bio-esthétique sur les mâchoires, les articulations, les dents et les gencives, ni une comparaison de résultats bio-esthétiques avec ceux du traitement standard. Nous n'avons pas non plus trouvé de discussion sur les risques ou de rapports de résultats négatifs, ce qui nous amène à nous demander s'ils sont disposés à signaler les résultats négatifs.
Deux procès récents illustrent ce qui peut arriver lorsque les choses tournent mal. En 2009, Carey Bertsch, de Scottsdale, en Arizona, a poursuivi deux dentistes locaux pour négligence, coups et blessures, absence de consentement éclairé et complot en vue de commettre une fraude, en raison du traitement qu'ils lui ont administré. La plainte de Bertsch indique qu'en 2004 elle avait demandé conseil au dentiste généraliste Thomas Wais au sujet du remplacement d'une dent, récemment extraite, par un bridge ou un implant. Wais lui a conseillé un traitement comprenant le port d'un appareil dentaire, le resurfaçage et le réalignement de nombreuses dents. En collaboration avec Wais, l’orthodontiste Karen Berrigan a placé des attelles. Au fur et à mesure du traitement, Bertsch a développé des douleurs de plus en plus graves à la mâchoire, à la tête et au cou, faussement attribuées par Wais à un empoisonnement au mercure. En 2008, Bertsch a consulté un spécialiste des troubles de l'articulation temporo-mandibulaire, qui a conclu que ses douleurs étaient dues à un dysfonctionnement de la bouche provoqué par un traitement inapproprié. La plainte reproche également à Wais de ne pas avoir révélé qu'il suivait les principes de la dentisterie bio-esthétique [8].
En 2010, Robin Bertsch, le mari de Carey, a engagé une action en justice contre Wais, la fondation OBI, et The Wellness Hour, une émission télévisée faisant la promotion de pratiques non conventionnelles [9]. La plainte indique qu'en 2008, Robin, que Wais avait traité depuis plus de trois ans, avait été si gravement blessé à la bouche, à la mâchoire, au cou et au haut du dos qu'il avait demandé un remboursement plus des montants supplémentaires couvrant les mesures correctives. Robin a également exigé que sa photo soit retirée du site Web de Wais, qui impliquait que Wais avait traité avec succès Robin pour un problème lié à l'articulation temporo-mandibulaire [10]. Bien qu'aucun procès n'ait été intenté, l'assurance professionnelle de Wais a versé à Robin 200 000 $ en réponse à sa lettre. Wais a enlevé la photo, mais l'a affichée plus tard et a discuté du cas de Robin à plusieurs reprises dans The Wellness Hour [11]. Après avoir entendu parler du règlement de l'assurance, la Commission des examinateurs dentaires de l'Arizona a mené une investigation au cours de laquelle Wais a reconnu que son traitement de Robin avait été infructueux [12]. Le procès de Robin, qui accuse Wais de déclarations inexactes faites par négligence et de complot en vue de commettre une fraude, note que l'utilisation par Wais de l'image de Robin pendant l'émission The Wellness Hour contredit directement les déclarations de Wais au cours de l'entretien d'investigation.
En définitive
La dentisterie bio-esthétique est un moyen très coûteux d’améliorer son apparence par une application extensive de couronnes et d’autres restaurations. Elle est basée sur un modèle dentaire idéal que la plupart des dentistes n'acceptent pas. Elle prétend améliorer grandement la fonction et apporter des bienfaits pour la santé. Les images avant-après indiquent que de nombreux patients améliorent leur apparence. Cependant, la préparation au couronnement nécessite le retrait de structures dentaires saines, et en perturbant des dents saines et fonctionnelles on peut, à long terme, entraîner des complications.
Références
- Orazio T. Bioesthetic dentistry. Web site of Thomas Orazio, DMD, accessed December 6, 2008.
- Dumont TD, The ideal biologic dental model. OBI Foundation for Bioesthetic Dentistry. Undated article, downloaded from OBI Web site, Dec 6, 2008.
- About Panadent. Panadent Web site, accessed Dec 6, 2008.
- About OBI Foundation for Bioesthetic Dentistry. OBI Foundation Web site, accessed Dec 6, 2008.
- Frequent questions. OBI Foundation Web site, accessed Dec 6, 2008.
- McKinney TA, McKinney ACM. MAGO: Maxillary anterior guided orthotic. Drs. Amy and Todd McKinney Web site, accessed Dec 7, 2008.
- Sieweke JC. FAQ. John C. Sieweke, DDS Web site, accessed Dec 7, 2008.
- First amended complaint. Carey P. Bertsch and Robin Bertsch vs. Thomas D. Wais, DDS and Karen L. Berrigan, DMD. Arizona Superior Court Case No. CV2009-050267, filed July 29, 2009.
- Complaint for damages. Robin Bertsch vs. The Wellness Hour, Thomas D. Wais, DDS, and the Foundation for Bioesthetic Dentistry. California Superior Court for the County of Los Angeles. Case No. 37-2010-00051507-CU-FR-NC, filed Feb 23, 2010.
- Bertsch R. Letter to Dr. Thomas Wais, May 10, 2008.
- Interview of Dr. Tom Wais. The Wellness Hour with Randy Alvarez. March 12, 2009.
- Investigative interview of Thomas D. Wais, D.D.S., Oct 16, 2009.
Cet article a été révisé le 4 mars 2010.
Traduction en français le 20 mai 2019 par le Dr Jacek Sierakowski.
Dernière mise à jour le 26 mai 2019.
Source: Quackwatch