LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

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Un regard critique sur « Natural Hygiene »

Dr Stephen Barrett

Natural Hygiene, fille de la naturopathie, est une philosophie de santé et de « vie naturelle » qui s'oppose à la vaccination, à la fluoration, à l'irradiation des aliments et à la plupart des traitements médicaux. Elle préconise une alimentation « crue » composée de légumes, de fruits et de noix. Elle recommande également un régime végétarien, des jeûnes périodiques et des « combinaisons d'aliments » (évitant les combinaisons d'aliments jugées néfastes). Selon sa philosophie :

La santé est le résultat d'une vie naturelle. Lorsque l’on vit en harmonie avec ses besoins physiologiques, la santé en est le résultat inévitable. En fournissant à l'organisme ses exigences de base (aliments naturels et non altérés, soleil, air pur et frais, eau pure, activités physiques, mentales et émotionnelles appropriées, et mode de vie productif) tout en éliminant simultanément tous les facteurs et influences néfastes, les qualités autoconstructrives, autorégulatrices, autoréparatrices du corps sont pleinement libérées.

Contexte historique

Le mouvement Natural Hygiene aurait été fondé dans les années 1830 par Sylvester Graham (inventeur du biscuit Graham) [1], mais il a décliné jusqu'à être « ressuscité à l'article de la mort » par Herbert M. Shelton (1895-1985). Shelton affirmait que « les soins hygiéniques sont les seuls soins rationnels et radicaux à jamais n'avoir été administrés aux malades, en tout temps et en tous lieux ». [2]

Lors d’une interview avec Natural Living en 1978, Shelton décrit son parcours éducatif de la manière suivante :

J'ai fait mes études supérieures à l'Université de Hard Knocks, d’où je suis parti avant d'avoir mon diplôme. J'ai suivi le processus habituel de lavage de cerveau du système scolaire à Greenville, au Texas, et je me suis révolté contre le système politique, religieux, médical et social dans son ensemble, à seize ans.

Au cours des années suivantes, Shelton a obtenu un « Doctorat en thérapeutique physiologique » de l’International College of Drugless Physicians (Faculté internationale des médecins sans médicaments), une école créée par Bernarr Macfadden, et il a suivi un cours de troisième cycle au Lindlahr College of Natural Therapeutics de Chicago. Puis il est allé à New York où, « après neuf mois de lavage de cerveau », il a obtenu des diplômes en chiropratique et en naturopathie. En 1920, après d’autres études et un apprentissage dans diverses institutions, Shelton publia le premier de ses 40 ouvrages, Fundamentals of Nature Cure. En 1928, il fonda la Health School du Dr Shelton à San Antonio, qui fonctionna dans sept localités différentes jusqu'en 1981. De 1934 à 1941, il a produit une série de 7 volumes sous le titre The Hygienic System. En 1939, il lance Dr. Shelton’s Hygienic Review, un magazine mensuel publié pendant environ 40 ans.

La principale organisation de Natural Hygiene est la National Health Association (NHA), dont le siège est à Tampa, en Floride. Shelton a fondé la NHA sous le nom d’American Natural Hygiene Society (ANHS), qui a pris son nom actuel en 1998. L'adhésion coûte 35 $ ou plus et comprend un abonnement à Health Science, son magazine trimestriel. Des déclarations de revenus récentes (déposées au nom de l’AHNA) indiquent que les recettes de l’organisation, provenant des cotisations des membres, se sont élevées à 29 209 dollars en 2006, 50 242 dollars en 2005, 53 794 dollars en 2004, 54 866 dollars en 2003, 43 174 dollars en 2002 et 47 794 dollars en 2001. Ces chiffres suggèrent qu'au cours des 6 dernières années, la NHA comptait entre 800 et 1500 membres. La NHA encourageait activement la certification des « aliments biologiques » et s'opposait à la vaccination, à la fluoration et à l'irradiation des aliments.

En 2003, certains « médecins hygiénistes » ont lancé l'International Natural Hygiene Society (INHS), un réseau de bénévoles basé sur le Web, sans frais d'adhésion. Son site Web indique qu'il compte plus de 800 membres.

L’International Association of Hygienic Physicians (IAHP) est une association professionnelle regroupant des médecins, des ostéopathes, des chiropraticiens et des naturopathes agréés « qui se spécialisent dans la supervision du jeûne thérapeutique en tant que partie intégrante des soins hygiéniques ». Fondée en 1978, l'IAHP propose un programme de stages de « certification en supervision de jeûne ». En décembre 2007, sa liste de référence sur le site Web comptait 26 membres aux États-Unis et 11 dans des pays tiers. La plupart sont des chiropraticiens, mais quelques-uns sont titulaires d'autres diplômes.

Philosophie thérapeutique

Selon une brochure de l'ANHS publiée dans les années 1980 :

Un repos complet, comprenant le jeûne, est la condition la plus favorable dans laquelle un corps malade peut se purifier et se réparer. Le jeûne est l'abstinence totale de tout aliment liquide ou solide, à l'exception d'eau distillée. Pendant un jeûne, les forces de récupération du corps sont mobilisées et toute son énergie est dirigée vers la recharge du système nerveux, l'élimination des accumulations toxiques, ainsi que la réparation et le rajeunissement des tissus. Des réserves de nutriments sont stockées dans les tissus de chaque organisme, et il les utilisera pour le métabolisme et les travaux de réparation. Tant que ces réserves ne seront pas épuisées, aucune destruction des tissus sains ni aucune « carence » ne pourra se produire.

Les publications de Natural Hygiene encouragent le jeûne, chez l’enfant comme chez l’adulte. La brochure affirmait également :

Natural Hygiene refuse le recours aux médicaments, aux transfusions sanguines, aux radiations, aux compléments alimentaires et à tout autre moyen de traiter ou de « guérir » divers maux. Ces thérapies interfèrent avec les processus vitaux et les tissus, ou elles les détruisent. La guérison d'une maladie se produit malgré l’administration de drogues et de remèdes, et non grâce à celle-ci.

En 1982, un jury de la Cour fédérale a attribué plus de 800 000 dollars à la famille de William Carlton, un homme de 49 ans décédé des suites d'un jeûne à base d’eau distillée pendant 30 jours à la Shelton's Health School. Un article du Los Angeles Times rapportait que Carlton était décédé d'une pneumonie résultant de son affaiblissement. Il avait perdu plus de 22 kilos au cours de son dernier mois de vie. L'article notait également qu'il était le sixième à décéder en suivant un traitement à l'école, en cinq ans [3]. Shelton et son associée chiropraticienne, Vivian V. Vetrano, ont affirmé dans leur procédure d’appel que Carlton avait persisté à jeûner après que le Dr Vetrano lui avait conseillé d'arrêter. Cependant, le verdict a été confirmé par la Cour d'appel du Cinquième circuit et la Cour suprême des États-Unis a refusé toute nouvelle révision.

« Combinaison d’aliments »

Un autre élément central de Natural Hygiene est son système de « combinaison d’aliments », une notion erronée selon laquelle diverses combinaisons d’aliments consommés au cours d’un même repas peuvent causer ou corriger des problèmes de santé. Dans « Food Combining Made Easy », il était affirmé :

S’il s’agit d’un seul produit alimentaire qui est une combinaison d'amidon et de protéines, le corps peut facilement ajuster ses sucs aux exigences digestives de la nourriture. Mais lorsque deux aliments aux besoins  digestifs différents sont consommés ensemble, cet ajustement précis des sucs aux besoins devient impossible.

Les « Hygiénistes naturels » croient, par exemple, que consommer un aliment riche en protéines et un aliment riche en glucides au même repas aura au minimum une incidence négative sur la capacité enzymatique de l'organisme. Dans Food Combining, Shelton a classé les aliments en sept catégories se chevauchant partiellement :

  1. protéines, comme les noix, les cacahuètes et les avocats
  2. amidons, comprenant les fruits sucrés comme les cacahuètes, les châtaignes, les citrouilles, les bananes et les mangues
  3. graisses, comme la plupart des noix et les avocats
  4. fruits acides, comme les agrumes et les tomates
  5. fruits « sous-acides », comme les poires et les abricots
  6. légumes verts et non-féculents, comme la laitue, le brocoli et le cresson
  7. melons, comme la pastèque, le miellat et le cantaloup.

Les systèmes de classification « hygiénique » diffèrent quelque peu, mais certains aliments ne sont recommandés en aucune circonstance.

Shelton enseignait que les combinaisons suivantes sont indigestes : acides et amidons ; protéines et amidons ; acides et protéines ; graisses et protéines ; sucres et protéines ; sucres et amidons (à noter : Shelton a classé les fruits sucrés parmi les amidons) ; melons et tout produit autre que des fruits frais ; et même deux protéines différentes. Ces déclarations ont été démythifiées il y a plus de 70 ans dans la littérature scientifique et populaire.

Malgré ses nombreuses absurdités, Natural Hygiene a connu un regain d’intérêt dans les années 1980, grâce à Harvey et Marilyn Diamond et leurs livres Fit for Life (1985) et Living Health (1987). Harvey a reçu son « Doctorat en science nutritionnelle » de l'American College of Health Science de T.C. Fry au Texas (une institution non reconnue), qui proposait un volumineux cours par correspondance détaillant les points de vue de Fry. Les défenseurs de Natural Hygiene ont écrit deux autres livres populaires : The Beverly Hills Medical Diet (1982) de Judy Mazel et Unlimited Power (1986) d’Anthony Robbins.

Bien que les règles diététiques « officielles » de Natural Hygiene soient rigides et restrictives, leur respect varie considérablement selon les adhérents. Fit for Life donne un consentement réticent à la consommation de lait, de préférence non pasteurisé, et de yaourt nature, et ses menus comprennent des fruits de mer et de la volaille.

En définitive

Natural Hygiene est dangereuse car elle encourage le jeûne prolongé et décourage les interventions médicales dont l'efficacité est avérée. Bien que son régime présente deux caractéristiques admirables (une faible teneur en matières grasses et une teneur élevée en fibres), sa recommandation d'éviter les produits laitiers est une invitation à l'ostéoporose. Aucune étude scientifique n'a jamais comparé les taux de maladie et de mortalité des « Hygiénistes » à ceux d’autres personnes. Mais il me semble que les risques dépassent de loin les avantages possibles.

    

Références

  1. Shelton H. Food Combining made EASY. Booklet originally published in 1951 and reprinted in 1982 by Willow Publishing, Inc., San Antonio, Texas.
  2. In brief. Los Angeles Daily Journal, Sept 21, 1982, page 1.

    

Certaines parties de cet article ont été publiées dans le numéro de septembre/octobre 1990 de Nutrition Forum dans un article intitulé « Natural Hygiene: Toujours en vie et dangereuse », de Jack Raso, diététicien.

 

Cet article a été publié le 1er janvier 2007.

Traduction en français le 10 avril 2019 par le Dr Jacek Sierakowski.

Dernière mise à jour le 13 avril 2019.

Source: Quackwatch