LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

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Cultes médicaux: Naturopathie

Martin Gardner ©1966

La naturopathie est, au même titre que l'homéopathie, un culte médical universel venu d'Europe. Toutefois, contrairement à l'homéopathie, il n'a pas eu un fondateur proprement dit. Son développement fut spontané. Son principe se résume à ceci : s'en remettre entièrement à la « nature » pour guérir de tout. On aura recours à la médecine et à la chirurgie le moins possible ou même pas du tout. Comme on peut aisément le concevoir, des centaines de thérapeuthiques insolites se réclament de cette tendance, en sorte qu'il est difficile de donner une définition exacte des doctrines de la naturothérapie.

Les premiers naturopathes sont des médecins européens des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Vincenz Prisnitz et le P. Sébastien Kneipp furent les pionniers de l'hydrothérapie. Adolphe Just, dans son Retour à la Nature, recommandait de dormir à même le sol, de marcher pieds nus sur le sable et les pelouses humides, et d'employer des compresses d'argile. Louis Kuhne, dans l'Art de guérir, condamnait tous les médicaments et conseillait les bains de vapeur, la lumière du soleil, un régime végétarien et le pain complet. Heinrich Lahmann interdisait, quant à lui, de saler les aliments et de boire de l'eau pendant le repas. Antoine Béchamp soutenait que les maladies engendrent les bactéries, et non l'inverse.

Le pionnier de la naturothérapie aux États-Unis est un Adventiste du Septième Jour, John H. Kellogg, qui créa le sanatorium de Battle Creek[1]. Il est responsable de la place prépondérante que tiennent les méthodes naturothérapiques chez les Adventistes contemporains. Un autre Américain, Henry Lindhar, « découvrit » que la maladie, loin d'être la conséquence d'une invasion de microbes pernicieux, est en réalité un mode d'autodéfense naturel du corps. Mais Benedict Lust, disciple du P. Kneipp, se détache nettement sur le fond des premiers naturopathes américains. Il fonda une école à New York, deux centres de séjour (à Butler, New Jersey et à Tangerine, Floride), écrivit beaucoup de livres, publia maintes revues (l'une d'elles, les Voies de la Nature, poursuit allègrement sa longue carrière entre les mains des descendants de Lust). Ennemi irréductible des « trusts du médicament », il réussit à se faire arrêter à 16 reprises au cours du bon combat. Ses insertions publicitaires furent souvent l'ornement des revues naturistes de Bernarr Macfadden.

Macfadden, lui-même grand promoteur de la naturopathie, est l’auteur d'une monumentale Encyclopédie de la culture physique (1912) en 5 volumes (sous-titre : Ouvrage de base, apportant une documentation complète sur le traitement de toutes les maladies par la physcultopathie), véritable sommet de la pseudo-science médicale. Les 572 pages du tome IV sont dévolues à une liste alphabétique des principales maladies — dont les néphrites, la polio, le cancer, etc., — accompagnées du traitement à domicile correspondant, conçu par Macfadden. Ces traitements se limitent, la plupart du temps, aux régimes alimentaires, exercices de culture physique et hydrothérapie. Le cancer, par exemple, exige une cure de jeûne, suivie d'exercices et d'un « régime de revitalisation ». Le recours au médecin n'est envisagé à aucun moment. On trouve d'ailleurs en tête de ce volume un « Avertissement au lecteur » ainsi libellé : « Il est indispensable de rappeler que les méthodes préconisées dans cet ouvrage sont incompatibles avec l'usage interne de produits médicamenteux. Tout emploi de médicaments en cours des traitements prescrits ici peut entraîner des conséquences très sérieuses, et il ne faut s'y fier en aucun cas. »

Rendons cette justice à Macfadden : il est un peu revenu sur son intransigeance, un peu seulement. Il reste tout à fait convaincu par exemple que le cancer doit se traiter par un régime exclusivement composé de raisins ; il y a quelques années, il offrit 10 000 dollars à quiconque lui prouverait le contraire (la théorie de la cure de raisins comme panacée souveraine de toutes les maladies, longtemps à l'honneur dans les régions vinicoles d'Europe, offre une littérature aussi abondante que les panégyriques du lait de chèvre).


1957 : Macfadden mourut de jaunisse en 1955 ; sa fin fut, à coup sûr, hâtée par le jeûne de trois jours qu'il s'imposa en essayant de se soigner lui-même, sans recourir à un médecin. Mrs. Macfadden, sa troisième femme, a écrit une biographie sans fard de son mari : Haltères et carottes râpées (1953).


Au tournant de ce siècle, des centaines d'écoles surgirent çà et là, sous l'enseigne de la naturopathie. Comme bien on pense, elles étaient aussi miteuses que possible. La plupart se réduisaient à quelques pièces exiguës, dans un appartement sans ascenseur ; on y donnait des cours du soir, et, au terme d'une brève période de formation, un diplôme pompeusement calligraphié. L'élève recevait parfois plusieurs diplômes à la fois, gravés à l'en-tête d'écoles différentes, mais qui se partageaient le même local et, du coup, ses versements. Encadrés dans le bureau du lauréat, ces diplômes composaient un ensemble fort impressionnant. L'unité de vues n'était pas le trait dominant de ces écoles. Outre les régimes fantaisistes, les massages et l'hydrothérapie, on trouve à leurs programmes des douzaines de petites doctrines farfelues. Jetons un coup d’œil sur deux d'entre elles : l'iridiagnostic et la zonothérapie.

L'iridiagnostic, c'est le diagnostic des maladies d'après l'aspect de l'iris de l'oeil[2]. Grande science, en vérité, elle est l'oeuvre d'un médecin de Budapest, Ignace Peczely, qui la fit connaître par un ouvrage publié en 1880. Son art rencontra un écho immédiat chez les homéopathes de Suède et d'Allemagne, et fut introduit aux États-Unis par Henry E. Lahn, auteur du premier livre de langue anglaise sur le sujet. Le naturopathe Henry Lindlahr, élève de Lahn, rédigea une étude qui reste définitive, l'Iridiagnostic et les autres méthodes de diagnostic (1917), en dépit de quelques travaux publiés par la suite.

D'après Lindlahr, le Dr Peczely découvrit la nouvelle science à l'âge de dix ans. Il avait attrapé un hibou et, par inadvertance, lui cassa une patte. « Regardant droit dans les grands yeux brillants de l'oiseau, écrit Lindlahr, il nota qu'au moment où l'os claqua une tache noire apparut dans la partie inférieure centrale de l'iris, correspondant à la région où se localise la patte cassée, comme il devait le découvrir plus tard. » Le petit Ignace fit du hibou son favori. Tandis que guérissait la patte, un liseré blanc se dessina autour de la tache noire, révélant la formation d'un tissu cicatriciel dans l’os.

Selon les iridiagnosticiens, l'iris se divise en une quarantaine de zones, disposées dans le sens des aiguilles d'une montre pour un œil, dans le sens contraire pour l'autre. Chaque zone est reliée par des filaments nerveux aux différentes parties du corps, à peu près comme dans la théorie chiropractique où les diverses parties de l'épine dorsale sont connectées à des régions précises du corps. Les taches de l'iris sont appelées « lésions » ; elles indiquent un mauvais fonctionnement de la partie correspondante. J. Haskell Kritzer, dans son Manuel de l'iridiagnostic (5e édition, 1921), explique avec soin comment distinguer les yeux artificiels, évitant ainsi les instants pénibles qui ne manqueraient pas de suivre un diagnostic circonstancié.

On aurait tort de voir dans l'iridiagnostic le plus aberrant de ces cultes médicaux ; la zonothérapie est pire encore. Ici, le corps est divisé en dix zones verticales, cinq de chaque côté du corps, terminées chacune par un doigt et un orteil. On pourra longtemps se demander de quelle façon les parties de chaque zone communiquent entre elles, les dix divisions faisant fi des systèmes nerveux et artériels. Les zonothérapeutes invoquaient l'existence d'un réseau microscopique encore insoupçonné.

En gros, ils soutenaient que la quasi-totalité des douleurs physiques et, dans bien des cas, leur cause même, peuvent être vaincues par pression sur le doigt ou l'orteil adéquat, ou quelque autre point de la zone affectée. Les techniques de pression étaient fort variées — principalement, des bandes de caoutchouc (serrées jusqu'à ce que le doigt, ou l'orteil, soit bleu), des cordons élastiques à vêtements ou encore des dents de peigne métalliques imprimées dans la chair.

Le créateur de la zonothérapie, le Dr William H. Fitzgerald, diplômé de l'université du Vermont, fut de longues années chef des services d’otorhinolaryngologie à l'hôpital Saint-Francis de Hartford, Connecticut. Son adjoint, le Dr F. Browers, fut le premier à présenter la nouvelle science par une série d'articles de vulgarisation dans la Revue pour tous, précédés d'une chaleureuse introduction du rédacteur en chef, Bruce Barton. Plus tard, Fitzgerald et Browers rédigèrent en collaboration la Zonothérapie (1917). D'autres auteurs y allèrent ensuite de leur contribution ; la plus notable demeure la Zonothérapie de Benedict Lust, père de la naturothérapie américaine.

Le livre de Lust décrit le traitement de la plupart des maladies — y compris le cancer, la polio et l'appendicite. Il faut soigner le goître par pression sur l'index et le médius ; toutefois, « si le goître, très développé, déborde sur la quatrième zone, il devient nécessaire d'agir également sur l'annulaire. » Les douleurs et troubles de la vue requièrent une pression sur ces deux mêmes doigts ; mais, en cas de surdité, on serrera de préférence l'annulaire que le troisième orteil. Un des traitements les plus efficaces de la surdité partielle, écrit Lust, « est de serrer un élastique à vêtement sur l'extrémité du troisième doigt, du côté où se manifeste le trouble d'audition. »

On apaisera les nausées en pressant un peigne de métal sur la face externe des deux mains, et les douleurs de l'enfantement s'évanouiront si la mère serre un peigne dans chaque main, de telle façon que le bout des doigts appuient sur les dents du peigne. « Des bandes de caoutchouc autour du gros orteil et du deuxième orteil seront également utiles », ajoute Lust. Les dentistes ont, avec la zonothérapie, un outil inestimable. Plus besoin d'anesthésies ! Il suffit d'entourer d'une bande de caoutchouc étroitement serrée les doigts correspondants à la zone de la dent pour que celle-ci soit insensibilisée.

Contre la chute des cheveux, Lust préconise une méthode qu'il décrit à bon droit comme « la simplicité même ». Elle consiste « à frotter vigoureusement les ongles des deux mains les uns contre les autres, en un mouvement latéral, pendant trois ou quatre minutes et plusieurs fois par jour. L'Irrigation sanguine de toutes les zones s'en trouve stimulée et, de ce fait, active le système circulatoire tout entier y compris, naturellement, le cuir chevelu ».

La langue, la gorge et la voûte du palais, entrant dans les dix zones, se prêtent donc, elles aussi, à la thérapeutique par pression. Les maux de tête, par exemple, seront traités en pressant le pouce contre le palais : douleurs menstruelles, en appuyant sur certaines parties de la langue ; il faut trois à cinq minutes pour guérir la coqueluche par attouchement d'un point précis de l'arrière-gorge. « Nous n'avons pas encore essuyé d'échecs, écrivent Fitzgerald et Browers, après une expérience portant sur plusieurs centaines de coqueluches convenablement traitées par zonothérapie. »

Il paraît inconcevable que cette doctrine ait pu trouver crédit, et pourtant des centaines de naturopathes l'ont prise au sérieux, lui attribuant résultats extraordinaires. Les ouvrages consacrés à cet art regorgent des témoignages de patients immédiatement soulagés de souffrances intolérables, sinon guéris définitivement de maladies graves et chroniques.

Aujourd'hui, plus réalistes, les écoles de naturopathie ont abandonné l'iridiagnostic, la zonothérapie et autres aspects démentiels de la doctrine. Mais elles s'accordent toutes sur un point : la cause principale d'une maladie n'est pas une bactérie d'origine extérieure, mais une violation des lois naturelles de la vie. Toutes, elles considèrent que les médicaments sont dangereux. Le Dr Robert A. Wood, de Chicago, naturopathe et ancien président de l'Association américaine de Naturopathie, formule ainsi ce credo :

Les naturopathes ne recourent en aucun cas aux médicaments, pas plus qu'ils ne font usage de substances inorganiques susceptibles d'affecter l'organisme. En revanche, ils font confiance aux vitamines, aux minéraux, à la chlorophylle, aux jus de légumes et de fruits, au lait de vache non pasteurisé et à un régime équilibré. Quelle que soit la maladie, l'allopathie supprime les symptômes, elle ne guérit pas. Son seul but est de tuer la douleur, d'apporter un soulagement éphémère. Contre toutes les variétés de fièvre, elle utilise les antipyrétiques — quinine, aspirine, salycilate et autres dérivés du goudron, coupant la fièvre sans doute, mais qui laissent dans l'organisme les toxines qui l'ont provoquée. Tandis que le naturopathe combat ou réduit la fièvre physiologiquement, par des moyens naturels : jus de citron dans de l'eau distillée ; jus de fruits frais et crus en abondance ; enveloppements dans les serviettes de bain chaudes et humides ; enfin, brochant sur le tout, le meilleur de tous les réducteurs de fièvre : les lavements.

Les naturopathes font grand cas du clystère pour balayer de l’organisme tous les déchets indésirables. Ils trouvent apparemment tout à fait « naturel » d'introduire un tube dans le rectum et d'inonder ensuite l'intestin d'énormes quantités d'eau. Par contre, ils jugent « antinaturel » de prendre un remède qui, la plupart du temps, n'est rien d'autre qu'une substance naturelle, mais purifiée afin de la rendre plus active.

À en croire le Dr Wood, 85 % des appendicites peuvent être guéries par une diète de courte durée, puis lavement d'eau froide quotidien pendant quatre jours, suivis, pour finir, d'un régime spécial. Non seulement les médicaments ne guérissent pas la syphilis, mais encore ils sont cause d'ataxie motrice. Dans un article de l'American Mercury, numéro de mai 1950 (dont sont extraites les assertions et citations ci-dessus) le docteur se flatte d'avoir guéri un homme de soixante-cinq ans qui, ayant contracté la syphilis à l'âge de seize ans, n'avait pas été traité depuis lors. « Je n'ai utilisé, déclare-t-il, ni mercure ni aucun autre de ces remèdes allopathiques qui font effet « au petit bonheur la chance ».

Une autre fois, le Dr Wood eut à traiter un petit garçon de cinq ans, atteint de tuberculose de l'os pelvien. Le mal avait rongé deux trous dans l'os.

Mis à part les deux trous, une légère déviation de la colonne vertébrale et le fait qu'une jambe était devenue plus courte que l'autre, il se portait à merveille. Priorité fut donnée au régime : aliments naturels additionnés de calcium naturel. Bains de siège, bains de soleil, jets d'eau froide, enveloppements chauds, infrarouge, vibrations, gymnastique, massages, lavements et autres remèdes naturels, et voilà le traitement. Le dernier examen aux rayons X démontrait un rétablissement complet.

L’aversion des naturopathes pour la théorie microbienne est, bien entendu, partagée par de nombreuses sectes religieuses. La Christian Science, la Pensée nouvelle et l'Unité viennent en tête de liste, pour ne pas parler de la Jewish Science, secte fondée en 1922 par le rabbin Morris Lichtenstein de New York. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le sujet dont la Science juive et la santé, évidente imitation du célèbre ouvrage de Mrs. Baker Eddy, fondatrice de la Science chrétienne. Citons, parmi les hommes célèbres qui combattirent la théorie de l'infection microbienne, le plus illustre d'entre eux peut-être : G. B. Shaw. L'un de ses derniers livres, Tout ce qu'il faut savoir de la politique (1944), contient un spirituel plaidoyer en faveur de la naturopathie. Les médicaments, dit-il, se bornent à supprimer les symptômes. La maladie revient en général, à moins que la personne ne soit assez sensée pour permettre à la nature de la guérir en dépit des drogues. Comme Antoine Béchamp, un chimiste français contemporain de Pasteur, Shaw nie que les maladies soient dues à des germes aériens. Les microbes, selon Shaw, Béchamp et la plupart des auteurs cités dans ce chapitre, sont le produit de la maladie. Ils se développent au sein des cellules malades de l'organisme. Néanmoins, une fois développés, ils deviennent infectieux. Shaw pensait que la majorité des épidémies sont imputables aux blanchisseries, où les mouchoirs et vêtements des malades contaminent les vêtements des autres. Shaw, on s'en doute déjà, fut toute sa vie durant l'ennemi acharné de la vaccination, de la vivisection, de l'alimentation carnée, des césariennes et de l'ablation des amygdales et de l'appendice[3].

Eugène Debs, le célèbre leader socialiste américain, mourut au Sanatorium Naturopathique Lindlahr d'Elmhurst, Illinois. Morris Fishbein raconte cette histoire tragique dans son livre : Manies et charlatanisme en matière de guérison, 1932 (sur lequel ce chapitre se fonde en grande partie). Debs, sorti de prison depuis peu et se sentant malade, avait été se reposer au sanatorium. Un jour qu'il s'était rendu chez l'écrivain Carl Sandburo l'un de ses nouveaux voisins, il tomba évanoui sur le chemin du retour. Après deux jours de traitement au sanatorium, le frère de Debs demanda au Dr Fishbein d'examiner le malade. Fishbein le trouva dans le coma, une pupille dilatée et l'autre contractée — ce symptôme, demeuré inaperçu du personnel soignant, indique un trouble cérébral. Le corps était gravement déshydraté : Debs, inconscient, n'avait pas réclamé à boire depuis deux jours, en sorte que personne n'y avait pensé. Il souffrait aussi de malnutrition, en raison du jeûne qu'on lui faisait subir conformément aux recommandations de Macfadden et d'Upton Sinclair. Quand le cœur de Debs commença de faiblir, les « docteurs » lui administrèrent un remède végétarien, à base de cactus, sans la moindre vertu. Le remède ayant échoué, ils lui appliquèrent un traitement électrique dont il ne résulta que de graves brûlures. En désespoir de cause, ils avaient essayé une injection maladroite de digitaline — qui, administrée avec discernement, peut avoir d'heureux effets. Mais Debs ne pouvait plus être sauvé et mourut le lendemain. Ce traitement, dit Fishbein, est caractéristique des méthodes naturopathiques.

Le nombre des naturopathes qui exercent à présent aux États-Unis est difficile à évaluer — quelques milliers encore, sans doute. Quantité de revues spécialisées suivent la ligne naturopathique, des dizaines de pharmacies sont dépositaires de remèdes « naturels » sous forme de sels minéraux, vitamines, supra-levures, extraits d'herbes, etc. Leurs fabricants, bien souvent, opèrent dans une semi-clandestinité, accusant l'Association des Médecins américains et les « trusts pharmaceutiques » de les « persécuter ».

Il est tout aussi difficile d'apprécier les méfaits causés par les naturopathes. Par bonheur, leur horreur de la vaccination n'a pas rencontré assez d'échos pour empêcher les étourdissants progrès de la Santé publique au cours des récentes années. Encore une autre décennie, et la variole, la diphtérie et la coqueluche auront complètement disparu du territoire américain. Ces affections entraînaient chaque année des dizaines de milliers de décès. Un retour au lait cru pourrait s'accompagner d'une recrudescence de la scarlatine, de la typhoïde, de la tuberculose et autres maladies que la pasteurisation a fait régresser dans des proportions inouïes. La condamnation des sulfamides et de la pénicilline (qui attaquent les germes infectieux, non les symptômes) a sans doute provoqué la mort d'un nombre insoupçonné de patients naturopathes à qui les lavements ne pouvaient faire que du mal.

Le meilleur échantillon de la science médicale d'un naturopathe est peut-être cette déclaration, tirée d'une lettre du Dr Wood à l'American Mercury (août 1950) : « Si les bactéries de l'atmosphère propagent les maladies, comme l'affirme le corps médical, alors comment se fait-il que des millions d'Hindous se baignent chaque jour dans le Gange pollué, charriant des milliards de microbes... Or, à ma connaissance, aucune épidémie d'importance ne s'est jamais déclarée sur ces lieux. » À quoi le Dr Joseph Wassersug répond courtoisement que le taux de mortalité par maladies infectieuses est plus élevé en Inde que nulle part ailleurs, et qu'on a pu mettre au compte des baignades du Gange l'origine directe d'épidémies mortelles de choléra, assez importantes dans quelques cas pour prendre des proportions mondiales. Rien, toutefois, ne permet d'augurer que ce genre de remarque amènera les naturopathes à renoncer à leurs clystères et à leurs livres de poche.

 

Notes

  1. L'ouvrage le plus gros de John Kellog a pour titre : L'Hydrothérapie rationnelle, le volume dépasse les 1200 pages. Son plus jeune frère, W. K. Kellog, devint le roi du flocon d'avoine.
  2. Les délires médicaux, comme les sectes religieuses, ne s'éteignent jamais tout à fait : l'illustré allemand Quick (30-5-54) contient un article sur l'iridiagnosticien Emil Stramke, de Hambourg; en juin 1954, la police de Tulsa, Oklahoma, arrêtait l'« iriologiste » J.D. Levine, au grand mécontentement d'une petite foule venue entendre sa conférence. (Note de l'Auteur, 1957).
  3. Pour les positions médicales Cranks de Shaw, consulter la longue préface de sa tragédie, Le Dilemme du docteur (trad. fr. 1941) et dans les articles recueillis sous le titre : Doctor's Delusion (Standard Edition of the Works of G.B.S. yol. XIII). (Note de l'Auteur).

 



Cet article est un extrait du livre de Martin Gardner, Les magiciens démasqués (pp. 218 à 225).

Martin Gardner, Les magiciens démasqués

© Presses de la cité, un département de Place des éditeurs,
1966 pour la traduction française par Béatrice Rochereau.

Article publié avec l'aimable autorisation des Presses de la cité.


Dernière mise à jour le 23 novembre 2019.

Source: Quackwatch