LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

quackwatch

Le vilain secret des chiropraticiens :
manipulations cervicales et accidents vasculaires cérébraux

Dr Stephen Barrett
anatomie vaisseaux et nerfs du cou

Certains accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont liés à une manipulation cervicale effectuée lors d’un geste chiropratique. Une artère irriguant le cerveau se rompt ou est occluse par un caillot, suite au geste. Cela est fréquemment dû à une rotation extrême : le praticien place ses mains sur la tête du patient et la tourne, faisant ainsi pivoter la colonne cervicale [1]. L’artère vertébrale, illustrée à droite, est vulnérable, car elle s’enroule autour de la vertèbre cervicale la plus haute (atlas) pour pénétrer dans le crâne, de sorte qu’une rotation abrupte risque d’étirer l’artère et de léser sa fragile paroi. Une illustration anatomique du processus figure à la page 7 du rapport sur la chiropratique de juillet 1999. Un caillot peut se former sur la zone lésée, puis migrer et obturer une des artères de calibre inférieur qui irrigue le cerveau. L’occlusion peut également être causée par l’épanchement sanguin à l’intérieur de la paroi, cette complication est toutefois moins fréquente [2].

Les chiropraticiens aimeraient vous faire croire que l’incidence des AVC après une manipulation cervicale est extrêmement faible. Il existe des estimations selon lesquelles le risque de complication grave, suite à ces pratiques, se situe entre une sur 40 000 et une sur 10 millions. Cependant, personne n’en sait rien car (a) il n’a guère été fait d’étude systématique de sa fréquence ; (b) les plus grands assureurs contre la faute professionnelle ne divulguent pas le nombre de cas dont ils ont connaissance ; et (c) la grande majorité des cas vus par des médecins ne sont pas rapportés dans des revues scientifiques.

Rapports publiés

En 1992, une enquête commanditée par l’American Heart Association et réalisée par des chercheurs du Stanford Stroke Center a porté sur 486 membres californiens de l’American Academy of Neurology. On leur a demandé le nombre de patients vus, au cours des deux années précédentes, pour un AVC survenu dans les 24 heures suivant une manipulation cervicale chiropratique. 177 neurologues ont déclaré 56 cas, ayant de 21 à 60 ans. L’une de ces personnes est décédée et 48 ont souffert de déficits neurologiques permanents, comme des troubles de l’élocution, des difficultés à ordonner correctement les mots et des vertiges. La cause habituelle de ces AVC est une séparation des membranes internes et externes du vaisseau (dissection) où s’accumule le sang, ce qui gonfle la paroi artérielle, réduisant ainsi son calibre, et ralentit voire interrompt la circulation sanguine vers les zones du cerveau irriguées par cette artère. Trois de ces accidents vasculaires cérébraux étaient causés par des lésions carotidiennes [3]. En 1991, selon les données figurant dans Dynamic Chiropractic, la Californie compte approximativement 19 % des chiropraticiens en exercice aux États-Unis, ce qui indique qu’au niveau national, il y a environ 147 cas vus par des neurologues chaque année. Bien entendu, d’autres cas ont pu être vus par des praticiens n’ayant pas participé à l’étude.

Une étude de 1993 a conclu que le risque de complications et l’absence d’avantages connus font que les manipulations cervicales ne devraient pas être pratiquées sur des enfants [4].

Louis Sportelli, docteur en chiropratique, président du NCMIC (fournisseur d’assurance contre la faute professionnelle en chiropratique) et ancien président du conseil d’administration de l’ACA (association américaine de chiropratique), affirme que la manipulation cervicale des chiropraticiens est totalement sûre. Dans une interview rapportée par l’Associated Press en 1994, il a réagi à l’étude de l’American Heart Association en déclarant : « J’en bâille d’ennui. C’est une vieille nouvelle. » Il a également déclaré que d’autres études suggèrent que la manipulation chiropratique cervicale cause un AVC entre une fois sur un million et une fois sur trois millions [5]. Cette valeur de un pour un million pourrait être correcte si les chiropraticiens de Californie effectuaient une moyenne de 60 manipulations cervicales par semaine. Un peu plus tard dans la même année, lors d’une entrevue télévisée avec « Inside Edition », Sportelli déclare que « le pire scénario » serait d’un cas pour 500 000, mais il ajoute « lorsque vous comparez la procédure à toute autre procédure dans l’industrie des soins de santé, c’est probablement le facteur de risque le plus faible de tous ». Selon le présentateur de l’émission, Sportelli a dit que 90 % de ses patients recevaient une manipulation du cou.

En 1996, Rand Corporation (un groupe de recherche indépendant comprenant des médecins et des chiropraticiens) a publié un livret dans lequel sont compilés plus de 100 rapports de cas publiés et a estimé que le nombre d’accidents vasculaires cérébraux, de compressions médullaires, de fractures et de gros caillots sanguins était de 1,46 par million de manipulations du cou. Même si ce nombre semble peu élevé, il est significatif parce qu’un grand nombre des manipulations que font les chiropraticiens ne devraient pas être réalisées. De plus, comme le rapport lui-même le précise, ni le nombre de manipulations effectuées ni le nombre de complications n’ont été systématiquement étudiés [6]. Puisque certaines personnes ont un risque plus élevé que d’autres, il a également été souligné que l’incidence devrait être exprimée sous forme de taux par patient plutôt que de taux par geste chiropratique.

En 1996, le National Chiropractic Mutual Insurance Company (NCMIC), qui est le plus important assureur américain contre les fautes professionnelles en chiropratique, a publié un rapport intitulé « Vertebrobasilar Stroke Following Manipulation » (« Accidents vértébro-basilaires à la suite de manipulations »), rédigé par Allen G.J. Terrett, chercheur et formateur australien en chiropratique. Terrett a basé ses études sur 183 cas d’accidents vasculaires vertébro-basilaires (AVC au niveau des artères vertébrales et/ou du tronc basilaire, ‘VBA’) rapportés entre 1934 et 1994. Il a établi que 105 des manipulations avaient été effectuées par un chiropraticien, 25 par un médecin, 31 par un autre type de praticien tandis que pour les 22 autres, l’activité du praticien n’était pas précisée dans le rapport. Il en a conclu que les cas de VBA sont « très rares », que les procédures actuelles de tests préalables sont rarement en mesure de prédire le risque de survenue d’un accident, et que, dans 25 cas, des blessures graves auraient pu être évitées si le praticien avait identifié certains symptômes consécutifs à la manipulation qui indiquaient qu’il ne fallait pas en pratiquer d’autres [7].

Une revue de 1999 de 116 articles publiés entre 1925 et 1997 a révélé 177 cas de lésions du cou associées à des manipulations cervicales, dont au moins 60 % étaient réalisées par des chiropraticiens [8].

En 2001, le NCMIC a publié une deuxième édition du livre de M. Terrett, intitulée « Current Concepts : Vertebrobasilar Complications following Spinal Manipulation » (« Concepts actuels : Complications vertébro-basilaires suite à une manipulation de la colonne vertébrale »), portant sur 255 cas publiés entre 1934 et 1999 [9]. Le site Web du NCMIC prétend que l’ouvrage « comprend une analyse de tous les cas connus liés à ce sujet ». Cette description n’est pas vraie, car elle ne comprend pas les nombreux cas qui ont donné lieu à des poursuites contre des assurés du NCMIC mais qui n’ont pas été publiés dans des revues scientifiques. Et elle n’inclut pas le cas bien documenté de Kristi Bedenbauer dont j’ai personnellement envoyé le rapport d’autopsie à Terrett après en avoir parlé avec lui en 1995.

En 2001, des chercheurs canadiens ont publié un rapport sur les relations entre les soins chiropratiques et l’incidence des accidents vasculaires vertébro-basilaires (‘VBA’, liés à une dissection ou une thrombose au niveau des artères vertébrales ou du tronc basilaire) en Ontario, au Canada, entre 1993 et 1998. À l’aide des dossiers des hôpitaux, chacun des 582 cas a été apparié, selon l’âge et le sexe, à quatre témoins sans antécédents d’accident vasculaire cérébral. Les documents de facturation de l’assurance-maladie ont été utilisés pour documenter l’utilisation des services chiropratiques. L’étude a révélé que les patients VBA de moins de 45 ans étaient cinq fois plus susceptibles que les témoins (a) d’avoir vu un chiropraticien dans la semaine précédant la VBA et (b) d’avoir consulté trois fois ou plus pour des manipulations cervicales. Aucun lien n’a été trouvé après l’âge de 45 ans. Les auteurs discutent des lacunes possibles de l’étude et demandent instamment que d’autres recherches soient effectuées [10]. Un éditorial d’accompagnement indique que les données correspondent à une incidence de 1,3 cas de dissection ou d'obstruction des artères vertébrales pour 100 000 personnes ayant subi une manipulation chiropratique du cou, ce qui est un nombre supérieur à la plupart des estimations chiropratiques [11].

En 2001, des chercheurs britanniques ont fait état d’une enquête dans laquelle on a demandé à tous les membres de l’Association of British Neurologists de signaler les cas de complications neurologiques qui leur étaient adressés et qui se produisaient dans les 24 heures suivant une manipulation cervicale, sur une période de 12 mois. Les 35 cas signalés comprenaient 7 accidents vasculaires cérébraux impliquant une artère du système vertébro-basilaire et 2 accidents vasculaires cérébraux impliquant une artère carotide. Aucun des 35 cas n’a été rapporté dans les revues médicales [12]. Edzard Ernst, professeur de médecine complémentaire à l’École des Sciences du Sport et de la Santé de l’Université d’Exeter, estime que ces résultats sont très significatifs. Dans un commentaire récent, il a déclaré :

On a l’impression que les risques de manipulation de la colonne vertébrale sont minimisés, notamment par les chiropraticiens. L’une des meilleures preuves en est cette estimation des taux d’incidence, basée sur des hypothèses qui sont, au mieux non prouvées, au pire irréalistes. Une d’entre elles, par exemple, est que 10 % des complications réelles seront signalées. Cependant, notre récent sondage a révélé un taux de sous-déclaration de 100 %. Ce niveau extrême rend évidemment les estimations absurdes [13].

En 2002, des chercheurs représentant le Canadian Stroke Consortium ont signalé 98 cas où un traumatisme externe, caractérisé de « banal » à « grave », a été identifié comme ayant été le déclencheur d’accidents vasculaires cérébraux ischémiques, où des caillots sanguins se forment et obstruent les artères qui alimentent le cerveau. Une manipulation cervicale chiropratique était la cause manifeste de 38 des cas, 30 avec une dissection d’une artère vertébrale et 8 de l’artère carotide. D’autres statistiques canadiennes indiquent que l’incidence des accidents ischémiques cérébraux chez les personnes de moins de 45 ans est d’environ 750 par année. Les chercheurs pensent que leurs données indiquent que 20 % sont dus à des manipulations cervicales, donc il pourrait y avoir une « sous-déclaration flagrante » de la manipulation chiropratique comme cause de l’AVC [14].

En 2003, une autre équipe de recherche a examiné les dossiers de 151 patients de moins de 60 ans ayant présenté une dissection artérielle cervicale et un accident ischémique cérébral ou un accident ischémique transitoire (AIT) entre 1995 et 2000, dans deux centres universitaires de traitement des AVC. Après une entrevue et un examen des dossiers à l’aveugle, 51 patients ayant subi une dissection et 100 patients témoins ont été étudiés. Ceux du groupe dissection avaient plus fréquemment reçu des manipulations cervicales que ceux du groupe témoin (14 % vs 3 %). Les auteurs ont conclu que la manipulation rachidienne est associée à la dissection des artères vertébrales et qu’une augmentation significative de la douleur cervicale suite à une manipulation cervicale justifie une évaluation médicale immédiate [15].

En 2006, le Journal of Neurology a publié un rapport du German Vertebral Artery Dissection Study Group (groupe d’études allemand sur la dissection de l’artère vertébrale) portant sur 36 patients en ayant présenté une, à la suite d’une manipulation du cou [16]. Vingt-six patients ont développé leurs symptômes dans les 48 heures suivant une manipulation, dont cinq au décours de la manœuvre et quatre durant l’heure suivante. Des protocoles d’imagerie appropriés ont confirmé chez 27 patients que l’apport sanguin avait diminué dans les zones alimentées par les artères vertébrales, comme le suggéraient les examens neurologiques. Les symptômes ne s’étaient jamais manifestés auparavant chez les 36 patients, et se distinguaient clairement des plaintes qui les avaient amenés à rechercher des soins manipulateurs. Ce rapport est très significatif mais nécessite une interprétation attentive. Bien qu’il s’intitule « Dissections vertébrales après une manipulation chiropratique du cou… », seuls quatre patients ont été manipulés par des chiropraticiens. La moitié ont été traitées par des chirurgiens orthopédiques, cinq par un physiothérapeute et les autres par un neurologue, un médecin généraliste ou un homéopathe. Il est possible – bien que cela soit peu probable – que les non-chiropraticiens aient utilisé des techniques plus dangereuses que les chiropraticiens en Amérique du Nord. Les auteurs ont suggéré que le traitement des orthopédistes était plus sûr, mais il n’existe aucun moyen de le déterminer à partir de leurs données. Quoi qu’il en soit, l’étude corrobore l’affirmation selon laquelle la manipulation du cou peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux – ce que beaucoup de chiropraticiens nient.

En 2006, Pediatrics Electronic Pages a publié les résultats d’un examen complet des déclarations d’événements indésirables associés à la manipulation de la colonne vertébrale d’enfants de huit ans ou moins. Parmi les sept cas classés comme graves, il y avait un nourrisson de 3 mois décédé des suites d’une hémorragie méningée (saignement qui comprimait le cerveau) et deux cas de luxation de l’atlas [17].

Deux rapports ultérieurs ont ajouté au déni de la chiropratique. Dans la première étude, 377 membres des associations de chiropratique britanniques et écossaises et plus de 19 000 de leurs patients ont été interrogés sur les complications éventuelles consécutives à des manipulations de la nuque. Aucun accident vasculaire cérébral n’a été signalé, mais des symptômes pouvant indiquer une atteinte neurologique – maux de tête (dans 3,9 % des cas), engourdissements / fourmillements dans les bras (1,3 % des cas) et évanouissements / vertiges / étourdissements (1,1 % des cas) – l’ont été. Environ 400 patients qui ont interrompu le traitement n’ont pas pu être recontactés pour un suivi, leur sort est donc inconnu [18]. La deuxième étude comparait les relevés de facturation des assurances et de sortie de l’hôpital et concluait a) que l’incidence des accidents vasculaires cérébraux suite à des visites de soins primaires était similaire à celle des accidents vasculaires cérébraux consécutifs à des visites de chiropratique, et b) donc que les accidents vasculaires cérébraux survenus dans les bureaux de chiropratique ne sont pas causés par le traitement qui y est reçu [19]. Cependant, l’étude n’a aucun sens car, contrairement au groupe d’étude allemand sur la dissection de l’artère vertébrale, les chercheurs n’ont pas examiné les dossiers cliniques et n’ont pas été en mesure de déterminer si les diagnostics présentés étaient exacts ou si les AVC étaient liés au type de manipulation [20].

Les chiropraticiens ont également fait valoir que des études cas-témoins démontrent que la manipulation cervicale et les accidents vasculaires cérébraux de l’artère vertébrale ne sont pas liés. Cette idée a été réfutée de manière convaincante [21].

Les complications sont-elles prévisibles ?

Il y a des chiropraticiens qui préconisent des « tests de dépistage » pour détecter les individus susceptibles de faire un AVC suite à une manœuvre cervicale [22-24]. Ces épreuves, où l’on demande au sujet de maintenir la tête et le cou dans certaines positions de rotation pendant une durée donnée, et où l’on observe si le patient présente des vertiges, ne sont pas fiables, notamment parce que la manipulation chiropratique peut infliger des torsions cervicales plus importantes. L’auscultation au stéthoscope des artères du cou pour détecter un souffle, par exemple, n’a pas été démontrée fiable, même si ce signe demande une investigation médicale plus poussée. Les contrôles de la fonction vasculaire où la tête du patient est maintenue brièvement dans les positions utilisées lors des manipulations cervicales ne sont pas plus fiables pour détecter les patients à haut risque, car l’étirement de l’artère vertébrale réalisé peut être déjà suffisamment puissant pour léser la paroi artérielle. Dans un chapitre d’un des principaux manuels de chiropratique, Terret et un de ses collègues déclarent :

Même après avoir relevé les antécédents médicaux, réalisé un examen clinique et des tests de la fonction vertébro-basilaire, des accidents peuvent toujours survenir. Il n’existe aucune procédure concluante et infaillible pour identifier les patients à risque. La plupart des victimes sont jeunes, sans pathologie [osseuse] ou vasculaire, et ne présentent pas de symptômes vertébro-basilaires. Les examens de dépistage décrits ne sont pas capables de détecter les personnes que [la manipulation] pourrait blesser. Ils donnent un faux sentiment de sécurité au praticien [25].

Plusieurs rapports médicaux ont décrit des patients de chiropraticiens qui, après une manipulation cervicale, se sont plaints de vertiges et d’autres symptômes significatifs d’accident ischémique transitoire, mais qui ont été manipulés à nouveau et ont cette fois subi un accident vasculaire cérébral complet. Lors d’un atelier auquel j’ai participé, à l’occasion des célébrations du centenaire de la chiropratique en 1995, M. Terrett a déclaré que de tels symptômes sont inquiétants et que les chiropraticiens devraient abandonner les manipulations en rotation qui étirent trop les artères vertébrales. Mais, pour autant que je sache, ses remarques n’ont pas été publiées et n’ont eu aucun effet sur ses collègues professionnels.

Le manque de prévisibilité a été soutenu par les données publiées par Dr Scott Haldeman, PhD, docteur en chiropratique qui a servi de témoin expert (généralement pour la défense) dans de nombreux procès impliquant des blessures dues à des gestes chiropratiques. En 1995, il a publié un résumé de son analyse de 53 cas qui n’avaient pas été signalés auparavant dans des revues médicales ou chiropratiques. Dans son rapport, on peut lire ce qui suit :

Ces cas représentent une augmentation d’environ 45 % du nombre de ce type de cas signalés dans la littérature de langue anglaise au cours des 100 dernières années… Les données ne permettent pas de dégager des facteurs de risque précis. Ceux qui étaient proposés précédemment, tels que les migraines, l’hypertension, le diabète, les antécédents de maladies cardiovasculaires, les contraceptifs oraux, les traumatismes récents à la tête ou au cou, ou les anomalies visibles en imagerie par rayons X, ne semblent pas être significativement plus importants chez les patients qui ont des complications vasculaires cérébrales liées à la manipulation que ceux relevés parmi la population générale [26].

L’argument principal de Haldeman était qu’il ne pouvait identifier aucun facteur permettant de prédire qu’un patient particulier serait susceptible d’avoir une lésion vasculaire cérébrale à la suite d’une manipulation cervicale. Ce rapport a été publié dans les actes de la célébration du centenaire de la chiropratique en 1995 et n’a pas été cité dans les rapports de la RAND ou du NCMIC.

En 2001, Haldeman et deux de ses collègues ont publié une analyse plus détaillée couvrant 64 affaires de réclamations pour faute professionnelle déposées entre 1978 et 1994 [27]. Ils ont rapporté que 59 (92 %) patients ont été traités alors qu’ils avaient des antécédents de symptômes à la tête ou au cou. Cette statistique a été utilisée pour affirmer que toute association entre manipulation et accident vasculaire cérébral est une coïncidence : dans la mesure où une dissection peut engendrer des maux de tête ou des douleurs cervicales, des patients présentant déjà ce problème peuvent avoir demandé des soins chiropratiques à cause de ces symptômes. Cependant, cela n’explique pas ce qui est arrivé aux 8 % de patients qui ne consultaient pas pour des douleurs à la tête ou au cou. La coïncidence ne peut pas non plus expliquer pourquoi l’association entre manipulation du cou et accident vasculaire se produit plus souvent chez les patients de moins de 45 ans que chez les patients plus âgés.

Les rapports de Haldeman ne fournissent pas d’informations suffisantes pour juger si la manipulation aurait pu être utile pour soulager les patients. Bien entendu, les plaintes pour faute professionnelle ne présentent pas toute l’histoire, car la plupart des victimes de ces négligences ne portent pas l’affaire devant les tribunaux. Même en cas de blessure grave, certaines ne sont tout simplement pas enclines à intenter des poursuites, ne souhaitent pas blâmer le praticien ou bien ont une aversion pour les avocats, tandis que d’autres peinent à en trouver un disposé à les représenter.

Que faudrait-il faire ?

Les chiropraticiens ne parviennent pas à tomber d’accord pour savoir si le problème est suffisamment important pour informer les patients que l’AVC vertébro-basilaire est une complication possible de la manipulation [24,28]. En 1993, l’Association chiropratique canadienne a publié un formulaire de consentement qui, en partie, précisait :

Les docteurs en chiropratique, les médecins et les physiothérapeutes qui utilisent des pratiques de thérapie manuelle destinées à des patients ayant des problèmes de cou similaire au vôtre sont tenus de vous signaler qu’il y a eu de rares cas de blessures d’une artère vertébrale à la suite du traitement. On sait qu’une telle lésion a causé un accident vasculaire cérébral, parfois avec des lésions neurologiques graves. Les chances que cela se produise sont extrêmement faibles, d’environ 1 pour 1 million de traitements réalisés.

Des tests appropriés seront effectués afin de s’assurer que vous n’êtes pas exposé à ce type de lésion… [29]

C’est une avancée, mais qui est insuffisante. Un consentement en bonne et due forme devrait déclarer que (a) le risque est inconnu ; (b) d’autres traitements peuvent être disponibles ; (c) dans de nombreux cas, les douleurs du cou disparaissent sans traitement ; (d) certaines manipulations cervicales sont plus risquées que d’autres ; et (e) les affirmations disant que des manipulations rachidiennes participent au soin de maladies systémiques, peuvent stimuler l’immunité, améliorer la santé globale ou prolonger la vie n’ont aucune justification scientifique ou fondement rationnel.

En 2003, un jury du coroner a conclu que Lana Dale Lewis de Toronto au Canada, a été tuée en 1996 par une manipulation chiropratique cervicale. Le jury a recommandé, entre autres, que tous les patients pour lesquels une manipulation du cou est recommandée soient informés de l’existence d’un risque et que le ministère de la Santé de l’Ontario établisse une base de données permettant aux chiropraticiens et autres professionnels de la santé de rapporter les accidents liés aux ajustements cervicaux [30].

En 2005, l’Association chiropratique canadienne a publié un guide clinique complet sur le traitement de la douleur cervicale chez l’adulte, quand elle n’est pas liée à une entorse (« coup du lapin »). Ce document indique notamment que très peu d’études ont comparé le traitement chiropratique à l’absence de traitement pour évaluer le bénéfice lié à la manipulation du cou. On y aborde également les facteurs de risque et il y est recommandé qu’une rotation minimale soit utilisée lors de manipulations de la partie supérieure du rachis cervical [31,32].

En 2007, suite à une manipulation inutile du cou, Sandra Nette a développé un « locked-in syndrome », ce qui est décrit comme « la chose la plus proche du fait d’être enterrée vivante ». Elle est pleinement consciente de son environnement et souffre parfois de douleurs extrêmes. Elle ne peut pas avaler, parler ou respirer sans une ventilation mécanique régulière et une aspiration de ses sécrétions. Elle ne peut pas bouger ses jambes ou son bras gauche. Une légère utilisation de son bras droit lui permet d’utiliser un clavier d’ordinateur pour communiquer par le biais d’un synthétiseur vocal. Sa détresse était évidente dans les vidéos publiées sur YouTube [33]. En 2008, elle et son mari ont intenté un recours collectif visant à faire cesser la manipulation chiropratique inappropriée et à forcer les organismes de réglementation canadiens à s’occuper de ce problème [34]. Le tribunal a refusé de certifier un recours collectif [35], mais la plainte contre le chiropraticien qui l’a traitée a été maintenue et s’est conclue par un paiement dont le montant n’a pas été divulgué [36].

En conclusion

Autant que je sache, la plupart des chiropraticiens ne préviennent pas leurs patients que la manipulation cervicale comporte des risques. Je pense qu’ils le devraient, et que la profession devrait mettre en place un système de signalement qui permettrait d’étudier cette question de manière appropriée. Cela pourrait se faire si (a) les conseils d’agrément des États exigeaient que tous les cas de ce type soient déclarés, et si (b) les sociétés d’assurance contre la faute professionnelle chiropratique, qui conservent désormais leurs informations secrètes, étaient tenues de les divulguer à une base de données indépendante et alimentée à la fois par les médecins et par les chiropraticiens.

En attendant, l’accident vasculaire cérébral est un événement si dévastateur que tout doit être mis en œuvre pour empêcher les chiropraticiens d’effectuer des manipulations cervicales sans raison suffisante. Beaucoup pensent que tous les types de maux de tête peuvent être sujets à des manipulations de la colonne vertébrale, même si aucune preuve scientifique n’appuie cette croyance. Beaucoup incluent la manipulation cervicale dans le cadre d’une sorte d’« entretien préventif », ce qui leur permet de traiter inutilement des personnes ne présentant aucun symptôme. Pire encore, certains chiropraticiens – souvent appelés « spécialistes des cervicales hautes » – prétendent que la plupart des maladies humaines sont le résultat d’un mauvais alignement des vertèbres supérieures (atlas et axis) et que chaque patient qui les consulte à forcément besoin d’une manipulation des cervicales. Ce geste devrait être interdit sur les enfants de moins de 12 ans [37].

 

Pour plus d’informations

  1. Des chiropraticiens en colère contre une publicité, Quackwatch.
  2. Victime d’un locked-in syndrome après une manipulation chiropratique, par Marc Gozlan, le 6 janvier 2019.

 

Commentaire d’un lecteur

De la part d’un ancien chiropraticien :

Depuis un mois, je fais un stage en chirurgie vasculaire, qui fait partie de ma formation médicale de troisième cycle. Au cours de mes études de chiropratique, lorsque le sujet de l’AVC induit par la manipulation a été abordé, nous avons été rassurés par le fait que « des millions d’ajustements chiropratiques sont effectués chaque année et seuls quelques incidents d’accident vasculaire cérébral ont été rapportés à la suite d’une manipulation du cou ». J’ai récemment découvert que deux des patients de mon service victimes d’un accident vasculaire cérébral (AVC) avaient subi une manipulation du cou par un chiropraticien, l’un le jour de l’apparition des symptômes et l’autre quatre jours avant. Si l’incidence de l’accident vasculaire cérébral [lié à une manipulation cervicale] était vraiment rare, un médecin notifierait un cas d’AVC induit par la manipulation environ tous les 10 ans. Mais il me semble bien en avoir vu deux le mois dernier ! Par conséquent, j’exhorte mes collègues médecins à interroger leurs patients sur les visites récentes à un chiropraticien et à une manipulation du cou lorsqu’ils sont confrontés à des symptômes neurologiques de l’accident vasculaire cérébral. Je demande également aux patients tentés par la chiropratique de ne laisser effectuer aucune manipulation de leur cou. Le rapport bénéfice/risque est beaucoup trop faible pour justifier une telle procédure.

— Dr Rob Alexander

 

Références

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Dernière mise à jour le 8 février 2020.

Source: Quackwatch