LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Quotient intellectuel et race

Dans un débat, il existe trois grandes stratégies pour noyer le poisson: s’éloigner du sujet, jouer sur les préjugés et ridiculiser l’opposition...
Bergen Evans, The Natural History of Nonsense

 

Le quotient intellectuel est censé mesurer l’intelligence: plus le quotient intellectuel d’une personne est élevé, plus cette personne serait intelligente. L’idée est toutefois inexacte, car elle part de l’hypothèse qu’il n’existe qu’un seul type d’intelligence. La plupart d'entre nous reconnaissons que certains bénéficient d’une mémoire extraordinaire ou possèdent la bosse des mathématiques, que d’autres sont des génies en musique, des experts en mécanique, des orateurs nés, qu’ils perçoivent aisément les analogies, effectuent d’excellentes synthèses, savent unifier des concepts divergents, etc. On retrouve même des personnes qui se démarquent dans plus d’un de ces domaines. Il serait plus exact de parler d’intelligences humaines, et de penser que les tests de quotient intellectuel ne mesurent que quelques formes d’intelligence seulement. Le mieux qu’on puisse dire à propos des tests de QI, c’est qu’ils mesurent tout bonnement le quotient intellectuel.

Les recherches sur le QI et la race entreprise par Arthur Jensen, William Shockley, Herrnstein et Murray (The Bell Curve) et d’autres n’ont mis en valeur aucune corrélation importante entre l’intelligence et la race. Elles ont par contre décelé des corrélations entre la race et le QI qu’on a reprises dans divers milieux dans le but de montrer comment certaines races sont inférieures à d’autres du point de vue intellectuel.

Peu de gens vont nier qu'il existe plusieurs races ni qu'on constate des différences physiques et culturelles évidentes entre différents groupes ethniques. Depuis la parution, en 1972, de l'article de Richard Lewontin intitulé «The Apportionment of Human Diversity» dans Evolutionary Biology, la plupart des scientifiques ont accepté l'opinion que la race est une construction sociale. L'idée a cependant été remise en question par Armand Marie Leroi, selon qui Lewontin a commis l’erreur de

prendre les gènes un par un sans trouver celui qui était responsable de la race. Par contre, si l'on prend ensemble un groupe de gènes variables – quelques centaines à la fois – la chose devient très facile à faire. D'ailleurs, une étude menée en 2002 par des scientifiques des universités Southern California et Stanford a montré que si on prend un échantillon de sujets venant de partout au monde et qu'on les rassemble, à l'aide d'un ordinateur, en cinq groupes à partir de leurs similitudes génétiques, les catégories qui résultent renvoient à l'Europe, l'Asie de l'Est, l'Afrique, l'Amérique, et l'Australasie, ce qui correspond plus ou moins aux grandes races de l'anthropologie traditionnelle.

En fin de compte, l'opinion de Leroi constitue un retour à la pensée qui dominait avant l'intervention de Lewontin. On avait généralement fini par croire que la race était déterminée génétiquement à peu près de la même façon que la couleur de l'iris. Un certain gène ou un certain ensemble de gènes vous donnait les yeux bleus. De même, un certain ensemble de gènes faisait de vous un Blanc. On a toujours accepté le fait que la composition génétique d'un individu était un facteur important de l'intelligence individuelle dans des domaines particuliers, de même que dans les caractéristiques physiques associées aux différentes races, telles que la couleur de la peau, la largeur du nez, la forme des yeux, etc. Il devrait cependant être évident, devant l'énorme variation du degré d'intelligence parmi les individus d'une race donnée, que l'environnement est un déterminant de l'intelligence encore plus important qu'il ne l'est pour la race, du moins à court terme. À long terme, par contre, sur plusieurs milliers d'années, par exemple, l'environnement déterminera certainement quelles caractéristiques physiques vont évoluer au sein d'un groupe. La chose semble montrer que quelles que soient les différences génétiques existant entre les races, elles sont très probablement dues à la sélection naturelle et sexuelle. Elle semble impliquer également que le concept de race «pure» constitue une absurdité. Même si les chrétiens fondamentalistes ont raison et qu'il y a eu, à l'origine, Adam et Ève, il est impossible de dire d'une race qu'elle est «pure». Chaque race a évolué selon des processus comme la sélection naturelle.

Quelques données sur les races

«Entre deux personnes prises au hasard, une variation génétique de plus ou moins 15 % s’applique», selon l’écrivaine scientifique Deborah Blum. «Moins de la moitié de cette variation, soit environ 6 %, s’explique par l’appartenance à un groupe racial connu... Un Blanc choisi au hasard peut donc être plus proche, du point de vue génétique, d’un Africain que d’un autre Blanc» (Blum).

Joseph Graves, biologiste évolutionniste afro-américain de l’Arizona State University-West, à Tempe, fait remarquer que la plupart des gens, chercheurs ou autres, qui tentent d’établir des corrélations entre différentes habilités naturelles et la couleur de la peau ne sont pas des généticiens.

Ces gens ne connaissent pas la génétique évolutionniste. Ils disent parler de questions intéressantes concernant les races et la biologie, mais comme, à mon avis, il n’existe pas véritablement de races, je me demande quelles peuvent être ces questions. J’en ai marre d’avoir à délaisser mes recherches (sur la génétique du vieillissement) pour débattre d’un sujet dont on ne devrait même pas avoir à discuter (Blum).

C. Loring Brace, anthropologue à l’Université du Michigan, affirme que «le mot "race" ne possède aucun fondement dans le monde de la biologie» (Blum).

Bien sûr, des caractéristiques physiques comme la couleur de la peau, la forme des paupières, la couleur des yeux, la texture des cheveux, etc., sont déterminées par nos gènes. Il est également vrai que les capacités d’une personne pour un type d’intelligence donné dépendent grandement de facteurs génétiques. Pour autant que l’on sache, personne n’a encore découvert de corrélation entre les gènes qui déterminent, disons, le talent musical, la visualisation ou la pensée abstraite, et les gènes qui déterminent un ensemble de caractéristiques physiques qu’on pourrait reconnaître immédiatement comme européennes ou africaines. Si l’on veut savoir pourquoi les Asiatiques sont sur-représentés dans les universités californiennes, tandis que les Noirs et les Latino-américains y sont sous-représentés, on cherchera sans doute en vain la réponse dans le domaine de la génétique. Ceux qui s’intéressent à de tels sujets devraient plutôt regarder du côté des structures familiales, des traditions ethniques et des conditions sociales.

Des corrélations fallacieuses

Établir des corrélations entre la race et l’intelligence en invoquant la science et obtenir ainsi l’attention universelle n’est pas un mince exploit. Est-ce que ce sont les chiffres, les statistiques qui impressionnent? Probablement pas. Même les analyses numériques les plus poussées qui établiraient une relation entre le phlogistique et l’éther n’arriveraient pas à soulever le moindre intérêt. Alors, pourquoi ce brouhaha autour de la race et de l’intelligence? Comment une personne rationnelle peut-elle prendre au sérieux des notions comme celles des Aryens et de la pureté raciale? Pour certains, il s’agit sans doute d’une façon d’affirmer son pouvoir. Faire partie d’une race pure est un moyen simple et rapide d’établir sa supériorité: il suffit de naître dans le bon groupe pour jouir de ce droit et justifier ainsi toutes sortes d’inégalités, peu importent les déficiences que l’on affiche personnellement. De cette manière, on justifie également le racisme, puisque les personnes dites inférieures qui réussissent dans la vie ne peuvent devoir qu’à la ruse ou à d’autres moyens semblables un succès qui revient de droit aux êtres véritablement supérieurs. Penser qu’on fait partie d’une race pure permet aussi de croire à son propre sujet toutes sortes de choses sans valeur objective. Toute personne médiocre, dans les faits, peut se voir comme supérieure parce qu’elle appartient à la «bonne» race. Elle pourra rationaliser ses échecs et ses défauts en les attribuant aux avantages injustes qu’on a accordés à ceux qu’elle considère comme ses inférieurs. Elle pourra même finir par penser que sa peau est blanche (quelle qu’en soit réellement la teinte), et qu’elle peut, de ce fait, s’auréoler de la gloire méritée par les représentants les plus brillants de la race «blanche». (On m’a souvent demandé de cocher la case «Blanc» sur un certain nombre de formulaires comportant des questions sur la race, or si je me compare à une feuille de papier, ma peau est clairement brun pâle. Je n’ai rencontré que très peu de «Blancs» dont la peau était blanche, du moins la peau exposée au soleil. Les gens dont la peau est véritablement blanche – les albinos – se retrouvent dans toutes les races.)

Même s’il existait des races vraiment pures, comment pourrait-on en conclure qu’elles sont supérieures aux autres? On pourrait même les dire inférieures aux autres, à certains égard, car la nature favorise clairement la diversité. Plus une espèce compte de représentants variés, plus ses chances de survie dans des conditions changeantes se trouvent assurées. Trop de similarité peut mener à la catastrophe ultime, pour une race: l’extinction. La variété, au contraire, peut favoriser la survie de quelques-uns de ses membres d’une espèce en cas de coup dur. De même, une espèce dont les représentant possèdent plusieurs types d’intelligence à des degrés variés pourrait être supérieure, du moins en ce qui touche à sa survie potentielle. 

Et ces études, qui montrent que les Afro-américains ou les Asiatiques obtiennent des pointages différents de ceux des Américains «blancs» dans les tests de quotient intellectuel, que valent-elles? Autrement dit, le travail de chercheurs comme Herrnstein et Murray est-il bon pour la corbeille à papier? Non, il renferme des données valables, mais ces études présentent également un caractère explosif en raison de notre histoire politique raciste. Elles seront inévitablement exploitées par des suprémacistes blancs, déformées à des fins politiques, et employées non pas pour améliorer les relations raciales aux États-Unis, mais bien pour y encourager les dissensions. Leurs données portent principalement sur des corrélations, or si les corrélations ne convainquent de rien du tout le scientifique empiriste, aux yeux du chercheur raciste, c’est pain bénit. La fureur qu’a déclenchée The Bell Curve s’est éteinte rapidement, noyée dans une autre affaire à saveur politique bien plus spectaculaire: le procès d’O.J. Simpson. Dans leur ouvrage, Herrnstein et Murray lancent des appels, chapitre après chapitre, pour qu’on adopte des réformes sociales susceptibles d’améliorer la condition des Noirs aux États-Unis. Ces appels n’ont peut-être rien de sincère, mais ils ne concordent pas du tout avec l’idée que la condition sociale des Noirs américains est causée par des facteurs génétiques. Si un groupe de gènes étaient à l’origine du sous-prolétariat de jeunes Noirs américains qui, dans presque toutes les grandes villes des États-Unis, se tirent dessus quotidiennement, il ne servirait à rien de réclamer des programmes d’éducation ou de formation ni même de demander aux hommes et aux femmes noires du pays de recentrer leurs vies autour de leurs familles, comme l’a fait le suprémaciste noir Louis Farrakhan devant le million d’hommes qu’il a rassemblés à Washington.

On ne peut nier que la majorité des jeunes hommes qui se tirent dessus dans des guerres de gangs constituent une minorité. Mais on peut très bien nier que c’est une question de race s’ils sont aussi violents et amoraux. Il s’agit non seulement d’une fausseté, mais aussi d’une insulte envers la majorité des Noirs et des membres des autres minorités qui mènent une existence paisible, respectueuse de la loi. On ne peut nier que les minorités en tant que groupe sont sous-éduquées et sous-représentées dans nos collèges et universités, de même que dans les professions et les métiers spécialisés. Mais on peut certainement nier le fait que cette sous-représentation vient d’une infériorité génétique qui les rend incapables de concurrencer l’Amérique «blanche». Il n’en demeure pas moins vrai que beaucoup de minorités ne comptent que peu de représentants dans les collèges américains ou dans les rangs de médecins, des enseignants ou des mécaniciens à cause de leur race.

Il est possible qu’un jour nous en viendrons à voir de simples êtres humains chez les gens d’autres races, sans perdre de vue ce qu’il y a de spécial à propos de l’appartenance raciale ou ethnique. Point n’est besoin d’être daltonien ni de faire semblant qu’il n’existe pas de différences raciales, il suffit simplement de voir quelle est l’importance réelle de ces différences: elles nous façonnent, mais n’ont rien à voir avec notre condition d’êtres humains, capables du comportement moral et intellectuel le plus élevé, mais aussi de la dépravation la plus bestiale et de la pire incompétence.

Entre temps, rappelons-nous les paroles de Peter Singer:

... l’hypothèse génétique ne signifie pas que nous devons réduire nos efforts pour vaincre les autres causes d’inégalité dans nos sociétés.
 
... le fait que le QI moyen d’un groupe racial est plus élevé de quelques points par rapport à celui d’un autre groupe ne permet à personne de prétendre que tous les membres du groupe au QI le plus élevé possèdent un QI supérieur à tous les membres de l’autre groupe...
 Et un QI supérieur ne justifie aucunement le racisme (Singer 1993) ni aucun autre –isme, d’ailleurs.

 

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Dernière mise à jour le 24 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary