Oscillococcinum
Cet article est l'extrait d'un échange entre deux personnes à propos d'une étude scientifique sur l'efficacité de l'un des remèdes homéopathiques les plus populaires, l'Oscillococcinum. L'un des intervenants était un médecin pratiquant l'homéopathie et affirmant qu'il s'agissait ici d'une étude de premier plan. L'extrait ci-dessous est issu de la réponse de l'autre intervenant.
Dans cette étude, 241 personnes ont reçu un placebo et 237 des pilules homéopathiques d'Oscillococcinum, un produit des laboratoires Boiron implantés en France. (Oui, c'est cette même compagnie qui a soutenu les travaux de Jacques Benveniste). Ce produit est réalisé à partir de cœurs et de foies de canards sauvages. Il est vendu pour à peu près le même prix qu'un vaccin contre la grippe et représente un juteux commerce de 15 millions de dollars par an rien qu'aux USA alors qu'il est encore plus populaire en Europe *. Les ingrédients actifs énumérés sur l'emballage d'Oscillococcinum sont écrits en latin : Anas Barbariae Hepatis et Cordis Extractum. Traduction: extraits de foie et de cœur de canard de Barbarie. Ces ingrédients sont dilués au centième 200 fois d'affilée (200 CH), ce qui signifie qu'il ne reste plus une seule molécule de canard présente dans le produit final. Bob Park a calculé que plus une seule molécule provenant du canard ne subsiste au-delà de 12 dilutions. Si l'univers entier ne se composait que d'Oscillococcinum, il n'y aurait plus de molécules de substance active au-delà de 40CH *, ou quelque chose du genre. Enfin, vous voyez le tableau d'ici. Un seul canard est capable de produire suffisamment d'Oscillococcinum pour fournir toute la population mondiale et leur progéniture pendant des millions d'années, et ce pour toute leur vie. Dès lors, vous comprendrez pourquoi "médicaments actifs" est à mettre entre guillemets.
Les plus sceptiques des lecteurs voudront stopper leur lecture à partir d'ici et diront que les potions homéopathiques ne peuvent fonctionner, car elles ne contiennent rien. (Bob Park, par exemple, affirme simplement qu'aucun remède homéopathique n'a jamais passé le test d'une étude randomisée en double aveugle. Park ne lit jamais les études. Cependant, il a tout de même essayé pendant 5 ans de collaborer avec Jacques Benveniste afin d'élaborer un test simple avec lui *). Il ne faut pas s'arrêter là et lire cette étude, examiner la méthode, le protocole, la taille d'échantillon, l'existence d'un groupe contrôle, la réalisation d'une randomisation, la clarté et la cohérence du texte, les justifications de la conclusion, etc. Par contre, il ne sera pas tenu compte du fait qu'il n'y a plus aucun ingrédient actif dans le remède homéopathique Oscilloccocinum.
Mais d'abord, un peu d'histoire.
Le mot Oscillococcinum a été inventé par un médecin français, Joseph Roy (1891-1978), qui a affirmé avoir observé une bactérie oscillante dans le sang des victimes de la grippe. Il chercha la présence de cette bactérie dans plusieurs animaux différents jusqu'à ce qu'il la retrouve dans le foie d'un caneton *. Voilà pour le point de vue historique.
Bob Park a écrit un chapitre intitulé « le canard de Barbarie » dans son livre Superstition : la Croyance à l'ère de la Science (Superstition: Belief in the Age of Science). Dans ce chapitre, il traite de ce remède homéopathique mondialement connu pour soulager les symptômes de la grippe. En Amérique, ce produit est en vente libre. Il n'est pas "régulé" par la FDA (Food and Drug Administration - Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux). En fait, aucun médicament homéopathique n'est "régulé" par la FDA puisqu'une loi fédérale américaine de 1938 (le Food, Drug, and Cosmetics Act) exclut la plupart des remèdes homéopathiques de la surveillance de la FDA (voir la note en bas de l'article).
Dans l'étude de Ferley, il y avait 478 participants, ce qui représente un échantillon suffisamment grand. Dans cet échantillon, 9 participants ont été exclus parce qu'ils ne satisfaisaient pas aux critères d’admissibilité : 5 dans le groupe « traitement homéopathique » et 4 dans le groupe « placebo ». La raison pour laquelle ils avaient été inclus à la base n'est pas donnée.
Les auteurs de l'étude ont utilisé une température rectale de plus de 38 °C (100 °F) comme un des critères d’admissibilité et une température de moins de 37.5 °C (99.5 °F) comme un des critères de guérison. Or, selon Wikipedia (version anglaise) :
Bien qu'une valeur de 37.0 °C (98.6 °F) soit communément acceptée comme température moyenne du corps, la température orale (sous la langue) mesurée chez une personne bien portante est en réalité située dans la gamme de 36.8 °C ±0.5 °C ( 98.2 °F ±0.9 °F). Les mesures de température faites au niveau du rectum donnent généralement des valeurs légèrement plus élevées.La température du corps fluctue au cours d'une journée, avec un minimum atteint aux alentours de 4h du matin et un maximum atteint en fin d'après-midi, entre 16 et 18h (en supposant une période de sommeil et d'éveil normale). Ainsi, une température orale de 37.2 °C (99.0 °F) devrait, à strictement parler, être considérée comme normale durant l'après-midi, mais pas en matinée. L'écart de température entre le minimum et le maximum est typiquement de 0.5 °C (0.9 °F) sur une journée.
Dès lors, certains pourraient ergoter sur l'utilisation de la température en tant que critère d'admissibilité et de guérison. Les participants ont été admis à participer l'étude lors d'une première consultation chez un médecin. Durant cette consultation, leur température a été une première fois mesurée. Ensuite, pendant une semaine, les patients étaient invités à mesurer leur température rectale chez eux, à la maison, une fois au matin et une fois au soir. Au bout de cette semaine, une deuxième visite était organisée chez le médecin. Malheureusement, les consultations chez le médecin étaient réalisées à des moments différents de la journée. Idéalement, l'évaluation des symptômes aurait dû se faire au même moment pour tous. Selon que la mesure est faite au matin ou au soir, la température peut fluctuer et fausser les résultats. Il semble que si la température d'une personne varie de 0.5 °C sur une journée, certains participants pouvaient être déclarer guéris et d'autres non en fonction du moment de la mesure de la température. Il eût été préférable de se référer à une certaine gamme de températures comme indicateur de guérison et non à un seuil de température : par exemple, de 37.25 à 37.75 °C (de 99.05 à 99.95 °F) pour la guérison. Néanmoins, il est probable qu'un biais dû à des variations de température durant le jour s'annulerait entre les différents groupes étant donnée la taille des échantillons.
Qu'a montré la recherche alors ?
Les données montrent que la grande majorité des participants (86.4 %) n'ont pas guéri en 48 heures. Dans le groupe Oscillo, ils étaient 39 (17.1 %) à avoir guéris contre 24 (10.3 %) dans le groupe placebo (voir Table 2 dans l'étude).
Sans surprise, les chercheurs ont trouvé que les participants les plus jeunes et ceux qui avaient les symptômes les moins virulents ont guéri plus vite que les participants plus vieux ou plus affectés par la maladie. Deux résultats inhabituels ont cependant émergé : 1) le nombre de guérisons parmi les moins de 30 ans était trois fois plus élevé dans le groupe Oscillo (21(Oscillo) contre 6(placebo)) ; 2) le nombre de guérisons parmi les personnes faiblement à modérément infectées était deux fois plus important dans le groupe Oscillo (31(Oscillo) contre 16(placebo)). De telles différences ne semblent pas attribuables au hasard. Par contre, il n'y avait pas de différences significatives dans les deux groupes des plus de 30 ans (voir Tables 3 et 4).
Il n'y avait presque pas de différences entre les deux groupes de participants de moins de 30 ans qui n'avaient pas guéri dans les 48 heures. Dans le groupe Oscillo, 63 personnes étaient toujours malades après 48 heures et il en était de même pour 68 personnes dans le groupe placebo. Pour une raison inconnue, la somme de chiffres par colonne fournie dans la Table 3 (répartition en fonction de l'âge) ne correspond pas aux chiffres donnés dans la Table 2. La somme de la colonne correspondant au groupe Oscillo chute à 207 (au lieu de 228) et celle de la colonne correspondant au groupe placebo à 205 (au lieu de 234). Les auteurs notent qu'il y avait une grippe bénigne cette saison et ils ne mentionnent aucune mort qui serait survenue durant l'étude. Néanmoins, les données associées à 21 personnes dans le groupe de Oscillo et à 29 dans le groupe placebo sont absentes.
Les chercheurs ont établi que, même si les participants n'ont pas été surveillés pendant l'étude, les participants du groupe Oscillo et placebo ont eu recours de manière similaire aux d'antibiotiques et aux médicaments contre la toux et le coryza (rhume de cerveau). Par contre, ils ont pu constater que les participants du groupe de contrôle ont pris plus de médicaments contre la douleur et la fièvre (50,2% dans le groupe placebo contre 40,7% dans le groupe Oscillo).
Finalement, 61.1 % des participants du groupe Oscillo ont déclaré que le traitement marchait et seulement 49.3 % dans le groupe placebo. Cela n'a pas été spécifié par les auteurs, mais il serait raisonnable de penser que les participants ont donné leur opinion après la fin de l'étude. Les patients ont eu pour consigne de noter l'évolution de leur état pendant une semaine. La plupart des symptômes liés à un cas de grippe bénigne ne vont durer qu'une semaine environ, de sorte que le sentiment d'avoir guéri pourrait n'avoir rien avoir avec une quelconque efficacité d'un remède. Constater que plus de 60% d'un groupe estime qu'un médicament est efficace peut sembler impressionnant. Ça l'est beaucoup moins lorsque vous constatez également que 50% de ceux qui ont reçu un placebo arrivent à la même conclusion. Les mesures subjectives peuvent être intéressantes, bien sûr, mais elles ne nous disent rien sur l'efficacité du médicament. Au moins, dans mon livre, la satisfaction des patients n'est pas équivalente à l'efficacité des médicaments.
Une formule statistique montre que les chances d'obtenir une différence de 6,8% du nombre de guérisons entre deux groupes soit due au hasard sont de 3 sur 100. Cependant, si environ 1.7 % de ceux ayant reçu le remède Oscillo n'avaient pas guéris et si, dans le même temps, environ 1.7 % de ceux ayant reçu un placebo avaient guéris, on ne serait pas en train de discuter de cette étude. Il aurait suffi de 3 ou 4 résultats différents dans chaque groupe pour aboutir à une conclusion radicalement différente : circulez, il n'y a rien à voir. Par exemple, si le nombre de guérisons constatées dans le groupe Oscillo avait été de 35 au lieu de 39 et, dans le groupe placebo, de 28 au lieu de 24, le pourcentage de différence entre les deux groupes serait tombé à 3.4 % (15.4 % contre 12 % respectivement). Un écart de 3-4% est une valeur attendue si l'on compare deux groupes placebo entre eux.
Les auteurs ont écrit dans le sommaire de leur étude la phrase suivante (voir point 5 première page) : « Le résultat ne peut s'expliquer étant donné l'état actuel de nos connaissances, mais il appelle à de futures études complémentaires rigoureuses ». On est surpris qu'un journal à comité de lecture ait pu permettre une telle affirmation dans le sommaire d'une étude. (La même affirmation étant répétée dans le premier paragraphe de la discussion de l'étude). Puisqu'il s'agit ici d'une étude sur un remède homéopathique, il est probable que cette phrase doive être interprétée comme le fait que les auteurs ont trouvé un remède significativement meilleur qu'un placebo, mais qu'ils n'ont aucune explication sur le fonctionnement des remèdes homéopathiques. Ils ne peuvent pas affirmer cela. Tout ce qu'ils peuvent conclure, c'est que cette différence entre les deux groupes pourrait être un hasard statistique et que des études ultérieures permettront de trancher.
En s'assurant que tout le monde mesure sa rectale au même moment du jour et de la nuit, on pourrait obtenir des résultats légèrement différents. Un contrôle de l'âge avant l'analyse finale des résultats pourrait aussi améliorer légèrement les résultats.
Ainsi, la question qui suit logiquement est : « Toutes les études menées durant les 20 années qui ont suivi cette dernière ont-elles permis de trancher ? »
La réponse est : pas vraiment.
Pourquoi ?
Parce qu'il n'y a pas eu d'autres études. Vingt ans ont passé et personne n'a tenté de reproduire cette étude. Les auteurs admettent que la différence qu'ils ont constatée entre les deux groupes est « modeste ». Ils n'ont certainement trouvé aucune preuve d'un effet robuste du médicament homéopathique. Ce qu'ils ont trouvé, selon leurs dires, était « intéressant ». Peut-être bien, mais alors pourquoi personne n'a-t-il voulu reproduire l'étude ? On pourrait penser qu'au moins une étude aurait été réalisée sur des jeunes présentant des symptômes grippaux bénins, car les différences constatées entre les groupes pour cette classe d'âge ont été les plus grandes mesurées dans la présente étude.
Les auteurs reconnaissent que les différences mesurées, bien que statistiquement significatives, ne sont pas suffisantes pour établir un lien causal entre la prise d'Oscillococcinum et la guérison d'une grippe. Ils notent qu' « il serait peu avisé de prétendre que cette étude démontre un lien de cause à effet entre le remède et les guérisons ». Ensuite, dans la phrase qui suit, ils écrivent : « L'effet positif de la préparation homéopathique ne peut être expliqué dans l'état actuel de nos connaissances ». Comme ils le reconnaissent eux-mêmes, ils ne sont pas en mesure d'établir un lien causal entre la prise d'Oscillococcinum et la guérison de la grippe. Ils n'ont en rien prouvé l'efficacité de l' Oscillococcinum. Ils ont juste trouvé une différence statistiquement significative entre deux groupes. D'autres études pourraient fournir plus de preuves scientifiques concernant le fait que l'Oscillococcinum provoquerait la diminution de certains symptômes grippaux chez certaines personnes. Même si d'autres études réussissaient à reproduire les résultats de celle-ci, l'effet positif de l'Oscillococcinum est si petit qu'il aurait un faible intérêt médical. Achèteriez-vous un médicament qui se vante d’être au mieux 10% plus efficace qu'un placebo ou qui soulage des personnes souffrant de symptômes grippaux dans seulement 2 cas sur 10?
Cela fait maintenant 20 ans que cette étude a été réalisée et personne ne l'a reproduite.
Pourquoi ?
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Note : cette affirmation requiert quelques clarifications supplémentaires. Comme le Docteur Novella l'a écrit : « Les remèdes homéopathiques sont reconnus comme médicaments par la FDA, ce qui signifie qu'ils tombent sous sa surveillance. Mais, dans le même temps, ils sont automatiquement approuvés pour autant qu'ils apparaissent dans la pharmacopée homéopathique. En d'autres termes, il suffit que la Convention de Pharmacopée Homéopathique (Homeopathic Pharmacopoeia Convention) des États-Unis, l'organisation non gouvernementale qui tient à jour la pharmacopée homéopathique aux USA, ajoute un nouveau remède à sa liste pour qu'il soit ensuite automatiquement approuvé par la FDA… Mais puisque les remèdes homéopathiques tombent sous la surveillance de la FDA, cette dernière a le pouvoir de décider si un produit pose des risques de santé publique et dans ce cas, elle peut demander des preuves de son innocuité. » (voir aussi ici, en anglais).
Si vous cliquez sur lien placé en dessous de l'image représentant une boite d'Oscillococcinum, vous serez redirigé vers une page Amazon stipulant que le produit est « réglementé en tant que médicament par la FDA ». C'est un message trompeur étant donné que le seul moyen pour un produit d’être banni par la FDA est de montrer qu'il représente un risque pour la santé des patients. C'est impossible dans le cas des médicaments homéopathiques vu qu'ils ne contiennent en réalité aucun ingrédient actif.
Si vous donnez un mélange de 5 médicaments homéopathiques dilués dans un quelconque solvant à une équipe d'homéopathes et que vous leur demandez ensuite de reconnaître ces 5 médicaments, ils en seront incapables. Il n'existe aucun moyen pour différencier un remède homéopathique d'un autre. On peut affirmer que vous pourriez changer les étiquettes de tous les médicaments homéopathiques d'une pharmacie et obtenir le même niveau de satisfaction chez l'homéopathe et le patient.
L'un des communiqués de presse les plus hilarants jamais lu provenait de l'équivalent français de la FDA annonçant un rappel de deux médicaments homéopathiques parce qu'ils avaient été mal étiquetés. L'agence a déclaré: «... cette erreur d'étiquetage ne pose pas de risques particuliers ... » Sans blague !
Traduit par Alix.
Dernière mise à jour le 24 août 2019.
Source: Skeptic's Dictionary