LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

Arche de Noé

Navire construit par Noé, le patriarche de l'Ancien Testament. Obéissant à un ordre divin, comme le raconte la légende, Noé construisit une arche capable d'abriter sa famille élargie, quelque 50 000 espèces d'animaux et un bon million d'espèces d'insectes. Le navire devait pouvoir survivre à un déluge universel provoqué par Dieu dans le but d'éradiquer tous les êtres vivants (à l'exception, ose-t-on croire, des espèces aquatiques). Pas de problème, affirme Max D. Younce. Selon ses savants calculs, effectués à partir des chiffres donnés par la Bible (Genèse 6:15), l'arche devait mesurer 450 pieds de long, 75 pieds de large et 45 pieds de profond. Selon lui, il s'agit de l'équivalent de «522 wagons à bestiaux, soit huit trains de marchandises de 65 wagons chacun». Il croit que l'ensemble des insectes et des vers ont pu entrer dans l'équivalent de 21 wagons. Ce pourrait bien être exact, mais Younce ne dit pas comment tout le bazar a pu flotter au lieu de s'enfoncer sous les flots.

Le lecteur peu familiarisé avec l'histoire originale se demandera sans doute pourquoi Dieu a voulu détruire la quasi totalité des descendants de Sa création? On nous dit que Dieu était irrité contre l'ensemble de l'humanité, à l'exception de Noé et des siens. Éradiquer ceux contre qui on est en rogne est devenu un procédé tristement courant dans bien des grandes religions.

Malgré le mauvais exemple donné par Dieu aux descendants de Noé (imaginons le père ou la mère de famille qui noierait ses enfants pour les punir de leur inconduite), la légende demeure populaire chez les enfants. Dieu aime les bons. Il leur fait faire un tour de bateau en compagnie de tous les animaux qu'ils aiment. Après la tempête, il leur montre un bel arc-en-ciel. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants... Même les adultes en redemandent, quoiqu'ils situent plutôt le récit au niveau de l'allégorie: Dieu est tout-puissant; nous lui devons tout, jusqu'à notre existence, et Il exige qu'on ne fasse pas de bêtises. Beaucoup, malheureusement, prennent l'histoire au pied de la lettre.

D'après la Genèse, Noé, sa famille et son bestiaire passent plus de six mois tous ensemble dans l'arche avant que les eaux du Déluge se retirent. D'emblée se profilent certains petits problèmes de logistique, mais mettons les choses au clair avant de les aborder en détail. Les inondations et les raz-de-marée n'ont rien de bien drôle. De telles catastrophes ont causé des pertes de vie chez les animaux et les humains depuis des temps immémoriaux. Voir son foyer ou sa famille emportés par des eaux en furie, voir ses enfants se noyer sous ses yeux, doit être une expérience épouvantable. Mais apprendre que de telles épreuves ne sont pas dues à quelque violent caprice des éléments, mais bien à la colère d'un être conscient serait sûrement susceptible de pousser à la rage et au désespoir. On nous répondra que Dieu fait bien ce qu'il veut de Sa création; Il l'a faite, Il peut bien la détruire si la chose lui chante. Pourtant, une telle attitude se concilie mal avec l'idée d'un Dieu de bonté, à l'amour infini.

Arche de Noé, par Gustave Doré
"Noé envoie une colombe sur la terre", gravure de Gustave Doré (Genèse 8, 8-12).

La «découverte» de l'Arche

Malgré le caractère invraisemblable de la légende, il y a encore des gens, de nos jours, qui prétendent avoir trouvé l'arche de Noé. Oui, affirment-ils, quand les eaux du Déluge se sont retirées, Noé et son zoo flottant se sont retrouvés perchés au sommet du mont Ararat, en Turquie. C'est de là, donc, que tous les animaux se seraient dispersés aux quatre coins du monde. Comment ont-ils atteint les différents continents? L'histoire est muette sur ce point. Ils se sont peut-être accrochés à des épaves flottantes... Il est plus intéressant encore de se demander comment tant d'espèces ont pu survivre à partir de sept couples d'animaux, ou de seulement deux d'entre eux? Et puis, les espèces qui ont dû voyager le plus pour se rendre à destination ont eu tout le temps du monde pour semer des descendants le long de la route. Quelles preuves y a-t-il que toutes les espèces animales viennent de Turquie? C'est ce que devrait nous montrer la biologie si l'arche a vraiment atterri sur le mont Ararat.

Mais rien de tout cela n'empêche les croyants de penser que la légende de l'arche de Noé est vérité vraie. Rien ne les empêche non plus d'affirmer qu'on a retrouvé l'arche. Par exemple, en 1977, un pseudo-documentaire intitulé «In Search of Noah's Ark» («À la recherche de l'arche de Noé») a été diffusé par de nombreuses chaînes de télé américaines. En 1993, CBS a présenté une émission spéciale intitulée «The Incredible Discovery of Noah's Ark» («L'incroyable découverte de l'arche de Noé»). Dans le premier cas, il s'agissait d'une fiction qu'on faisait passer pour un documentaire. Dans le second, un certain George Jammal a reconnu que toute l'histoire n'était qu'un canular dont lui-même était à l'origine. Jammal a prétendu qu'il voulait dénoncer les fraudeurs religieux. Sa fraude à lui a été vue par quelque 20 millions de personnes, dont la plupart ignorent probablement encore qu'il ne voulait pas qu'on prenne son histoire au sérieux.

Durant son émission, Jammal montrait ce qu'il appelait un bout de «bois sacré». Il a reconnu plus tard qu'il s'agissait de bois trouvé le long d'une voie ferrée de Long Beach, en Californie, qu'il avait fait durcir au four. Il avait également préparé d'autres pièces de bois en faisant frire du pin de Californie dans un mélange de vin, d'iode et de sauces tériyaki et aigre-douce. Jammal a aussi reconnu n'avoir jamais mis les pieds en Turquie. L'émission avait été produite par Sun International Pictures, de Salt Lake City, qui nous a donné d'autres pseudo-documentaires sur Nostradamus, le triangle des Bermudes, le Suaire de Turin et les ovnis.

On ne retrouve pas des récits de déluge que dans la culture juive ancienne.* Mais quelles preuves nous fournissent la géologie ou l'archéologie d'une extinction massive des populations humaines, animales et végétales, à l'exception de ce qui se trouvait dans le bateau de Noé (ou de Ziusudra, le héros Sumérien, ou de Utnapishtim, dans la légende babylonienne)? Il devrait y avoir une couche de sédiments renvoyant à une époque précise, dans laquelle on retrouverait les traces de tout ce qui a disparu. Quelque chose devrait indiquer que toutes les sociétés humaines ont été éradiquées en même temps. Mais il n'existe aucune preuve d'un déluge universel. Robert Ballard (qui a découvert l'épave du Titanic) a bien découvert des traces d'une gigantesque inondation, peut-être causée par l'irruption des eaux provenant de la fonte de glaciers par le détroit du Bosphore il y a 7000 ans, et certains (comme Ryan et Pitman) prétendent qu'il s'agit de preuves du déluge biblique, mais ce n'est là que pure spéculation. La Bible parle de pluies diluviennes, pas de la rupture d'une digue. Comme le fait remarquer l'achéo-anthropologue John Alden:

Le récit biblique est clair: il a plu pendant des semaines, et les eaux se sont retirées lorsqu'il a cessé de pleuvoir. L'inondation de la mer Noire n'a pas été causée par la pluie, et une fois que les eaux ont fait leur apparition, elles ne se sont plus retirées. Et aucun récit [la légende sumérienne comme la Bible] ne mentionne la conséquence la plus importante de l'inondation de la mer Noire, à savoir, le fait que l'eau douce qui s'y trouvait est devenue salée. Bref, la récit du déluge n'évoque en rien l'ennoiement de la mer Noire.

Très bien. Supposons maintenant, aux fins de la discussion, qu'il y a eu déluge, mais qu'en raison de caprices géologiques aucune trace n'en ait subsisté. Quelques questions demeurent à poser avant qu'on accepte la véracité de l'histoire. Tout d'abord, qu'aurait dû être la taille de l'arche? La réponse est simple; elle aurait dû être énorme, immense! Aurait-elle pu flotter? Grâce aux conseils éclairés de Dieu même, peut-être. Il faut cependant se rappeler que l'histoire se situe avant la découverte de la métallurgie; l'arche devait donc être faite de bois et d'autres matériaux naturels. Combien de forêts pour construire un tel bâtiment? Combien d'ouvriers, pendant combien d'années? À côté d'une tâche aussi gigantesque, ériger la grande Pyramide aurait été un jeu d'enfants. Évidemment, à l'époque, les gens vivaient plus vieux. Noé avait 600 ans bien sonnés lorsqu'il a construit son bateau au milieu du désert.

Mais passons... Supposons que l'arche a pu être construite à l'aide de la technologie de l'époque. Ne reste plus qu'à rassembler les animaux de partout au monde, dont certains, pour autant qu'on puisse le savoir, étaient parfaitement inconnus de Noé. Comment celui-ci s'est-il rendu à l'autre bout de la Terre pour aller chercher tous les papillons exotiques et les ours polaires? Comment a-t-il fait pour persuader les dinosaures de le suivre? (D'après les chrétiens fondamentalistes, dinosaures et humains ont jadis cohabité.) Le temps qu'il rassemble toutes les espèces, par paires ou par groupes de sept, son navire devait tomber en poussière.

Mais passons derechef... Disons que Noé a réussi à rassembler tous les oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens de la planète, sans oublier quelques millions d'insectes, et qu'il les a fait monter à bord. Comment les empêcher de s'entre-dévorer, maintenant? Ou doit-on croire que, pour l'occasion, le lion s'est mis à dormir avec l'agneau? Les carnivores sont-ils devenus végétariens pour la durée du Déluge? Peut-être que Noé avait emporté des provisions pour tous les animaux? Après tout, quand on a créé un navire capable d'emporter toute la faune du monde, prévoir assez d'espace pour six mois de vivres n'est que pure formalité. Naturellement, Noé a dû penser à sa famille et à lui-même, à cet égard, mais ce n'est là qu'un détail pour un homme guidé par Dieu Lui-même.

Pourtant, on n'arrive pas vraiment à comprendre comment un équipage aussi réduit a pu arriver à nourrir toute cette ménagerie chaque jour. Il y avait Noé, sa femme, leurs trois garçons et leurs épouses... Faire le «train» devait bien prendre un an. Passons sous silence, pour les estomacs fragiles, la corvée du nettoyage, mais si le vacarme que faisaient les animaux (sans oublier les piqûres d'insectes) n'a pas poussé Noé à se foutre à l'eau, l'odeur a dû lui faire regretter sa mère. Au moins, il n'avait pas à s'inquiéter pour l'eau. Dieu en avait prévu en abondance.

En guise de conclusion, que dire? Peut-être que croire au déluge ou à la construction de l'arche paraît moins étrange que le fait de croire que l'éradication de presque tout ce qui vivait sur terre est venue du Créateur, furieux de voir que les gens auxquels Il avait donné vie préféraient s'amuser un brin au lieu de passer tout leur temps à L'adorer.



Voir également: Foi, Idées chimériques et Miracles.
 

Dernière mise à jour le 3 mai 2020.

Source: Skeptic's Dictionary