Extrait du livre de Frédéric Lenoir, Petit traité d'histoire des religions, pp 262 à 264 (publié avec l'aimable autorisation de l'auteur).
Le hassidisme a relativement peu touché, jusqu'à ces dernières années, les séfarades qui, depuis le XIIe siècle, ont développé leur propre mystique se voulant l'héritière de la merkavah des deux premiers siècles avant notre ère : la kabbale. Celle-ci naît en Provence dans les années 1150 avec la parution d'un petit livre, le Sefer Habahir ou Livre de la Clarté, qui commente des versets bibliques de manière ésotérique en faisant intervenir des forces, des mesures et des attributs divins. Il faut attendre un siècle de plus pour qu'apparaisse, en Castille cette fois, l'ouvrage maître de la Kabbale : le Zohar ou Livre de la Splendeur, attribué à Moïse de Léon qui, selon la légende, aurait rassemblé les enseignements des grands sages des Ier et IIe siècles de Safed, en Palestine. Il est plus probable que cet ensemble en cinq volumes soit l'œuvre d'un ou même de plusieurs groupes de chercheurs. D'ailleurs, ces textes ont d'abord été répandus sous forme de fragments, rassemblés au XVIe siècle et imprimés pour la première fois à Mantoue, en 1558. Pour les kabbalistes, la Torah est perçue comme une interface qui permet au divin de communiquer avec l'homme, et à l'homme d'agir sur le divin. Quant à leurs enseignements, ils sont, disent-ils, la “Loi orale et secrète” reçue par Moïse sur le Mont Sinaï en même temps que la Loi écrite. Une Loi orale qui est une sorte de sous-couche de la Loi écrite, la Torah ayant selon eux quatre niveaux d'interprétation. Une grille de lecture de l'univers est proposée : c'est l'Arbre des dix sephirot, une hiérarchie des dix forces divines fondamentales. A cela s'ajoute une clé de lecture de la Bible : la guématria, fondée sur des calculs complexes à partir de la valeur numérique des lettres hébraïques qui en composent les mots ou les phrases. Il existe, là aussi, des dizaines de méthodes de guématria, chaque kabbaliste privilégiant évidemment la sienne... tout en estimant que ces différentes interprétations possibles sont la preuve des ramifications sans fin du Livre saint. Des pratiques magiques, toujours associées à la valeur numérique des lettres, sont fort répandues dans les cercles kabbalistes de même que celle des pélerinages votifs aux tombes des sages où, de la même manière que chez les hassidiques, ont cours des rituels de réussite ou de guérison, dont se distancie fortement le judaïsme rabbinique. Je signalerai enfin une autre particularité de la kabbale, que l'on retrouve dans une moindre mesure dans le hassidisme : la doctrine du gilgul, la transmigration, apparue pour la première fois dans le Bahir, un ouvrage du milieu du XIIe siècle, développée dans le Zohar et surtout dans le Shaar ha Gilgumim, la Porte des réincarnations, œuvre maîtresse d'Isaac Louria, une grande figure du mouvement kabbaliste de Safed, en Palestine, au XVIe siècle. A la base de cette doctrine se trouve la croyance platonicienne en la préexistence des âmes que Dieu crée androgynes et qui se divisent, au moment de s'incarner, en deux parties, l'une masculine, l'autre féminine. Chaque partie d'âme a des missions à accomplir sur terre, l'une d'elles consistant à retrouver sa moitié pour s'unir avec elle par le mariage. Si cette rencontre n'a pas lieu, ou si la ou les autres missions dévolues à l'âme ne sont pas accomplies, celle-ci se voit octroyer par Dieu d'autres chances dans ce monde avant de rejoindre l'au-delà, dans l'attente de la résurrection des corps et des âmes. La tradition veut que les grands maîtres sachent reconnaître, à des traces secrètes sur le front et les mains, les précédentes incarnations de chacun. Me faut-il préciser qu'une telle doctrine est considérée comme une hérésie par le judaïsme rabbinique ?
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