LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Dictionnaire

L’illusion de compréhension

L'illusion de compréhension se présente fréquemment en raison des biais de sélection et de confirmation. En sélectionnant les seules données qui soutiennent son opinion et en ne tenant pas compte de celles qui la réfutent ou l'affaiblissent, on peut produire un argument crédible, mais trompeur. En recherchant les seuls exemples qui confirment sa conviction et en ne tenant pas compte ceux qui la contredisent ou révèlent la faiblesse des données mises en avant, on peut très bien créer l'illusion de compréhension. Celle-ci est particulièrement visible dans le domaine des prévisions économiques.

Les prévisionnistes utilisent une variété de méthodes et de formules. Parfois, quelques-uns font d'heureux pronostics, apparemment sur la base de leur méthode. Ils donnent l'impression d'avoir identifié de réels mouvements au sein du marché. Cependant, il s'avère que réussir n'importe quelle prévision économique est illusoire parce que l'économie est un système complexe, fortement affecté par des forces irrationnelles (Thomas Kida: Don't Believe Everything You Think: The 6 Basic Mistakes We Make in Thinking)1. Bref, il n'existe aucun système rationnel capable de prévoir l'évolution du marché parce que celui-ci n'est pas rationnel. Quiconque croit avoir découvert un système capable de faire mieux que le marché se berce d'illusions. (Faire mieux que le marché signifie surpasser un index boursier de référence, tel le Standard and Poor's 500, sur une période déterminée.)

Ce qui gêne pour adhérer à l'idée d'un marché imprévisible : certains ont correctement conjecturé la hausse ou la chute du marché, et parfois, quelques-uns se sont rempli les poches en suivant leur méthode de pronostic, unique et spéciale. Bien sûr, mais une horloge arrêtée donne l'heure exacte deux fois par jour, et quelques personnes gagnent vraiment au loto en choisissant les dates de naissance de leurs petits-enfants pour jouer leurs numéros. Bien que certains aient fait des prévisions justes concernant le marché, cela ne saurait valoir de preuve de l'efficacité d'une méthode particulière de prévision économique. Les voyants font des prédictions justes quelquefois. Cela signifie-t-il qu'ils sont réellement voyants ? Comme les voyants, les prévisionnistes qui, de temps à autre, voient juste s'attribuent le mérite de leurs prévisions exactes. Ils les ont faites en s'appuyant sur la compétence ; la chance n'a rien à voir ici. Bien.

Réfléchissons. Si les analystes boursiers pouvaient réellement faire mieux que le marché, ne seraient-ils pas pleins aux as ? Les imaginez-vous vraiment comme une association de lutins bienveillants ayant pour seul objectif d'aider les gens comme vous à devenir riches grâce à leurs conseils techniques ? Leurs congénères se montrent en permanence dans les publireportages, racontant les histoires des incommensurables richesses qui vous attendent si vous souscrivez à leurs programmes d'investissement. Voilà comment ils gagnent de l'argent : non pas en suivant leur programme, mais en le vendant aux autres !

Qu'en est-il des super vedettes du secteur ? Ne sont-ils pas les meilleurs gestionnaires indépendants des fonds communs de placement, faisant toujours mieux que le marché à cause de leurs compétences spéciales ? Ne sont-ils pas les gestionnaires des placements des fonds de pension, des compagnies d'assurances et des fondations, qui font constamment mieux que le marché à cause de leur génie ? Non. Il est facile de choisir une personne ou un placement et de montrer qu'ils surpassent le marché, tant que l'on sélectionne soigneusement la période évaluée. Sur le long terme cependant, ni personne ni aucun placement n'ont de résultats supérieurs au hasard quant il s'agit de faire mieux que le marché. (William A. Sherden: The Fortune Sellers: The Big Business of Buying and Selling Predictions)2. Il est vrai que quelques gestionnaires de placements sont meilleurs que d'autres à certaines périodes. Toutefois, les quelques exemples de résultats toujours supérieurs sur une durée de quatre ou cinq ans correspondent à ce que l'on attendrait du hasard. (Burton Malkiel: A Random Walk Down Wall Street: The Time-Tested Strategy for Successful Investing. Revised and updated)3. Des analyses d'un placement de référence sur la période de 1973 à 1998 révèlent qu'il n'a pas atteint l'index boursier Standard and Poor's 500 (Kida 2003 : p. 142 ; Malkiel 2007). Bref, il n'y a pas de preuves scientifiques que les placements gérés par des professionnels se comportent « mieux qu'un ensemble d'actions choisies au hasard » (Kida 2003 : p. 143 ; Malkiel 2007).

Qu'en est-il des génies de la FED, du Comité des Conseillers économiques, du Bureau du Budget du Congrès américain, du Bureau des analyses économiques, et du Bureau national de recherche économique ? Certainement, avec leur important budget et leurs outils d'analyse perfectionnés, ces éminents conseillers économiques sont capables de faire systématiquement des prévisions exactes sur des éléments comme le produit national brut et l'inflation. Erreur ! Une analyse de douze études sur la justesse des prévisions, couvrant la période de 1970 à 1995, conclut que les économistes sont incapables de prédire les tournants majeurs de l'économie. Les éminentes institutions citées ci-dessus se sont trompées dans leurs prévisions quarante-six fois sur quarante-huit tournants majeurs de l'économie (Kida 148). Ce qui fait un taux de réussite d'environ quatre pour cent. Pas très impressionnant. Néanmoins, personne n'a jamais fait faillite en affirmant pénétrer le secret du marché. Il pourrait y avoir une foultitude de livres faisant de telles affirmations que des millions de gens feraient la queue pour les acheter (au sens figuré, bien sûr).

Philip Tetlock, professeur de psychologie à l'université californienne de Berkeley, a analysé plus de 82 000 prévisions réalisées par plus de 280 experts professionnels pendant une période de vingt ans. Dans leur prétendu domaine de compétence, les résultats escomptés par les spécialistes étaient inférieurs à ceux obtenus par le hasard. Les spécialistes avaient vu juste moins d'une fois sur trois. Les spécialistes les plus célèbres étaient les plus confiants, les moins fiables et les plus populaires. Il y a une leçon à en tirer, mais la plupart des gens ne semblent pas l'avoir assimilée. On peut consulter les travaux de Tetlock dans son livre ; Expert Political Judgment: How Good Is It? How Can We Know?4.

 

Notes
  1. N'adhérez pas à toutes vos idées : les 6 erreurs fondamentales du raisonnement.
  2. Les diseurs de bonne aventure : le juteux commerce des prévisions.
  3. Marche aléatoire dans Wall Street : une stratégie éprouvée pour réussir ses investissements. Édition révisée et mise à jour.
  4. L'avis des experts en politique : est-il pertinent ? Comment le savoir ?

Dernière mise à jour le 23 août 2019.

Source: Skeptic's Dictionary