LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du samedi 13 septembre 2003

La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'Association des Sceptiques du Québec. Il y avait beaucoup de nouveaux visages en cette première soirée de la saison 2003-2004. M. Dubé en a profité pour résumer les buts de l'association : pourquoi être sceptique? Parce qu'il est si facile de se tromper! D'où la nécessité de vérifier les faits. M. Dubé a précisé que le scepticisme de l'Association des Sceptiques du Québec n'est pas une position philosophique (contrairement à d'autres formes de scepticisme), mais une méthode, analogue à la méthode scientifique, servant à vérifier que nos croyances sont justifiées par des faits mesurables et reproductibles.

Notre relationniste, Marie-Soleil Gauthier, a ensuite pris la parole pour souhaiter la bienvenue aux deux nouveaux membres du conseil d'administration : Kami Rousseau et Lorraine Thibault. Evelyne Gadbois a enchaîné avec la présentation du nouvel exemplaire du magazine « Le Québec sceptique » (le numéro 51) ainsi qu'avec la lecture de l'actualité sceptique.

Mlle Gauthier a repris la parole pour présenter le conférencier, François Filiatrault, et sa conférence « L'effet placebo. » François Filiatrault est professeur de psychologie au Cégep de Saint-Laurent à Montréal. Il collabore aussi régulièrement avec la Chaîne culturelle de Radio-Canada pour des émissions musicales.

Le Scepticisme nous rendra-t-il malades?

Depuis l'âge des cavernes, les pratiques plus ou moins magiques, les médicaments et les traitements les plus divers, pour ne pas dire les plus bizarres, remportent un succès certain et soulagent de nombreuses maladies et affections. Comment expliquer ce phénomène? Il semble que la conviction du malade soit un facteur déterminant du processus de guérison, même quand il s'agit du médicament le plus scientifiquement éprouvé. On appelle ce phénomène l'« effet placebo » et il a été l'objet de nombreuses études depuis quelques décennies. Les théories sont nombreuses qui tentent de l'expliquer, mais aucune pour le moment n'est pleinement satisfaisante.

M. Filiatrault a fait le tour du phénomène et de ses manifestations, et a examiné les éléments d'explication que propose la psychologie (conditionnement répondant; suggestion ou prédiction créatrice; dissonance cognitive; relation entre le patient et le praticien). Mais avec une certaine prudence : en effet, M. Filiatrault s'est demandé, en souriant, si à force de dénoncer l'effet placebo à l'oeuvre dans les médecines, tant officielle que parallèles, on ne risquait pas que les gens cessent d'y croire et soient ainsi davantage malades! M. Filiatrault a agrémenté sa conférence d'un documentaire vidéo intitulé « Placebo le remède imaginaire ».

La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Filiatrault.

L'effet placebo

François Filiatrault

par François Filiatrault

Qu'est-ce que l'effet placebo?

M. Filiatrault a débuté sa conférence en prenant le temps de définir l'effet placebo. Il a d'abord spécifié ce que l'effet placebo n'est pas : l'effet placebo ne relève aucunement de la magie et ne constitue nullement un soi-disant « triomphe de la pensée sur la matière. » D'autre part, il n'existe pas encore de théorie unificatrice pour rendre compte de l'effet placebo, ou plutôt devrions-nous dire DES effets placebo. L'expression « effet placebo » regroupe en réalité plusieurs phénomènes. Ainsi, la question suivante demeure pour le moment sans réponse scientifiquement établie : comment une croyance, localisée dans le cortex cérébral, peut-elle influencer le métabolisme? Toute théorie voulant rendre compte de l'effet placebo devra reposer sur la neuropsychologie : le psychologique émerge en effet du cerveau et n'est donc pas une entité distincte du corps. Il existe actuellement plusieurs hypothèses qui tentent de répondre à la question précédente, dont M. Filiatrault discutera dans sa conférence.

Le mot « placebo » vient du latin et signifie « je ferai plaisir ». Mais il y a ici une ambiguïté : cela signifie-t-il

  1. que c'est le patient qui guérit pour faire plaisir à son médecin ou
  2. que c'est le médecin qui prescrit un médicament pour faire plaisir à son patient?

C'est en 1811 que le mot « placebo » fait son entrée officielle dans le dictionnaire médical : on lui donne alors la deuxième signification mentionnée ci-haut.

Les véritables études scientifiques sur l'effet placebo ne débutent qu'en 1955, avec celles de Henry K. Beecher, anesthésiste. Selon son article intitulé "The Powerful Placebo", publié cette année-là dans le "Journal of the American Medical Association", et qui fait la compilation des résultats de 15 essais cliniques, 32,5 % de l'amélioration observée des symptômes serait dû à l'effet placebo. Selon d'autres études subséquentes, l'effet placebo serait responsable, dans certains cas, jusqu'à 70 % des guérisons. Ces études ont valu à l'effet placebo son surnom de « mensonge qui guérit ».

M. Filiatrault nous a ensuite donné trois définitions de l'effet placebo :

  1. guérison ou amélioration obtenue grâce à un produit qui ne contient aucune substance active
  2. effets psychologiques et physiologiques provoqués par des facteurs qui ne sont pas connus pour avoir des effets spécifiques sur les maux traités (définition de Danielle Fecteau)
  3. l'ensemble des effets thérapeutiques observables dans tout contexte de traitement (définition de Danielle Fecteau)

M. Filiatrault a complété cette liste de définitions par une citation de Philippe Pignarre :

En réalité, on appelle placebo une série entassée de mécanismes baroques non contrôlés : améliorations ou guérisons spontanées, modifications indépendantes de toute action, tout sentiment subjectif (et peut-être illusoire) d'amélioration, etc.

M. Filiatrault a précisé que seulement environ 20 % des médicaments vendus en pharmacie ont été testés en laboratoire.

M. Filiatrault a enfin mentionné l'existence d'un effet « nocebo » : il s'agit de l'obtention, par effet placebo, de conséquences indésirables, telles des nausées, des palpitations, etc., pouvant même aller jusqu'à la mort. (M. Filiatrault nous donnera de tels exemples plus loin dans sa conférence.)

Les traitements par effet placebo

Il a été démontré que l'effet placebo fonctionne avec presque tous les types de troubles dits fonctionnels : toux, ulcères, asthme, troubles urinaires, maux de dos, etc. L'effet placebo semble être particulièrement efficace pour soulager tous les types de douleur. L'efficacité de l'effet placebo est réelle et a été mesurée scientifiquement à partir de données physiologiques : il ne s'agit pas de la simple perception subjective de se sentir mieux. L'effet placebo a également montré une efficacité pour soulager la plupart des troubles psychologiques, à l'exception de la dépression majeure avec risque de suicide, pour laquelle l'effet placebo n'a pas été testé pour des raisons éthiques évidentes.

On associe en général l'effet placebo au fait de remplacer un médicament véritable par une pilule de sucre et à constater une amélioration, et parfois même une guérison, chez le patient. On constate, dans ces cas, que plus la pilule est grosse, et plus l'effet placebo est efficace. Fait bizarre : on observe aussi des effets secondaires suivant la prise d'une pilule placebo, qui varient selon la couleur de la pilule. Mais l'effet placebo est plus que cela : il s'observe également avec des injections d'eau distillée (donc ne contenant aucune substance active), et même avec des opérations! Le documentaire vidéo présentait l'exemple suivant d'une opération placebo. Un patient devait subir un pontage coronarien. Or, une fois que la poitrine du patient fut ouverte, les médecins ne purent effectuer le pontage et refermèrent la poitrine du patient. Lorsque le patient se réveilla, il vit la cicatrice sur sa poitrine, mais ne sut pas que le pontage n'avait pu être effectué. On mesura par la suite, objectivement, une amélioration réelle, physiologique de l'état du patient : il ne s'agissait pas de la simple perception subjective de se sentir mieux!

On constate que l'efficacité des opérations placebo est supérieure à celle des injections placebo, et que l'efficacité des injections placebo est supérieure à celle des pilules placebo.

Toutefois, l'effet placebo ne fonctionne pas avec les maladies infectieuses, il ne permet pas de guérir les blessures et n'est d'aucune efficacité face au cancer.

L'éthique

L'usage de l'effet placebo soulève certains problèmes d'éthique. Le problème principal est qu'un médecin doit mentir à son patient lorsqu'il lui donne un placebo : comment concilier cette nécessité avec la notion du consentement éclairé du patient? L'existence de l'effet placebo soulève une autre question éthique majeure : cette existence justifie-t-elle le libre recours à toutes les formes de traitements possibles, même non scientifiques (comme l'homéopathie)?

Les données actuelles

Au cours des 3 ou 4 dernières années, on a mesuré l'activité cérébrale de patients consommant des placebos. On a pu observer certains phénomènes mystérieux, encore inexpliqués. Tout d'abord, les zones du cerveau qui s'activent, à la suite de la prise d'un médicament ou d'un placebo, varient selon la maladie, mais sont toujours les mêmes pour la même maladie. Ensuite, on a observé que l'activité du cerveau qui a lieu après la prise d'un placebo est très semblable à celle mesurée après la prise du véritable médicament.

D'autre part, on n'a pas pu établir un profil psychologique type de l'individu sensible à l'effet placebo. On n'a pu établir aucune corrélation entre l'efficacité de l'effet placebo et des facteurs sociaux, des traits névrotiques ou hystériques, le sexe, etc. Tous les individus réagissent à l'effet placebo, à des degrés variables selon le contexte.

Le documentaire vidéo :« Placebo le remède imaginaire »

Ce film a été projeté durant la conférence en deux parties. Dans ce documentaire, on a précisé que l'effet placebo se manifeste dans le contexte d'une relation entre un soignant qui croit être capable de soigner et un patient qui croit pouvoir être soigné.

On a également cité, dans ce documentaire, des recherches en double aveugle qui révèlent que 30 à 40 % des gens traités par un placebo sont effectivement soulagés, peu importe la maladie (sauf les exceptions mentionnées plus haut). (Une recherche en double aveugle est une recherche dans laquelle

  1. le patient ne sait pas s'il consomme un placebo ou le vrai médicament et
  2. le chercheur ne sait pas s'il donne au patient un placebo ou le vrai médicament.

Bien entendu, on s'arrange pour être en mesure de connaître ces informations à la fin de la cueillette des données.) D'autre part, environ 40 % des médicaments vendus en pharmacie et qui se trouvent parmi ceux qui sont le plus souvent prescrits n'ont pas démontré une efficacité supérieure à celle de l'effet placebo.

Les hypothèses

M. Filiatrault nous a ensuite expliqué les quatre hypothèses actuelles, non mutuellement exclusives, qui tentent de rendre compte de l'effet placebo :

  1. le conditionnement répondant
  2. la suggestion
  3. la dissonance cognitive
  4. la relation entre le patient et le praticien

Le conditionnement répondant

Parmi les mécanismes d'apprentissage, tant chez les animaux que chez les humains, il existe deux types de conditionnement qu'il ne faut pas confondre :

  1. le conditionnement répondant, ou conditionnement classique ;
  2. le conditionnement opérant.

Le conditionnement répondant est bien illustré par l'expérience du chien de Pavlov. Il s'agit du processus par lequel l'individu va associer une réponse déjà « programmée » (par exemple : saliver), qui est normalement déclenchée par un stimulus « conditionné » (par exemple : la présence de nourriture), à un stimulus « non conditionné », c'est-à-dire à un stimulus neutre qui normalement ne déclenche aucune réponse (par exemple : le son d'une cloche). Dans sa célèbre expérience, Pavlov sonnait une cloche chaque fois qu'il servait de la nourriture à un chien. Puis un jour, Pavlov sonna la cloche, mais ne servit aucune nourriture au chien : celui-ci saliva quand même.

(D'autre part, le conditionnement opérant est différent. Il s'agit du processus par lequel un individu apprend à répéter ou à ne pas répéter un comportement donné selon que celui-ci lui procure habituellement une conséquence agréable ou désagréable. Par exemple, un rat de laboratoire apprendra à appuyer fréquemment sur un levier si, en général, de la nourriture lui est servie à la suite de ce geste. D'autre part, le même rat de laboratoire apprendra à ne plus appuyer sur ce levier si, en général, c'est un choc électrique qui lui est administré à la suite de ce geste.)

Le conditionnement répondant ou conditionnement classique est très présent dans nos vies. Il constitue un premier type d'explication de l'effet placebo. Selon cette hypothèse, le cerveau associe, lors de la consommation d'un vrai médicament, le geste « prendre une pilule » à la conséquence « aller mieux ». Une fois l'association faite, répéter le geste « prendre une pilule » - même s'il s'agit d'un placebo déclenche une véritable réaction physiologique de mieux-être (et non une simple perception subjective). Le cerveau produit donc, de façon automatisée, la réponse physiologique réelle « aller mieux » à la suite du stimulus « prendre la pilule ».

M. Filiatrault a précisé que la croyance n'entre pas en ligne de compte avec le conditionnement répondant. Pour cette raison, l'effet placebo ne serait pas automatiquement annulé chez un patient qui sait qu'il consomme un placebo et qui n'y croit pas. Jean-Jacques Aulas a eu l'idée de mettre sur le marché un placebo qui s'affiche comme tel.

M. Filiatrault a ajouté que le conditionnement répondant est insuffisant pour rendre entièrement compte de l'effet placebo chez l'humain. D'autre part, l'effet placebo existe aussi chez les animaux ; il a en particulier été mesuré sur des rats de laboratoire. Dans le cas des animaux, le conditionnement répondant serait le facteur unique responsable de l'effet placebo.

Enfin, M. Filiatrault a cité une expérience, troublante et encore inexpliquée, effectuée sur des rats de laboratoire. On a d'abord, à plusieurs reprises, injecté aux rats un immunosuppresseur, c'est-à-dire une substance qui réduit l'activité du système immunitaire. Par la suite, on a fait aux mêmes rats une injection de saccharine (un succédané du sucre) et on a observé une réduction réelle et mesurable de l'activité de leur système immunitaire! Cela constitue un exemple spectaculaire d'effet nocebo, explicable par le conditionnement répondant. Même que certains rats sont carrément morts à la suite de cette injection de saccharine! Le cerveau des rats a donc associé la réponse physiologique « diminution de l'activité du système immunitaire » au stimulus « injection » : lorsque le stimulus « injection » est répété, ce serait le cerveau lui-même qui, par des mécanismes encore inconnus, générerait la réponse conditionnée. Lors d'autres expériences similaires, on a pu augmenter l'activité du système immunitaire des rats par effet placebo, en associant un produit bénéfique au système immunitaire à l'odeur du camphre!

La suggestion

L'esprit humain, en tant que phénomène émergent de l'activité du cerveau et non en tant qu'entité surnaturelle, n'est pas en contact direct avec la réalité : il ne peut accéder qu'à ses représentations mentales de la réalité. Même le phénomène de la perception (par l'entremise des organes sensoriels) comporte une part d'interprétation. L'esprit n'est pas équipé pour faire spontanément la distinction entre une représentation mentale qui concorde effectivement avec un aspect de la réalité et une représentation mentale qui n'est qu'une pure illusion. Notre comportement n'est donc pas ajusté à la réalité en soi mais plutôt à nos représentations mentales de celle-ci. Nous agissons en fonction de ce à quoi nous nous attendons : ainsi, c'est parfois notre comportement lui-même qui est la cause de la conséquence attendue.

Il semblerait que l'influence de nos représentations mentales se fasse sentir au-delà du comportement : nos représentations mentales influenceraient jusqu'au métabolisme du corps. (N'oublions pas que le cerveau est lui-même un organe qui interagit continuellement avec le reste du corps.) M. Filiatrault a cité un exemple particulièrement déroutant : le cas de gens qui meurent réellement à la suite d'un envoûtement vaudou. La cause de la mort ne doit pas être attribuée à la magie, mais plutôt à un effet nocebo causé par suggestion. Si l'individu qui sait qu'on l'envoûte croit réellement qu'il va en mourir, c'est la représentation mentale de sa mort attendue qui, par un processus physiologique encore inconnu, cause sa mort réelle. Le phénomène de la suggestion est également désigné par les expressions «  prédictions créatrices », « prophéties auto-réalisantes », « idéation » ou « autosuggestion ».

Comment la suggestion peut-elle être la cause de l'effet placebo? Une représentation mentale induite par une illusion (par exemple, la représentation « je vais guérir en prenant cette pilule », induite par la prise d'un placebo) serait être aussi forte et aussi réelle pour le cerveau qu'une représentation mentale induite par une vraie cause (par exemple, la représentation « je vais guérir en prenant cette pilule », induite par la prise d'un vrai médicament).

M. Filiatrault a cité un autre exemple spectaculaire d'effet nocebo causé par la suggestion : il s'agit d'un individu, allergique aux roses, qui a subi un choc anaphylactique lorsqu'il fut mis en présence de roses artificielles, qu'il croyait être réelles. Dans ce cas, la cause du choc anaphylactique ne peut pas être les roses elles-mêmes, puisqu'elles étaient artificielles : la cause serait ici la représentation mentale du choc anaphylactique attendu.

M. Filiatrault a ensuite nuancé la question de la suggestion : après avoir montré que la suggestion peut être la cause de l'effet placebo (ou de l'effet nocebo), M. Filiatrault a précisé que la suggestion peut parfois, au contraire, empêcher le fonctionnement de l'effet placebo. Il s'agit alors d'un élément - l'observation de soi qui peut jouer dans l'effet placebo et expliquer les différences de réponse d'un individu à un autre. Le fait que la suggestion aide ou nuise à l'effet placebo dépend de ce à quoi le patient attribue la cause de son mal.

  1. Si le patient attribue son mal à une cause intrinsèque (c'est-à-dire s'il se croit lui-même responsable de son mal), alors l'effet placebo risque de ne pas fonctionner.
  2. Mais si le patient attribue son mal à une cause extrinsèque (c'est-à-dire à une cause extérieure à lui et indépendante de lui), alors l'effet placebo a de bonnes chances de fonctionner.

En guise d'exemple, M. Filiatrault a cité une expérience effectuée sur des insomniaques. On a donné à deux groupes d'insomniaques le même placebo, que l'on a fait passer pour un somnifère. Toutefois, on n'a pas présenté le placebo de la même manière aux deux groupes. Au premier groupe, on a dit que la pilule produisait, comme effet secondaire, un état de relaxation. Au second groupe, on a dit que la pilule produisait, comme effet secondaire, un état d'activation. Selon vous, ce sont les insomniaques de quel groupe qui se sont endormis? Ceux du deuxième groupe. En effet, comme M. Filiatrault nous l'a expliqué, les insomniaques sont, au départ, des gens déjà fébriles. Ainsi, les insomniaques du premier groupe s'attendaient à se trouver dans un état de relaxation qu'ils n'ont pas atteint. Ils ont alors attribué leur agitation à une cause intrinsèque, se convainquant qu'ils étaient plus forts que la pilule et que celle-ci ne fonctionnerait pas pour eux. M. Filiatrault a qualifié ce placebo de « somnifère qui n'endort pas. » En revanche, les insomniaques du deuxième groupe s'attendaient à se trouver dans un état d'agitation, qu'ils ont effectivement atteint. Bien que la cause véritable de leur agitation était intrinsèque, ils ont attribué cette cause à un facteur extrinsèque : la pilule. (Rappelons que l'esprit n'a pas un accès direct à la réalité mais seulement à ses représentations mentales.) Et ils se sont endormis!

M. Filiatrault s'est ensuite demandé si certaines séquelles postopératoires pourraient être causées par suggestion (ou par « prédiction créatrice »). En effet, avant d'être opéré, un patient doit signer une entente de consentement éclairé dans laquelle il déclare accepter toutes les séquelles possibles pouvant résulter de l'opération. Ainsi, dans certains cas où un patient subit des séquelles postopératoires, la représentation mentale « je m'attends à subir des séquelles postopératoires » serait la cause véritable de ces séquelles, plutôt que l'opération elle-même.

La dissonance cognitive

Le cerveau a pour mission de créer une impression

  1. de sens et de cohérence dans nos représentations mentales, et
  2. de concordance entre nos comportements et nos représentations mentales.

Il s'agit bien ici d'une impression subjective, qui peut ne pas concorder avec la réalité. M. Filiatrault a ajouté que le cerveau est incapable de se percevoir lui-même par lui-même. Pour être révélé à lui-même, le cerveau doit recevoir de l'information provenant de l'extérieur d'une autre personne. Et lorsqu'une autre personne nous révèle une contradiction interne entre nos représentations mentales, ou nous démontre qu'une de nos croyances est erronée ou encore qu'un de nos comportements entre en contradiction avec nos représentations mentales (c'est-à-dire que le geste contredit la parole), notre cerveau entre dans un état de « dissonance cognitive ». Notre cerveau veut alors réduire la dissonance le plus rapidement possible. Cela peut se faire en niant la nouvelle information, ou encore en niant la crédibilité de la personne qui nous donne la nouvelle information.

Un comportement sera donc jugé problématique par notre cerveau s'il va à l'encontre de nos convictions. L'intensité de la dissonance cognitive peut être modulée par deux facteurs principaux.

  1. Le sentiment de dissonance sera plus intense si le comportement problématique est effectué en public plutôt qu'en privé.
  2. Le sentiment de dissonance sera plus intense si la cause du comportement est attribuée à des facteurs intrinsèques (c'est-à-dire à des facteurs associés à l'individu lui-même); il sera beaucoup moins intense si la cause du comportement est attribuée à des facteurs extrinsèques (c'est-à-dire à des facteurs extérieurs à l'individu et indépendants de lui.)

Quel rôle la dissonance cognitive joue-t-elle au niveau de l'effet placebo? Il semble que plus un traitement est coûteux ou douloureux, et plus l'effet placebo est efficace. Ainsi, une personne qui s'investit dans un traitement coûteux ou douloureux et qui ne ressent pas d'effet bénéfique entre en dissonance cognitive : elle refuse d'accepter que cet investissement personnel soit totalement inutile, car le traitement employé serait en soi inefficace. La personne cherchera alors en elle des signes qu'elle va effectivement mieux, afin de faire cesser la dissonance. La personne ira jusqu'à guérir pour ne pas être en dissonance : et voilà un autre exemple illustrant comment les représentations mentales peuvent influencer le métabolisme. La dissonance cognitive expliquerait également pourquoi les opérations placebo sont plus efficaces que les injections placebo, et pourquoi les injections placebo sont plus efficaces que les pilules placebo.

Pour conclure sur la dissonance cognitive, M. Filiatrault s'est permis un petit aparté. Il a mentionné que la meilleure façon de manipuler une personne est de lui faire croire qu'elle est entièrement libre de prendre la décision qu'elle veut, tout en exerçant sur elle des pressions l'amenant à faire tel choix plutôt que tel autre. La personne attribue alors sa décision à une cause intrinsèque (son libre arbitre), alors qu'en réalité sa décision a été orientée par une cause extrinsèque (les pressions venant de l'extérieur). Rappelons que l'esprit n'a pas un accès direct à la réalité, mais seulement à ses représentations mentales. Si, par la suite, la personne n'adopte pas les comportements qui découlent de « sa » décision, elle entre en dissonance cognitive : ses comportements contredisent « son » choix, fait en « toute liberté ». Pour faire cesser la dissonance, la personne changera son comportement pour le faire concorder avec « sa » décision : c'est ainsi qu'elle se fera manipuler. Ce genre de procédé serait utilisé par les sectes afin d'amener les gens à se comporter selon les directives de la secte (la personne ayant « choisi en toute liberté » de se plier à ces directives), ou encore afin d'empêcher les gens qui y sont entrés « en toute liberté » d'en sortir. On retrouve aussi ce genre de procédé en publicité. (Note de l'auteur de ce compte-rendu : pensons par exemple à la sollicitation téléphonique. On nous amène parfois à exprimer une valeur, par exemple que l'on juge important d'être bien informé, pour ensuite nous mettre en dissonance cognitive si on n'achète pas le produit proposé par exemple un abonnement à tel journal.)

La relation entre le patient et le praticien

Un traitement est basé sur une relation sociale entre un patient et un praticien. Dans une telle relation, le patient se sent reconnu. En outre, cette relation découle d'une démarche entreprise par le patient qui le sort de ses activités ordinaires et quotidiennes. De plus, le praticien demande au patient de faire des choses que ce dernier ne fait pas devant tout le monde, comme se déshabiller  ou endurer des conditions d'obéissance ou parfois de souffrance à cause du traitement : cela crée une complémentarité entre le patient et le praticien. Enfin, personne n'aimant être en dette envers quelqu'un d'autre, le patient se dira « le praticien a fait quelque chose moi, alors je ferai quelque chose pour lui : je guérirai. » L'effet placebo serait ici causé par la réciprocité de la relation entre le patient et le praticien.

Pour que l'effet placebo soit véritablement efficace, il faut que et le patient et le praticien croient au traitement. Si le praticien savait qu'il prescrivait un placebo, son comportement devant le patient risquerait d'en être modifié, même si cela ne se manifestait que par des signes infimes. Or, le cerveau humain est très sensible à ces petits signes : ceux-ci risqueraient alors de faire diminuer la confiance du patient dans le traitement prescrit, et donc de faire diminuer l'efficacité du placebo. Faudrait-il alors que le traitement médical soit, à l'instar de la recherche, en double aveugle? M. Filiatrault a ajouté que, bien qu'il n'y ait pas de profil établi de la personnalité susceptible de répondre davantage à l'effet placebo, celui-ci serait particulièrement efficace chez les gens anxieux, puisque

  1. le fait d'être pris en charge fait baisser l'anxiété et que
  2. les gens anxieux ont tendance à suivre plus scrupuleusement leur traitement.

La recherche scientifique doit maintenant associer l'hypothèse de la réciprocité entre le patient et le praticien à des processus physiologiques.

Conclusion

M. Filiatrault a rappelé, en conclusion, qu'il n'existe en réalité pas un, mais DES effets placebo. Il a aussi rappelé qu'il reste encore beaucoup de recherche scientifique à faire afin de découvrir les mécanismes physiologiques des effets placebo.

M. Filiatrault a terminé sa conférence sur ce commentaire, lancé en souriant : « lorsque vous prenez un médicament, croyez-y. Ne laissez pas votre scepticisme vous rendre malade! »

Période de questions et d'échanges

Il a été discuté, lors de la période de questions et d'échanges qui a suivi la conférence de M. Filiatrault, de la possibilité de recourir à l'effet placebo en psychothérapie. La quatrième hypothèse voulant rendre compte de l'effet placebo (la réciprocité de la relation entre le patient et le praticien) permet de croire en cette possibilité. Si cette hypothèse est vraie, alors le type de traitement employé par le psychothérapeute n'aurait aucune importance : n'importe quoi pourrait fonctionner, puisque la cause de l'amélioration du patient ne serait pas le traitement lui-même, mais bien la relation entre le patient et le soignant.

Une autre personne de l'assistance a souligné l'intérêt scientifique qu'il y aurait à faire l'expérience suivante : donner un vrai médicament à une personne, mais lui faire croire qu'il s'agit d'un placebo. Une telle expérience n'a encore jamais été tentée, mais soulèverait certains problèmes d'éthique.

Enfin, une contradiction a été signalée dans l'exposé : on a demandé à M. Filiatrault comment un placebo qui s'affiche comme tel pourrait être efficace, alors que partout dans les exemples rapportés c'est la conviction du malade qui semble êtr l'élément primordial... Le conférencier a expliqué que, si l'hypothèse du conditionnement répondant est valide, alors l'effet placebo doit fonctionner même si le patient sait qu'il reçoit un placebo. Mais dans un tel cas, l'intensité de l'effet placebo serait moindre. Il faut encore expérimenter pour éclaircir ces aspects de l'effet placebo.


Résumé rédigé par Daniel Fortier