LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du dimanche 13 mai 2003

La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'association des Sceptiques du Québec. M. Dubé a également annoncé la prochaine soirée sceptique, le vendredi 13 juin 2003, qui viendra clore la saison 2002-2003. À la place d'une conférence, il y aura un souper-discussion dont le thème sera « comment appliquons-nous la démarche sceptique dans notre vie?

Notre relationniste, Marie-Soleil Gauthier, a ensuite pris la parole et a souligné que l'association des Sceptiques du Québec a besoin de bénévoles, en particulier pour le comité scolaire qui distribue le magazine « Le Québec sceptique » dans les écoles. L'association recherche également un ou une infographiste bénévole pour ce même magazine. Evelyne Gadbois a enchaîné avec la lecture de l'actualité sceptique. Ariel Fenster

Mlle Gauthier a repris la parole pour présenter le conférencier, Ariel Fenster, et sa conférence « La science pathologique. De l'homéopathie à la fusion froide. » M. Fenster est professeur de chimie à l'Université McGill. Il détient un Doctorat en chimie de cette même université. Il est bien connu pour son programme de vulgarisation, « La chimie pour le public ».

Au cours des vingt-cinq dernières années, il a développé un programme de plus de 60 causeries différentes sur des sujets d'intérêt général. « L'ABC des vitamines », « La science au service de l'art », ou « La chimie du crime » en sont quelques exemples. Près de quatre cents présentations ont ainsi été données, à travers le monde. Ces causeries sont regroupées dans les quatre volets de la série "The World of Chemistry", sur les applications de la chimie au quotidien (1 : les aliments; 2 : la diversité de la chimie; 3 : les médicaments; 4 : l'environnement).

M. Fenster a aussi présenté « l'Office for Science and Society » (OSS), qui offre toute une gamme d'activités visant à rendre la science accessible au public (conférences, cours, médias, etc.), ainsi que les cours disponibles en-ligne offerts par cette organisation. Fréquemment invité à la radio et à la télévision pour commenter l'actualité, M. Fenster a également à son actif plus de 20 articles sur la recherche et l'enseignement de la chimie.

Saviez-vous que les produits homéopathiques, en vente libre dans toutes les pharmacies, reposent sur des principes qui furent réfutés par la communauté scientifique? Nous vivons à une époque où les moyens de communication sont plus nombreux et accessibles que jamais et il est nécessaire d'utiliser son esprit critique face à toutes ces informations. L'Internet, par exemple, permet de véhiculer une quantité énorme de propagande pseudo-scientifique basée sur des principes illusoires. L'expression « science pathologique » est utilisée pour décrire certaines situations où des chercheurs, certains étant renommés et ayant une longue expérience, font la promotion de découvertes qui ne sont pas soutenues par les principes fondamentaux de la méthode scientifique. M. Fenster est venu présenter différents aspects de ce phénomène en prenant comme exemples l'affaire Benveniste (homéopathie) et le cas de Pons et Fleishman (fusion froide).

La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Fenster.

La « science pathologique » ou « science illusoire »

M. Fenster a débuté sa conférence en précisant que les cas de science pathologique ne sont pas des cas de fraude directe, mais plutôt « d'autofraude ». La démarche scientifique véritable consiste

  1. à partir de faits observés pour
  2. induire des hypothèses et des théories qui en rendent compte.

La science pathologique procède en sens inverse :

  1. le scientifique part d'une théorie qu'il accepte a priori pour
  2. ajuster ses résultats expérimentaux afin de confirmer celle-ci.

L'homéopathie

M. Fenster a pris le soin d'expliquer exactement ce qu'est l'homéopathie. Elle fut fondée par le médecin allemand Samuel Hahnemann (1755 - 1843), à une époque où la médecine était souvent pire que les maladies qu'elle tentait de soigner. M. Hahnemann est alors arrivé avec une médecine alternative douce, qui ne cause aucune blessure au patient (contrairement à la médecine « officielle » de l'époque). L'homéopathie repose sur trois principes fondamentaux (et non scientifiques) :

  1. Si une substance, à haute dose, provoque certains symptômes, alors cette même substance, à petite dose, prévient ces mêmes symptômes. Ce premier principe nous amène à l'étymologie du mot « homéopathie » : « homéo » signifie « même » et « pathie » signifie « souffrance ». L'homéopathie traite donc le mal par le mal dilué. M. Fenster a précisé que ce premier principe va dans le sens contraire de la médecine scientifique moderne, qui est allopathique (« allo » signifie « autre ») : la médecine scientifique traite le mal par son contraire. M. Fenster a souligné que l'homéopathie traite les symptômes et non les maladies. L'homéopathie s'intéresse à la personne du patient et non aux agents pathogènes.
  2. Plus une substance est diluée, plus elle est efficace. Ce principe repose sur le postulat que l'eau aurait une mémoire : l'eau retiendrait les propriétés des substances avec lesquelles elle a été mise en contact. La préparation d'un remède homéopathique consiste à prendre une partie d'une substance nocive et à la diluer dans neuf parties d'eau. Ce processus est ensuite répété plusieurs fois, jusqu'à ce que la concentration de la substance nocive devienne infime. Les homéopathes obtiennent ainsi des concentrations de l'ordre d'une molécule de substance nocive pour 6 X 10 puissance 23 (le chiffre « six » suivi de 23 fois le chiffre « zéro ») molécules d'eau (et même des concentrations encore plus infimes!) Ce rapport est équivalant à diluer deux litres de la substance nocive dans un volume d'eau égal au volume de la planète Terre! (Doit-on préciser qu'à de telles concentrations une substance est, en réalité, tout à fait inactive. C'est pour cela que les homéopathes doivent invoquer l'idée surnaturelle de la mémoire de l'eau. Les homéopathes aiment bien spécifier que l'homéopathie, contrairement à certaines autres médecines alternatives, est entièrement sécuritaire)
  3. Entre chacune des dilutions successives, il faut dynamiser par succussion le remède en préparation. Cela consiste à secouer et à taper la préparation afin « d'énergiser » les molécules.

L'homéopathie dans le contexte de la science pathologique

Un chercheur de l'INSRM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) de France, Jacques Benveniste, a prétendu avoir prouvé scientifiquement l'existence de la mémoire de l'eau. Qui plus est, la prestigieuse revue scientifique britannique Nature a publié son article en juin 1988. M. Fenster nous a raconté l'histoire de « l'affaire Benveniste ».

Le rédacteur en chef de Nature d'alors, le professeur Sir John Maddox, a accepté de publier l'article de M. Benveniste à la condition de pouvoir lui-même visiter le laboratoire de M. Benveniste pour vérifier par lui-même les expériences de ce dernier. M. Maddox avait également un autre but en tête en publiant cet article : permettre au lecteur de réaliser que la théorie homéopathique ne tient pas debout. M. Maddox dit maintenant regretter d'avoir publié cet article.

M. Maddox, qui s'est fait accompagner de James Randi (magicien professionnel et sceptique), a donc eu accès au laboratoire de M. Benveniste à Paris (Meudon). MM. Maddox et Randi ont constaté un problème majeur avec les résultats expérimentaux qui confirmaient l'existence d'une mémoire de l'eau : ceux-ci n'étaient pas reproductibles. Seule une des techniciennes du laboratoire, Elizabeth Davenas, réussissait à obtenir des résultats positifs. De plus, ces résultats étaient « trop » parfaits. (Dans toutes les sciences, les résultats expérimentaux sont toujours entourés d'une marge d'erreur inhérente.)

MM. Maddox et Randi ont alors fait une étude en double aveugle. Cela signifie qu'ils ont créé, dans un premier temps, deux groupes d'échantillons : l'un contenant l'antigène dilué (le remède homéopathique) et l'autre de l'eau pure. Dans un deuxième temps, un observateur a effectué les expériences de M. Benveniste sans savoir à quel groupe chaque échantillon testé appartenait. Avec une telle approche, Mlle Davenas n'a obtenu aucun résultat positif qui aurait confirmé la théorie homéopathique. Autrement dit, lorsque les expériences voulant vérifier la validité de l'homéopathie sont faites de façon rigoureuse, aucun résultat positif n'est obtenu. Les expériences de M. Benveniste constituaient donc de la science pathologique.

M. Benveniste a néanmoins continué à soutenir ses résultats. Il a alors été renvoyé de l'INSRM parce qu'il soutenait des résultats prouvés faux.

L'affaire Benveniste a eu une suite : le 26 novembre 2002, le professeur britannique Madeleine Ennis relevait le défi de James Randi à l'émission Horizon de la BBC. M. Randi offre en effet un montant d'un million de dollars (américains) à quiconque fait la preuve scientifique de l'existence d'un phénomène paranormal ou de la validité d'une pseudo-science. (Les Sceptiques du Québec se sont associés au défi de James Randi.) Mme Ennis prétendait avoir fait la preuve scientifique de l'existence de la mémoire de l'eau. Elle a échoué au test et n'a pas remporté un million de dollars américains. MM. Randi, Maddox et Benveniste étaient présents. Transcription de l'émission.

Dans toutes les sciences, des allégations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires. Or, l'allégation extraordinaire que l'eau aurait une mémoire n'est pas soutenue par des preuves extraordinaires. Il arrive certes quelques fois que l'homéopathie fonctionne, mais ces cas sont tout à fait explicables par l'effet placebo. Autrement dit, l'homéopathie ne fait pas mieux, en termes de taux de succès, que l'effet placebo. M. Fenster a aussi souligné que lorsqu'une personne traitée à l'homéopathie juge, par elle-même, qu'elle se sent mieux, il s'agit alors d'un jugement subjectif, donc non rigoureux.

La fusion nucléaire

Il existe deux mécanismes par lesquels de l'énergie peut être extraite des noyaux atomiques. Le premier est la fission : cela se produit lorsqu'un « gros » noyau atomique (par exemple l'uranium ou le plutonium), instable, éjecte un fragment de lui-même (par exemple une particule alpha). De l'énergie est alors libérée, et de la radioactivité (constituée par exemple par les particules alpha émises) est produite. Les centrales électriques nucléaires, de même que les premières bombes nucléaires, utilisent la fission.

Le second processus est la fusion : cela se produit lorsque de « petits » noyaux atomiques (par exemple des noyaux d'hydrogène) fusionnent pour former un noyau plus gros (par exemple un noyau d'hélium). C'est grâce à la fusion nucléaire que les étoiles brillent. La fusion (non contrôlée) est aussi la source d'énergie des bombes « H » (ou bombes nucléaires à hydrogène). L'énergie obtenue par fusion nucléaire est immense : une ogive nucléaire de bombe H, mesurant 3 pieds par 1 pied (90 centimètres par 30 centimètres), libère une mégatonne équivalente d'énergie, soit autant qu'un million de tonnes de TNT (ce qui représenterait un train chargé de TNT long de 500 kilomètres). L'avantage de la fusion sur la fission est que, contrairement à cette dernière, elle produit très peu de déchets radioactifs. De plus, l'hydrogène est très abondant sur la Terre (on en retrouve deux atomes dans chaque molécule d'eau). Remarquez que pour la fusion, on utilise en fait l'isotope d'hydrogène (ou la « variété » d'hydrogène) appelé «  deutérium » : celui-ci est plus facile à fusionner que l'hydrogène « ordinaire », mais il est aussi plus rare.

Si la fusion nucléaire était domestiquée, elle serait le moyen de produire de l'énergie en quantité massive, pour les besoins civils (comme l'électricité), le plus propre pour l'environnement. Imaginez la fortune et la gloire qui attendent ceux ou celles qui, les premiers, réussiront à maîtriser ce processus et à le rendre rentable!

Mais la fusion possède un énorme désavantage sur la fission : elle requiert des températures de plusieurs millions de degrés Celsius (La température au coeur du Soleil est de 15 millions de degrés Celsius. Dans le cas des bombes H, l'explosion est initiée par une réaction de fission, celle-ci permettant d'atteindre les températures requises pour que la fusion puisse ensuite démarrer.)

Jusqu'à ce jour, deux milliards de dollars ont été dépensés en recherche sur la domestication de la fusion nucléaire. (Pensons, par exemple, au projet Tokamak où l'on génère des températures de 700 millions de degrés Celsius, ou encore au projet Livemore.) On réussit donc à faire fusionner des atomes d'hydrogène, mais à ce jour, l'énergie ainsi générée coûte plus cher à produire que ce que sa vente rapporterait.

La fusion froide dans le contexte de la science pathologique

Le 23 mars 1989, deux physiciens, MM. Pons et Fleishman, annoncent, lors d'une conférence de presse, avoir réussi à faire de la fusion nucléaire à une température de 25 degrés Celsius. Mais leurs résultats n'ont jamais pu être reproduits : il s'agissait à nouveau de science pathologique. MM. Pons et Fleishman poursuivent néanmoins leurs recherches, en France, financés par une compagnie japonaise.

Période de questions et d'échanges

Il a été souligné, lors de la période de questions et d'échanges qui a suivi la conférence de M. Fenster, que les imposteurs ont tendance à utiliser les tribunaux pour régler les « controverses scientifiques », plutôt que de se référer aux faits obtenus lors d'expériences scientifiques rigoureuses. À titre d'exemple, on a cité le cas d'Uri Geller, qui prétendait réussir à plier des cuillers par le pouvoir de sa pensée, qui a poursuivi James Randi après que ce dernier ait démontré qu'il s'agissait d'une arnaque.

La période de discussion a été marquée par un débat animé sur les supposées vertus des aliments biologiques par opposition à celles des aliments non biologiques.

M. Fenster a conclu la soirée en spécifiant que le meilleur moyen pour contrôler la validité des recherches scientifiques est le contrôle par les pairs. Lorsqu'un chercheur soumet un article à une revue scientifique, l'article est toujours révisé par d'autres chercheurs du domaine scientifique concerné. Ce sont eux qui décident si l'article sera publié ou non, ou s'il doit être d'abord modifié ou corrigé par son auteur. Ainsi, tout résultat soi-disant scientifique qui n'est pas publié dans une revue scientifique (bien qu'il puisse être publié dans des revues de vulgarisation ou dans des journaux « ordinaires ») doit être considéré comme non crédible, car rejeté par les experts du domaine dont il relève.


Résumé rédigé par Daniel Fortier