LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du vendredi 13 mars 2009 - 19 heures

Le cours d'Éthique et culture religieuse

Un dispositif idéologique pour faire reculer les Lumières

Par Marie-Michelle Poisson, professeure de philosophie

Dans une allocution prononcée chez les Sceptiques du Québec le 13 mars 2009, Marie-Michelle Poisson, présidente du Mouvement laïque québécois, démontre les lacunes flagrantes du programme en éthique et la primauté injustifiée accordée aux conceptions religieuses.

Annonce de la conférence

Le nouveau programme d’Éthique et Culture Religieuse (ECR) comporte des faussetés, des incohérences internes et des omissions troublantes.

Lors de cette conférence, nous exposerons quelques a priori inadmissibles sur lesquels repose ce nouveau programme. Nous démontrerons que ce nouveau programme est en parfait décalage avec les fondements de la modernité et que, par conséquemment, il prépare très mal les jeunes générations à leur futur rôle de citoyen autonome et responsable.

Force est de constater que le nouveau programme ECR s’inscrit parfaitement dans la mouvance anti-lumières par sa tendance à nier la primauté des droits de l’individu sur son groupe traditionnel, à favoriser le cheminement spirituel au détriment de la rationalité critique et par conséquent, à invalider toute prétention à définir des valeurs humanistes universelles garantes des droits fondamentaux.

Il sera aussi démontré que le nouveau programme d'Éthique et culture religieuse a été conçu expressément pour consolider la présence du religieux dans le système scolaire québécois en déployant un dispositif idéologique qui non seulement menace sérieusement l’héritage du siècle des Lumières, mais prépare activement les jeunes esprits à un retour du religieux dans l’ensemble des institutions publiques.

Marie-Michelle Poisson est professeure de philosophie au Collège Ahuntsic à Montréal depuis plus de 20 ans. Elle s’intéresse particulièrement aux fondements philosophiques de l’éthique ainsi qu’à la méta éthique. Depuis novembre 2008, elle est présidente du Mouvement laïque québécois.


Le cours d'Éthique et culture religieuse

Un dispositif idéologique pour faire reculer les Lumières

Par Marie-Michelle Poisson, professeure de philosophie

MM Poisson

Le cours d’Éthique et culture religieuse, enseigné dans les écoles primaires et secondaires du Québec depuis septembre 2008, s’attaque aux acquis de la modernité, soumet Marie-Michelle Poisson. Il s’inscrit dans un courant idéologique réactionnaire qui veut diminuer l’usage de la rationalité. Il nie aux humains la capacité d’établir un contrat social entre eux sans l’aide d’une autorité transcendante. Sous prétexte de tolérance, il prône un multiculturalisme fondé sur l’appartenance religieuse. Finalement, il rejette la possibilité à l’humanité d’établir pour elle-même des principes universels, comme la Charte des droits et libertés.

On aurait pu croire que la transformation des commissions scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques aurait contribué au renforcement de la laïcité de ces institutions québécoises. Toutefois, les efforts soutenus d’un lobby religieux au sein même du ministère de l’Éducation ont réussi à renverser la tendance à la sécularisation et à favoriser un contenu religieux accru dans le nouveau cours. Les changements fréquents de la direction du ministère n’ont pu contrer cette pression interne constante vers un retour du religieux.

Réformes illusoires

Retraçons l’historique de la déconfessionnalisation du système scolaire québécois qui, soutient Poisson, repose sur des apparences trompeuses. En 1997, à la suite d’un amendement de la Constitution canadienne, une loi créa les commissions scolaires linguistiques pour remplacer le système québécois d’éducation confessionnel. En 2000, on procéda à l’abolition des structures confessionnelles, tels les comités catholiques et protestants et les postes de sous-ministre associé des fois catholique et protestante, de même que le statut confessionnel des écoles et les services d’animation pastorale.

Pourtant, ces structures existent toujours – sous d’autres noms. Le sous-ministre de la foi est devenu secrétaire du Secrétariat aux affaires religieuses. Les comités catholiques et protestants ont été remplacés par un Comité des affaires religieuses. Ceux qui présidaient aux anciens comités se retrouvent souvent à la tête des nouveaux comités. Les doyens des facultés de théologie des grandes universités québécoises y occupent des postes de direction, tout en faisant aussi parfois partie du comité stratégique des évêques. Depuis l’abolition des commissions scolaires confessionnelles en l’an 2000, ces deux organismes constituent un puissant lobby religieux au sein même du Ministère de l’Éducation. Ils ont été les maîtres d’œuvre du nouveau programme qui donne une prépondérance indue à la religion.

Avec essentiellement les mêmes personnes en position d’influence dans l’ancien système confessionnel comme dans le nouveau système linguistique, on ne se sera pas surpris de constater que tout ce qui aura pu être préservé de religieux de l’ancien système l’ait été. Les structures religieuses catholiques et protestantes, qui ont été légalement abolies, ont été perpétuées sous une forme multiconfessionnelle où les deux religions les plus importantes sont les plus représentées.

En 2005, le gouvernement québécois a pris la décision de ne plus reconduire la clause dérogatoire qui permettait les écoles confessionnelles. Le même programme d’Éthique et culture religieuse (ECR) sera imposé à tous les étudiants du primaire et du secondaire. Élaboré les années suivantes par les membres du Secrétariat aux affaires religieuses et ceux du Comité des affaires religieuses, ce programme a commencé à être enseigné à tous ces étudiants en septembre 2008.

La loi au service de la foi

Le coût de cette continuation à peine voilée de la confessionnalité mine des ressources qui pourraient êtres consacrées plus à profit à l’enseignement des langues et des sciences, avance Poisson. On doit bien sûr inclure les coûts substantiels liés aux nouveaux manuels scolaires, autant pour les maîtres que pour les élèves. De plus, d’autres services dispendieux, qui auraient dû être abolis dans le nouveau système, ont été non seulement conservés, mais aussi légalisés.

Ajouté à la loi sur l’Instruction publique en 2000 (Article 6), le Service d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire s’étend désormais au niveau primaire comme au niveau secondaire. Treize millions de dollars y auraient été consacrés l’année dernière. Le fait que ce service complémentaire soit nommément le seul inscrit dans la loi légalise sa priorité sur les autres services complémentaires, tels ceux d’un psychologue, d’un orthophoniste, d’un bibliothécaire ou d’un conseiller à l’orientation, qui ne sont pas mentionnés. Advenant une diminution de budget, le service à la vie spirituelle serait protégé, mais pas les autres services complémentaires.

Selon la loi sur l’Instruction publique (Article 36), l’école est aussi tenue de faciliter le cheminement spirituel de l’élève afin de favoriser son épanouissement. Les commissions scolaires doivent aussi légalement (Article 226) s’assurer que l’école prodigue ces mêmes services en veillant au financement des locaux requis. Rappelons que seuls ces services sont explicitement protégés par un article de loi. Puisqu’environ 85 % de la population québécoise n’est pas pratiquante, on peut supposer que ses besoins les plus pressants pourraient être autres que religieux.

De plus, en 2005, on a abrogé l’article 20 de la loi sur l’Instruction publique qui permettait à l’enseignant de refuser d’enseigner les préceptes d’une confession religieuse pour des motifs de liberté de conscience. L’enseignant est désormais passible de suspension ou de congédiement, même si, à son avis, le nouveau cours d’Éthique et culture religieuse contient des éléments religieux discriminatoires ou antiscientifiques.

Prépondérance indue du christianisme

Le cours d’Éthique et culture religieuse valorise autant la religion que le système précédent, sauf qu’il est de nature multiconfessionnelle. Ce nouveau cours, précise la conférencière, fait appel à 3 compétences : éthique, initiation au dialogue et culture religieuse. Le contenu des deux premières compétences n’est pas précisé, ni d’ailleurs le temps qu’on devrait leur consacrer. Les différentes conceptions de l’éthique, tels l’utilitarisme ou l’humanisme, ne sont même pas mentionnées.

Pour la troisième compétence, par contre, on spécifie la proportion du temps alloué à différentes confessions. Le christianisme (dont le catholicisme) doit être traité tout au long de chaque année d’un cycle (deux ans) ; le judaïsme et les religions autochtones, à plusieurs reprises chaque année d’un cycle ; l’islam, à plusieurs reprises au cours d’un cycle (pas nécessairement chaque année), de même pour le bouddhisme et l’hindouisme.

Seront aussi abordés au cours d’un cycle : « les expressions culturelles et celles issues de représentations du monde et de l’humain qui définissent le sens et la valeur de l’existence humaine en dehors des croyances et des adhésions religieuses ». On fait sûrement ici référence aux athées et aux agnostiques, qui ne seront mentionnés que brièvement au cours d’une des deux années sans que leur identité soit nommément précisée.

Rappelons que les mots « athée » et « agnostique » n’apparaissent pas du tout dans le programme. La ministre de l’Éducation a elle-même donné pour raison qu’ils véhiculaient une signification trop péjorative. D’autres mots, plutôt importants dans le contexte de l’éthique, sont également occultés, tel philosophie.

Toutefois, on ajoute que d’autres religions pourraient être abordées selon les besoins et la réalité du milieu. Cette réalité mettrait pourtant en deuxième place les athées, les agnostiques et les sans religion qui ensemble, selon les derniers sondages, constitueraient environ 15 % de la population, soit plus que toutes les autres confessions réunies (autres que catholique).

Protectionnisme religieux

Ce nouveau programme (ECR) requiert une formation universitaire en sciences religieuses prodiguée par les facultés citées. Les rédacteurs du programme, provenant du Secrétariat aux affaires religieuses, se sont assuré que son contenu relèverait plus de particularités religieuses que de philosophie ou d’histoire.

La partie éthique du cours, qui normalement devrait relever des facultés de philosophie, est plus facilement accessible dans les facultés de sciences religieuses qui prodiguent nécessairement les autres cours requis. Certaines universités québécoises n’ont d’ailleurs pas de faculté de philosophie ; les étudiants n’ont guère le choix, à moins de se diriger vers les facultés des sciences de l’éducation. La formation des maîtres n’est donc pas tellement différente de ce qu’elle était auparavant. La survie des facultés de théologie et de sciences religieuses, jadis menacée par le manque d’intérêt religieux de la population et de débouchés pour ses diplômés, est dorénavant assurée.

Contenu religieux traditionnel

Au primaire, le contenu de certains nouveaux manuels pour l’élève renferme des images et des situations très semblables à celles que contenaient les cahiers de catéchèse d’il y a 30 ans. L’arche de Noé, par exemple, qui s’étale sur deux pages ne manquera pas de frapper l’imagination des jeunes élèves. Les thèmes bibliques les plus connus y sont représentés en couleurs vives. On donne beaucoup moins d’importance aux mythes des autres religions ; les dessins prennent moins d’espace et les couleurs sont plus ordinaires.

La plupart des cérémonies et rites importants de la religion catholique sont représentés : Noël, Pâques, baptême, communion, etc. Presque systématiquement, dans certains manuels, on pose une question en encadré à l’enfant lui demandant s’il a déjà assisté à telle cérémonie et s’il peut en décrire l’expérience. Pour les autres religions, les détails sont moins présents et les questions moins régulières. De telles questions peuvent contrevenir à la liberté de conscience des élèves qui doivent ainsi divulguer leur adhésion ou non-adhésion à une religion particulière. Il y a aussi le risque qu’un jeune enfant puisse être indûment impressionné par des histoires faisant appel au surnaturel, telles les apparitions fantomatiques d’anges.

Au secondaire, aucune autre référence au groupe des non-religieux ne sera faite, mais les symboles des différentes religions seront montrés, en donnant, cela va de soi, prépondérance aux symboles chrétiens.

Culture et réalité objective

Le nouveau programme vise aussi à la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. La définition de l’autre s’inscrit dans sa seule dimension culturelle, elle-même restreinte à son appartenance religieuse. Il faudrait toujours accepter l’autre comme l’être religieux qu’il est sensé être. L’enseignant doit présenter chaque culture religieuse avec grande prudence pour éviter la caractérisation à outrance et l’enfermement identitaire. Les jeunes élèves ne sont-ils pas avant tout des enfants, quelles que soient les caractéristiques de la religion de leurs parents ?

Certains manuels versent dans le relativisme cognitif en laissant croire que la culture modifie la réalité objective. Par exemple, même si certaines religions peuvent fêter le Nouvel An à des périodes différentes, un calendrier standard s’est imposé pour permettre les échanges et le commerce sur une base mondiale commune, en tenant compte des fuseaux horaires. Le relativisme culturel présenté devrait donc être tempéré par une référence à l’approche scientifique.

Laïcisation compromise

L’approche multiculturaliste et l’ouverture à l’autre permettent au nouveau programme d’aborder les rites de la religion catholique en prédominance, tout en mentionnant ceux des autres religions selon leur importance au Québec. Les différentes fêtes religieuses pourront être décrites, de même que certains rituels, tels les sacrements. L’enseignement religieux demeure donc assez semblable à ce qu’il était, sauf qu’il est maintenant obligatoire pour tous. Auparavant, rappelle Poisson, le choix de l’enseignement moral sans contenu religieux était possible.

Un cheminement spirituel spécifique, comme la préparation aux sacrements, ne pourra plus se faire en classe. Toutefois, cette ancienne fonction de l’école confessionnelle pourra être reprise par le Service d’animation à la vie spirituelle au sein même de l’institution. Ce service a donc été conçu comme facilitateur à la continuation de l’endoctrinement religieux. Il a aussi pour mission d’aider les autres enseignants à la compréhension du phénomène religieux. Il remplace ainsi les conseillers religieux d’antan.

La loi a prévu que le Service à la vie spirituelle dispose d’un local. Il sera donc possible d’y tenir des cérémonies à caractère religieux, comme dans le passé, si la demande le justifie. Les commissions scolaires qui, dans un contexte multiculturel, préfèrent qu’il n’y ait pas de local de prière à l’école ne pourront donc plus s’y opposer. La laïcisation du système scolaire est donc lourdement compromise.

Thèmes universels occultés

Le programme d’Éthique et culture religieuse semble avoir été mal nommé. Il aborde les différentes cultures religieuses sous leurs divers aspects mythiques et rituels, mais parle peu d’éthique. Une recherche du mot « éthique » dans la description du programme en trouve peu d’apparitions et toujours avec le mot religieux dans la même phrase. Le mot « philosophie », dont l’éthique est une branche, n’apparaît jamais, de même que rationalité et humanisme.

Le mot « philosophique » est mentionné huit fois, mais pour nier la pertinence d’étudier trop attentivement les fondements philosophiques de l’éthique. « Liberté de conscience » apparaît deux fois, mais en référence à celle de l’enseignant. La « Déclaration universelle des droits de l’Homme » n’est pas non plus mentionnée ; elle constitue pourtant le référentiel moderne incontournable, vulgarisé en de multiples approches pour différents niveaux par les Nations Unies.

Le relativisme culturel prend tellement de place dans le nouveau programme qu’aucune référence à des normes universelles n’a pu y être incluse. Les thèmes universels de bonheur et d’amitié sont vus comme porteurs de tensions et de conflits de valeurs, plutôt que comme des valeurs communes qui transcendent les cultures. On n’enseigne aux élèves à reconnaître les ressemblances que pour bien distinguer les différences.

Le programme insiste donc sur la diversité culturelle et religieuse des élèves. Le mot « différence », par exemple, apparaît 24 fois et les mots « religion », « religieux » et « religieuses » 507 fois. On constate un parti pris relativiste inquiétant.

Droits fondamentaux violés

La Commission des droits de la personne a résolu de ne pas accepter de demandes d’exemption du nouveau programme d’Éthique et culture religieuse, puisqu’il est obligatoire. Elle s’est toutefois dite inquiétée par les dérives possibles, poursuit la conférencière. Cette dernière cite un avis de la Commission1 à cet égard, tels le biais systématique d’un enseignant pour ou contre une religion et la stigmatisation des enfants athées ou ayant grandi dans des familles areligieuses.

Un chef religieux qui profiterait d’une invitation en classe pour y faire du prosélytisme pourrait également faire l’objet d’une plainte devant la Commission. Les enfants ne doivent pas non plus être contraints de dévoiler, directement ou indirectement, leurs convictions personnelles. Les témoignages de foi, volontaires ou non, devraient n’être ni sollicités ni acceptés. Pourtant, l’approche pédagogique du programme les recommande systématiquement.

La Commission soutient aussi que les visions séculières du monde ne devraient pas être négligées. Elles ont droit à une place correspondant à leur prépondérance dans la population (soit environ 15 %). Théoriquement, le contenu biaisé du programme contre l’athéisme pourrait faire l’objet de poursuites impliquant les éditeurs des manuels.

Religiosité apparente

Le parti pris ethnoreligieux du programme ne semble constituer qu’un prétexte à la continuation de l’enseignement à caractère religieux. Une étude récente de la Commission des droits de la personne2 révèle qu’un immigrant nouvellement arrivé est en moyenne deux à trois fois moins religieux que le Québécois de souche. De plus, les immigrants de deuxième génération ont une tendance marquée à ne pas reproduire les croyances de leurs parents. Ils s’estiment québécois à part entière et tendent à délaisser la religion et même la culture de leurs parents.

Malheureusement, déplore Poisson, le nouveau cours va renvoyer ces étudiants aux origines culturelles de leurs parents, alors que souvent ils préféreraient en demeurer indépendants. Il aura tendance à les enfermer dans une identité culturelle immuable et les empêcher de choisir par eux-mêmes celle qui leur convient.

L’étude citée relève aussi que, même si les Québécois se disent à 80 % catholiques, ils sont parmi les moins pratiquants. Le deuxième groupe moins pratiquant est formé d’immigrants musulmans d’origine maghrébine. L’explication donnée fait référence au niveau d’éducation accru qui, en général, fait diminuer la ferveur religieuse, surtout chez une jeune population. Rappelons que les immigrants sont sélectionnés selon des critères professionnels qui requièrent un haut niveau d’éducation.

Conclusion

Le nouveau programme d’Éthique et culture religieuse s’est construit autour d’un préjugé ethnoculturel qui risque de nuire à l’intégration des immigrants. Sous le prétexte du multiculturalisme religieux apparent de l’ensemble des immigrants, il sert les intérêts de ceux qui veulent que la religion soit enseignée à l’école essentiellement comme auparavant, termine la conférencière.

Période de questions

Tolérance inquiétante

Question : Si un non-croyant enseignait de façon critique certaines pratiques religieuses contenues dans le nouveau programme, s’exposerait-il à des mesures disciplinaires de la part de ses employeurs et à des représailles de la part des parents ?

D’abord, précise la conférencière, peu de parents connaissent le contenu du nouveau programme. Les manuels, prêtés aux élèves dans la classe, sont rarement apportés à la maison. Les parents ne peuvent baser leur jugement que sur des échos provenant de leurs enfants ou d’autres parents. Il y a peu de chances qu’ils fassent connaître leur opposition.

Le programme lui-même recommande à l’enseignant une posture strictement neutre envers les différentes options religieuses. Toutefois, en cas de situation conflictuelle chez les élèves, l’enseignant devra rappeler les finalités de tolérance envers l’autre.

Par contre, selon la Commission des droits de la personne, si une pratique religieuse porte atteinte à ces droits, ce fait doit être signalé et l’article de la Charte cité. Dans ce cas, la Commission prône une prise de position de l’enseignant claire face à la pratique fautive.

Laïcisation scolaire souhaitée

Question : Que pouvons-nous faire pour aider à séculariser le nouveau programme ?

On peut tout d’abord adhérer au Mouvement laïque québécois, lance un peu à la blague la conférencière, présidente de ce mouvement. Plus sérieusement, aucune demande raisonnable d’exemption du programme n’aurait encore été reçue. Et, il n’est pas certain que ce mouvement appuierait une telle demande – même si, il y a 25 ans, le Mouvement laïque québécois a été créé pour soutenir les parents non-croyants qui exigeaient que leurs enfants soient retirés du cours de religion. L’école a bien finalement offert un cours de morale sans références au religieux. Toutefois, cela a aussi eu l’effet pervers de ghettoïser une minorité d’élèves en les excluant du groupe principal, et parfois même de l’école, là où le nombre ne justifiait pas un cours de morale.

Le Mouvement laïque québécois est aujourd’hui en faveur d’un cours commun d’éthique sans volet religieux. C’est ce qu’il ne cesse de réclamer. Il exige aussi le retrait de l’école du Service d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire. De plus, il prône la dissolution des structures qui ont été à l’origine du nouveau programme : le Comité des affaires religieuses et le Secrétariat aux affaires religieuses.

Relativisme non critiquable

Question : Puisque de nombreux passages des textes sacrés des religions abrahamiques prônent la violence, l’intolérance, l’esclavagisme et même la pédophilie, comment peut-on décemment présenter leurs enseignements à des étudiants ?

L’analyse critique des textes sacrés, prévient Poisson, est complètement occultée dans le nouveau programme qui, de plus, usurpe les finalités de l’éthique lorsqu’il affirme que la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun constituent des finalités propres à l’éthique et à la culture religieuse. Cette dernière ne souscrit pas prioritairement à ces finalités.

L’éthique s’est toujours définie comme une quête de l’égale humanité de l’autre et de la poursuite du bien commun, soit le bonheur personnel et l’utilité publique. Mais, la religion ne peut prétendre viser d’abord ces objectifs. L’Église catholique, par exemple, ne reconnaît pas l’égalité de l’autre dans la façon dont elle traite les femmes dans sa hiérarchie, discrédite la réalité de l’union homosexuelle et sous-estime les membres des autres religions qui n’auraient pas la vraie foi. Pour ce qui est de l’utilité publique, cette même église proscrit l’usage bénéfique du condom – même pour aider à enrayer l’épidémie du sida ou réduire les naissances qui conduisent à la surpopulation et ainsi à la pression sur les ressources et l’environnement.

Éthique et religion n’ont pas les mêmes finalités. Cette confusion laisse croire aux élèves que la morale est issue de la religion, alors qu’elle provient de la philosophie éthique. On ira même jusqu’à prétendre que la Charte des droits de l’Homme provient du christianisme, alors qu’elle tire son origine de la philosophie des Lumières.

Le nouveau programme s’inscrit dans un relativisme éthique persistant. Comme toutes les autres disciplines depuis la Réforme scolaire, l’apprentissage de l’éthique s’élabore par un questionnement systématique. Aucun principe n’est établi en éthique ; dans l’esprit du programme ECR, ce domaine demeure une quête sans réponse définie et sans acquis philosophique. Il aurait été souhaitable de procéder à une compréhension de l’éthique et de ses grands principes. Le programme se garde bien de le faire, car il exposerait alors la religion aux critiques.

Enseignement défaillant

Question : Le nouveau programme ne créera-t-il pas des lacunes éducatives importantes chez les élèves qui ne poursuivront pas d’études collégiales ?

Sans nul doute, confirme la conférencière. Les élèves qui ne poursuivront pas leurs études au-delà du secondaire (environ 40 %) conserveront la fausse conception que l’éthique est liée aux religions et n’est pas possible sans elles. Ils seront aussi imprégnés par l’idée que le relativisme est inévitable en éthique, étant donné la tolérance requise envers les différentes croyances religieuses pour continuer de vivre en harmonie les uns avec les autres.

Cette idéologie relativiste est aussi abondamment véhiculée dans les facultés d’éducation et de sciences religieuses. Comme aussi l’idée que la raison contribue au désenchantement du monde et éloigne d’une bénéfique et nécessaire spiritualité. Ces conceptions s’inscrivent dans le courant de la Réforme de l’éducation qui favorise l’approche d’apprentissage par projet et par compétence au détriment de l’acquisition de connaissances établies.

Coûteuse diversité

Question : En quoi le nouveau programme serait-il pire que l’ancien ?

Si on avait suivi le principe de la laïcité, répond la conférencière, les coûts à la société auraient été beaucoup moindres. Secrétariat et Comité des affaires religieuses n’auraient pas de raison d’être. Le Service d’animation à la vie spirituelle n’aurait jamais été créé. Les heures passées à l’enseignement de la culture religieuse seraient attribuées à d’autres matières plus importantes.

Du point de vue social, ce programme nuit à l’intégration des étudiants issus des communautés immigrantes. Il est une source de division en ramenant les étudiants à leurs différentes origines religieuses. Les ultracatholiques veulent aussi retirer leurs enfants de ces cours, même si, à bien des égards, ce programme met beaucoup d’emphase sur le catholicisme, la religion de la majorité – la Saint-Jean Baptiste, par exemple, s’y définit comme la fête des Canadiens français catholiques.

Regrettables confusions

Question : N’est-il pas essentiel que les jeunes apprennent à mieux connaître les pratiques et coutumes des différentes religions ? L’incompréhension n’est-elle pas source de frictions ?

Oui, c’est souhaitable, acquiesce la conférencière. Mais, pourquoi jumeler cet apprentissage à la discipline philosophique de l’éthique, alors que les coutumes religieuses s’inscrivent parfaitement dans les cours d’histoire ? Bien connaître le contexte historique de l’avènement et de l’évolution des mouvements religieux demeure essentiel à la compréhension de ce phénomène social. On peut aussi mieux saisir son influence sur la société par l’étude de la littérature et des arts qui souvent en sont imprégnés.

Malheureusement, l’endoctrinement au multiculturalisme cache de façon efficace, même aux enseignants, le fait que le contenu du nouveau programme diffère peu de l’ancien, termine la conférencière.

Notes

  1. EXAMEN DE LA CONFORMITÉ DU COURS D’ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE À LA CHARTE, Paul Eid, chercheur, Ph.D. (sociologie), Direction de la recherche et de la planification, Novembre 2008 :

  2. La ferveur religieuse et les demandes d’accommodements religieux : une comparaison intergroupe, Paul Eid, CDPDJ :

Compte-rendu rédigé par Louis Dubé et révisé par la conférencière.