Les principes humanistes de moralité
sans référence à des paradigmes religieux
Rodrigue Tremblay
Professeur émérite
Université de Montréal
La mondialisation des marchés et des communications rendrait inadéquate la morale religieuse, issue de traditions sectaires. Lors d’une allocution qu’il a prononcée chez les Sceptiques du Québec le 13 février 2009, Rodrigue Tremblay, économiste, propose dix principes éthiques humanistes pour la remplacer. Il suggère que seule une éthique globale, mettant les valeurs humaines à l’avant-plan, pourra améliorer l’ensemble des conditions de vie sur la planète.
Nous vivons une crise de civilisation, qui est en fait une crise morale. La vision morale moderne du monde semble soudain s'effriter et céder sa place à des schèmes moraux anciens qui encouragent les conflits et les guerres entre les peuples. L'humanité a donc besoin d'un sérieux coup de barre moral pour poursuivre sa marche, dans un contexte de progrès continu et de liberté accrue. Le monde a besoin d'un renouveau philosophique et moral semblable à ce qu'il connut au siècle des Lumières.
Dans mon livre, je propose un code universel de droits et de responsabilités devant s'appliquer à tous les individus, qu'ils soient simples citoyens ou dirigeants de pays, de sociétés et d'organisations religieuses. Un tel code repose sur les principes de l'humanisme rationnel dans un monde caractérisé par un rétrécissement géographique et par une plus grande interdépendance politique et économique.
On y trouvera aussi, en parallèle, une critique des codes moraux fondés sur des religions sectaires, qui n'ont pas été à la hauteur des attentes de l'humanité dans le passé. Pour nous, l'humanisme repose sur des notions d'idéalisme, de compassion et de tolérance, selon une vision vraiment humaine.
Rodrigue Tremblay est un économiste, un homme politique et un humaniste québécois. Il est un spécialiste en macroéconomique, en finances publiques et en finances internationales. Il a publié 27 livres, la plupart portant sur des questions économiques et financières, mais certains traitant aussi de questions morales et politiques. Son allocution se base sur son dernier ouvrage : Le Code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste, Éditions Liber, Montréal, 2009.
Les principes humanistes de moralité
sans référence à des paradigmes religieux
Rodrigue Tremblay
Professeur émérite
Université de Montréal
Il y a quelques années, le professeur Tremblay a esquissé dix principes éthiques lors de son acceptation du prix Condorcet de philosophie politique, décerné par le Mouvement laïque québécois. Il a par la suite développé cette première ébauche dans un livre original et instructif sur des principes humanistes de vie en société : Le code pour une éthique globale1.
L’éthique représente une vielle et complexe question, débattue depuis des millénaires, poursuit Tremblay. Par exemple, il y a presque 4000 ans, Hammourabi, sixième roi de Babylone, avait codifié la règle « œil pour œil, dent pour dent », reprise plus tard par l’Ancien Testament. Et qui ne se souvient pas des dix commandements de Moïse ? Confucius, par ailleurs, en Chine, en avait édicté seize. Il y a aussi eu le code de Solon, référence centrale dans la philosophie grecque.
Puisque l’éthique traite de relations entre les humains, plusieurs économistes ont aussi abordé cette question. Adam Smith, l’un des fondateurs de la science économique, a écrit un ouvrage sur la « Théorie des sentiments moraux », dans lequel il pose la question : l’intérêt personnel peut-il être canalisé vers le bien commun par le truchement d’échanges économiques mutuellement bénéfiques ? Des réactions foncièrement égoïstes pourraient donner des résultats également rentables pour autrui et la société.
Les constitutions nationales reposent aussi sur un code moral implicite qui influe sur les règles de gouvernance. Elles font parfois référence à une provenance divine sur laquelle se fonderait le pouvoir temporel, comme c’est le cas de la Constitution canadienne de 1982, tributaire d’un chef religieux : la reine d’Angleterre. D’autres pays, comme les États-Unis et la France, fondent heureusement le pouvoir de l’État sur la volonté des gouvernés.
Le conférencier propose de donner d’abord un aperçu global du domaine de l’éthique qui imprègne les règles de vie entre humains et entre nations. Suivra une critique comparative des codes moraux à base religieuse ; elle ne mettra pas en doute la sincérité des croyants, mais s’opposera aux visées dominatrices de certaines religions sur l’espace public.
L’éthique regroupe les règles de comportement qu’on juge acceptables dans une société. La moralité se préoccupe de l’application de ses règles. Contrairement à l’économie qui vise la rationalité utilitariste des échanges entre humains, la morale tente de conjuguer raison et émotions dans les interactions entre individus.
Les codes moraux ont évolué depuis ces débuts de l’humanité, mais bénéficions-nous aujourd’hui de règles éthiques appropriées pour faire face à la mondialisation technologique, économique et culturelle déjà en cours ? Tremblay soutient que nous sommes présentement dans un cul-de-sac moral. Et nous nous y trouvons depuis le 20e siècle, dévasté de façon récurrente par de désastreuses guerres (dont deux mondiales), et d’horribles génocides.
L’humanité a besoin d’un code moral universel qui va au-delà des restrictions sectaires des différents codes moraux nationaux et religieux. Il n’y a pas de science spécifique à différentes nations : de science chinoise, indienne ou européenne, par exemple. Il n’est pas concevable que la science ne soit pas unique. De même, il ne devrait pas y avoir de code d’éthique particulier à certaines régions du globe. Les mêmes règles morales devraient s’appliquer aux individus comme aux nations.
Tout d’abord, quelques considérations. Le conférencier a déjà mentionné que les progrès moraux retardent sur les avancées technologiques. Le développement (et l’usage) d’armes nucléaires trahit une immaturité éthique. On bombarde, encore aujourd’hui, les habitants de villes où l’on soupçonne que se cachent une armée ennemie ou des terroristes – tuant ainsi d’innombrables innocents citoyens sous de piètres justifications militaires (dommages « collatéraux ») ou sous la bête admission d’inévitables erreurs.
Les bénéfices de la mondialisation sont aussi très inégalement répartis entre les nations gagnantes et les nations perdantes qui, par le fait même, deviendront moins concurrentielles. Aucun organisme international ne compense les perdants ni ne les aide à mieux se positionner pour des négociations commerciales futures. Ces ratés du système freinent l’essor et les bénéfices de la mondialisation du commerce.
La crise économique actuelle provient en grande partie de la déréglementation des marchés qui a permis – surtout aux États-Unis – une spéculation débridée soutenue par immoralité croissante du monde des affaires, encouragée par celle du monde politique. Depuis au moins une dizaine d’années, le climat politique moral se détériore dans ce pays dirigé par un président d’une grande médiocrité morale dont les mensonges avérés ont servi pour déclarer et poursuivre, sous de faux prétextes, d’illégales guerres meurtrières.
De graves problèmes de santé mondiaux persistent et même s’amplifient à cause de schèmes éthiques médiévaux qui perdurent grâce à des codes moraux désuets. La position de certaines églises sur la contraception, par exemple, conduit à la surpopulation et à la dissémination du sida. L’Afrique, le continent le plus touché, se révèle aussi le plus religieux – à 97 % selon un dernier sondage.
Ces problèmes résultent en partie du choc de trois idéologies opposées : capitalisme, socialisme et théocratie. Dans le capitalisme à l’américaine, le marché est dieu et ne peut se tromper. La cupidité devrait servir l’intérêt commun. On constate aujourd’hui que ce laisser-aller nous a conduits à une crise économique qui va probablement durer des années, comme celle de 1929.
Une version plus humaine de ce capitalisme s’est développée sous ce qu’il est convenu d’appeler la social-démocratie, dont le Canada et surtout le Québec font partie. Ce système rencontre toutefois présentement des difficultés, tels le vieillissement de la population, les coûts de santé astronomiques, des impôts élevés... Bien qu’imparfait, il semble donner une prospérité plus stable et plus humaine que le capitalisme débridé.
Une troisième voie a été suivie, depuis quelques décennies, par de nombreux pays qui se réfugient dans une théocratie religieuse pour échapper aux problèmes que pose la modernité.
Commencée en Iran, en réaction au régime corrompu du Shah, elle s’est propagée à d’autres pays musulmans. Il faut reconnaître que cette main mise du religieux sur le domaine politique avait cours dans bien d’autres nations, dont le Québec, aux 19e et 20e siècles. À partir de 1840, et pendant un siècle, le Québec a été dirigé par un gouvernement ultramontain, pratiquement contrôlé par l’Église catholique dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’aide sociale.
La religion peut servir de point de ralliement lorsque le gouvernement civil est faible ou ne répond plus aux besoins de la population. On observe aujourd’hui ce processus dans de nombreux pays, dont les pays musulmans où la véritable légitimité du pouvoir se retrouve assez souvent chez un chef religieux. Le conférencier estime que des objectifs politiques prévalent la plupart du temps sur les croyances religieuses dans ces luttes pour le pouvoir.
Faisons d’abord une distinction entre les religions théistes occidentales et les religions asiatiques. Les religions abrahamiques (juive, chrétienne et musulmane) ont défendu très violemment leur spécificité face aux idéologies concurrentes. Les religions asiatiques (bouddhisme, confucianisme, hindouisme), par contre, démontrent moins d’agressivité et de prosélytisme, car leur approche repose plus sur une philosophie de vie que sur un dieu exclusif. Les lacunes qui suivent s’appliquent plus aux codes moraux des religions occidentales qu’à ceux des religions orientales.
Première critique : les codes moraux religieux sont sectaires. Ils s’appliquent d’abord aux membres d’un groupe, mais rarement ou seulement partiellement à l’extérieur du groupe. Ils favorisent la cohésion d’une ethnie en la distinguant des autres. On ne doit pas tuer ou voler les membres de sa communauté. Cependant, envers les autres communautés et sous prétexte de se protéger, toutes les exactions sont permises, incluant génocide et conquêtes territoriales. L’idée réductrice d’un peuple « élu » n’a plus sa place sur une planète formée de régions interdépendantes. La mondialisation du commerce, des communications et de l’environnement ne permet plus ces réactions sectaires sans accabler toute l’humanité.
Deuxième critique : les codes moraux religieux sont anthropocentriques. Ils reposent sur l’idée fausse – prétendument d’origine divine – que l’humain est au centre de l’Univers. On sait aujourd’hui que la Terre n’a pas de position privilégiée dans l’Univers ; elle tourne autour d’une petite étoile parmi des centaines de milliards d’autres. On sait que l’espèce humaine partage cette Terre avec des millions d’autres espèces issues d’ancêtres communs et qu’elle aurait bien pu ne pas être. Cette erreur d’anthropocentrisme a conduit les humains à se considérer les maîtres absolus de la planète au détriment des autres espèces et de l’environnement. Elle doit être dénoncée avec force pour arrêter et tenter de réparer les dommages causés à l’écosystème.
Troisième critique : les codes moraux religieux suivent un double standard. La moralité des citoyens entre eux diffère de celle des dirigeants vis-à-vis leurs citoyens, et à plus forte raison vis-à-vis les citoyens d’autres nations. Les dirigeants peuvent se comporter de façon immorale pour des raisons de bien public, d’ordre public ou de défense nationale. Pour forcer la reddition de l’armée japonaise, plus de 100 000 civils ont été tués par des bombes atomiques lancées par les États-Unis en 1945 sur les villes de Hiroshima et Nagasaki. Un crime horrible, mais jugé moralement acceptable par un code moral à double standard. Le message chrétien, fondamentalement pacifiste, a été dénaturé par son accession au statut de religion d’État. Pour un humaniste, tuer est un acte éminemment répréhensible et, a fortiori, tuer des centaines de milliers de personnes ; le concept de guerre « juste » n’existe pas, et rien ne peut justifier la torture.
Quatrième critique : les codes moraux religieux entretiennent l’idée d’une punition éternelle. Si cette règle s’applique à ceux qui ne font pas partie d’une religion occidentale, les deux tiers de l’humanité seraient condamnés à ce châtiment. Elle constitue un défaut majeur qui a été la source de frayeurs culpabilisantes pour les fidèles et de haine féroce envers les « autres » : pécheurs, païens, mécréants, sceptiques et libres penseurs. Se rendant compte de son impact négatif destructeur, l’Église anglicane a aboli « l’enfer » en 1995. Mais, d’autres religions l’ont conservé, perpétuant un mythe servant surtout à contrôler des populations non instruites.
Cinquième critique : les codes moraux religieux s’appuient sur le faux dualisme corps-esprit. Il s’agit de l’idée que l’esprit existe indépendamment du corps (et le quittera à la mort). La science moderne a maintes fois prouvé que l’esprit dépend du fonctionnement adéquat du cerveau humain et meurt avec lui. Ce mythe, en apparence inoffensif, perpétue un mépris pernicieux pour le corps humain que la plupart des religions entretiennent. Il dévalorise le respect que tout être humain devrait entretenir pour toutes les fonctions naturelles de son corps.
Les codes moraux religieux, embarrassés par ces importantes lacunes, souligne le conférencier, ne pourront créer le climat nécessaire à une collaboration mondiale essentielle pour surmonter les graves problèmes sociaux et environnementaux qui nous assaillent. Une approche différente doit progressivement s’imposer ; elle s’appuierait sur des principes humanistes déjà formulés par de nombreux philosophes anciens et récents, tels Socrate, Platon, Kant, Spinoza, Montaigne, Voltaire... et tout récemment Onfray. Ces anciens principes doivent être réexpliqués et même révisés à la lumière des nouvelles connaissances. Sous forme d’un décalogue, ils invitent à la réflexion.
Chaque humain doit traiter les autres humains avec dignité, comme il aimerait lui-même être traité. Un principe analogue à la règle d’or : fais aux autres ce que tu aimerais qu’ils te fassent. Soumettre d’autres humains à la servitude enfreint directement ce principe. Empêcher les femmes de sortir de la maison et les filles d’aller à l’école nie leur liberté intrinsèque et leur droit au développement personnel. Quoiqu’en dit la Bible, il n’existe ni de « peuple élu », ni de races inférieures, ni de terres données par Dieu à qui que ce soit.
Chaque individu a droit à la vie, son bien le plus cher. Tuer un homme, c’est lui enlever ce bien de façon irrévocable. La société repose aussi sur la possession de biens matériels qu’une personne peut échanger avec autrui dans un commerce équitable. Ces biens – si acquis de façon honorable, bien sûr – lui appartiennent en propre et doivent être respectés par les autres individus et la communauté.
Démontrons une grande tolérance vis-à-vis la façon dont un individu gère sa propre vie, qu’il aime se teindre les cheveux verts ou qu’il préfère un partenaire amoureux de même sexe. Mais, cette ouverture d’esprit ne devrait pas s’étendre aux systèmes injustes, telle la Charia pour régler les causes de divorce au Canada – ce qui a bien failli être acceptée en Ontario. Lorsqu’une liberté est perdue, il est presque impossible de la reprendre sans révolution.
La tolérance envers une personne est aussi reliée à l’empathie qu’on a pour elle, soit notre capacité à se mettre à sa place. Par exemple, en tant que citoyens d’une ville, nous n’aimerions pas qu’une bombe la détruise complètement, de même que toute notre famille et tous les habitants de notre ville. Ce principe d’empathie lié à celui de la règle d’or, déjà mentionnée, constitue le fondement ultime du code moral humaniste.
Il est louable d’aider les moins fortunés en partageant ce que la chance et nos efforts nous ont permis d’acquérir. Cette charité privée fait beaucoup de bien, mais elle n’est pas suffisante : seule une généreuse charité publique pourra arriver à compenser les malheurs des plus démunis.
Ce principe devrait aussi s’étendre aux nations du tiers monde qui ne pourront s’en sortir sans aide substantielle des pays riches. Le conférencier suggère même que les nations riches qui ne sont pas prêtes à donner un quart d’un pour cent de leur produit intérieur brut ne devraient pas avoir le droit d’être membre des Nations Unies.
La domination d’un groupe sur un autre groupe peut prendre plusieurs formes. Elle peut s’effectuer par le mensonge manipulateur : la prétention d’armes de destruction massive en Irak pour envahir ce pays en est un exemple récent. L’emprise qu’exercent certaines églises sur leurs fidèles constitue aussi une forme de domination – par le biais d’autorité divine et de fausses promesses. Un monopole permet également de dominer les autres citoyens en contrôlant les règles du jeu économique. Réitérons le principe d’égalité des chances pour tous, malmené par les pouvoirs et privilèges que s’arrogent les gagnants de l’heure.
Il semble qu’il n’y ait que la raison et la science qui peuvent nous protéger de dangereuses superstitions et repousser les mythes séduisants qui nous sollicitent. Exercer son esprit critique demeure essentiel pour distinguer les vraies réponses des fausses dans notre recherche de solutions efficaces et notre compréhension de l’Univers.
Notre planète constitue un habitat fragile aux ressources limitées. Pour notre bien propre et celui des générations futures, nous devons protéger son environnement et utiliser ses ressources avec discernement. Échouer dans ce projet de survie nous vouerait à une agonisante extinction.
En aucun cas, recourir à la violence peut-il constituer une réponse acceptable pour résoudre un différend, sauf en certains cas de légitime défense alors qu’aucune autre solution n’est possible. Les conflits trouvent leur plus satisfaisante résolution par la discussion et par la coopération. Il faut aussi comprendre que quand on prépare la guerre en s’armant jusqu’aux dents, on ne résistera pas longtemps à s’en servir lorsqu’un prétexte se présentera.
Si le pouvoir dans une société est détenu par les personnes qui la composent, on a affaire à une démocratie. Bien sûr, il faudra qu’une constitution protège les droits individuels, sinon la majorité pourrait tyranniser une minorité ou un individu.
La démocratie ouverte repose sur la laïcité de l’État, soit la séparation complète du religieux et du politique. Le dogmatisme des Églises ne s’accorde pas avec l’idéal démocratique de discussion et de compromis. Peu de gens se souviennent qu’au Québec l’Église catholique a fait abolir en 1876 le Ministère de l’instruction publique, car le clergé exigeait que l’éducation (de même que la santé et les services sociaux) relève exclusivement de lui. Ce n’est qu’en 1964, au moment de la Révolution tranquille, que le ministre Paul Gérin-Lajoie rétablit le Ministère de l’Éducation et en fit une responsabilité civile.
Une société juste et prospère dépend du niveau d’éducation de sa population. Idéalement, aucun enfant ne devrait être privé de s’instruire pour des raisons financières. Son épanouissement en tant qu’individu garantit aussi un plus grand bien-être pour l’humanité tout entière et pour les générations futures.
L’acquisition de connaissances morales autant que scientifiques conduit vers une plus grande liberté en permettant véritablement l’égalité des chances de réussite. La gratuité scolaire et un bon système d’éducation ont été le fondement du développement économique des sociétés modernes. L’ignorance a toujours conduit à la pauvreté, à l’esclavage et à l’obscurantisme. Malheureusement, les religions ont, en général, freiné le développement des connaissances scientifiques, autant parce que ces connaissances mettaient en danger certains dogmes que parce qu’elles avaient tendance à rendre la population moins facilement malléable.
L’humanité a besoin d’un nouveau code moral pour la guider dans une société qui a radicalement changé. Elle ne peut plus tirer sa moralité de règles sectaires inappropriées aux multiples interactions économiques et culturelles qui prévalent aujourd’hui. Celles-ci sont liées à la mondialisation croissante des marchés et aux échanges intensifs entre individus et nations.
Seule une éthique globale, mettant les valeurs humaines à l’avant-plan, pourra améliorer l’ensemble des conditions de vie sur la planète. On doit, bien sûr, conserver certains excellents principes de partage et de paix des grandes religions et philosophies de l’antiquité. Mais, tout appel au sectarisme, à l’exclusion, à la superstition et au dogmatisme propres aux religions devrait en être exclu. Ces lacunes des codes moraux religieux nous paralysent et nous empêchent de progresser. Développons un code pour une éthique globale, basé sur l’empathie, la raison et la science, termine Rodrigue Tremblay.
Période de questions
Question : La décadence morale actuelle n’accompagne-t-elle pas le déclin des religions en Occident ?
Les religions ne sont pas actuellement en déclin, rectifie le conférencier. On pourrait même avancer que leur influence croît. Elles sont en progression dans le tiers monde, et même en Occident. Elles ont considérablement augmenté leur pouvoir aux États-Unis, surtout durant la dernière présidence. En France, le gouvernement présent commence à remettre en question la loi sur la laïcité de 1905, voulant ainsi accommoder le groupe musulman qui représente maintenant environ 10 % de la population.
Il faut demeurer vigilant. Même ici au Québec, les églises évangéliques se multiplient. Il nous faut contrecarrer ces avancées en démontrant que les principes moraux humanistes sont bien supérieurs aux principes religieux et devraient les remplacer.
Question : Existe-t-il des périodes de l’histoire durant lesquelles les principes moraux n’auraient pas été bafoués ?
Oui, de telles périodes d’avancées morales existent, rappelle le conférencier. Il y a bien sûr eu la Renaissance qui a suivi la triste période ultra religieuse médiévale. Mais, c’est surtout au Siècle des Lumières qu’on a repris de vieux principes humanistes de la philosophie grecque, pratiquement oubliés, dont la démocratie. Ces mêmes principes ont été intégrés à la Constitution américaine. Les 18e et 19e siècles ont été une époque de progrès moral sans précédent, malgré la formation de grands empires coloniaux. Le siècle suivant a été désastreux : deux guerres mondiales, d’innombrables plus petites guerres (mais non moins meurtrières) et de terribles génocides.
Au milieu de ce 20e siècle, la formation des Nations Unies a redonné de l’espoir en proclamant de grands principes de liberté et de dignité humaines. L’État Providence est apparu en Occident ; un filet de sécurité pour les plus démunis s’est instauré. Toutefois, depuis 1980, on est redescendu dans un creux moral, alors que les défis économiques et environnementaux se font plus pressants.
Question : Les progressistes à travers les âges ont valorisé la sensibilité humaine plutôt qu’une morale guerrière sans égard pour les étrangers. Ne devrions-nous pas combattre cet instinct tribal plutôt que la morale religieuse elle-même qui, bien comprise, se fonde sur d’excellents principes humanistes ?
Il existe une grande différence, reconnaît Tremblay, entre l’énoncé de grands principes et leur application dans un contexte politique. La lutte pour le pouvoir dénature leur bienveillance universelle originelle pour les réinterpréter en fonction de l’objectif politique à atteindre au détriment des populations considérées ennemies. Le dogmatisme religieux s’identifie alors facilement avec un camp ou l’autre dans une lutte de pouvoir, chacun pensant que Dieu est avec lui.
La tentation identitaire naturelle des nations est exacerbée par l’appartenance religieuse. On aura tendance à vanter le courage de son groupe, en oubliant que le groupe adverse a, lui aussi, des soldats aussi courageux qui combattent aussi pour de grands idéaux d’origine prétendument divine. Peu de peuples possédant un avantage technologique dans le domaine de l’armement ont résisté à s’en servir pour dominer les autres peuples, sous couvert de progrès civilisateur. Derrière les armées coloniales « civilisatrices » suivaient les missionnaires.
Question : Les comportements immoraux des sociétés ne proviennent-ils pas d’un processus évolutif naturel inscrit dans nos gènes ?
Nos sociétés se sont construites grâce à une gestion efficace des impulsions négatives des membres qui les composent, reprend le conférencier. Ce contrôle s’opère entre individus de bonne volonté et par des lois qui régissent les échanges entre individus. Les êtres humains utilisent donc la raison pour s’assurer du bon fonctionnement de leur nation.
Malheureusement, au niveau international, c’est souvent la loi du plus fort qui prévaut. Cette anarchie internationale crée et perpétue des conflits entre nations qui deviennent presque insolubles. En plus d’être hautement immorale, cette anarchie ne tient pas compte du fait qu’aucune nation ne vit en isolation des autres sur cette petite planète aux ressources limitées et à l’écologie fragile. Les principes humanistes de moralité s’appliquent autant aux nations qu’aux individus et proposent une solution alternative aux principes religieux dogmatiques qui nous ont fait si souvent défaut dans le passé.
Question : En temps de prospérité, il est plus facile d’obtenir la collaboration d’autres nations parce que chacune peut largement en profiter. Par contre, en temps de crise économique, de ressources limitées, d’écologie menacée et de surpopulation ne sera-t-il pas très difficile de faire progresser les valeurs humanistes de partage et de bonne entente entre nations ?
On peut être fataliste devant les énormes difficultés présentes, comme le sont, par exemple, les adeptes de religions qui attendent et, parfois même, souhaitent la fin du monde. Ou bien, on peut s’attaquer intelligemment aux causes de ces problèmes pour tenter de les résoudre.
La surpopulation, par exemple, n’est pas un problème insoluble ; elle dépend, en grande partie, de l’ignorance de mesures contraceptives efficaces dont sont affligés des peuples entiers ; ignorance souvent due à une culture dépassée, au manque de ressources ou à une volonté politique et religieuse qui s’oppose à la contraception. On doit donc s’en remettre à l’intelligence humaine pour trouver des solutions efficaces. Il est toutefois difficile d’y arriver dans le carcan de règles dogmatiques culturelles ou religieuses. On doit s’inspirer de bons principes humanistes, eux-mêmes ouverts à la discussion et à l’amélioration.
Question : Comme on l’a dit précédemment, l’évolution nous a construits avec une mentalité de guerrier. Ce n’est que par des efforts constants que nous pouvons nous élever au-dessus de ces instincts pour résoudre nos problèmes actuels avec notre raison. Si on cesse de s’éduquer à la pensée rationnelle, ne pensez-vous pas que nous retournerons rapidement à nos réflexes tribaux ?
Assurément, poursuit le conférencier. Notre bagage génétique est à 98 % semblable à celui des grands singes. Il nous est donc facile de nous laisser submerger par nos instincts primaires. Rappelons que notre cerveau est constitué de trois parties : le cerveau reptilien, le cerveau limbique et le néo-cortex. La partie reptilienne assure les fonctions vitales de l’organisme et répond compulsivement, entre autres, aux instincts de prédation. La partie limbique, que l’on partage avec les autres mammifères, est responsable de nos émotions. Et le néo-cortex, à l’ébauche chez les primates, nous permet le langage et la pensée abstraite.
La civilisation est un événement récent dans toute l’histoire humaine de quelques millions d’années et elle demeure fragile. De même que la démocratie – tellement nouvelle qu’elle peine, même aujourd’hui, à s’imposer comme la meilleure façon de se gouverner. Il suffit d’élire des leaders qui n’adhèrent pas aux principes humanistes pour que les droits et libertés des individus soient bafoués dans ces pays, pour que la démocratie recule et l’obscurantisme s’installe. Le livre du conférencier a justement pour but de contribuer à faire mieux comprendre le point de vue humaniste en éthique.
1. TREMBLAY, Rodrigue. Le code pour une éthique globale, vers une civilisation humaniste. Liber, Montréal, 2009, 287 p.
Voir le site web du livre : http://www.lecodepouruneethiqueglobale.com/
Voir aussi le blogue international de l'auteur : http://www.thenewamericanempire.com/blog