LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du dimanche 13 avril 2003

La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'association des Sceptiques du Québec. Notre relationniste, Marie-Soleil Gauthier, a ensuite pris la parole et a souligné la parution du nouveau numéro du Québec Sceptique (le numéro 50). Evelyne Gadbois et François Filiatrault ont enchaîné avec la lecture de l'actualité sceptique. Daniel Fortier

Mlle Gauthier a repris la parole pour présenter le conférencier, Daniel Fortier, et sa conférence « Entre l'humain et la réalité. Comment distinguer le vrai du faux? » M. Fortier est professeur de physique au collège Lionel-Groulx. Il détient une maîtrise en astronomie de l'Université de Toronto et un baccalauréat en physique de l'Université de Montréal. Il prépare un livre sur la démarche scientifique et ses fondements philosophiques. Sa conférence constituait un exposé de la première partie de ses idées.

Entre l'humain et la réalité, il y a la démarche scientifique qui permet à l'humain de mieux connaître la réalité. On reproche souvent aux cours de sciences de trop mettre l'accent sur les résultats et pas assez sur la démarche. M. Fortier est venu nous expliquer ce qu'est la démarche scientifique, la manière dont elle procède pour chercher de nouvelles connaissances et pour juger de leur valeur de vérité. M. Fortier nous a aussi expliqué en quoi et pourquoi la démarche scientifique est la seule démarche valable pour chercher à connaître ce qu'est la réalité et comment celle-ci fonctionne - que cette démarche soit appliquée telle quelle en sciences ou qu'elle soit adaptée et appliquée à la vie quotidienne.

La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Fortier.

Entre l'humain et la réalité : la double problématique de la quête de la « vérité »

M. Fortier a introduit son sujet en posant la double problématique de la quête de la « vérité », par l'humain, sur ce qu'est la réalité et sur comment celle-ci fonctionne.

  1. L'esprit humain, en tant que phénomène émergent de l'activité naturelle du cerveau, et non en tant qu'entité surnaturelle, ne vit pas dans la réalité objective, mais dans la représentation mentale qu'il s'en fait. Cette dernière constitue un double imparfait de la réalité objective et n'existe que dans la mémoire. Le seul moyen qu'a l'esprit d'être en contact avec la réalité objective est constitué des sens. Privé des sens, l'esprit se retrouve en isolement complet.
  2. La vérité n'est pas infuse : elle ne se trouve pas déjà cachée à l'intérieur de l'esprit. L'esprit ne peut donc pas la trouver par la seule réflexion, par la seule méditation, ou encore par la seule intuition. La vérité se trouve à l'extérieur de l'esprit, cachée derrière les faits objectifs dont l'esprit peut prendre connaissance par l'entremise de ses sens, ou encore par l'entremise d'instruments de mesure (télescope, microscope, spectromètre, etc.), ceux-ci constituant une extension des sens.

Rien n'assure, donc, que la représentation mentale de la réalité que développe l'esprit concorde entièrement avec la réalité objective. Au contraire. L'esprit ne peut pas tout savoir. L'esprit peut adopter des idées fausses. Enfin, toute représentation mentale de la réalité est fragmentaire : toute représentation mentale est constituée d'éléments disparates représentant différents aspects de la réalité objective. Ces divers éléments ne forment pas un tout unifié et cohérent. Bref, toute représentation mentale de la réalité est nécessairement partielle, partiellement fausse et fragmentaire. La quête de la « vérité » a pour but de rendre la représentation mentale de la réalité moins partielle (en y ajoutant de nouvelles idées vraies), moins partiellement fausse (en y dépistant les idées fausses pour les retirer) et moins fragmentaire (en créant des liens entre les différents éléments de celle-ci).

M. Fortier a ici précisé ce qu'il entend par « fait objectif » : l'existence et la nature d'un fait dit « objectif » sont indépendantes de nos sensations, de nos perceptions, de nos connaissances, de l'étendue de nos connaissances, de nos croyances, de nos désirs et hors de portée de notre volonté. Un fait objectif existe à l'extérieur de l'esprit. Un fait objectif existe en soi, même si personne ne le perçoit.

Cette double problématique de la quête de la « vérité » implique qu'il existe un grand potentiel d'erreur pour l'esprit qui cherche la vérité. Il est donc absolument indispensable que l'esprit se dote d'une démarche rigoureuse pour chercher la vérité, afin de diminuer les risques d'erreur. À cette fin, l'élément central de la démarche scientifique consiste en la confrontation systématique des idées aux faits : ce sont toujours les faits objectifs qui tranchent entre le vrai et le faux. Et non pas les désirs, les préférences, les opinions ou les intérêts de qui que ce soit. Si une théorie, aussi plaisante et cohérente soit-elle, ne concorde pas avec les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est fausse et doit être soit modifiée, soit rejetée. D'autre part, si une théorie concorde avec les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est considérée vraie et doit être acceptée, aussi déplaisante ou déroutante soit-elle. Il est à noter que cette réflexion s'applique d'abord et avant tout aux sciences de la nature, dites « sciences pures », que sont la physique, la chimie et la biologie.

Un exemple de confrontation aux faits objectifs

À titre d'exemple, M. Fortier a discuté des théories créationnistes et évolutionnistes sur la vie. Si, comme le prétend le créationnisme, toutes les espèces avaient été créées telles qu'elles sont aujourd'hui, sans avoir évolué au travers des temps, alors on devrait retrouver des fossiles de toutes les espèces actuelles dans toutes les couches de roche. Les couches de roche se forment successivement, par strates, les unes par-dessus les autres au cours des âges. Les strates les plus profondes sont les plus anciennes, et les plus en surface sont les plus récentes. Les fossiles d'espèces qui n'existent pas aujourd'hui, comme les dinosaures, seraient, selon le créationnisme, les fossiles d'espèces créées en même temps que les espèces actuelles, mais qui n'auraient pas survécu jusqu'à aujourd'hui. Si le créationnisme était vrai, on devrait retrouver des fossiles d'espèces actuelles dans les mêmes couches de roches où l'on retrouve des fossiles d'espèces disparues, comme les dinosaures, puisque toutes ces espèces auraient coexisté aux mêmes époques.

Or, la simple observation directe des fossiles révèle qu'il n'en est pas ainsi : les fossiles que l'on retrouve dans des strates différentes ne sont pas les mêmes. On retrouve, par exemple, dans des couches profondes des fossiles de trilobites, mais aucun fossile de dinosaures, de mammouths ou d'humains; on retrouve dans des couches moins profondes des fossiles de dinosaures, mais aucun fossile de trilobites, de mammouths ou d'humains; on retrouve enfin dans des couches encore moins profondes des fossiles de mammouths et d'humains, mais aucun fossile de trilobites ou de dinosaures. Cela nous montre que ces espèces n'ont pas coexisté aux mêmes époques, sinon leurs fossiles se retrouveraient mélangés dans les mêmes couches de roche (comme c'est le cas des mammouths et des humains). La simple observation directe des fossiles nous montre donc, directement, que les êtres vivants se sont transformés au cours du temps. Enfin, notons qu'on ne retrouve des fossiles humains que dans les couches les plus superficielles : cela témoigne que les humains n'ont pas toujours existé, et qu'ils sont même très récents dans l'histoire de la vie sur Terre.

Ainsi, dans cet exemple, les faits objectifs eux-mêmes, que sont les fossiles, nous révèlent directement, et sans équivoque, que la vie s'est transformée au cours des âges. La théorie créationniste est donc nécessairement fausse, car non en accord avec les faits objectifs qui la concernent. Si la biologie a rejeté le créationnisme au profit de la théorie de l'évolution, ce n'est pas une question d'opinion, de préférence, de choix ou d'intérêt : c'est une question de faits objectifs. Être créationniste implique donc nécessairement de nier les faits objectifs pertinents.

Qu'est-ce que la « vérité »?

M. Fortier a insisté sur le sens restrictif qu'il donne au mot « vérité ». Ce mot est en effet porteur d'une charge émotive intense et peut revêtir une multitude de significations possibles, selon le contexte. Afin de s'assurer d'une communication adéquate, où l'auditeur comprend bien ce que l'orateur veut vraiment dire, il est important de donner une définition unique aux mots employés, et de se tenir ensuite à cette définition. Sinon, la communication devient vague et confuse. M. Fortier a spécifié qu'il utilisera toujours le mot « vérité » au sens de « ce qu'est la réalité et comment elle fonctionne », à l'exclusion de toute autre signification. M. Fortier ne parlera donc pas de « vérité » en matière d'éthique (le bien et le mal) ni en matière d'esthétique (le beau et le laid).

Les sciences ne nous disent pas ce qui est bien ou mal, ce qu'il faut faire et ne pas faire, ce qui est beau ou laid, ni quel est le sens ou le but de la vie. Les sciences cherchent à nous dire ce qui est réel et comment le réel fonctionne. M. Fortier a ajouté que la connaissance scientifique n'est ni bonne ni mauvaise en soi : elle est neutre. Ce qui est bon ou mauvais, c'est ce que nous décidons de faire ou de ne pas faire avec le savoir scientifique.

Trois démarches pour chercher la vérité

En simplifiant, on peut dire que l'humain, tout au long de son histoire, a créé trois démarches différentes pour chercher la « vérité » (au sens que l'on vient de définir) : les religions, les philosophies et les sciences. Les religions sont sans doute au moins aussi anciennes que notre espèce Homo sapiens (100 000 ans); elles jugent de la valeur de vérité des idées en prétendant à la révélation divine ou encore en ayant recours à l'analogie. La démarche philosophique a débuté il y a environ 2600 ans; elle a recours à la logique et fait souvent montre d'esprit critique envers les conceptions de la réalité élaborées. Enfin, pour la démarche scientifique, la raison est nécessaire, mais insuffisante pour chercher la vérité. Toute idée doit, en plus d'être cohérente, être systématiquement confrontée aux faits objectifs. La démarche scientifique est la seule démarche qui place les faits objectifs avant les idées, qui donne priorité aux faits objectifs sur les idées. Rappelons que cela signifie que ce sont toujours les faits objectifs qui tranchent entre le vrai et le faux, et non pas les désirs, les préférences, les opinions ou les intérêts de qui que ce soit. Si une théorie, aussi plaisante et cohérente soit-elle, ne concorde pas avec les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est fausse et doit être soit modifiée, soit rejetée. D'autre part, si une théorie concorde avec les faits qu'elle prétend expliquer, alors elle est considérée vraie et doit être acceptée, aussi déplaisante ou déroutante soit-elle.

La démarche scientifique est donc la seule démarche de recherche de la vérité à être construite sur la base d'un mécanisme d'autocorrection qui utilise comme critères de vérité des faits objectifs indépendants des humains. Rappelons que ce mécanisme a pour but de diminuer les risques d'erreurs engendrés par la double problématique de la quête de la vérité :

  1. l'esprit ne vit pas dans la réalité objective mais dans la représentation mentale qu'il s'en fait;
  2. la vérité n'est pas infuse : elle se trouve à l'extérieur de l'esprit.

Voilà en quoi et pourquoi la démarche scientifique est la seule démarche valable pour chercher à connaître ce qu'est la réalité et comment celle-ci fonctionne - que cette démarche soit appliquée telle quelle en sciences ou qu'elle soit adaptée et appliquée à la vie quotidienne.

Cette science qui dérange tant

La venue de la démarche scientifique a terriblement troublé les esprits qui sommeillaient tranquillement, depuis toujours, dans une rêverie anthropocentrique, anthropomorphique et narcissique. Elle continue d'ailleurs toujours, aujourd'hui, de déranger. Pourquoi donc? Pour trois raisons principales.

  1. Par ses résultats solidement soutenus par des preuves, la démarche scientifique nous force à renoncer à des mythes auxquels nous tenons parfois très fort.
  2. Elle nous force à remplacer ces mythes par des théories qui ne nous placent plus au coeur de l'univers, qui peuvent nous déplaire grandement ou encore défier notre capacité à imaginer et à comprendre.
  3. La démarche scientifique n'est pas démocratique. Elle nous dit qu'elle est la seule démarche valable pour chercher à connaître le contenu et le fonctionnement du réel, et en plus elle affirme que les théories issues de cette démarche forment la seule représentation valable du réel.

Précisons ici que la science ne prétend pas interdire la rêverie. Le message de la science est plutôt celui-ci : « rêvez tant que vous voulez, mais faites la distinction entre le rêve et la réalité ».

En ce qui concerne la quête de la vérité ainsi que la modification de notre mode de vie et de notre environnement, les succès (pour le meilleur comme pour le pire) de la démarche scientifique, accomplis en seulement 400 ans d'histoire, dépassent largement tous les succès cumulés par les démarches religieuses et philosophiques en plusieurs millénaires d'histoire. En outre, les sciences sont les seules à être capables de dépasser le domaine perceptible de la réalité et à frôler les limites de la capacité à imaginer des humains sans se perdre dans la fiction. La démarche scientifique avec ses résultats constitue sans doute la plus grande réalisation de l'humanité entière, de toutes ses cultures et de toute son histoire. Sans la démarche scientifique, des questions fondamentales, comme celles portant sur les origines de l'univers, de la Terre et de l'espèce humaine, ou encore celles portant sur la nature et le fonctionnement de la vie et de la conscience, seraient demeurées à jamais des mystères insondables.

Psychologie et raison

C'est l'esprit humain qui cherche la vérité sur ce qu'est la réalité et sur comment celle-ci fonctionne. Or, l'esprit humain possède une certaine structure et un certain mode de fonctionnement dont il faut tenir compte dans la quête de la vérité. M. Fortier a discuté des différents éléments de la psychologie humaine et du raisonnement qui sont sous-jacents à toute quête de la vérité, en particulier à la démarche scientifique.

M. Fortier a d'abord fait la distinction entre les faits objectifs en eux-mêmes, les sensations qui sont les signaux nerveux envoyés par les organes sensoriels au cerveau, et la perception qui est une activité exclusivement cérébrale. La perception s'effectue en trois étapes :

  1. le cerveau sélectionne, parmi tous les stimuli qu'il reçoit à un instant donné, ceux qu'il juge pertinents à ses dispositions du moment;
  2. le cerveau organise les stimuli retenus en un tout en créant des liens;
  3. enfin, le cerveau donne un sens à ce tout.

M. Fortier a ensuite discuté de l'art de « raisonner » ou « d'argumenter », qui consiste à partir d'idées vraies pour en déduire de nouvelles idées vraies. Pour raisonner correctement, il faut d'abord respecter deux principes fondamentaux de logique : le principe d'identité et le principe de non-contradiction. Le premier principe stipule qu'il faut donner un sens unique et exclusif à un mot donné. Si l'on désire utiliser ce même mot dans un autre sens, il faut alors dire explicitement que l'on effectue ce changement de sens. Sinon, la communication devient impossible. Le second principe dicte qu'une affirmation ne peut pas, dans un même contexte, être simultanément vraie ET fausse.

Pour raisonner correctement, il faut de plus respecter les deux critères de l'argumentation : le critère d'acceptabilité des prémisses et le critère de suffisance des liens. Le premier critère exige que les idées de départ les prémisses soient elles-mêmes valides. Le second critère exige que les prémisses entraînent nécessairement la conclusion, celle-ci étant l'idée finale dont on veut établir la validité par l'argumentation.

M. Fortier a également traité de l'appel à l'autorité, qui consiste à croire sur parole ce qu'une personne affirme parce que nous avons suffisamment de bonnes raisons de croire qu'elle dit vrai. Nous jugeons alors qu'il n'est pas nécessaire de vérifier par nous-mêmes ses allégations. L'appel à l'autorité est une nécessité tant en sciences que dans la vie de tous les jours. Par exemple, tout le système scolaire repose sur des appels à l'autorité. Sans l'appel à l'autorité, nous en serions à réinventer continuellement la roue ! Un appel à l'autorité peut être valable ou non. M. Fortier a discuté des règles qu'un appel à l'autorité doit respecter pour être admissible.

M. Fortier a par la suite discuté des nombreux obstacles au jugement éclairé qui découlent de la psychologie humaine et des règles que la raison doit suivre. Mentionnons les principaux.

  1. Le « quotidiennocentrisme » consiste à croire implicitement que ce que nous percevons effectivement de la réalité, par nos sens, dans notre vie quotidienne, est représentatif de l'ensemble de la réalité.
  2. Le cerveau est sélectif : il tend à ne retenir que les faits qui confirment ses croyances et à oublier ceux qui les contredisent.
  3. Nos souvenirs ne sont pas aussi sûrs que nous aimons à le croire : ils se modifient avec le temps. Certains de nos souvenirs peuvent même être carrément fictifs.
  4. Nous sommes incapables d'avoir présent à l'esprit, simultanément, tout le contenu de notre représentation mentale de la réalité. Cela entraîne que nous pouvons entretenir des idées contradictoires sur le réel sans nous en rendre compte.
  5. Le désir de croire est un obstacle majeur au jugement éclairé : il tend à nous faire prendre nos désirs pour la réalité.
  6. Le conformisme consiste à adopter les idées des autres plutôt que de développer son esprit critique et de chercher à réfléchir par soi-même de manière éclairée.
  7. L'identification à nos idées peut nous mener à confondre une critique de celles-ci avec une attaque personnelle.
  8. Nous pouvons être paresseux, et même malhonnêtes, intellectuellement.
  9. Enfin, il arrive que des faits viennent confirmer ou réfuter des idées de manière tout à fait accidentelle; ces faits ne sont pas alors des preuves de quoi que ce soit. Afin de contourner ce dernier obstacle au jugement éclairé, les sciences ne retiennent que les faits qui sont reproductibles.

Les cinq étapes de la démarche scientifique

La démarche scientifique n'est pas une recette toute préparée d'avance que les scientifiques se contentent de suivre à la lettre, étape par étape. Il s'agit plutôt d'un ensemble de principes, d'attitudes et de critères à adopter dans la recherche de la vérité sur ce qu'est la réalité et sur comment elle fonctionne. Cette quête scientifique de la vérité s'effectue en cinq étapes qui, d'un point de vue logique, se suivent. Toutefois, dans la pratique, ces 5 étapes (ou quelques-unes d'entre elles) peuvent être mises en oeuvre simultanément dans un domaine de recherche donné. Chacune de ces cinq étapes constitue en soi une démarche scientifique valide.

  1. La collecte et la quantification des faits

    Il nous faut un point de départ pour chercher la vérité. Puisque la vérité ne nous est pas infuse, ce point de départ doit nécessairement être la découverte, par des observations et / ou des expériences (effectuées par les sens ou par des instruments de mesure qui sont une extension des sens), des objets et des processus extérieurs à nous qui constituent la réalité. Une fois que des faits ont été « collectés », leur formulation doit aller au-delà du seul énoncé qualitatif. Tout fait doit être également quantifié, c'est-à-dire être exprimé par des nombres ou des équations. Cette quantification peut se faire, selon le contexte, par des équations, comme en physique, ou encore par les lois des probabilités et des statistiques, comme en sciences humaines.

  2. L'induction ou la création d'hypothèses
    1. pertinentes,
    2. cohérentes,
    3. quantifiables,
    4. vérifiables et
    5. expliquant la plus grande diversité de faits possible en faisant le plus petit nombre de suppositions possible.
  3. La déduction ou l'art de la prédiction par la logique.

    Il faut déduire toutes les conséquences que chaque hypothèse entraîne logiquement ou nécessairement. Autrement dit, il faut pousser nos raisonnements jusqu'au bout.

  4. La validation des prédictions par des faits reproductibles.

    Il s'agit maintenant de concevoir et d'effectuer des observations et / ou des expériences qui nous permettront de constater si la réalité se comporte ou non comme les prédictions d'une hypothèse donnée le prétendent. Pour qu'une confirmation ou une réfutation soit valable, il faut que les résultats obtenus soient reproductibles; sinon le verdict risque d'être accidentel.

  5. Le désir de cohérence externe.

    Il s'agit, finalement, d'effectuer un ménage dans l'ensemble des théories retenues pour détecter des conflits possibles et tenter de les résoudre. La résolution de conflit mène souvent à de nouvelles découvertes et à de nouvelles théories plus générales qui englobent et dépassent les théories initiales qui étaient en conflit.

(Note du webmestre : Pour un point de vue complémentaire sur la méthode scientifique, vous pouvez lire l'article « Observer le monde avec scepticisme », extrait du Québec Sceptique no 25, page 20, printemps 1993, par Raymond Chevalier.)

Conclusion

M. Fortier a terminé sa conférence par les quelques réflexions suivantes.

L'humain est faillible et sujet à se tromper plus facilement et plus souvent qu'il n'aime à le croire. Pour cette raison, lorsque vient le temps de se prononcer sur la valeur de vérité des idées, les sciences sont sceptiques, conservatrices et pointilleuses. Mais cette attitude n'est pas la manifestation concrète d'un principe caché qui affirmerait qu'il n'y a pas de certitude possible en sciences. Si, au début d'une nouvelle recherche, les scientifiques doutent de presque tout, ce n'est pas dans le seul but de douter ni parce que ce doute méthodique serait insurmontable : c'est dans le but explicite d'être, à la fin de cette recherche, très sûrs et parfois même certains (de façon pratique) de ce dont ils ne douteront plus.

Parfois, au nom de la tolérance et du respect de la liberté de pensée, on proclame que « chacun a raison de croire ce qu'il veut. » Cette attitude revient à affirmer que « toutes les idées se valent. » Cette attitude jette le bébé avec l'eau du bain. L'eau du bain est la volonté d'imposer ses idées aux autres; le bébé est la capacité des humains à distinguer le vrai du faux, à condition de respecter une certaine démarche (la démarche scientifique). Il faut plutôt proclamer que « chacun a le DROIT de croire ce qu'il veut, même s'il a tort. Chacun a le droit de se placer volontairement et de rester volontairement dans l'erreur. » On a le droit de choisir entre chercher à connaître la réalité telle qu'elle est vraiment ou se contenter de vivre dans ses fantaisies. Mais seul le premier choix est légitime du point de vue de la quête de la vérité. Le dogmatisme ne réside pas, en réalité, dans la certitude que nous avons que certaines idées sont, de façon absolue, meilleures que les autres (du point de vue de la quête de la vérité sur ce qu'est la réalité et sur comment elle fonctionne). Le dogmatisme réside plutôt dans la manière dont nous établissons cette certitude : cette certitude repose-t-elle sur le désir de croire, sur l'autorité idéologique ou sur le charisme de certains individus, sur le conformisme, sur l'un des nombreux obstacles au jugement éclairé, ou plutôt sur la démarche scientifique?

Mathématiques et « sciences molles »

Finalement, durant la période de questions, on a insisté sur le rôle central et incontournable joué par les mathématiques en sciences, en particulier en sciences de la nature. Les mathématiques ont, entre autres, souvent permis d'unifier des phénomènes disparates, comme la chute des corps à la surface de la Terre et le mouvement des planètes autour du Soleil, ou encore comme les phénomènes électriques, magnétiques et la lumière. On a également déploré que certaines sciences humaines, qualifiées péjorativement de « sciences molles », se fondent sur des idées dont elles ne vérifient pas la validité par la confrontation avec les faits objectifs pertinents.


Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier, votre conférencier du 13 avril 2003 et rédacteur des comptes-rendus des soirées sceptiques depuis février 2003