LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du dimanche 13 janvier 2008

Raisonner sans tourner en rond !

Pierre Pilon

Texte annonçant la soirée

Penser est un acte difficile. Bien penser est une activité pleine d'écueils. Penser efficacement exige, selon les circonstances, d'utiliser des outils différents de notre pensée réflexe quotidienne. Ces outils existent et ont fait leur preuve.

Pour aider à clarifier le raisonnement et faciliter les discussions, le conférencier présentera les concepts de base de la cartographie argumentaire. Il distinguera les trois types de jugements utilisés dans un raisonnement et les sophismes les plus pernicieux à éviter.

Une argumentation repose souvent sur des prémisses implicites tenues pour acquises. Comment les reconnaître ? Et aussi comment s’assurer que toutes les prémisses satisfont les critères d’acceptabilité et de suffisance qui justifieront les conclusions ?

Annonces

François Filiatrault, animateur de la soirée, précise la mission des Sceptiques du Québec : cet organisme, à but non lucratif, recherche les preuves qui soutiennent les thèses avancées plutôt que de se fier aux croyances populaires. Les Sceptiques gardent tout de même l’esprit ouvert aux nouvelles théories, mais pas si grand ouvert qu’il soit « troué » de part en part.

Le dernier numéro du Québec sceptique est toujours en vente. Il est rempli d’articles fort intéressants sur tous les sujets, dont les comptes-rendus des soirées précédentes. Un numéro tellement « épais » qu’on peine à le plier. Autre annonce : l’assemblée générale des Sceptiques du Québec aura lieu le 17 février 2008. Tout organisme à but non lucratif doit annuellement tenir une assemblée générale de ses membres et élire un conseil d’administration.

L’animateur demande aux membres présents de diffuser à leurs amis et connaissances les résultats de l’enquête sur la Boule Magik, pilotée par Sylvain Daigle. Un résumé révélateur des diapos présentées est disponible sur le site Web à la page des conférences. On participera ainsi à un nécessaire exercice d’information publique sur les limites démontrées de ce produit de consommation.

Actualités

Notre animateur commente ensuite une étonnante annonce qu’il a lui-même reçue par courrier sur le miracle de Lanciano, apparenté à la liquéfaction du sang de Saint-Janvier et au suaire de Turin. Ce miracle eut lieu au début du 8e siècle, ce qui rend les preuves difficiles à retrouver. Après avoir consacré le pain et le vin, un moine douta qu’il eût réellement entre les mains le corps et le sang du Christ. Aux dires des témoins de l’époque, le pain devint alors de la chair réelle et le vin du vrai sang. Le même miracle, aux dires de certains, se reproduisit neuf siècles plus tard (le 17 février 1574) en présence d’un archevêque. Fait surprenant : les cinq caillots de sang pesaient autant qu’un seul d’entre eux !

Cela tend à démontrer que le Christ serait totalement présent dans la plus petite partie de sang consacré. Ce sang fut soumis à plusieurs analyses au cours des siècles suivants, avec les mêmes résultats. En 1970, on reprit les mêmes expériences avec toute la rigueur scientifique moderne. Voici les conclusions de cette recherche : les matières en question sont véritablement de la chair et du sang humains de même groupe sanguin AB, prélevés la journée même. Un miracle de plus à élucider pour les sceptiques, ironise Filiatrault !

Paraissait le 20 décembre dans La Presse cet entrefilet : « Le Japon veut être prêt en cas d’invasion extraterrestre ». Estimant l’existence d’ovnis plausible, certains ministres japonais voudraient s’assurer que les troupes japonaises soient entraînées pour pouvoir résister à une invasion d’extraterrestres. Comme dans le cas du gorille cinématographique « Godzilla », les forces d’autodéfense devraient être prêtes à réagir !

Revue littéraire

L’animateur recommande chaudement un livre étonnant : Le secret de l’Occident, une théorie générale du progrès scientifique, par un physicien, David Cosandey (Flammarion, réédition de 2007). L’auteur répond à la question : pourquoi la méthode scientifique s’est-elle développée en Europe, et non pas dans une autre partie du monde ? Il soutient une théorie assez surprenante du progrès scientifique, tout en réfutant les hypothèses religieuse, culturelle ou aléatoire.

Il évoque le principe de méreuporie (méros : diviser, euporéos : vivre dans l’abondance). Deux facteurs auraient contribué au développement de la science en Occident. D’abord, le succès économique avec la création d’une classe marchande relativement indépendante du pouvoir des princes. Et, ensuite, la division politique stable. La science aurait plus de chance de se développer dans des états en concurrence, mais dont les frontières changent relativement peu. Ce qui ne fut pas le cas de l’Inde ou de la Chine, où les frontières se modifient constamment au gré des succès guerriers. S’il y a des rivalités entre les princes, les scientifiques en profitent en allant au plus accueillant, faisant profiter les princes de leur savoir dans les domaines économiques et guerriers à l’intérieur d’une même civilisation.

À l’autre bout du spectre, on a un état totalement unifié, comme l’Empire chinois l’a été pendant plusieurs siècles. Il n’y a alors peu de concurrence entre les régions de l’empire. Les savants théoriciens n’intéressent pas les empereurs. Il règne donc une pensée unique dans ces États où il y a peu de rivalités.

Quel phénomène expliquerait ces différences entre les civilisations occidentale et orientale ? Cosandey propose l’hypothèse géographique. L’Europe occidentale, comme la Grèce auparavant à plus petite échelle, a connu une abondance économique au sein d’États rivaux pendant près de mille ans. Le découpage des terres par la mer constituerait un facteur déterminant. La proximité des voies navigables pour le commerce et les divisions naturelles aide les nations qui y habitent à former un État dont les frontières protégées perdureront.

Le progrès scientifique de l’Europe, selon cette thèse, découlerait de la façon dont ses côtes sont dessinées. Les blocs monolithiques de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique, peu pénétrés par les océans, n’ont pas pu profiter de ces avantages. Pourtant, pendant une période d’environ 500 ans, la science s’est développée en Chine – au moment où cinq États rivalisaient au milieu du premier millénaire –, mais pas par après. L’animateur nous recommande cet ouvrage qui propose une théorie du progrès scientifique étonnante et bien documentée.

Remise du prix Sceptique 2007

Le vote des membres a été très clair, en décembre dernier, pour décerner le prix Sceptique 2007 à Cyrille Barrette. Revoyons les principales raisons qui semblent avoir contribué à cette décision, suggère Louis Dubé, président des Sceptiques du Québec.

Cyrille Barrette

Cyrille Barrette, professeur de biologie à l’Université Laval, remporte le prix Sceptique 2007 pour son inlassable défense de la pensée critique dans ses livres, conférences, débats et interventions médiatiques – allant bien au-delà de ses responsabilités professorales.

Dans ses livres, il tente de répondre simplement aux interrogations du public sur l’évolution des espèces et sur la méthode scientifique. Un premier ouvrage de vulgarisation, « Le miroir du monde », établit clairement les preuves de l’évolution et suggère des réponses à certaines questions philosophiques sur la nature humaine. Un second ouvrage « Mystère sans magie », décrit les éléments essentiels de la méthode scientifique et soutient qu’elle est indispensable au bonheur et à la survie de l’humanité.

Cyrille Barrette démontre aussi une grande disponibilité à promouvoir l’esprit critique aux étudiants de tous les niveaux. Il offre gratuitement quatre conférences illustrant la méthode scientifique, allant de la possibilité de vie extraterrestre à l’origine de l’Homme sur Terre.

De plus, il participe à de nombreux débats, défendant avec clarté et rigueur la thèse évolutionniste face aux prétentions créationnistes. Dans de multiples interventions médiatiques, Cyrille Barrette a toujours prôné l’approche critique dans l’analyse de phénomènes extraordinaires. Il a résolument pris position pour la méthode scientifique, comme seule méthode valable d’investigation. Mentionnons ses apparitions remarquées aux émissions de Christiane Charrette et de Benoît Dutrizac, ainsi qu’à certains épisodes de « Chasseur de Mystères », émission animée par Jici Lauzon.

Remercions Cyrille Barrette pour son constant souci de nous faire partager sa passion pour la science, son culte du doute et sa patiente recherche du dur chemin vers la vérité, termine Dubé.

Raisonner sans tourner en rond !

Pierre Pilon, conseiller en informatique

Pierre Pilon

Proposer des méthodes pour mieux raisonner n’a jamais été très populaire auprès du public en général. Heureusement, ces idées devraient être mieux reçues par un public sceptique qui fait la promotion de la pensée rationnelle ! D’ailleurs, le conférencier précise qu’il a dû préalablement donner un atelier à un groupe de sceptiques pour les assurer de la valeur de sa conférence.

Pilon ne prétend pas être philosophe ou rhétoricien, mais il se dit un conseiller en informatique qui veut partager le fruit de ses recherches sur des méthodes pour mieux réfléchir. Il ne les a pas lui-même inventées, mais en fait une promotion active chez ses clients. Il utilise un langage simple, même si les mots compliqués sont souvent perçus comme une preuve de savoir. En cela, il rejoint les idées exprimées dans un article de Philippe Thiriart dans le Québec sceptique no 64 : « Ne faisons pas semblant de comprendre ! » Une terminologie savante n’éclaire pas nécessairement le discours – surtout si on s’en sert inutilement ou de façon abusive.

Voici une citation révélatrice : « L’écriture a modifié en profondeur la pensée de l’Homme en centuplant sa mémoire et en lui donnant accès à une autre mode de représentation de ses réflexions. Mais, la prose est un processus souvent trop lourd ; elle n’est pas toujours l’outil approprié pour soutenir une réflexion efficace. » Notre société est avide de documents, mais sont-ils toujours à la hauteur de ses attentes ? Nous verrons quelques outils qui devraient précéder la production de documents.

Tic-tac-toe

Le conférencier propose à l’auditoire une partie de tic-tac-toe mental. Sans aide visuelle, deux personnes devront tour à tour remplir les cases de ce jeu bien connu avec des « x » et des « o ». Une troisième personne agira comme arbitre pour s’assurer que les règles du jeu sont suivies. La première étape est de concevoir un système commun et clair de représentation des neuf cases du jeu. On décide ensuite lequel des deux joueurs aura les « x » et lequel aura le « o ». S’ensuit alors une joute qui sera gagnée par le premier joueur qui réussira à aligner trois « x » ou trois « o » à l'horizontale, verticale ou diagonale.

Après environ trois minutes de jeu, Pilon s’enquiert sur le nombre d’équipes qui ont terminé sans se tromper. Environ les deux tiers des équipes auraient réussi, résultat assez étonnant s’il est juste. Reprenons le même jeu avec plus de cases, soit quatre par quatre… Le degré de difficulté augmente significativement. Déjà, se remémorer les coups précédents représentait un défi substantiel au jeu de trois par trois. Une grille de quatre par quatre se révélerait presque impossible pour la plupart des gens. Et pourtant, on tente d’avoir des débats où l’on manipule beaucoup plus que quatre idées en se servant uniquement de la parole, s’exclame le conférencier ! On doit conclure que la parole n’est pas suffisante pour réfléchir correctement.

Pour compenser la faiblesse de notre mémoire, on écrit. On parle plus qu’on écrit parce que l’écriture demande un grand investissement de temps. Toutefois, il existe une zone entre la parole et l’écrit qu’on peut utiliser à bon escient. De nombreux outils compensent la faiblesse de la parole tout en se prévalant de la rigueur de l’écriture, tels la carte heuristique et l’arbre d’argumentation.

Dangers de la réflexion hâtive

Notre cerveau fait souvent des inférences prématurées. Une personne qui tient un ballon peut le laisser aller à un moment précis pour une raison précise, ou, tout simplement, parce qu’elle était fatiguée de le tenir… Mais, il a parfois des éclairs de génie, dont il faut pourtant se méfier. Citons Cyrille Barrette, biologiste : « Nous sommes génétiquement prédisposés à croire. C’est grâce à cette crédulité naturelle que le jeune enfant apprend de ses parents. Notre nature, c’est la crédulité, c’est l’imaginaire, c’est tout de suite. La rationalité ne sera jamais aussi vendeuse. »

Par exemple, le témoignage convainc émotionnellement beaucoup mieux que les statistiques. Une thérapie au jus de légumes guérit-elle le cancer ? De froides statistiques qui démontreraient le contraire ne prévaudraient probablement pas dans l’esprit du public face à un poignant témoignage de guérison. Un cancéreux, déclaré incurable par la médecine et recouvrant la santé à la suite de cette thérapie, persuaderait émotionnellement son auditoire des bienfaits de ladite thérapie.

La répétition d’une même idée finit par convaincre, même si elle est totalement fausse. On ira jusqu’à oublier qu’elle avait été évaluée fausse au tout début. Autre idée : la démocratie dépend de la rationalité des gens qui la compose. Sans démocratie, on ne peut démontrer qu’une idée est meilleure qu’une autre. C’est du combat des idées que naît la meilleure solution, soutient Pilon. « L’art de l’argumentation est une variante un peu particulière de l’art du combat, par laquelle les mots tiennent lieu d’épées et dont le mobile est l’intérêt pour la vérité et le désir de s’en rapprocher de plus en plus. »

Il existe de nombreux livres sur les sophismes que seules une compréhension profonde et une pratique régulière permettent d’éviter, ajoute Pilon. « La pensée quotidienne, celle de tous les jours, c’est comme la marche ordinaire, c’est-à-dire une performance naturelle, accessible à tous. Bien penser, tout comme faire un sprint de cent mètres, est une performance technique. Le coureur de sprint doit recevoir de l’information sur comment courir ces cent mètres. Bien penser est le résultat de longs apprentissages, ce qui inclut beaucoup de pratique. »

La piste de solution consiste à changer de mode de représentation des idées. L’écriture nous permet de raffiner notre pensée et de la comparer avec d’autres personnes. Si l’écriture est trop coûteuse et la parole pas vraiment efficace, nous devons nous servir d’outils qui feront le lien entre ces deux modes de représentation de la pensée. Un aménagement paysager agréable ne devrait pas être le facteur déterminant de l’achat d’une maison. Sa structure et sa qualité de construction devraient compter encore plus.

De la même façon, les idées agréables, qui nous conviennent particulièrement, méritent d’être examinées. Si certains outils ne sont pas adéquats, on doit en trouver d’autres. Le conférencier suggère de mettre les idées les unes à côté des autres pour être en mesure de les mieux évaluer. C’est la technique qu’emploient les états-majors en temps de guerre. On voit des cartes, des photos, des énoncés et des schémas. Le mode de représentation permet de percevoir et de comprendre la situation de façon différente. Pour aller d’un point A à un point B, une carte géographique est essentielle. Après, on pourra décrire le chemin optimal par écrit.

Types de jugements

Pour analyser le type de jugement auquel on fait face, on doit se poser la question : qu’est-ce que la personne a voulu dire en formulant cet énoncé ? Il y a, à la base, trois intentions possibles : communiquer une information, une évaluation ou une prescription. Une visite chez le médecin pourra servir d’exemple. Il vous prescrit du Lipitor (prescription), parce qu’il juge que votre taux de cholestérol est « trop » (évaluation) élevé sur la base de vos tests sanguins (observations).

Quelques exemples. « Les sceptiques ne croient en rien » (observation). « Les sceptiques sont plus intelligents que les non-sceptiques » (évaluation). « Il y a plus de femmes que d’hommes chez les sceptiques » (évaluation). « Assister à une conférence sceptique devrait être obligatoire au moins une fois dans sa vie » (prescription). « X est un bon président » (évaluation). « X devrait être nommé président à vie » (prescription). « Le gagnant du Prix Sceptique l’a bien mérité » (évaluation). « Pierre Pilon pense que tous les enfants devraient être formés à l’usage de la carte heuristique » (observation : c’est quelqu’un qui rapporte ce fait).

Normalement, on va de l’observation à l’évaluation, puis à la prescription. Dans les arbres d’argumentation, on trouve l’inverse : les prescriptions et les évaluations viennent au début, les observations qui les appuient suivent. Si on fait le même exercice pour les articles de journaux, on trouvera surtout des observations dans les actualités. Par contre, les éditoriaux et les lettres d’opinions des lecteurs contiendront surtout des prescriptions et des évaluations, mais peu d’observations pour les soutenir.

Qu’est-ce qu’un argument ? C’est une position, précise le conférencier, suivie d’une ou plusieurs justifications. Pour un texte journalistique de type informatif, on ne trouvera pas de position, pas d’argument. Il y 2500 ans, Aristote parlait déjà des trois pôles de la rhétorique : l’orateur, l’auditoire et l’argumentaire. Les outils décrits par le conférencier ne concernent que le développement de l’argument quel que soit l’auditoire. En pratique, l’orateur va façonner son argument en fonction de son auditoire. Il choisira les arguments qu’il jugera pertinents pour convaincre un auditoire particulier.

Carte heuristique

Le conférencier poursuit en décrivant un outil simple mais puissant pour organiser ses idées : la carte heuristique. Même de jeunes enfants peuvent s’en servir ! Pilon raconte l’anecdote du fils d’un ami qui devrait faire une présentation à sa classe sur le travail que faisait son père. Ce dernier lui demanda d’écrire, pour chaque question qu’il lui posait, une brève réponse sur une carte en liant les idées entre elles. Son fils remplit ainsi une fiche de mots structurés naturellement. Il a pu ainsi faire une présentation sur le travail de son père, sans hésitation et sans oubli, puisque ses idées étaient organisées. Cela lui permettait de désengager sa pensée des mots pour pouvoir se concentrer sur les idées, en sachant à tout moment où il en était rendu. Un tel outil permet à tous de mieux penser, de réfléchir de façon efficace.

Pilon fait remarquer que cette technique, qui s’enseigne en vingt minutes à des enfants, peut demander une journée complète pour être bien comprise par des adultes. Ces derniers ont des habitudes de penser qui souvent s’opposent à l’application des principes de la carte heuristique.

En bref, une carte heuristique comprend le titre au centre, les grands thèmes tout autour, qui sont développés en d’autres branches qui s’y rattachent. Même dans une langue étrangère inconnue, on peut saisir les thèmes de la carte puisqu’elle inclut souvent des images et des dessins révélateurs. Ces derniers sont essentiels pour situer les idées dans l’espace dans une organisation que notre cerveau est particulièrement adapté à reconnaître et à mémoriser. Mais, pour être bien comprise, on doit l’expliquer ; c’est alors que la structure apparaît logique et facile à mémoriser.

Note du rédacteur de ce compte-rendu : l’exemple suivant d’une carte heuristique est différent de celui qu’a présenté le conférencier. Il a été créé avec le logiciel gratuit FreeMind.

Carte heuristique

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Établir un plan formé de courtes phrases, alignées horizontalement de façon séquentielle, n’a pas le même impact que la carte heuristique. D’abord, celle-ci contient des images (souvent en couleur) qui condensent des informations et des relations complexes, ainsi plus faciles à se rappeler. Lors d’une discussion avec un collègue, plutôt que d’échanger des idées pendant des heures sans prendre de notes, tentez de cartographier la structure des échanges sur une feuille de papier en utilisant la méthode de la carte heuristique, soit en différentes branches se rapportant à des thèmes autour d’une idée centrale. Une liste séquentielle ne fonctionnera pas aussi bien. La carte heuristique a fait ses preuves, conclut Pilon. On se rappelle facilement les énoncés, les images et même leur situation dans l’espace. Une présentation PowerPoint, contenant des diapos montrées séquentiellement, n’a pas le même impact.

L’arbre d’argumentation

L’approche structurée de l’arbre d’argumentation tente de nous éloigner de la « brume » de la prose. Après la lecture d’un texte, combien de fois vous êtes-vous demandé ce que l’auteur a bien voulu dire ? Parfois même, cet auteur, c’est vous, rappelle Pilon ! L’arbre d’argumentation peut nous venir en aide.

À quoi ressemble cet arbre ? Il a la forme d’un organigramme qui commence en haut par la formulation d’une position que les cases subséquentes appuieront ou rejetteront avec des arguments pour ou contre. D’un coup d’œil, on peut voir comment la thèse de départ est soutenue par des justifications liées les unes aux autres et comment elle est contredite par d’autres considérations. Structurer son argumentation de cette façon peut être utile dans toutes sortes de situations. Le conférencier s’en est servi, entre autres, dans son travail pour diriger les discussions de différents partis politiques sur des questions précises et pour aider des avocats à préparer leur cause.

Voici un exemple tiré d’un argumentaire sceptique : (Note du rédacteur de ce compte rendu : le conférencier a présenté un autre exemple, l’achat d’un appareil de photo numérique)

Thèse : Il y a eu complot intérieur lors des attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

  • Justification 1 : Un missile a percuté le Pentagone le 11 septembre 2001 (et non un avion).
  • Justification 2 : Des explosifs, détonés en séquence, ont causé la chute des tours du World Trade Center WTC).
  • Justification 3 : Le vol 93 a été abattu par l’armée de l’air américaine près de Shanksville en Pennsylvanie.
  • Justification 4 : La tour 7 du WTC s’écroula à la suite d’un dynamitage planifié par le gouvernement américain.
  • Justification 5 : De mystérieux spéculateurs ont empoché des millions de dollars en transigeant à la baisse des titres boursiers d'American Airlines et de United Airlines.
  • (Pour voir le détail des justifications autres que la première, consultez la rubrique Argumentaires dans le menu principal, et "complot" sous "Thèses présentées".)

    L’arbre argumentaire de la justification numéro 1 pourrait ressembler au diagramme suivant :

    Arbre argumentaire

    Cliquer sur l'image pour l'agrandir. (deux fois)

    (Aussi disponible en format PDF)

    Nous avons choisi de présenter cet arbre d’argumentation à la verticale plutôt qu’à l’horizontale pour ne pas dépasser la largeur d’une page normale imprimée (et d’un écran d’ordinateur). La version originale utilise trois couleurs : la thèse sous examen est formulée en bleu, les arguments qui la soutiennent (preuves) sont en vert et ceux qui s’y opposent (réfutations) en rouge.

    Chaque argument est identifié par un numéro, suivi par P pour Preuve appuyant la thèse ou R pour Réfutation de la thèse. Des astérisques précisent, en bas de page, les sources de certains arguments ainsi caractérisés.

    Cet exercice aide à dévoiler les prémisses implicites qui jouent un rôle important dans nos conclusions. Il ouvre ainsi d’autres pistes de discussion oubliées dans la formulation originale. Après avoir fait un inventaire exhaustif des arguments, on peut plus facilement répondre à la question : suis-je ou non d’accord avec la thèse avancée ?

    Répétitions évitées

    Dans la vraie vie, poursuit Pilon, les gens ont tendance à revenir souvent aux mêmes arguments – qu’ils aient été ou non réfutés lors de discussions précédentes. On n’avance pas. L’arbre argumentaire évite des répétitions inutiles. Si on est d’accord sur certains points, pourquoi les ressasser à nouveau ? Pourquoi demander à un consultant d’en faire l’étude à coup de milliers de dollars ? C’est parfaitement inutile. Par contre, l’examen des points litigieux pourra déboucher sur des discussions productives. Planifier ainsi la discussion permet aussi d’établir à l’avance les types de documents et d’autorités qui seront considérés acceptables.

    Le conférencier raconte alors l’une de ses consultations auprès d’un ministère du gouvernement sur une question précise. À la première réunion, il écouta attentivement la discussion sur les arguments pouvant servir à leurs gestionnaires, tout en prenant des notes sous forme de carte heuristique. Pour structurer les éléments d’une discussion, c’est un meilleur moyen que d’en faire une liste chronologique. Plusieurs intervenants, en regardant par-dessus son épaule, ont même suggéré des corrections à ce qu’il avait écrit. Il déposa alors le contenu de ses notes sous forme d’un arbre argumentaire qu’il leur fit parvenir.

    Lors de la deuxième rencontre, les intervenants poursuivirent la discussion en ajoutant d’autres arguments à ceux déjà répertoriés. Aucun d’entre eux n’est revenu sur les arguments déjà notés au cours de la première réunion. Voilà une économie de temps appréciable pour ce genre de discussion. Des rencontres subséquentes se déroulèrent de la même façon : on complétait les arguments déjà apportés ou on en ajoutait d’autres complètement nouveaux.

    Arguments ciblés

    Que reste-t-il à faire lorsque la structure argumentaire est bien développée ? Il faut l’adapter à ses interlocuteurs, répond Pilon. Il faut choisir les arguments qui les convaincront selon les intérêts de chacun. Un représentant des finances sera particulièrement intéressé à tout ce qui concerne les revenus, les dépenses, les investissements. Un gestionnaire du personnel sera touché par les arguments relatifs à la main-d’œuvre. Il faut donc cibler les arguments à présenter en fonction de l’effet pertinent sur les interlocuteurs appréhendés. On évite ainsi les questions surprises puisque la démarche proposée pour bâtir un arbre argumentaire inclut les contre arguments possibles, accompagnés de leur réfutation.

    Les arguments de ceux qui ne sont pas d’accord avec nous sur certains points font aussi partie de la cartographie argumentaire ; ces derniers savent que leurs arguments ont été entendus et compris. Positionner les arguments dans l’arbre de façon correcte permet aussi de se rendre compte que même un argument parfaitement valable pourrait ne jouer qu’un rôle mineur dans la décision finale.

    Conclusion

    Bref, les bénéfices incluent : ne pas recommencer sans cesse les mêmes discussions, discuter sur des arguments précis décrits sur la carte, déterminer les lignes stratégiques en fonction des personnes à convaincre, entrer dans un débat en en comprenant les grandes lignes.

    Carte heuristique et arbre d’argumentation donnent un espace commun partagé par tous les intervenants. Tous ont, au même moment, la même vision du problème. Cela change tout le climat du débat. Cela améliore la productivité du débat, duquel proviendra une plus grande richesse de contenu. Ces outils permettent d’aller chercher l’intelligence collective. Tous peuvent s’exprimer ; tous sont entendus et savent qu’ils le sont, car on reconnaît littéralement leur contribution au débat.

    Pilon termine en nous enjoignant à demeurer sceptique, à identifier et réduire nos zones aveugles, à appliquer nos connaissances. Il lance ce défi aux sceptiques : prendre le temps de cartographier de grands débats sceptiques, telles les théories du complot, l’astrologie, et l’homéopathie. Au lieu de répéter les mêmes arguments, mettez toutes vos connaissances à plat, développez et solidifiez vos argumentaires. Les textes subséquents seront de meilleure qualité. Votre message deviendra plus clair. Vous initierez ainsi le public au débat structuré sur ces questions controversées.

    Période de questions

    Questions indécidables

    Que faire lorsqu’on rencontre des éléments indécidables dans un arbre d’argumentation, demande un auditeur ?

    Même si on ne peut appuyer des éléments indécidables, répond le conférencier, l’arbre d’argumentation permettra d’évaluer plus facilement leur impact sur la décision à prendre. On comprendra mieux les risques encourus par l’une ou l’autre décision. On saura, à tout le moins, qu’on a tenté de faire un inventaire honnête des arguments vérifiables.

    Arguments quantitatifs

    Les exemples d’arbre présentés ne contiennent pas d’arguments quantitatifs ; ils ne semblent reposer que sur des arguments qualitatifs, commente un auditeur. Ce qui les rend, à son avis, peu convaincants et sujets à erreurs. Le débat sur le réchauffement climatique pourrait en être un exemple où les schémas, les équations et les données quantitatives sont indispensables.

    Vous avez raison, admet Pilon. Les arbres présentés ne sont pas complets. Ils devraient inclure des éléments d’observations ou se baser sur des références précises. Ceux-ci viennent à la fin d’une branche d’argumentation et devraient la terminer. Certains logiciels permettent également de donner son appréciation d’une branche, par exemple : d’accord, incertain ou en désaccord. Évidemment, ce genre d’outil ne peut convenir là où une simulation ou un système expert est requis.

    Variété des outils à penser

    Un membre de l’auditoire, tout en reconnaissant la valeur des outils présentés, soutient que les gens peuvent réfléchir selon différents modèles. On ne devrait pas se restreindre à un seul.

    Le conférencier sait pertinemment que, si on se sert d’un seul mode de pensée, on arrivera au même résultat à chaque fois. Il propose donc l’arbre d’argumentation comme moyen alternatif de discussion puisqu’il est peu utilisé par la plupart des gens. Il admet qu’il ne conviendra pas à certaines personnes. Par ailleurs, tous se doivent de changer de mode de pensée pour avancer. La carte heuristique, qui n’est qu’une façon structurée de prendre de notes, ne demande pas à être expliquée ; les gens la comprennent intuitivement. L’arbre d’argumentation, par contre, demande une petite introduction pour être bien utilisé.

    Situations conflictuelles

    Peut-on vraiment utiliser l’arbre d’argumentation dans un conflit où les parties ne veulent pas vraiment s’entendre, demande un auditeur ? On peut penser à un conflit de travail entre patron et syndicat ou encore à une discussion entre partis politiques à l’Assemblée nationale. Comment réussir à dénouer l’impasse lorsqu’il y des intérêts conflictuels et des agendas cachés ?

    Dans des cas difficiles, précise Pilon, même si la décision finale ne change pas, cartographier l’argumentation influencera la partie gagnante à chercher des solutions pour en diminuer les impacts négatifs. L’arbre d’argumentation met en évidence les conséquences logiques de la décision prise pour chacun des camps. Une meilleure compréhension des enjeux facilitera une implantation mesurée. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord pour mieux se comprendre et arriver à des compromis éclairés.

    Références :

    Compte-rendu rédigé par Louis Dubé.