La soirée a débuté avec le mot de notre nouvelle relationniste, Marie-Soleil Gauthier. Mlle Gauthier a d'abord souligné l'excellent travail du président sortant, Pierre Cloutier, qui avait pris la barre des Sceptiques du Québec alors que l'organisme éprouvait des difficultés financières. Durant le mandat d'un an de M. Cloutier et du conseil d'administration précédent, ces difficultés ont été résolues, de sorte que les finances des Sceptiques du Québec sont maintenant équilibrées.
Rappelons que « les Sceptiques du Québec » constitue un organisme à but non lucratif; le président et les membres du conseil d'administration sont tous des bénévoles.
Mlle Gauthier a ensuite présenté le nouveau conseil d'administration des sceptiques du Québec, choisi lors de l'assemblée générale annuelle du dimanche 16 février 2003.
Le nouveau président, Louis Dubé, a ensuite pris la parole. Il a présenté l'association et ses buts, et a invité les membres des Sceptiques du Québec qui seraient intéressés à devenir administrateurs à se joindre au nouveau C.A. : le C.A. compte en ce moment 8 membres, sur une possibilité de 12. Il reste donc 4 places disponibles, ouvertes à tous (remarque : pour devenir administrateur, il faut d'abord être membre de l'organisation).
M. Dubé a également parlé de la présence des sceptiques du Québec au dernier salon de l'ésotérisme, qui s'est tenu du 7 au 9 mars 2003 au marché Bonsecours. Les Sceptiques y ont eu un kiosque (le numéro 13); un ancien président, Alain Bonnier, a participé à un débat public avec un astrologue et un voyant; enfin, M. Dubé y a donné une conférence sur le scepticisme.
Evelyne Gadbois est venue clore cette première partie de la soirée avec la présentation de l'actualité sceptique.
Mlle Gauthier a repris la parole pour présenter le conférencier, Cyrille Barrette, et sa conférence « Sommes-nous seuls dans l'univers? Réflexions d'un biologiste darwinien », qui constituait le menu principal de la soirée. M. Barrette est biologiste et professeur à l'Université Laval.
Il est un spécialiste reconnu du comportement et de l'écologie des mammifères, et est l'auteur d'un livre sur l'évolution et la nature humaine : Le miroir du monde, Évolution par sélection naturelle et mystère de la nature humaine, Québec, Éditions Multimondes, 2000, 337 pages.
M. Barrette se présente comme « biologiste darwinien », non pour laisser sous-entendre qu'il existerait deux biologies, l'une évolutionniste et l'autre créationniste, ce qui est faux (malgré la popularité du créationnisme dans certains milieux, celui-ci n'a rien de scientifique), mais plutôt pour souligner qu'il est un biologiste qui travaille sur l'évolution des espèces. D'autres biologistes ne font pas porter leur recherche sur l'évolution, comme c'est le cas par exemple des microbiologistes et des biochimistes.
M. Barrette a d'abord posé la problématique : étant donné que la science ne peut étudier que des phénomènes que l'on peut observer, que ce soit directement ou indirectement, et que l'humanité ne dispose d'aucun fait concernant la vie et l'intelligence extraterrestres, comment la science peut-elle prétendre dire quelque chose de pertinent sur cette question? Après quelques clarifications, M. Barrette a expliqué pourquoi la science doit s'intéresser à la question de la vie et de l'intelligence extraterrestres malgré l'absence de faits. Il a ensuite expliqué qu'il est possible de spéculer scientifiquement sur ce que serait la vie et l'intelligence ailleurs dans l'univers sur la base de ce que l'on connaît déjà de la vie et de l'intelligence sur Terre, en particulier sur la base de l'un des mécanismes les plus importants de la vie terrestre : l'évolution par sélection naturelle. C'est dans cette optique que M. Barrette nous a présenté ses 15 prédictions sur la vie et l'intelligence extraterrestres, les 10 premières concernant la nature de la vie, les 5 autres touchant au caractère évolutif de la vie. Ces spéculations scientifiques n'ont toutefois de sens qu'à la condition de prendre soin, au départ, de définir clairement les mots « vie » et « intelligence ». (Voir le compte-rendu de la conférence de M. Barrette qui suit.)
La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Barrette.
En tant que scientifique, M. Barrette est très exigeant quant à la clarté et à la précision des mots et des idées. La science ne peut se développer dans des discours vagues ou équivoques. Il a ainsi débuté sa conférence en clarifiant le sens qu'il donne à son titre « Sommes-nous seuls dans l'univers? » Ce titre peut en effet évoquer trois sujets possibles :
C'est au troisième sujet que se réfère la question titre de la conférence de M. Barrette, qui a précisé qu'il n'existe pas de réponse simple et courte. Toute réponse qui se veut sérieuse doit tenir compte de la science, de la vie, de l'évolution de la vie et de nous, les humains, qui nous posons la question, cherchons des réponses et inventons les moyens pour trouver ces réponses.
L'intérêt de la science (par opposition à celui de la population en général) pour la vie et l'intelligence extraterrestres remonte à environ 40 ans; la spéculation scientifique sur cette question se nomme « exobiologie » ou encore « astrobiologie ». Le discours en exobiologie est dominé par les chimistes, qui parlent de molécules, et par les astrophysiciens, qui parlent d'étoiles et de planètes. M. Barrette a déploré que peu de biologistes viennent parler de la vie et de l'intelligence elles-mêmes. C'est cette lacune que M. Barrette souhaite corriger.
M. Barrette a rappelé que la problématique de vouloir discuter scientifiquement de la vie et de l'intelligence extraterrestres réside en ce qu'il n'existe aucun fait sur lesquel se baser. De là surgissent deux questions fondamentales :
En l'absence de faits, M. Barrette nous a dit que l'on peut adopter trois attitudes possibles :
Les raisons pour lesquelles la science s'intéresse à la question de la vie et de l'intelligence extraterrestres sont multiples. La plus fondamentale pourrait être que tout le monde s'intéresse à cette question, et que les non scientifiques en parlent abondamment de toute façon. La science a alors intérêt à en parler; elle peut jouer le rôle de contrepoids en ramenant le débat dans le domaine du plausible et du réaliste. Mais il y a plus.
Il existe des raisons concrètes pour que la science s'intéresse à cette question. M. Barrette en a mentionné trois :
Il existe aussi des raisons logiques à l'intérêt de la science pour la question de la vie et de l'intelligence extraterrestres. Si la vie existe sur la planète Terre, pourquoi ne pourrait-elle pas aussi exister sur une autre planète ? (La matière, de même que les lois de la physique et de la chimie, étant les mêmes partout dans l'univers.) D'ailleurs, l'univers étant très vaste, le nombre de planètes doit être démesuré. Ensuite, le fait que la vie ait émergé très tôt sur la Terre suggère que la vie pourrait apparaître rapidement, naturellement et spontanément dès que « certaines » conditions environnementales seraient remplies (voir la prédiction 12). Donc, encore une fois pourquoi pas sur une autre planète?
M. Barrette a précisé que celui qui a le mieux exprimé l'intérêt philosophique pour la question de la vie et de l'intelligence extraterrestres est Arthur C. Clarke, auteur de « 2001 : l'odyssée de l'espace » (1968). M. Barrette a aussi affirmé que cette question restera ouverte indéfiniment, à moins que l'on découvre un jour des faits qui prouvent l'existence de la vie ou de l'intelligence extraterrestres : il est en effet impossible de prouver que la vie ou l'intelligence extraterrestres n'existent pas.
L'idée maîtresse ici est que la science peut légitimement spéculer sur ce qu'elle ne connaît pas en se servant de ce qu'elle connaît déjà comme base.
La biologie moderne, ayant pour principe central l'évolution par sélection naturelle, est la discipline la mieux placée pour spéculer sur la vie et l'intelligence extraterrestres : elle peut faire des prédictions sur des formes de vie et d'intelligence inconnues à partir de ses connaissances des formes de vie et d'intelligence terrestres.
M. Barrette a discuté des attitudes que l'on peut adopter devant un fait surprenant.
Les scientifiques tenteront d'abord de survoler toutes les hypothèses crédibles possibles, et ensuite ne se croiront pas eux-mêmes! Les scientifiques sont par essence sceptiques : ils perçoivent les réponses qu'ils proposent comme des hypothèses incertaines, dont ils doutent. Les scientifiques vont ensuite soumettre leurs hypothèses à des tests, en faisant des prédictions vérifiables sur de nouveaux faits à partir des hypothèses, et en vérifiant si ces prédictions correspondent ou non à la réalité. Le but des scientifiques n'est pas d'avoir raison : il est de découvrir la vérité. Ainsi, un scientifique sera content d'avoir tort à condition qu'on lui fasse la démonstration qu'il a tort et de pourquoi il a tort. La quête de la vérité aura alors progressé. Voilà ce qui caractérise la science par rapport à ses imitations que sont les pseudo-sciences, la science-fiction, etc.
L'individu intéressé à la spéculation scientifique sur la vie et l'intelligence extraterrestres devra avoir la prudence de suivre les 3 attitudes suivantes :
La science est en ce moment à la recherche de faits concernant la vie et l'intelligence extraterrestres, par deux moyens principaux.
Il est donc possible qu'un jour la science découvre des faits au sujet de la vie ou de l'intelligence extraterrestres, soit dans le système solaire, soit grâce au programme SETI.
Voici les 15 prédictions de M. Barrette sur la vie et l'intelligence extraterrestres. Les 10 premières concernent la nature de la vie, les 5 autres touchent au caractère évolutif de la vie. M. Barrette se fonde sur l'idée que la vie possèderait des propriétés universelles, c'est-à-dire des propriétés qui seraient les mêmes sur toute planète habitée. M. Barrette n'a fait de prédictions que sur ces propriétés; la vie possèderait également des propriétés locales, dont M. Barrette n'a pas discuté.
La vie est une propriété émergente de la matière : elle est quelque chose d'immatériel, mais non de magique, ni de miraculeux, ni de surnaturel.
Cette prédiction est la plus compliquée, mais également la plus fondamentale. Elle revient à dire que « le tout est plus que la somme de ses parties; le tout ne résulte pas des propriétés individuelles de ses éléments constituants, mais de l'organisation de ceux-ci ». Â titre d'exemple de propriété émergente, M. Barrette nous parle du sens des mots.
Une propriété émergente est quelque chose d'immatériel et de bizarre, mais qui n'a rien de magique, de miraculeux ou de surnaturel.
La matière vivante extraterrestre est hiérarchisée.
La matière vivante terrestre est organisée en échelons hiérarchiques : atomes, molécules, macromolécules, cellules, tissus, organes, organismes, espèces, communautés et sociétés, écosystèmes, biosphère. Il en serait ainsi de toute forme de matière vivante.
La vie extraterrestre se présente probablement sous forme cellulaire.
La cellule représenterait la forme idéale pour le vivant : elle constitue un environnement distinct du milieu ambiant, capable de contrôler les échanges de matière entre l'intérieur et l'extérieur, capable d'emmagasiner des substances et d'en évacuer d'autres. Toute forme de vie, terrestre ou extraterrestre, devrait employer la forme cellulaire. Les extraterrestres ne pourraient pas être, par exemple, des nuages vaporeux.
Les êtres vivants extraterrestres (comme les organismes vivants terrestres) sont des systèmes ouverts.
Cela signifie que les êtres vivants puisent de la matière dans leur environnement, l'incorporent, et en font du vivant par le métabolisme. Puisque les ressources de l'environnement ne sont pas illimitées, cela a pour conséquence l'existence d'une compétition entre les organismes pour s'approprier ces ressources.
Les êtres vivants extraterrestres (comme les organismes vivants terrestres) sont mortels.
Cela, par opposition aux atomes qui sont immortels. Ce sont les mêmes atomes qui constituent les êtres vivants au fil des âges. Les atomes qui se situent dans notre corps aujourd'hui ont possiblement déjà fait partie de Jules César, d'un mammouth, d'un dinosaure, d'un trilobite, d'une bactérie
Les êtres vivants extraterrestres (comme les organismes vivants terrestres) se reproduisent.
Les êtres vivants extraterrestres devraient posséder une sorte de cristal linéaire apériodique, semblable à l'A.D.N. des êtres vivants terrestres, quoique différent, qui contiendrait l'information nécessaire pour fabriquer un être vivant de l'espèce en question, et que les parents transmettraient à leur progéniture.
Les rejetons d'organismes extraterrestres sont semblables, mais pas parfaitement identiques, à leur(s) parent(s), comme c'est le cas sur Terre.
Cela doit être vrai quel que soit le mode de reproduction : sexué ou asexué. Dans la cas de la reproduction sexuée, le code génétique des rejetons contient la moitié du code génétique du père et la moitié de celui de la mère : les rejetons sont nécessairement différents de leurs parents, même s'ils appartiennent bien entendu àla même espèce. D'autre part, on sait que la reproduction asexuée existe sur Terre, notamment chez les êtres unicellulaires, comme les bactéries, et chez certains invertébrés. Les rejetons sont alors des clones du parent unique : ils possèdent le même code génétique. D'où proviendrait, dans ce cas, la différence génétique entre un rejeton et son parent unique? Des mutations, qui surviennent au hasard et de façon naturelle (erreurs de réplication de l'A.D.N.; radioactivité naturelle des roches; rayons cosmiques; présence d'agents chimiques mutagènes; etc.) Il est à noter que les mutations se produisent chez tous les êtres vivants, qu'ils se reproduisent de façon sexuée ou asexuée.
Les prédictions 4 à 7, mises ensemble, entraînent que la vie extraterrestre, à l'instar de la vie terrestre, est soumise à la sélection naturelle. Les organismes extraterrestres doivent donc nécessairement évoluer.
(Note de l'auteur de ce compte-rendu : il existe toujours des variations dans les caractéristiques des individus qui constituent une espèce donnée (au niveau de la taille, de la masse, de la force, de la rapidité, de l'agilité, de l'efficacité du métabolisme, etc.) Les circonstances environnementales font en sorte qu'une certaine variante, d'une caractéristique donnée, est plus avantageuse en ce sens qu'elle permet, statistiquement parlant, à l'individu qui la possède de produire plus de rejetons que les individus qui ne la possèdent pas (ex. : les antilopes les plus rapides ont plus de chances d'échapper à leurs prédateurs, et ont ainsi plus de chances de produire des rejetons). Le phénomène se répétant de génération en génération, cette variante finira par devenir la norme de la population : on dira alors que la population a évolué (ex. : la vitesse moyenne des antilopes augmentera graduellement, de génération en génération). La sélection naturelle est précisément ce mécanisme automatique de la « reproduction différenciée », selon lequel les individus qui réussissent à se reproduire transmettent leurs caractéristiques à la génération suivante, et pas les autres. La sélection naturelle est l'un des moteurs de l'évolution. L'autre moteur est constitué des mutations. Les mutations causent, au hasard, l'apparition de nouvelles variantes ou de nouvelles caractéristiques. Ces nouvelles variantes ou caractéristiques peuvent être avantageuses, désavantageuses ou neutres par rapport à celles qui existent déjà : cela dépend des conditions environnementales. La sélection naturelle « fera un tri ». Il ne faut pas concevoir la sélection naturelle comme une force dirigée en fonction d'un plan conçu à l'avance. La sélection naturelle est une force aveugle qui opère de façon automatisée en fonction des caractéristiques des individus et des conditions environnementales. La sélection naturelle et les mutations n'engendrent pas nécessairement des espèces plus complexes ou plus intelligentes que les espèces ancestrales : elles engendrent des espèces (plus ou moins) différentes. C'est seulement parfois, au gré des circonstances, que « espèce différente » signifiera également « espèce plus complexe » ou « espèce plus intelligente ».)
M. Barrette nous a dit que la sélection naturelle est une force universelle qui doit opérer partout où il y a de la vie, tout comme la force de gravitation est une force universelle qui opère partout où il y a de la matière.
Les êtres vivants extraterrestres (comme les organismes vivants terrestres) sont des entités spontanées et autonomes.
M. Barrette entend par là que les êtres vivants sont animés de l'intérieur; ils se nourrissent, croissent et se reproduisent par eux-mêmes. Les êtres vivants n'ont besoin de l'influence d'aucun agent extérieur pour pouvoir être en vie.
La vie extraterrestre est probablement fondée sur l'atome de carbone et sur l'eau liquide, comme l'est la vie terrestre.
Le carbone, de même que l'hydrogène et l'oxygène qui constituent l'eau, sont abondants dans l'univers. De plus, l'atome de carbone possède des propriétés chimiques particulières qui en font l'atome le plus important dans la constitution des molécules organiques sur Terre.
L'atome de silicium possède les mêmes propriétés chimiques que l'atome de carbone : il pourrait être l'atome à la base d'une forme de vie extraterrestre. Cependant, il est plus rare et plus lourd que l'atome de carbone, ce qui le désavantage par rapport à ce dernier. M. Barrette a également souligné que l'ammoniaque pourrait, sur une autre planète, remplacer l'eau liquide comme milieu pour la vie.
Les formes de vie extraterrestres doivent être totalement différentes des espèces terrestres.
On n'a qu'à constater l'incroyable diversité de la vie sur une seule et même planète la Terre pour s'en convaincre! De plus, les fossiles nous révèlent qu'aucune espèce n'est apparue deux fois sur Terre. Chaque espèce est unique; l'émergence de chaque espèce a relevé d'un concours de circonstances qui n'est survenu qu'une seule fois dans toute l'histoire de la Terre. Si la conjoncture ayant permis à une espèce donnée d'apparaître ne s'est jamais produite deux fois sur la même planète (la Terre), il n'est que logique de supposer que cette même conjoncture ne se produira jamais sur une autre planète. Donc, les extraterrestres ne devraient en rien ressembler à des humains, à des reptiles, à des insectes, à des pieuvres ni à aucune forme de vie terrestre.
(Note de l'auteur de ce compte-rendu : l'apparition d'une nouvelle espèce dépend à la fois du hasard (les mutations), de la nécessité (les conditions environnementales et la sélection naturelle) et des espèces déjà existantes, à partir desquelles les nouvelles espèces émergeront.)
Puisque la vie a émergé très tôt sur Terre (ce qui suggère, comme nous l'avons dit plus tôt, que la vie pourrait apparaître rapidement, naturellement et spontanément dès que « certaines » conditions environnementales seraient remplies), et étant donné la grande plausibilité qu'il existe, dans notre univers si vaste, des planètes similaires à la Terre primitive, il est très plausible qu'il y ait de la vie ailleurs dans l'univers.
L'âge de la Terre est de 4,6 milliards d'années; les premières formes de vie terrestres connues (des cyanobactéries) remontent à 3,8 milliards d'années. Il y a donc eu de la vie sur Terre durant 84 % de l'histoire de celle-ci.
La vie extraterrestre est probablement unicellulaire.
Cette prédiction découle directement des circonstances de la vie sur Terre. Les premières formes de vie terrestres étaient unicellulaires. Les êtres pluricellulaires sont apparus il y a « seulement » environ 800 millions d'années (ce qui représente les derniers 20 % de l'histoire de la Terre). Aujourd'hui, la vie terrestre est toujours largement dominée par les unicellulaires, qui sont partout; les bactéries représentent à elles seules environ 90 % de la biomasse terrestre (c'est-à-dire de la masse totale de tous les êtres vivants)! (Note de l'auteur de ce compte-rendu : les animaux et les végétaux sont donc des êtres excentriques et marginaux sur Terre !) De plus, comme nous l'avons dit plus tôt, les unicellulaires peuvent exister dans toutes sortes d'environnements, jusqu'aux plus extrêmes.
La probabilité qu'il existe des formes de vie intelligentes est très faible, mais non nulle.
Pour que cette prédiction ait un sens, il est important de clarifier le sens du mot « intelligence ». M. Barrette définit la « vie intelligente » par deux caractéristiques :
L'émergence des humains est très récente dans l'histoire de la Terre. Cela démontre que l'apparition de l'intelligence, contrairement à l'apparition de la vie elle-même, est un événement très peu probable. Sinon l'intelligence aurait émergé beaucoup plus tôt. (Note de l'auteur de ce compte-rendu : rappelons que l'évolution ne produit pas nécessairement des espèces plus complexes ou plus intelligentes : l'évolution engendre d'abord et avant tout des espèces différentes. L'évolution n'a pas de direction ni de but; elle ne suit pas un plan tracé à l'avance. L'humanité ne devait pas fatalement exister; elle aurait très bien pu ne jamais apparaître. Ce n'est que très occasionnellement et par hasard - qu'une nouvelle espèce sera plus complexe ou plus intelligente que l'espèce ancestrale. Soulignons également que les premiers hominidés seraient apparus il y a 5 millions d'années; c'est à cette époque qu'aurait vécu l'espèce qui est l'ancêtre commun d'Homo sapiens et des chimpanzés actuels. La Terre avait alors déjà atteint 99,9 % de son âge actuel. Notre espèce, Homo sapiens, est apparue il y a environ 100 000 ans; la Terre avait alors déjà atteint 99,998 % de son âge actuel!)
La vie intelligente est très intéressante, mais également précaire et dangereuse. Cela serait vrai ailleurs dans l'univers comme ce l'est sur Terre.
Pour s'en convaincre, nous n'avons qu'à penser aux quatre graves dangers qui pèsent sur l'humanité et menacent sa survie :
M. Barrette a ajouté « qu'il faudra être très intelligent pour survivre à notre intelligence ». M. Barrette a également précisé qu'il existe plusieurs formes d'intelligence : celle qui nous permet de comprendre les lois de l'univers et de fabriquer des objets technologiques, et celle qui nous permet de choisir judicieusement comment se servir de la première.
M. Barrette a terminé sa conférence par quatre conclusions, en rappelant que le scientifique ne veut pas avoir raison : il veut la vérité.
Durant la période de questions, trois thèmes particulièrement intéressants sont ressortis.
Tout d'abord, une des personnes de l'assistance a demandé si l'évolution par sélection naturelle menait nécessairement à la complexification des êtres vivants. M. Barrette a répondu par une théorie de feu Stephen Jay Gould. (Note de l'auteur de ce compte-rendu : M. Gould était professeur et chercheur en géologie, biologie et histoire des sciences. Il a également écrit un grand nombre de livres de vulgarisation sur ces sujets.) Les premiers êtres vivants de la Terre sont sans doute des cyanobactéries. Les mutations, qui apparaissent spontanément et naturellement chez les êtres vivants, engendrent une tendance de la vie à se diversifier. Or, les bactéries sont, sans doute, les êtres vivants les plus simples possibles. Plus simple qu'une bactérie, une entité cesserait d'être vivante. Une telle entité appartiendrait alors à une zone grise entre le vivant et le non-vivant (comme les virus, par exemple). Les cyanobactéries ont donc eu deux possibilités :
Bref, la complexification des êtres vivants ne serait pas en soi une fatalité, mais serait plutôt la conséquence de la tendance de la vie à se diversifier, étant donné que les premiers êtres vivants d'une planète adopteraient la forme la plus simple qui soit possible pour la vie.
Précisons que le raisonnement précédent n'est valide que pour les cyanobactéries. Un être vivant ayant déjà atteint un certain degré de complexité pourrait évoluer en se simplifiant, tout en demeurant dans le règne du vivant. On a demandé à M. Barrette s'il existe des exemples d'évolution par simplification. M. Barrette a répondu que de tels cas existent, mais sont rares. Ce phénomène s'observe chez certains parasites, qui ont perdu certaines fonctions biologiques que l'hôte parasité accomplit pour eux.
On a aussi demandé à M. Barrette si l'évolution ferait en sorte que la taille du cerveau humain croîtrait davantage, de sorte que les humains des siècles futurs ressembleraient à ces extraterrestres à grosse tête de la science-fiction. M. Barrette a répondu par la négative. Pour qu'une telle évolution se produise, il faudrait que 2 conditions soient satisfaites.
Enfin, une autre personne de l'auditoire a parlé de l'équation de l'astronome Frank Drake. Cette équation a pour but de rendre explicites les données qu'il faudrait connaître pour calculer la probabilité de découvrir une civilisation extraterrestre technologique, en ce moment, dans notre galaxie. Étant donné qu'aucun des paramètres de l'équation n'est connu, nous ne pouvons que spéculer à partir de celle-ci : voir à ce sujet l'annexe à la fin de ce compte-rendu.
M. Barrette a ajouté que même si le nombre de civilisations extraterrestres était grand, les chances d'établir une communication avec elles sont très près du zéro. En effet, nous habitons une galaxie en forme de disque, la Voie Lactée, dont le diamètre est d'environ 100 000 années-lumière (une année-lumière représente la distance que franchit la lumière en une année). Dans une hypothèse optimiste où une civilisation extraterrestre serait à une distance de 1000 années-lumière de nous (ce qui, à l'échelle astronomique, représente le voisinage immédiat du Soleil), il faudrait 1000 années pour qu'un message parte de la Terre et se rende à destination (en voyageant à la vitesse de la lumière : 300 000 km/s, ou encore 1 milliard de km/h), puis un autre millénaire pour recevoir la réponse. Notre civilisation sera-t-elle toujours là dans 2000 ans? Si oui, les humains qui vivront alors se souviendront-ils qu'ils attendent la réponse à un message envoyé 2000 ans plus tôt?
(Note de l'auteur de ce compte-rendu : les étoiles ne sont pas uniformément réparties dans l'univers. Elles se regroupent en « îles célestes » que l'on appelle « galaxies ». Les astronomes estiment à environ 50 milliards le nombre de galaxies dans la partie observable de l'univers, ce qui représente autant de galaxies qu'il y a de secondes en 1500 ans.) D'autre part, nous pourrions être seuls dans la Voie Lactée. Si la civilisation la plus rapprochée se situait dans la galaxie spirale la plus rapprochée (la galaxie d'Andromède, à environ 2,5 millions d'années-lumière de la Voie Lactée), alors il faudrait 2,5 millions d'années pour qu'un message parte de la Terre et se rende à destination, puis un autre 2,5 millions d'années pour recevoir la réponse. (Note de l'auteur de ce compte-rendu : 5 millions d'années, c'est long dans l'histoire d'une espèce vivante! Rappelons que les tout premiers hominidés seraient apparus il y a, justement, environ 5 millions é d'années…)
Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier
Note de l'auteur de ce compte-rendu : cette annexe constitue un compte-rendu de la présentation que j'ai donnée au sujet de l'équation de l'astronome Frank Drake, devant les sceptiques du Québec, le 13 septembre 1998. Je me suis permis d'ajouter ce texte étant donné son lien avec la conférence de M. Barrette.
Soit l'équation suivante : N = n × p
« N » représente le nombre actuel de civilisations technologiques, maîtrisant les ondes radio, qui habiteraient notre galaxie la Voie Lactée, et avec lesquelles nous pourrions en principe - communiquer durant notre existence, en tant que civilisation technologique maîtrisant les ondes radio. (Nous supposons que la communication avec une civilisation extraterrestre se ferait par le biais des ondes radio, que nous utilisons déjà pour nos télécommunications. Les ondes radio voyagent à la même vitesse que la lumière.)
« n » est le nombre d'étoiles de la Voie Lactée (environ 200 milliards, soit autant d'étoiles qu'il y a de secondes en 6000 années - faites le calcul!)
« p » est la probabilité qu'une étoile donnée héberge une civilisation technologique maîtrisant les ondes radio. L'équation de Drake sert à calculer cette probabilité et se lit ainsi :
p = fp × nh × fl × fi × fc × ft
« fp » est la fraction des étoiles qui possèdent des planètes.
« nh » est le nombre moyen de planètes habitables par système planétaire.
« fl » est la fraction des planètes habitables sur lesquelles la vie est effectivement apparue.
« fi » est la fraction des planètes habitées sur lesquelles l'intelligence est apparue.
« fc » est la fraction des planètes habitées par des êtres intelligents sur lesquelles une civilisation technologique maîtrisant les ondes radio a émergé.
« ft » est la fraction de toutes les civilisations technologiques maîtrisant les ondes radio, qui sont apparues dans notre galaxie depuis la naissance de celle-ci, et qui existent maintenant.
ft = L / âge de la Voie Lactée
« L » représente longévité moyenne d'une civilisation technologique maîtrisant les ondes radio. L'âge de la Voie Lactée est d'environ 13 milliards d'années. Ainsi, si les civilisations technologiques finissent en général par s'autodétruire après, disons, un siècle d'existence (nous maîtrisons les ondes radio depuis environ un siècle), alors ft = 0,77 millionièmes de un pour cent. Autrement dit, il ne subsisterait plus aujourd'hui que 0,77 millionièmes de un pour cent de toutes les civilisations technologiques ayant émergé dans la Voie Lactée depuis la naissance de celle-ci.
Nous pouvons formuler quelques spéculations sur le nombre « N » de civilisations technologiques, maîtrisant les ondes radio, qui existeraient maintenant dans notre galaxie, et avec lesquelles il serait en principe possible de communiquer. « d » représentera la distance moyenne entre les civilisations; son calcul est basé sur le fait que la Voie Lactée forme un disque dont le diamètre est d'environ 100 000 années-lumière (1 a.l. = distance que parcourt la lumière en une année = 10 000 milliards de kilomètres, soit autant de kilomètres qu'il y a de secondes en 300 000 ans = 67 000 fois la distance entre le Soleil et la Terre).
Notons que les calculs qui suivent ne sont qu’approximatifs : ils supposent que la densité d’étoiles est uniforme dans tout le disque de la Voie Lactée, alors qu’en réalité cette densité diminue en allant du centre vers la périphérie, et ils négligent l’épaisseur du disque.
p (proportion de civilisations) | N (nombre) | distance (a.l.) | |
1 civilisation pour | 200 milliards d'étoiles | 1 civilisation | - |
1 civilisation pour | 2 milliards d'étoiles | 100 civilisations | 10 000 |
1 civilisation pour | 80 millions d'étoiles | 2 500 civilisations | 2000 |
1 civilisation pour | 20 millions d'étoiles | 10 000 civilisations | 1000 |
1 civilisation pour | 200 000 étoiles | 1 million de civilisations | 100 |
1 civilisation pour | 2000 étoiles | 100 millions de civilisations | 10 |
1 civilisation pour | 20 étoiles | 10 milliards de civilisations | 1 |
Remarque : si le nombre de civilisations technologiques qui existent en ce moment dans notre galaxie est inférieur à 2500, la civilisation la plus rapprochée de nous se situe au-delà de la plus lointaine étoile visible à l'oeil nu (Déneb, de la constellation du Cygne, située à environ 1600 a.l. du Soleil). Si la civilisation la plus rapprochée de nous se trouve à une distance 2000 a.l., cela signifie qu'il faudrait 2000 ans pour leur envoyer un message (comme « bonjour, comment ça va? »), et un autre 2000 ans pour recevoir leur réponse (comme « désolés, nous ne comprenons pas les langues terriennes », ou encore comme « désolés, il n'y a plus de service au numéro que vous avez composé. Nous nous sommes annihilés par la surpopulation, la pollution et la guerre, il y a de cela déjà quelques siècles »). Cet échange ne pourrait se faire, bien entendu, qu'à la condition d'avoir découvert, au préalable, la bonne étoile parmi les 320 millions qui se trouvent à l'intérieur d'un rayon de 2000 a.l. du Soleil (et dont seulement environ 4000 sont visibles à l'oeil nu). En passant, « 320 millions d'étoiles » représente un nombre d'étoiles égal au nombre de secondes qui s'écoulent en 10 années. Trouvez laquelle est la bonne ! (Un calcul statistique et géométrique complet démontrerait qu’il se trouverait en fait 3 civilisations extraterrestres à l’intérieur d’un rayon de 2000 a.l. du Soleil, pour un total de 4 civilisations en incluant la nôtre. Ce qui correspond bien à une proportion de 1 civilisation pour 80 millions d’étoiles.)
Pour terminer cette réflexion, ajoutons que des extraterrestres qui voudraient nous trouver et entrer en communication avec nous feraient face aux mêmes difficultés. Si ces extraterrestres voulaient, en plus, venir nous visiter en soucoupe volante, il leur faudrait en plus surmonter les difficultés inhérentes à un voyage interstellaire que la lumière elle-même prend plusieurs millénaires à accomplir.