L'absence de tolérance a toujours été à l'origine de nombreux conflits sur plusieurs plans. Victor Teboul s'est donné pour mission d'intégrer le sens critique dans le discours sur la tolérance. Il est l'instigateur du magazine sur Internet http://www.tolerance.ca/, qu’il publie depuis 2002. La création de ce site Web avait été motivée par la nécessité de sensibiliser la population, dans son ensemble, aux valeurs fondamentales qui nous caractérisent – et nous unissent – en tant que société démocratique.
Le sujet de la tolérance et des accommodements raisonnables continue de défrayer la chronique au Québec, au point que le gouvernement québécois, à la veille des élections, a jugé nécessaire de créer une Commission de consultation sur la question. Le groupe Tolerance.ca réfléchit sur ce sujet depuis de nombreuses années, comme en témoignent le contenu de son webzine et les nombreuses conférences qu’il a organisées sur les limites de la tolérance.
Victor Teboul détient un doctorat en Études françaises de l’Université de Montréal. Il a été professeur de littérature au Collège Lionel-Groulx pendant plusieurs années et a enseigné l’histoire des communautés culturelles à l’Université du Québec à Montréal. Natif d’Égypte, il a signé plusieurs ouvrages, dont La lente découverte de l’étrangeté, publié aux éditions Les Intouchables. Il nous entretiendra de ses livres et de son action qui vise à sensibiliser les Québécois à adopter des approches critiques par rapport à la tolérance et à la diversité.
Victor Teboul se fera un plaisir de discuter avec l‘auditoire et de participer à une séance de signatures après sa conférence. Ses ouvrages seront disponibles sur place. Outre Tolerance.ca, on peut consulter le site personnel de Victor Teboul.
L’animateur de la soirée, François Filiatrault, explique d’abord la raison d’être des Sceptiques du Québec. Cet organisme fait la promotion de pensée critique, en cultivant le doute constructif et la raison souriante, tout en exigeant que les allégations, paranormales ou autres, soient clairement démontrées. Les Sceptiques fêteront leurs 20 ans cette année. Les célébrations auront lieu au Théâtre Plaza et comprendront une réunion de socialisation avec « vins et fromages », suivie d’une rétrospective humoristique de Pascal Forget et d’une conférence sur les controverses scientifiques, donnée par Yves Gingras de l’UQÀM. Les billets sont en vente dès maintenant.
Restez l’esprit en éveil, rappelle Filiatrault, pour dénicher des candidats pour les prix Sceptique et Fosse Sceptique 2007. L’attribution de ces prix se fera au mois de décembre. Les Sceptiques seront par ailleurs présents au salon de l’aérotechnique de St-Hubert, l’Aérosalon, les 25, 26 et 27 mai prochain. Il y aura des participants majeurs de l’aérospatial, dont Bombardier et Pratt & Whitney. Nous y tiendrons un kiosque présentant notre version de la vie extraterrestre et des ovnis. On s’attend d’y rencontrer des milliers d’étudiants et curieux. Ce sera l’occasion de nous faire connaître par ceux que la problématique des ovnis intéresse.
L’animateur de la soirée brandit alors la photo d’un gentilhomme du 18e siècle, demandant à l’auditoire d’identifier le personnage. Une personne le reconnut immédiatement, « le comte de Saint-Germain », s’écria-t-elle ! Exact, et il est toujours vivant, poursuit Fiiatrault ! Il revit au Québec par les bons soins de Pierre Lessard, qui agit comme canal de communication avec l’esprit de l’extraordinaire comte. Un article de Michèle Ouimet du journal La Presse, a décrit l’organisation du Rayon Violet, guidée par le Maître presque tricentenaire, favori de la cour de Louis XV et qualifié par les historiens d’alchimiste et d’aventurier possédant certains « dons » de guérisseur.
Dans un climat propice, le vénérable comte s’introduit dans le corps de Pierre Lessard, en transe et prêt à le recevoir ; le processus est observé religieusement par des fidèles (et des curieux) dans un vaste local à Montréal. Lessard, laissant de côté son accent français québécois, s’exprime alors en vieux français révélant aux fidèles médusés la sagesse intemporelle du comte de Saint-Germain : la paix intérieure, l’âme unie au tout, et la réincarnation (de gens riches et célèbres, pas d’un modeste serviteur tout de même).
Ces séances sont calquées sur les exercices de « canalisation » avec des anges, Jésus ou Bouddha, très courus aux États-Unis. Elles sont ouvertes au public tous les lundis soirs au prix de 20 $ par personne pour les quelque 100 fidèles présents, une soirée très rentable pour les suppôts du comte présumé éternel. Lessard offre aussi d’autres services populaires, telles des lectures d’âme à 100 $ et la description de vies antérieures (« j’étais architecte, ingénieur et amiral en Égypte ancienne », selon un témoignage rapporté par La Presse).
Il y aurait à Montréal entre 5 et 10 organismes qui offrent des séances semblables de canalisation. N’allons pas croire que ces séances n’intéressent que des naïfs sans instruction. Au contraire, elles attirent aussi des individus à haut niveau d’instruction occupant des emplois importants dans l’administration publique et privée.
Filiatrault fait ensuite l’éloge du numéro hors série du Courier International, parution récente, dont le contenu s’articule sous la rubrique « Au nom de Dieu ». Ce numéro dresse un portrait de l’état des religions dans le monde. Classée par continent, cette mosaïque religieuse nous confond par sa complexité. Plans, photos, caricatures accompagnent des articles courts et percutants, écrits par d’excellents journalistes qui présentent le fait religieux de façon objective et sous l’angle sociologique. À lire.
Notre animateur termine ses actualités sceptiques en nous signalant la présence à Montréal de Jacques Bouveresse, qu’il qualifie de « très grand épistémologue ». Ce dernier vient de publier un livre qui s’intitule « Peut-on ne pas croire ? Sur la vérité, la croyance et la foi », que Filiatrault n’a pas encore lu, mais il compte bien se le procurer. Bouveresse rencontrera le public à l’occasion de la présentation de son dernier livre et d’une prochaine conférence sur la question du pluralisme philosophique et du choix entre les systèmes philosophiques. On trouvera d’ailleurs dans Le Devoir un excellent compte-rendu de son dernier ouvrage. « Est-on tenu de respecter toutes les formes de croyances ? », s’interroge Bouveresse, « Même celles qu’on juge moralement inacceptables ? ». On se doute bien qu’il répondra par la négative en fustigeant le relativisme postmoderniste, dont profitent largement les croyances religieuses et même parfois défendu par des incroyants au nom d’un certain besoin de sacré ou de transcendance.
Sur un ton anecdotique, Teboul signale que le terme de «Québécois» pose en soi un problème, car le mot semble parfois évoquer une question, comme si on demandait : Québec …quoi ?
La notion de « Québécois », faut-il préciser, rappelle Teboul, est relativement récente, désignant d’abord en 1960 les Canadiens dits « français ». À la fin des années 1960, un parti politique s’arrogea même cette désignation prétendant représenter les aspirations de tous les Québécois, même si René Lévesque, un des fondateurs de cette formation, lui-même reconnaîtra que c’était un peu prétentieux.
En tant qu’immigrant, il y avait de quoi se réjouir, car le terme de «Canadien français», plus restrictif, désignait davantage une ethnie qu’une nationalité. Avec l’arrivée du terme «Québécois», on passait alors à une désignation d’ordre territorial. Car tout habitant du territoire québécois pouvait alors s’y identifier. Si Teboul s’interrogeait, à son arrivée, s’il pouvait un jour devenir canadien français, voilà que le terme de «Québécois», plus englobant, lui apportait une réponse à ses interrogations. D’ailleurs, précise le conférencier, le mouvement souverainiste s’ouvrait aussi aux autres ethnies, Lévesque répètera souvent à ceux qui estimaient encore que le terme de «Québécois» désignait un seul groupe que tous ceux et toutes celles qui payaient leurs taxes au Québec étaient des Québécois.
À l’inverse, le terme de «Canadiens français» était si étroitement associé aux catholiques parlant français, se souvient Teboul, que lorsqu’il révélait son identité juive à ses interlocuteurs, certains d’entre eux réagissaient en répondant qu’il était sans doute un juif catholique puisqu’il s’exprimait en français !
Langue et religion étaient inextricablement liées.
Ajoutons à cela que le français qu’il parlait était différent du français québécois. Né en Égypte, où il a passé son enfance dans un environnement multilingue, il a séjourné quelques années en France au début de son adolescence. Imprégné de l’accent parisien, Victor Teboul s’exprimait dans un langage qui accentuait les obstacles culturels d’adaptation au Québec français. Et on ne manquait pas de lui poser des questions sur ses origines. Un étranger parlant français était à l’époque plutôt une exception. Cela, reconnaît-il, aurait été plus facile de devenir anglophone. On lui posait moins de questions sur sa différence. Le milieu anglophone était plus habitué à une certaine forme de pluralisme, et l’accessibilité aux études, plus particulièrement aux cours du soir conduisant à un diplôme reconnu, était également davantage facilitée dans les milieux anglophones, notamment à l’Université Sir George Williams, devenue depuis, l’Université Concordia. Il n’était pas facile de s’intégrer non plus dans le milieu de travail francophone. Teboul évoque d’ailleurs cette période avec humour et ironie dans son roman Que Dieu vous garde de l’homme silencieux quand il se met soudain à parler publié aux éditions Les Intouchables.
Depuis, reconnaît le conférencier, les choses ont heureusement beaucoup changé.
Teboul relève toutefois un paradoxe entre, d’une part, l’esprit de tolérance des Québécois, reflété d’ailleurs dans les lois et les actes officiels du Québec, et, d’autre part, une certaine réticence à inclure les Québécois d’une autre origine que canadienne-française dans la définition que l’on projette de la nation québécoise.
Afin de cerner cette définition ainsi que le rapport à l’«autre», Teboul note qu’il est important de tenir compte de l’histoire du Québec et des tensions qui se sont manifestées entre les groupes. L’histoire tient une importance appréciable dans le développement du sens d’appartenance. Appartenir à une nation, c’est aussi faire sienne son histoire, ajoute Teboul. C’est aussi inclure dans son identité les luttes qui ont permis de changer les mentalités. Ces faits historiques lui servent de points de repères identitaires.
Ainsi, note Teboul, le Québec accorde des droits politiques aux Juifs dès 1832, et devance, à cet égard, la Grande-Bretagne de 25 ans même, si comme on le sait, Ezéchiel Hart, le premier député juif à être élu par des Canadiens français à l’Assemblée législative du Québec, sera exclu de la Chambre par ses pairs.
Il y eut, cependant, dans l’histoire du Québec, des périodes moins heureuses. Victor Teboul rappelle, à titre d’exemple, l’exclusion dont sera victime, le jeune médecin juif, Samuel Rabinovitch, qui fut engagé en 1934 comme interne à l’hôpital Notre-Dame de Montréal. Il a été rejeté par les internes canadiens-français qui déclenchèrent une grève pour exiger son renvoi parce qu’il était juif. Bien que ces moments d’exclusion ne soient ni spécifiques ni exclusifs au Québec, précise Teboul, on sent toujours un malaise lorsqu’on les évoque.
Heureusement, une voix québécoise, celle d’Olivar Asselin, s’éleva pour dénoncer à la une du journal L’Ordre cet antisémitisme flagrant. D’autres Québécois dénonceront aussi l’antisémitisme de cette période, tel Jean-Charles Harvey dans son journal Le Jour. «Olivar Asselin, Jean-Charles Hervey, sont, pour moi, des points de repère», explique le conférencier. Et aussi des figures phares, ajoute-t-il, car ils ont lutté pour apporter des changements dans les mentalités. Ainsi, les Rabinovitch et d’autres qui ont été victimes d’exclusion, ici comme ailleurs, n’étaient pas seuls, rappelle Teboul qui a d’ailleurs consacré un ouvrage à Jean-Charles Harvey et à son journal Le Jour (Le Jour. Émergence du libéralisme moderne au Québec, paru aux Éditions HMH).
Teboul s’est personnellement intéressé à l’histoire du docteur Rabinovitch. Il a fouillé sa correspondance et est même entré en contact avec le médecin dans les années 1990, alors que ce dernier continuait de pratiquer sa profession à un âge bien avancé.
«Je me suis intéressé à l’histoire des idées pour comprendre les luttes qui ont contribué à faire évoluer le Québec, au-delà des frictions avec le Canada anglais, qui ont trop souvent monopolisé le récit de cette histoire», précise-t-il.
Teboul a aussi questionné la littérature québécoise. «J’avais parfois l’impression d’écouter des indiscrétions lorsque je lisais les romans écrits antérieurement aux années 1960», avoue-t-il. Il avait l’impression, dans les années 1960, en lisant certains romans québécois qu’ils avaient été écrits pour être lus par des Canadiens français, comme si leurs auteurs ne pensaient pas qu’ils auraient pu être lus par d’autres francophones ou même par des lecteurs parlant une autre langue que le français.
Lorsqu’il préparait sa maîtrise en littérature à l’Université McGill, il avait décidé de rédiger son mémoire sur l’image du Juif dans la littérature québécoise et l’éminent critique, Jean Éthier-Blais, professeur à cette université, avait accepté de la diriger. Ses recherches le conduisirent à analyser la revue L’Action française que dirigeait l’abbé Groulx ; mais il dut modifier ses thèses originales, car M. Jean Éthier-Blais avait beaucoup de difficultés à accepter ce que les recherches de Teboul révélaient. Pourtant, se rappelle Teboul, M. Éthier-Blais avait une grande ouverture à l’égard de ceux qui étaient d’une autre origine que canadienne-française.
Son premier essai Mythe et images du Juif au Québec ne ressemblait donc pas du tout à son mémoire de maîtrise. Sa publication fit l’effet d’une bombe. Le livre fut publié tandis que le Parti québécois venait de prendre le pouvoir en 1976, et dans certains milieux, on pensait même que la publication de l’ouvrage avait été orchestré par la communauté juive anglophone.
Il n’était pas facile de critiquer la littérature québécoise, se rappelle Teboul. «Je découvrais que la littérature aussi pouvait véhiculer des stéréotypes. Ce fut difficile, reconnaît-il, de critiquer les œuvres littéraires du Québec, elles appartenaient presque à un domaine intouchable.» Il avait le sentiment que la littérature – tout comme l’histoire – était une des cordes sensibles de l’identité québécoise, comme si en dénonçant certaines images des étrangers - et celle des juifs en particulier - qu’elle véhiculait, on remettait en question une certaine pureté, une certaine innocence du Québec.
Un des rares écrivains à avoir franchement accepté cette critique fut l’écrivain Yves Thériault qui lut, avec un certain plaisir, l’ouvrage de Teboul. Il exprima sa pensée avec une sincérité désarmante, se rappelle Teboul.
« Pensez que nous y passons à peu près tous, même Gabrielle Roy, même Laurendeau, et je l'ai déjà nommé, Yvon Deschamps. Romanciers, critiques littéraires, critiques de cinéma, essayistes, éditorialistes, et jusqu'à Lionel Groulx. L'épluchage a été total, les citations abondantes et bien commentées (...) un livre aussi révélateur que fascinant. » a-t-il écrit dans Le Livre d’Ici. (Vol. 3, No 40, 1978-07-12, p.1.)
L’accueil que Thériault fit à l’ouvrage incita Teboul à rencontrer l’auteur d’Aaron. Il obtint sa participation à la série sur la communauté juive qu’il préparait pour Radio-Canada et enregistra un entretien d’une heure avec l’écrivain qui fut diffusé dans le cadre de la série que Teboul animait à la radio d’État.
Le conférencier s’est aussi attardé à l’analyse de certains monologues d’Yvon Deschamps. «C’est un grand humoriste qui sait utiliser l’humour pour nous faire réfléchir», reconnaît Teboul. Ses commentaires provocants visent à nous sensibiliser à nos propres comportements. Il y réussit souvent, ajoute Teboul, mais pas toujours. À preuve, son monologue intitulé Histoire sainte : la création des années 1970.
Yvon Deschamps a critiqué, dans ses célèbres monologues, tous les stéréotypes accolés à divers groupes sociaux, les femmes, les hommes, les handicapés, les syndicats, les minorités. Mais des membres de ces groupes étaient toujours présents dans la salle, lors des représentations, et Deschamps pouvait évaluer leurs réactions. D’ailleurs, lorsqu’on écoute les enregistrements des spectacles, on découvre que Deschamps entretenait (comme il le fait encore) des rapports d’interaction avec son auditoire. Sauf pour les juifs, en grande majorité anglophones, qui sont absents, lors des représentations de l’humoriste.
Teboul éprouva le besoin de rencontrer Deschamps et de l’interroger sur ses monologues. Il rencontra le célèbre humoriste, à la fin des années 1980. Réalisée dans les années 1980, l’interview, dont quelques extraits suivent est demeurée inédite, les grands quotidiens québécois ayant refusé de la publier.
Teboul aborda plusieurs aspects avec Yvon Deschamps. À propos de la spécificité de l’humour québécois, l’humoriste déclarait :
- La spécificité de tout humour est la même partout. On parle toujours des mêmes thèmes, mais l’humour est véhiculé par des êtres différents qui ont une culture différente, et finalement disent toutes les mêmes choses, mais avec des petites nuances. Si je regarde les Français ou les Américains à partir des années 1950, on a tous écrit sur les mêmes affaires, sauf qu’on a des différences, parce que notre quotidien est différent. Si tu prends l’humour juif, par exemple, tu vas t’apercevoir que l’humour québécois lui ressemble beaucoup. Parce qu’il y a toujours une espèce de culpabilité en arrière de tout. Tu as peur d’être trop riche, d’être trop bien, d’être fin. Tu te sens coupable quand ça va bien. Tu te dis : il va sûrement arriver quelque chose.
V.T : - Est-ce que l’humour juif, celui de Woody Allen, par exemple, vous a influencé ?
Yvon Deschamps : - Il est assez spécial de penser que l’humour américain est majoritairement juif. Et j’ai été influencé par cet humour là. C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle.
V.T. : - Avez-vous eu des problèmes avec des gens qui prenaient votre humour au premier degré ?
Y.D. : - Certainement, j’en ai eu beaucoup ! Je dois l’accepter, je n’ai pas de sous-titres. Je présente des personnages avec des défauts et des travers importants, sans rien expliquer. Je ne suis pas un preacher, mais un comique. Quand j’ai fait L’intolérance , qui est un monologue très dur qui finissait sur l’intolérance face aux juifs, ils disent qu’on a été banni de tous les Miracle Mart (magasins à grande surface, propriété de la famille Steinberg). Et j’ai eu une poursuite de la société B’nai Brith. Après avoir écouté mon monologue comme il faut, ils ont réalisé que c’était un pamphlet contre l’intolérance. Je me rappelle que je faisais une fois un monologue qui s’appelait Nigger black. Je ne savais pas qu’il y avait plein de Noirs dans l’auditoire et tous les gens riaient autour d’eux. Les Noirs sont montés sur la scène et je n’ai pas pu finir mon monologue.
V.T. : - Ce dernier monologue était-il raciste ?
Y.D. : - Mais pas du tout. C’est un peu ce que Lenny Bruce faisait dans les années 1950. C’est de présenter, de mettre les gens devant un défaut énorme qui est là, qui fait partie de leur vie, mais qu’ils n’acceptent pas. Ils ne le voient pas. Il faut que tu le mettes assez gros pour qu’ils le voient.
Teboul note qu’au cours de l’entretien il fait remarquer à l’humoriste qu’il semble vouloir susciter chez le Québécois une prise de conscience de ses propres préjugés. Pourtant, fait-il signaler à Deschamps, dans le monologue sur la création, le Juif, incarné par le patriarche Abraham, est prêt à tout pour faire de l’argent – même à tuer son propre fils.
V.T. : - Comment expliquez-vous ça ?
Y.D. : - C’est le même processus, sauf que c’est en trois lignes. C’est la vision qu’on peut avoir qu’un Juif est quelqu’un qui veut faire de l’argent.
V.T. : - Y croyez-vous ?
Y.D. : - Mais, non ! C’est dans nos mœurs. C’est difficile de se débarrasser de cette image-là.
Deschamps tente de neutraliser cette image, commente Teboul dans sa conférence, et non pas de la renforcer. Elle reflète ce que les gens pensent, mais Deschamps la grossit pour en faire voir le ridicule. Et les gens rient toujours…
Y.D. : - Si je parle de la violence du gars qui bat sa femme, les gens rient. Cela ne veut pas dire qu’ils n’y pensent pas par après. Mais, sur le coup, ils sont engagés dans un processus de rire. C’est un processus dont j’ai la maîtrise et que je mène à ma guise au cours d’un spectacle.
Teboul mentionne que les Juifs sont rarement présents dans la salle lorsqu’on rit d’eux. Deschamps répond qu’il n’y peut rien.
Ici, note Teboul dans sa conférence , nous faisons face à une réalité qui n’est pas encore résolue et qui est au coeur même de l’idée d’identité, car comment inclure un groupe qui est peu présent dans certaines manifestations culturelles très populaires auprès des francophones ?
D’autres facteurs contribuent à l’ambiguïté de l’identité québécoise, poursuit Teboul. Mentionnons ce tiraillement constant entre l’identité québécoise et canadienne. On entend souvent l’expression « au Québec et au Canada », plutôt que « au Québec et dans le reste du Canada », comme si ces deux concepts formaient deux réalités distinctes, note Teboul. Un nouvel arrivant doit donc composer avec cette ambivalence et réaliser qu’au Canada et au Québec existent deux nations.
Lorsqu’il a obtenu la citoyenneté canadienne, la cérémonie d’assermentation à laquelle il a assisté l’a inspiré à décrire une scène semblable dans son roman Que Dieu vous garde de l’homme silencieux quand il se met soudain à parler. Les paroles mêmes de l’hymne national canadien portent des messages très différents selon la langue, encore aujourd’hui, précise Teboul. En français, les paroles « porter la croix » et « foi trempée » dévoilent un passé glorieux et religieux. En anglais, c’est un chant à la gloire des rivières, des sapins et des grands espaces.
Le dernier couplet en français constitue une déclaration sans ambages liant la fierté d’être canadien à la religion chrétienne (et catholique) par ses paroles : « Amour sacré du trône et de l’autel », « Parmi les races étrangères, notre guide est la foi », et finalement, « Pour le Christ et le Roi ». Les immigrants de religion différente pourraient effectivement s’interroger sur le pluralisme canadien dont on fait régulièrement l’éloge, ironise Teboul dans son roman.
Plus on tente de cerner cette identité québécoise, plus elle fuit, suggère Teboul.
Le conférencier rappelle quelques faits dont la dernière résolution votée par le parlement canadien qui reconnaissait la nation québécoise dans un Canada uni : « That this House recognize that the Québécois form a nation within a united Canada ». Pourquoi a-t-on utilisé le terme « Québécois » dans la formulation anglaise de la motion ? s’est-on interrogé dans les médias. Pour ne pas forcer ceux qui ne se sentent pas québécois d’adopter cette identité, a expliqué un ministre du gouvernement fédéral. On aurait donc le choix d’être ou de ne pas être québécois…
De plus, l’Assemblée nationale du Québec avait déjà adopté à l’unanimité une motion proclamant que le peuple québécois formait une nation.
Le terme « Québécois » semble, par ailleurs, s’appliquer difficilement aux Québécois d’origine étrangère. Dans le cadre d’une émission du populaire talk show québécois, Tout le monde en parle, diffusée en hiver 2007, le premier ministre du Québec, Jean Charest, identifiait, la députée Fatima Houda-Pépin comme une «Marocaine d’origine musulmane» signale Teboul à titre d’exemple.
Un autre secteur que l’on a peu l’habitude de remettre en question au Québec est le secteur des médias, et en particulier le rôle des journalistes. Si l’on compare le moindrement les médias anglophones aux médias francophones, on s’apercevra très vite de la différence. Contrairement aux médias francophones, les médias anglophones ne donnent pas la parole à des individus parce qu’ils font partie d’un groupe ethnique. On voit chez les anglophones des individus appartenant à divers groupes ethnoculturels s’exprimant en fonction de leurs occupations et non en tant que membres d’une communauté culturelle. Ils représentent même souvent l’identité canadienne. Pensez à des animateurs de la télévision de Radio-Canada, tel George Stroumboulopoulos par exemple ou à tant d’autres journalistes ou animateurs dont les noms n’ont aucune consonance canadienne-anglaise «de souche». Cela est beaucoup plus rare dans nos médias, et ce trente ans après l’adoption de la Charte de la langue française qui a poussé les jeunes issus de l’immigration dans les écoles francophones. Les Masbourian, les Nuovo et les Foglia demeurent encore une exception.
De plus, dans les émissions d’information ou d’affaires publiques, les médias francophones ne donnent la parole à des Québécois d’autres origines ethniques que dans des moments de crise. Une exception récente qui confirme la règle a été la couverture des événements tragiques au cégep anglophone de Dawson. On put alors constater que plusieurs Québécois allophones pouvaient aussi s’exprimer adéquatement en français. Les médias ont donc un rôle à jouer pour élargir la notion d’identité québécoise.
Exception faite des artistes appartenant aux communautés noires, Teboul considère que les professionnels de ces mêmes groupes sont absents des informations télévisées, tels les médecins, les enseignants, les infirmiers, les directeurs d’écoles… Pourtant, les Québécois d’autres origines prennent part à la vie sociale et économique de tous les jours, et ont le droit de la commenter sans rapport à leur ethnicité ou à leur religion. Teboul déplore aussi l’habitude qu’ont les médias francophones de rechercher l’avis des porte-parole; ils devraient interroger les individus plus souvent.
À voir aussi fréquemment les membres de communautés culturelles prendre la parole lors de crises ou de controverses culturelles, telle celle des accommodements raisonnables, on pourrait facilement conclure qu’ils seraient la source du problème. D’autant plus que les journalistes qui les interrogent sont presque exclusivement des Québécois de souche.
Teboul s’interroge sur l’intérêt qu’il porte à la multiethnicité et estime que sa ville natale a sans doute été à l’origine de cette sensibilité qu’il éprouve pour le pluralisme. Forcé, à cause de la guerre, de quitter Alexandrie, durant une enfance qui a baigné dans une atmosphère multilingue et cosmopolite, le conférencier voit un parallèle entre Alexandrie et Montréal. Il en a tiré d’ailleurs le roman La lente découverte de l’étrangeté dans lequel il décrit son enfance méditerranéenne. Mais ce roman est aussi le récit d’une rupture, causée entre autres par une certaine indifférence à l’égard d’une majorité et de sa culture, qui n’a cessé de s’accentuer jusqu’au départ inévitable d’Égypte, explique-t-il.
Dans La lente découverte de l’étrangeté, il tente de cerner les raisons qui ont rompu l’aspect cosmopolite d’Alexandrie. Il évoque l’éveil légitime du nationalisme égyptien qui n’a pas su inclure les membres d’autres communautés ethnoculturelles établies là depuis longtemps. Rappelons que plusieurs de ces groupes seront chassés d’Égypte au milieu des années 1950 à la suite de la guerre de Suez, sous prétexte qu’ils ne possédaient pas la nationalité égyptienne.
«Je me suis aperçu en écrivant ce roman, avoue Teboul, combien mon père n’éprouva jamais de rancune à l’endroit des Égyptiens et des injustices qu’il eut à subir durant ces moments difficiles. Au cours des événements de Suez, plusieurs centaines de juifs, dont mon père, furent jetés en prison, parce qu’ils ne détenaient pas de passeport égyptien et parce qu’ils étaient juifs. Si je n’ai jamais vraiment pardonné aux responsables ce qu’ils lui ont fait subir, je n’ai jamais entendu mon père proféré une quelconque injure à l’endroit du peuple égyptien», se rappelle-t-il.
Ainsi, dans La lente découverte de l’étrangeté se noue aussi un dialogue entre un père et son fils, dialogue duquel se dégagent deux perceptions d’une même rupture.
Même si, dans ce dernier roman, Teboul n’avait pas l’intention de plaider en faveur de la tolérance, un événement d’actualité lui donnera l’occasion de réfléchir sur cette problématique. Cet événement fut l’affaire Michaud. Cet aspirant candidat du Parti québécois dans une élection complémentaire et membre important de cette formation politique avait exprimé des propos considérés blessants à l’égard du peuple juif, et en particulier envers le B’nai Brith qu’il accusait d’être une organisation extrémiste. Une motion de blâme, adoptée unanimement par l’Assemblée nationale, le condamnera pour ses propos jugés racistes, en décembre 2000. Le gouvernement du Parti québécois désirant ainsi se dissocier clairement de toute accusation de racisme.
Teboul considérait cette réaction démesurée. À son avis, elle brimait sévèrement les droits fondamentaux de liberté d’expression d’Yves Michaud. Teboul fut étonné qu’aucun organisme de défense des droits, à l’exception des sympathisants de Michaud, ne s’élevât pour protester.
Il jugea aussi choquante et fausse la déclaration de la présidente du Congrès juif canadien qui avait clairement associé l’idée de souveraineté à l’intolérance. Le gouvernement du Parti québécois n’avait-il pas, un an plus tôt, proclamé pourtant une journée commémorative de l’Holocauste ? Sans compter qu’un ex-représentant officiel de la communauté juive occupait un poste clé au sein même du cabinet du Premier ministre souverainiste.
La condamnation des propos de Michaud par l’Assemblée nationale constituait donc une forme de censure politique. Michaud aurait dû être sévèrement critiqué plutôt qu’officiellement condamné, reconnaît Victor Teboul. Cela lui aurait permis de corriger ses propos ; ce qu’il a d’ailleurs fait plus tard. Toute l’affaire transpirait de rectitude politique, aux dépens de droits fondamentaux. Teboul intervint dans la polémique qui suivit la motion de l’Assemblée nationale en publiant, dans Le Devoir, un article sur la tolérance, intitulé «La tolérance et ce qu’elle implique». (6 janvier 2001, p. A9.)
Ces événements suggérèrent à Teboul de créer un outil de réflexion sur la tolérance, tout en faisant valoir la tension saine et productrice de la critique. Bien que tolérance signifie le respect de la liberté de penser et d’agir d’autrui, elle ne peut réussir à s’imposer sans interaction et compréhension, car elle doit susciter une évolution de part et d’autre. Cela n’apparaît possible qu’en valorisant le sens critique et la libre discussion qui ont permis à notre société d’avancer, rappelle Teboul. On devrait aussi insister plus sur les réalisations de la société québécoise, réalisations accomplies dans l’harmonie, mais grâce à des débats vigoureux et parfois violents faut-il le reconnaître, si l’on pense à l’épisode du FLQ et à la crise d’Octobre 1970. Mais ce sont là des moments épisodiques qui ne caractérisent nullement notre société.
Cet outil de réflexion et d’information critique a pris la forme du magazine Tolerance.ca, publié sur Internet depuis 2002. Ce magazine publie des reportages, des enquêtes et des articles de fond sur les grands enjeux qui interpellent aujourd’hui nos sociétés et auquel contribuent des spécialistes et des penseurs du Canada et de l’étranger. On y privilégie l’échange d’idées – la confrontation même de certains points de vue opposés – dans le but de parvenir à une meilleure compréhension et ainsi faire évoluer les mentalités. Connaître les autres cultures et les accepter ne signifie pas qu’il faille tout accepter d’elles, surtout si elles vont à l’encontre d’acquis fondamentaux, telle l’égalité entre les hommes et les femmes.
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Ce « webzine » sur la tolérance aborde différents thèmes, dont une série sur les grandes figures de la tolérance qui ont fait évoluer la société québécoise et canadienne vers cet idéal de tolérance active, tels Charles Taylor, Lucille Teasdale, John Humphrey ou l’avocat Julius Grey.
Dans la rubrique Campus et Campus Mag, Tolerance.ca propose des articles écrits parfois aussi par des étudiants de différents collèges et universités, mais édités par des professionnels. On y traite des sujets de l’heure qui préoccupent les étudiants, tels le multiculturalisme, le féminisme, l’homosexualité, le racisme et la diversité religieuse.
Dans d’autres rubriques, des points de vue minoritaires y sont aussi largement représentés, comme celui de Yakov Rabkin qui a publié une histoire de l’opposition juive au sionisme.
Mais, cette indépendance se fait parfois aux dépens d’une certaine sécurité financière. Pour qu’on puisse s’exprimer librement, il faut en avoir les moyens. Si on veut obtenir l’appui des gouvernements ou celui d’autres partenaires, il faut aussi que ces derniers reconnaissent la nécessité de promouvoir ce sens critique. Or, lorsque vous devez la plupart du temps montrer que vous disposez d’appuis auprès des «communautés culturelles», admettons que cela soit plutôt difficile si vous remettez en question certaines thèses chères à ces mêmes communautés.
Ceux et celles qui se préoccupent de préserver les valeurs fondamentales de notre société, telle la liberté d’expression, devraient se pencher sur le pouvoir grandissant qu’exercent les groupes sur les individus et sur les moyens mis à la disposition de ces groupes par les autorités. Dans cet esprit, Tolerance.ca privilégie des partenariats qui permettent de promouvoir le libre échange d’idées dans un contexte où l’on peut exercer son esprit critique. Il tente ainsi de contrecarrer les nombreux groupes de pressions qui exercent leur influence pour limiter la liberté d’expression et la libre discussion, conclut-il.
On dit qu’à Montréal, la pauvreté et l’intégration des nouveaux arrivants contribueraient majoritairement aux piètres résultats scolaires, reliés aussi possiblement à la récente réforme scolaire. J’en doute moi-même, ajoute un membre de l’auditoire. Pourriez-vous commenter ?
Teboul précise d’abord que beaucoup d’efforts ont été faits à l’école pour intégrer les immigrants. En tant qu’ancien membre du Conseil supérieur de l’éducation, Teboul rappelle qu’il a participé à plusieurs comités dont un qui a travaillé sur les difficultés résultant du pluralisme culturel et des différences de capacités d’apprentissage chez les élèves. On a quand même réussi à intégrer les jeunes dans la culture québécoise, fait remarquer Teboul. À comparer à la France, on a l’avantage de ne pas avoir eu de passé colonial. Il y a plus de révolte à l’identité française qu’à l’identité québécoise dans les communautés culturelles de chacune de ces deux nations. Bien intégrés au milieu québécois, ces mêmes jeunes doivent aussi parfois évoluer dans un milieu culturel différent de leurs parents, qu’ils contribueront d’ailleurs à influencer vers plus d’intégration. On a aussi, au Québec, réussi à valoriser les langues d’origine plus qu’autrefois. En connaissant mieux ses racines, le jeune peut aussi mieux s’intégrer, ce qui aide à combattre la ghettoïsation.
Le cinéaste Jacques Godbout, poursuit Teboul, a évoqué une vision catastrophiste de la jeunesse dans un récent numéro de la revue L’Actualité. Celui-ci considère que les jeunes n’ont plus de repères historiques et sont portés plus sur le divertissement que sur le contenu. Teboul n’est pas d’accord avec Godbout sur ce sujet. À son avis, on peut apprendre en se divertissant, comme le démontre l’émission de grande écoute Tout le monde en parle de Radio-Canada. Les propos racistes du Doc Mailloux à cette émission ont d’ailleurs fait réagir les membres de la communauté noire à une émission subséquente.
L’éducation des masses se poursuit par ces émissions de divertissements ; on voit que la société québécoise a changé, qu’elle n’accepte plus les stéréotypes d’autrefois. On ne s’en va pas vers la catastrophe, comme le prétend Godbout, mais vers un climat de saine discussion et de remise en question que Teboul considère typique au Québec et qui permet le progrès.
Cette valeur de la confrontation des idées se manifeste, par exemple, dans la controverse sur le port du voile à l’école. Le juriste Julius Grey préconise le maintien de la liberté de porter le voile parce que cela provoque un questionnement direct de cette pratique chez certaines musulmanes.
Plutôt que de garder cette pratique cachée, on la soumet à l’expression de différents points de vue qui pourraient conduire à son abandon volontaire. La littérature québécoise y fait d’ailleurs écho avec les Tremblay, Aquin et autres auteurs. Cette critique permet de découvrir des réalités qui autrefois étaient cachées dans le placard, termine Teboul.
Selon certaines études scientifiques menées en Amérique du Nord et bien cotées, les Juifs auraient un quotient intellectuel supérieur aux autres ethnies, surtout par rapport à l’intelligence verbale, propose un auditeur au commentaire du conférencier.
Ce dernier hésite à élaborer sur le terrain glissant d’une prétendue supériorité de quelque groupe que ce soit. Chaque groupe, dépendant des circonstances, a pu développer certaines caractéristiques plus que d’autres groupes. Chez les hassidim, par exemple, on insiste beaucoup sur la lecture, la prière et la mémorisation des textes sacrés. On sait par ailleurs qu’il y a eu une forte proportion de prix Nobel remportés par des Juifs. Certaines habiletés spéciales sont sans doute dues à l’environnement historique. Par exemple, à une certaine époque, les Juifs ne pouvaient pas posséder des terres. Ils ont dû se développer autrement.
Il y a une certaine affirmation nationale au Québec, mais la société demeure plurielle. Comment voyez-vous la situation de l’immigrant qui trimbale sa première identité, que le Québec semble avoir de la difficulté à intégrer ? Cette affirmation pourrait être ressentie comme rejet, avance une auditrice.
D’abord, précise Teboul, il ne faut pas se considérer immigrant, surtout après des années d’efforts d’intégration, comme dans son cas. Pourtant, contrairement aux médias francophones, les médias anglophones utilisent des mots englobants dans leurs propos sur les communautés culturelles : ils les considèrent tous des Canadiens d’abord et avant tout. Ils ne mettront pas de l’avant qu’ils sont d’origine pakistanaise ou autre. Les intervieweurs anglophones ne les questionnent pas parce qu’ils sont de telle ou telle origine, mais plutôt parce que ce sont des professionnels oeuvrant au sein de la société canadienne.
Il est vrai que le français est associé à des territoires, alors que l’anglais n’est plus associé à une région spécifique. Tout le monde parle l’anglais. Aux États-Unis, par exemple, les Américains hispaniques s’identifient comme Américains. Leur identité hispanique s’ajoute à la réalité américaine englobante. Au contraire, au Québec, les identités ethniques semblent s’exclure, au lieu de s’additionner. On considère que l’immigrant est de telle origine plutôt que Québécois en devenir ou déjà Québécois.
Le terme « Québécois » lui-même pose problème. Pourquoi a-t-on du mal à l’appliquer à d’autres ethnies habitant le Québec, donc québécoises ? D’un autre côté, les gens d’autres origines ne s’identifient pas nécessairement comme québécois. Il y a donc un effort à faire, de part et d’autre, pour accoler le terme «Québécois» à une autre identité. Si les Québécois le faisaient plus naturellement, les autres ethnies finiraient par y croire aussi, s’exclame Teboul !
Les médias devraient cesser de perpétuer cette ghettoïsation dans le vocabulaire même. Évidemment, une partie du problème réside dans le fait que l’identité québécoise elle-même est incertaine, non complètement réalisée.
Le repli sur soi, la montée de la droite est un phénomène mondial, poursuit l’auditrice, et le Québec n’y échappe pas. Elle considère qu’il y avait plus d’acceptation de la société québécoise dans les années 1970. Cette société s’est affirmée nationalement, mais elle n’a pas d’État politique. C’est plus difficile de laisser de la place aux autres nationalités que dans un État bien établi depuis longtemps. Quelles seraient les pistes de solution, s’enquiert l’auditrice ?
L’idée de Godbout sur la « nation en disparition » fait partie du questionnement, mais ce ne devrait pas être le seul discours que l’on entende, précise Teboul. Cela devrait être complété par des immigrants (qui ne le sont plus, et ne devraient pas être identifiés comme tels par les médias) donnant leur vision du Québec, en tant que Québécois de plein titre. Ces nouveaux Québécois ont tous besoin de travailler, d’avoir un logement, d’être protégés par un syndicat, etc. Ils ne sont pas avant tout des membres de communautés culturelles, mais des Québécois comme tout le monde. Il faut les traiter comme tels.
Au sujet de la montée de la droite, poursuit Teboul, rappelons que Sarkozy a en partie gagné ses élections en proclamant que la France n’a pas à avoir honte de son passé, au contraire de la position soutenue par une gauche culpabilisante. Il est allé chercher dans la mémoire des Français ce qui les rend fiers.
Par exemple, le Québec a une Charte des droits antérieure à la Charte des droits du Canada. C’est le Québec qui a fait évoluer le Canada – parfois même avec ses revendications linguistiques. Il faut se garder d’un discours défaitiste et donner plus de place aux réalisations de la société québécoise.
Une auditrice discerne un problème dans le faible taux de natalité des Québécois français vis-à-vis celui des immigrants. La transmission mémorielle de la culture se fait au sein d’une famille d’abord diminuée, et ensuite par le biais de l’enseignement de l’histoire qui éprouve des difficultés. D’autant plus que l’histoire du Québec indiffère généralement les immigrants. La culture québécoise pourrait devenir folklorique, comme celle des Amérindiens. Elle n’interviendrait donc plus comme base vivante dans la société québécoise, commente l’auditrice.
Teboul rappelle d’abord que certains événements de l’histoire québécoise l’ont personnellement marqué. Il reconnaît l’importance de l’histoire québécoise comme élément identitaire. Comment aller chercher des éléments intéressants pour les jeunes dans cette histoire propre au Québec ? Il faut aussi raconter la même histoire, qui fourmille d’interventions de toutes les communautés culturelles : l’arrivée des premiers Noirs ou des premiers Portugais, la présence d’Italiens dans des régiments québécois, les mercenaires allemands qui ont défendu le pays contre les Américains et qui ont épousé des Québécoises.
Il y a, dans l’histoire du Québec et pour toutes les communautés culturelles, des points de repère qui démontrent que la société québécoise a toujours eu cette dimension multiculturelle. Il faut faire la promotion du Québec et de sa richesse, s’exclame Teboul ! Il faut faire valoir ces moments historiques vécus au Québec par chacune des communautés. Un peu d’imagination et de créativité dans l’enseignement de l’histoire du Québec ferait toute la différence pour les jeunes de quelque origine qu’ils soient.