La soirée s'est ouverte par le mot du président Pierre Cloutier. M. Cloutier a parlé brièvement des 15 années d'histoire des Sceptiques du Québec, puis a annoncé son départ de la présidence.
Les sceptiques se donneront un nouveau président lors de l'assemblée générale annuelle du dimanche 16 février 2003.
Par la suite, M. Cloutier a remis le Prix Sceptique 2002 à M. Serge Larivée, prix octroyé le 13 janvier 2003 par le vote des membres présents à cette soirée.
M. Cloutier a ensuite cédé la parole à la conférencière, Mme Gabrielle Lavallée. Mme Lavallée nous a raconté, avec une profondeur, une honnêteté et une transparence particulièrement touchantes, teintées d'une certaine désinvolture, la tranche de sa vie qui l'a mené à rencontrer Roch Thériault, surnommé Moïse, et qui s'est poursuivie par l'histoire d'horreur que fut son expérience de membre de la secte de Moïse.
C'est d'ailleurs cette histoire qu'elle raconte dans son livre « L'alliance de la brebis ». Outre son vécu, Mme Lavallée a partagé avec nous le fruit des ses longues réflexions sur le phénomène des sectes, effectuées lors de la rédaction de son livre. Elle nous a expliqué comment des gens intelligents et capables d'esprit critique peuvent se faire manipuler et se faire berner par des gourous de secte, en insistant sur le fait « qu'il ne faut pas tout prendre pour du cash ». Elle a affirmé que les sectes volent non seulement l'âme mais aussi la vie de leurs disciples. L'écriture de « L'alliance de la brebis » été, pour Mme Lavallée, à la fois un outil qui lui a permis de se déprogrammer du lavage de cerveau que lui a fait subir Moïse et un outil de catharsis.
La soirée s'est terminée par une période d'échanges entre Mme Lavallée et l'assistance.
Mme Lavallée a tracé un portait détaillé des victimes typiques des gourous de secte, puis un portrait détaillé de ces gourous, qu'elle qualifie de « prédateurs ».
Les recruteurs, au service des sectes, ne s'adressent pas à la raison des gens qu'ils sollicitent mais à leur affectivité. Ils savent manipuler les émotions et s'adressent en général à des gens qui souffrent; la détresse prend le pas sur la raison.
Mme Lavallée a classé les victimes typiques en trois catégories non exclusives.
Bref, c'est la recherche du bonheur qui peut mener une personne intelligente et lucide à tomber dans le piège des sectes. Mme Lavallée nous a confié qu'elle appartenait simultanément aux trois catégories de victimes typiques lorsqu'elle a rencontré Moïse.
Mme Lavallée nous a raconté avoir vécu de profonds traumatismes durant son enfance. Elle fut victime d'inceste à l'âge de quatre ans : elle considère que son développement affectif s'est arrêté à ce moment-là. Elle fût ensuite placée dans un orphelinat dirigé par des religieux, avec d'autres orphelins de Duplessis. Les membres du clergé étaient très sévères avec les enfants confiés à leur garde, et leur inculquaient la hantise d'un « Dieu-gestapo », selon l'expression employée par Mme Lavallée.
C'est une jeune femme de 27 ans, déjà expérimentée de la vie et ayant déjà beaucoup voyagé, qui a rencontré Moïse alors que celui-ci avait 30 ans. Mais cette jeune femme, qui avait connu la violence alors qu'elle était enfant, avait conservé le coeur d'une petite fille de 4 ans. Moïse s'est présenté à elle comme unreprésentant de Dieu, et lui a annoncé qu'elle devra chercher la justice sur Terre ou affronter le courroux de Dieu après sa mort.
Mme Lavallée fut terrifiée par ces paroles. Elle nous a alors expliqué que son enfance l'avait bien préparée à se faire avoir.
Mme Lavallée a ajouté que les gens qui ont une tendance naturelle à se culpabiliser et à tout prendre sur leurs épaules sont les plus vulnérables devant les manipulateurs. Ces derniers savent jouer adroitement sur ce terrain.
Enfin, Mme Lavallée nous a mis en garde contre les deux erreurs qu'elle a commises. Tout d'abord, elle regrette de ne pas s'être méfiée de Moïse lorsqu'elle l'a rencontré, malgré qu'elle ne le connaissait pas. « La défiance est mère de sûreté » a-t-elle cité, ajoutant qu'une saine méfiance est un outil indispensable à l'esprit critique. Deuxièmement, elle a insisté sur l'importance de ne jamais idolâtrer ou déifier quelqu'un; placer une personne au-dessus de soi porte ombrage à sa lucidité.
Mme Lavallée nous a dressé un portrait de Moïse, qui prétendait recevoir des révélations divines. Moïse est un individu doté d'un charisme fou; il possède une personnalité forte et il est magnétique; son regard hypnotise. Moïse est également très intelligent : il a un quotient intellectuel de 140 (la moyenne étant de 100). Il est un leader et sait être très persuasif. Mme Lavallée a ajouté que Moïse n'utilisait pas son « pouvoir » pour aider les autres à trouver le bonheur; au contraire, il s'en servait :
Mme Lavallée nous a raconté que, dans les premiers temps après leur rencontre, Moïse se montrait compréhensif, gentil et désireux d'aider les autres. Il promettait le bonheur, l'épanouissement, la connaissance et la liberté. Ce n'est que plus tard, et graduellement, que Moïse a révélé sa vraie personnalité, celle d'un être incapable d'aimer et incapable d'éprouver le moindre sentiment de culpabilité.
Mme Lavallée a ensuite discuté des techniques de manipulation employées par Moïse. Elle a comparé en partie ces techniques à celles utilisées par l'Église catholique québécoise d'avant la révolution tranquille ou encore à celles qu'aurait utilisées l'armée américaine sur ses soldats lors de la guerre du Vietnam. Elle a également affirmé que Moïse n'est pas le seul « maître à penser » à utiliser ces techniques : tous les gourous de secte s'en servent en partie ou en totalité.
Mme Lavallée nous a expliqué qu'un individu manipulé par ces techniques est zombifié; il devient un robot au regard vide. Lors d'instants de lucidité occasionnels, l'individu tend spontanément à nier la folie et l'horreur de ce qu'il vit. L'orgueil le pousse à nier qu'il se fait berner.
Mme Lavallée a affirmé que les souffrances psychiques sont pires que les souffrances physiques. Ayant elle-même été soumise à des tortures dignes de camps de concentration (selon sa propre expression), elle sait que le corps récupère assez bien. Mais elle a dû vivre également avec la violence psychologique dont l'esprit garde des traces durables.
(Note du webmestre : Voir aussi « Gendarmerie royale du Canada (1994) Êtes vous vulnérable? Le Québec Sceptique, no 28, hiver 1994, page 39. »)
Mme Lavallée nous a ensuite raconté les circonstances qui lui ont permis de retrouver son esprit critique. Cela s'est produit lorsque Moïse était en train de lui amputer le bras droit (elle a ajouté qu'elle est gauchère et que Moïse lui a coupé le « mauvais » bras). Dans cette situation extrême, elle a éprouvé simultanément les sentiments contradictoires d'horreur et d'extase. En effet, durant « l'opération », Mme Lavallée nous a raconté avoir eu une vision dans laquelle elle voyait Dieu lui dire : « Moi je ne te reproche rien. Moi je t'aime. » C'est cette vision qui lui a permis d'échapper à l'emprise psychologique de Moïse. À ce moment, elle a su que si elle survivait à l'amputation, elle serait par la suite libre. Elle a ajouté que Moïse n'avait pas compté sur son caractère entêté de saguenéenne.
Les psychologues que Mme Lavallée a par la suite consultés lui ont dit ne pas pouvoir l'aider, n'ayant pas reçu de formation pour la déprogrammation de l'esprit. C'est par l'écriture de « L'alliance de la brebis » que Mme Lavallée a alors entrepris sa thérapie personnelle. L'écriture lui a permis de se retrouver elle-même. Elle a remonté jusqu'à l'enfant blessé qu'elle fut et dont le développement psychologique s'était arrêté à l'âge de quatre ans. Elle a ainsi repris son pouvoir personnel, sur elle-même, que Moïse lui avait volé.
Durant la période de questions qui a suivi la conférence, Mme Lavallée s'est fait demander comment réagir face à un proche qui entrerait dans une secte religieuse. Elle a répondu par trois conseils.
Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier, votre conférencier du 13 avril 2003 et rédacteur des comptes-rendus des soirées sceptiques depuis février 2003