Les médecines complémentaires et alternatives deviennent de plus en plus populaires. Une enquête nationale aux Etats-Unis a indiqué récemment que les visites aux praticiens de ces médecines alternatives sont plus nombreuses que celles aux médecins offrant des soins primaires traditionnels. Ces nouvelles thérapies, parfois appelées « thérapies nouvel-âge », ne sont généralement pas reconnues par la communauté médicale. Elles peuvent inclure des compléments alimentaires, des mégadoses de vitamines, une préparation faite avec des herbes ou de thés spéciaux, l'acupuncture, la thérapie par massage, la thérapie magnétique, la guérison lointaine et la méditation.
La médecine de « corps-esprit » (et en particulier l'étude des effets biologiques de la conscience) est d'un intérêt particulier pour certains physiciens, car la mécanique quantique est maintenant proposée comme théorie fondamentale dans l'exploration de la conscience et de notre compréhension du cerveau. Aussi, ces nouvelles théories sont extrapolées à l'extrême par certains gourous et autres groupes dans un effort d'expliquer ou de justifier scientifiquement la possibilité d'un processus de « guérison à distance » ou « guérison quantique ».
Dans cet exposé, nous explorerons la contribution de la mécanique quantique aux théories modernes de la conscience et du cerveau et à d'autres revendications, soit que les actes de conscience créent de nouvelles réalités avec finalement un pouvoir de guérir. Nous discuterons aussi comment les groupes ou gourous « nouvel-âge » font un emploi profitable de ces nouvelles explorations scientifiques pour proposer de nouveaux paradigmes et des programmes de transformation de soi en inculquant la conviction que chacun est finalement responsable de la création de sa propre réalité.
Nous terminerons par une discussion de ce qui peut être considéré comme de la science valide versus ce qui est probablement mensonger. Et nous discuterons comment nous pouvons éduquer nos patients et le grand public à distinguer la science réelle du charlatanisme et des thérapies trompeuses.
Christian Janicki, physicien médical, est responsable du service de la radioprotection au Centre Universitaire de Santé McGill. Il participe également au programme d'enseignement de physique médicale à l'Université McGill. Depuis l'obtention de son doctorat en physique de l'Université de Montréal en 1988, il a travaillé sur le projet de fusion nucléaire « Tokamak de Varennes » et à l'hôpital Notre-Dame, puis au CHUM jusqu'en 2001 à titre de physicien médical, avant de se joindre au groupe de physique médicale du Centre Universitaire de Santé McGill.
Notre animateur François Filiatrault présente d'abord l'association des Sceptiques du Québec pour les nouveaux venus dans la salle. Il s'agit d'une association sans but lucratif dont la mission est de favoriser le développement de l'esprit critique.
Daniel Fortier, membre des Sceptiques, vient souligner un manque de rigueur intellectuelle des médias dont il a été témoin. Dans une émission matinale à la radio, une personne a présenté un programme pour intégrer les déficients intellectuels. Elle a précisé que les déficients sont définis comme ceux dont le résultat est situé à deux écarts-types sous la moyenne à un test standard de QI. Cette explication n'a soulevé aucune controverse, contrairement aux récentes déclarations du docteur Mailloux. Dans ce cas-ci, il est évident que les données des tests de QI sont utilisées pour une bonne cause. Fortier souligne que la validité d'une science ne dépend pas de l'usage, bon ou mauvais, qu'on pourrait en faire. Elle repose plutôt sur les preuves qui la soutiennent. Il déplore donc que pour dénoncer l'usage abusif de certaines données scientifiques, on critique parfois la validité de celles-ci sans raison.
Louis Dubé, président de l'association, remet ensuite le premier Prix de Bénévolat Mac Duff à Michelle et Jacques Cavanna pour leur dévouement assidu à la mission des Sceptiques depuis plus de 10 ans. (plus de détails sur ce prix et les récipiendaires dans la section Bénévoles.)
Christian Janicki remercie d'abord messieurs François Filiatrault et Louis Dubé pour leur invitation chez les Sceptiques du Québec, ainsi que monsieur Christian Trempe pour avoir traduit les diapositives de sa présentation, qu'il a donnée en anglais l'an dernier à un groupe de physiciens du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) dans le cadre de l'année de la physique ainsi qu'à l'Université Concordia dans le cadre des conférences Inter-Université sur l'histoire et la philosophie des sciences en Novembre 2005.
Notre conférencier situe ensuite le sujet de sa conférence par rapport à ce qu'on entend dans les médias de nos jours. D'un côté, la médecine traditionnelle fait les manchettes ; on mentionne par exemple la remise du prix Nobel de médecine à deux médecins australiens qui ont découvert une bactérie responsable des ulcères gastriques. Janicki fait remarquer que les travaux de ces deux chercheurs avaient été ridiculisés publiquement des années plus tôt par d'autres scientifiques croyant impossible la survie de bactéries dans un milieu tel que l'estomac, mais que ceux-ci ont tout de même persévéré et ont réussi à prouver la véracité de leurs affirmations. Ce qui montre, affirme-t-il, que la science comporte un mécanisme qui fait que la vérité scientifique finit toujours par s'imposer, malgré les préjugés et les dogmes. D'un autre côté, les médias parlent de plus en plus des croyances nouvel-âge, ainsi qu'il les appelle, dont la Scientologie qui déclare que les problèmes gastriques, ainsi que plusieurs autres maladies, peuvent être simplement guéris par un processus psychologique nommé audit.
Le conférencier aborde ensuite les questions du réductionnisme de Descartes et de la doctrine holistique. Le réductionnisme se base sur le fait que la nature des choses complexes peut toujours se réduire à des composantes plus simples, plus fondamentales. L'holisme, à l'opposé, parle du « tout » de prime abord et souligne qu'on risque de nier certaines réalités en réduisant un tout à ses éléments. L'opposition de ces deux points de vue est un concept très ancien, comme en témoigne cette citation de Platon :
« Car, c'est la plus grande erreur dans le traitement de la maladie, que l'esprit et le corps soient tenus séparés, puisqu'ils ne peuvent être séparés [...] cependant, c'est ignoré par les médecins grecs [...]. Ils devraient prendre soin du tout, car là où le tout est malade, une partie ne peut jamais être en santé. » - Platon, dans Charmides.
Les Médecines Alternatives et Complémentaires (MAC) comprennent entre autres les suppléments diététiques, l'acuponcture, les préparations d'herbes, le traitement par les aimants, la guérison à distance et la méditation thérapeutique. Dans leur ensemble, les MAC constituent un gigantesque marché de 30 milliards de dollars par année en Amérique du Nord, et il semble même que les consultations en MAC surpassent celles des médecins traditionnels. Janicki rapporte également d'autres croyances du Nouvel-Âge comme le respirantisme, selon lequel un être humain peut vivre sans manger grâce à l'air et à la lumière, et la théorie de la biologie totale de M. Ryke Geerd Hamer.
On pourrait penser que les médecines alternatives sont inoffensives, au pire un placebo. Ce n'est toutefois pas le cas, car elles provoquent des délais, parfois même mortels dans certaines situations. Il cite le cas d'une femme de l'Oregon qui est décédée cinq jours après avoir décidé de consulter un médecin pour une tumeur au sein après qu'elle ait tenté de se guérir elle-même pendant un an à l'aide d'une diète spéciale et d'une thérapie au latrile (substance naturelle qu'on retrouve dans certains fruits) au Mexique. Le plus dramatique, souligne Janicki, c'est que cette femme est morte en croyant avoir fait la bonne chose, et que son mari est encore convaincu de l'efficacité de la diète de sa femme, mais dit savoir où elle s'est trompée.
Comment des gens normaux et éduqués peuvent-ils croire à de tels traitements et comment peut-on accepter de telles situations dans notre société ? Janicki pense que c'est à cause des valeurs de respect et de relativisme mou qui sont véhiculées dans la société, et qui font que la plupart des sceptiques restent silencieux face à ces doctrines et évitent de porter des jugements. Il mentionne aussi que selon la Charte des Droits, tous possèdent la liberté de parole, de religion et d'association. Toucher aux croyances populaires est donc très difficile.
Le mouvement Nouvel-Âge est ainsi caractérisé par une approche individuelle à l'exploration spirituelle. Cette philosophie est en partie basée sur le concept d'authenticité du philosophe existentialiste Jean-Paul Sartre; celui-ci prône la liberté de choix et le questionnement de l'autorité et soutient l'idée que l'on crée sa propre réalité. Cette idée d'une réalité que l'on crée est reprise par les adeptes du Nouvel-Âge, par exemple en affirmant que chacun est responsable de ses propres maladies. Il s'agit donc de blâmer d'abord la victime, qui peut ensuite se guérir elle-même en participant à certains séminaires ou autre enseignement spirituel.
Le Nouvel-Âge veut en outre représenter un changement de paradigme. Selon une étude du Vatican, cette doctrine souhaiterait le passage de l'exaltation de la raison à une reconnaissance des sentiments, des émotions et de l'expérience, le passage de la masculinité à l'exaltation de la féminité, et enfin le passage de la physique newtonienne à la physique quantique. Ce dernier but vient du fait que les adeptes du Nouvel-Âge justifient souvent leur adhésion à certaines MAC en invoquant la physique quantique et le problème de la mesure, dont Janicki énonce les concepts de base.
Le conférencier présente trois grands mystères de la mécanique quantique :
Dualité onde-particule des constituants subatomiquesLes observations des physiciens ont montré que, pour pouvoir expliquer les comportements des constituants des particules, il faut les considérer à la fois comme des ondes et à la fois comme des particules ; on ne peut pas se contenter d'un modèle avec une seule de ces possibilités.
Principe d'incertitude de HeisenbergSi on veut pouvoir décrire l'évolution d'un objet physique, il faut connaître à un moment particulier sa position et sa vitesse. Ainsi, en mesurant ces deux quantités physiques dans le cas de la Lune, on peut prédire très précisément les phases de celle-ci pour des centaines d'années à venir. Cela est tout de fois impossible à faire pour les constituants subatomiques. On ne peut pas mesurer la position et la vitesse de ceux-ci simultanément. Heisenberg résumait lui-même ce principe ainsi : « La trajectoire [d'un objet] n'existe que lorsque nous l'observons. »
Effondrement de la fonction d'ondeUne expérience de Young montre que, alors qu'un constituant existe partout dans l'espace avec une probabilité calculable, lors de la mesure celui-ci n'est qu'à un seul endroit. Cet effondrement de la fonction d'onde est une discontinuité de la théorie que certains considèrent comme une action à distance.
Ainsi, la physique quantique prédit, tel que l'expliquent Max Tegmark et John Archibald Wheeler dans leur article intitulé 100 Years of Quantum Mysteries (Scientific American, 2001), qu'une carte à jouer à l'équilibre sur une arête tomberait des deux côtés à la fois. Une première tentative de comprendre le monde tel que décrit par la physique quantique est l'interprétation de Copenhague. Il s'agit en gros, explique Janicki, de ne pas s'interroger sur ces constatations et d'accepter que la nature les évalue de façon probabiliste. Plusieurs physiciens sont de cet avis, tels Heisenberg et Born comme en témoigne cette citation en marge du congrès de Solvay en 1927 : « Nous concevons la mécanique quantique comme étant une théorie complète, pour laquelle la physique fondamentale et les hypothèses mathématiques de base ne sont pas susceptibles d'être modifiées. » Einstein n'est toutefois pas de cet avis, et croit que « La théorie rend compte de beaucoup, mais elle nous éloigne des secrets de l'Être Suprême. Dans tous les cas, [ajoute-t-il], je suis convaincu que Dieu ne joue pas aux dés. »
Pour renforcer leur opinion que la mécanique quantique est peut-être incomplète, Einstein, Podolsky et Rosen présentent en 1934 le paradoxe dit EPR, du nom des trois physiciens. Les trois scientifiques s'appuient sur leur principe de réalité, soit que « si, sans perturber un système, on peut prédire avec certitude (c.-à-d., avec une probabilité égale à un) la valeur d'une quantité physique, il existe donc un élément de la réalité physique correspondant à cette quantité physique ». Le paradoxe concerne des particules dites entrelacées, définies ensemble par une seule fonction d'onde, de sorte que l'on connaît nécessairement la position et la vitesse de l'une si on connaît ces caractéristiques pour l'autre, à cause de la loi de la conservation. On fait face ici à un problème d'action à distance, puisque les mesures sur une particule devraient influencer l'autre sans qu'il n'y ait de contact.
Il faut attendre 1964 pour la publication du théorème d'inégalité de Bell qui précise des quantités à mesurer pour s'assurer qu'il n'y ait pas de variables cachées dans la théorie quantique et ainsi trancher en faveur de ou contre Einstein. L'expérience est enfin réalisée en 1982 par Alain Aspect et répond définitivement au défi lancé des années plus tôt par EPR en rejetant la conception d'Einstein selon laquelle la théorie n'est pas complète.
Tout n'est pas pour autant réglé dans la théorie, et il reste encore certains paradoxes tel celui du chat de Schrödinger, énoncé en 1935. L'idée est de mettre un chat bien vivant dans une boîte avec une fiole contenant un poison ; celle-ci pourrait se briser par un mécanisme si un certain atome se désintègre. Au bout d'une heure, la physique quantique prédit que l'atome est à la fois désintégré et non désintégré selon certaines probabilités, et donc que la fiole est brisée et intacte, et le chat mort et vivant. Alors, le chat sera-t-il mort ou vivant quand un observateur ouvrira la boîte ? Est-ce que ce choix est un acte de conscience? C'est ici que les adeptes Nouvel-Âge prétendent que la conscience agit sur la matière et que par un acte de conscience, on peut créer la réalité, c'est à dire « choisir« le chat mort ou vivant. Ainsi donc, de la même façon, un acte de conscience peut choisir entre la maladie ou la santé, ce qui est au coeur même de la »guérison quantique« !
Le paradoxe du chat de Schrödinger illustre la théorie des univers multiples proposée par Hugh Everett en 1957 dans une dissertation doctorale à l'université de Princeton, et selon laquelle le chat est à la fois mort et vivant, seulement dans deux univers différents.
Cela nous mène aussi à nous interroger sur le rôle de la conscience dans la physique quantique. Ainsi, Janicki rapporte que selon des thèses Nouvel-Âge proposées par certains physiciens et autres chercheurs, l'univers crée une conscience qui ensuite s'observe elle-même. D'ailleurs, souligne-t-il, comment s'imaginer l'existence de quelque chose sans conscience pour l'observer ? Les adeptes de ces nouvelles croyances (ou nouvelle conscience) croient ainsi que l'on « crée notre propre réalité« (par exemple nos maladies) et que »notre potentiel est sans fin« (par exemple le pouvoir de guérison), alors que, pour les sceptiques, cela n'est qu'une fantaisie qualifiée d'omnipotence infantile.
Le conférencier présente l'Institut Esalen, un centre d'excellence Nouvel-Âge né en Californie dans les années 60 et dédié à l'exploration du potentiel humain. C'est à cet endroit qu'a été fondé en 1974 le Groupe de Recherche sur la Physique de la Conscience (PCRG) par Jack Sarfatti et Michael Murphy. Ce groupe est financé par Werner Erhard (qualifié de gourou Nouvel-Âge par plusieurs), qui a aussi fondé Erhard Seminar Training (EST) devenu aujourd'hui Landmark Education (LEC) avec pignon sur rue à Montréal, un programme de formation sur la sensibilisation aux grands groupes ou programme LGAT (pour Large Group Awareness Training). Janicki rappelle que Jack Sarfatti était invité par Erhard à faire des conférences sur la mécanique quantique lors de séminaires EST dans les années 70.
Janicki tente d'expliquer l'intérêt de Werner Erhard pour la physique quantique par les ressemblances qu'il y a entre cette science et la rhétorique LGAT, et dresse un parallèle entre ces deux systèmes. D'abord, tous les deux proposent un changement de paradigme dans notre vision du monde. Ainsi, la vision du LGAT incite à l'abandon de la raison et l'adhésion à un système de croyances basé uniquement sur l'expérience des émotions et des sentiments, alors que la physique quantique demande l'abandon de la vision classique du monde physique pour être remplacé par ce que l'expérience nous dévoile (malgré les paradoxes apparents). Aussi, la mécanique quantique suggère que l'observateur participe à la création de la réalité et de même selon la doctrine LGAT, chacun crée sa propre réalité et en est donc pleinement responsable. Enfin, toutes deux demandent un abandon des certitudes et comprennent une logique paradoxale qui ramène le participant à se soumettre l'autorité la plus proche (à la parole du gourou ou à l'Être suprême, par exemple, lorsque Einstein insistait sur le fait que « Dieu ne joue pas aux dés« ).
Le GRPC a organisé, entre 1976 et 1988, 11 conférences dont une sur le théorème de Bell décrit plus tôt. Ce mouvement a contribué à la naissance des conférences Tucson, organisées à tous les deux ans, dont le thème est la science de la conscience. Entre autres le rassemblement de 2003 était sous le thème Le cerveau et la physique quantique où des articles tels que Comment l'esprit influence le cerveau, Théorie des champs de la conscience et La conscience fait-elle s'effondrer la fonction d'onde ? ont été présentés. Il y a donc, conclut Janicki, un véritable mouvement qui regroupe plusieurs scientifiques dans le domaine de la physique de la conscience.
Le conférencier présente alors plus précisément deux théories physiques de la conscience. La première, proposé par le physicien Henry Stapp, se base sur le principe d'incertitude appliqué aux canaux ioniques dans les neurones, canaux dont l'ouverture permet le passage des neurotransmetteurs entre les neurones et donc la création de synapses à l'origine de la pensée. Par exemple, pour un canal ionique de 1 nanomètre de diamètre (soit 10-9 m), l'incertitude sur la vitesse est de l'ordre de 1 mètre par seconde selon le principe de Heisenberg. Ce n'est pas négligeable, et selon Stapp ces effets donnent lieu à une superposition d'états quantiques de notre cerveau. Toujours selon Stapp, la conscience serait responsable de la réduction des ces états quantiques à un seul état classique ainsi que de la flèche du temps. Une deuxième théorie physique de la conscience, celle de Penrose et Hameroff, situe l'origine quantique du cerveau à l'intérieur d'un neurone. Dans un neurone, on trouve des microtubules composés de molécules de tubuline qui peuvent être dans deux états différents, soit allongé soit contracté. Par un phénomène quantique, il résulte une superposition de différents états quantiques à la fois et la conscience cause l'effondrement de ceux-ci en un seul, par le biais de la gravitation. Cette deuxième théorie a toutefois certains critiques, dont Tegmark de l'Université de Pennsylvanie qui dit que, pour que cette théorie fonctionne, le cerveau devrait être à peine au dessus du zéro absolu dû au phénomène de décohérence.
Comme exemple récent du lien qui existe entre la mécanique quantique et la philosophie Nouvel-Âge, le conférencier tient à mentionner le film What the Bleep do we Know paru en 2005 et mettant en vedette l'actrice Marlee Matlin, et qui s'annonce lui-même comme un « film controversé [qui] nous plonge dans un monde où l'incertitude quantique est démontrée - où les processus neurologiques et les changements de perception sont lancés et vécus par les protagonistes du film - où tout est vivant, et la réalité est changée par chaque réflexion. »
En fait, on y interroge certains physiciens, dont John Hagelin qui est porte-parole de l'Université de Maharishi Mahesh Yogi (père de la méditation transcendantale), des neurologistes, médecins, un biologiste, ainsi que JZ Knight, une mystique qui entretiendrait un contact avec l'esprit de Ramtha, un être mystique ayant vécu il y a plus de 35,000 ans et dont les consultations coûtent 2000 $ chargés par Ramtha lui-même ! Bref, il s'agit d'un film dans lequel, encore une fois, on rencontre des scientifiques et autres personnalités mystiques qui s'intéressent à la théorie de la conscience et où la mécanique quantique est au coeur du sujet.
Ce film fait présentement l'objet d'une forte propagande et est disponible dans tous les bons clubs vidéo. Parmi ses grands supporteurs et promoteurs se trouve Deepak Chopra, un disciple de Maharishi Mahesh Yogi (méditation transcendantale) et un « guérisseur quantique« !
Janicki fait ensuite un survol de plusieurs techniques de guérison spirituelle et quantique. Il mentionne d'abord Maharishi Mahesh Yogi, détenteur d'un diplôme de physique en Inde et inventeur de la méditation transcendantale, ainsi que son disciple le Dr. Deepak Chopra, auteur à succès de best-sellers comme « Quantum Healing« (la guérison quantique) et qui affirme qu'en utilisant notre conscience nous pouvons empêcher notre corps de vieillir. Il présente aussi plusieurs adeptes de la guérison à distance, par exemple Adam, un adolescent Canadien de la Colombie-Britannique qui aurait guéri un chanteur populaire à distance. Une conférence à ce sujet a d'ailleurs déjà été organisée à Vancouver en 2005 par l'ACPBC, une association des médecins de la Colombie-Britannique s'intéressant aux médecines alternatives.
Il s'attarde ensuite à Hall Puthoff (un Scientologue) et à Russell Targ, tous deux physiciens cofondateurs du projet STARGATE au Stanford Research Institute (SRI) et financé par la CIA puis par l'armée américaine pour étudier la « vision à distance« et ses applications à l'espionnage. La fille de Russel Targ, Elizabeth, à qui il a enseigné les rudiments de l'énergie Psi dès son jeune âge, est devenue psychiatre et s'est convaincu qu'on peut utiliser cette énergie pour guérir des malades sur de longues distances (la guérison quantique). En 1998, elle publie avec ses collègues une étude randomisée en double aveugle sur les effets de la guérison à distance sur des patients atteints de SIDA, dont la conclusion est la possibilité d'un effet positif et la nécessité d'études plus poussées. Elle devient ainsi l'héroïne de tous ceux qui étudient les médecines à distance. Elle reçoit en 2002 du National Institut of Health (NIH) la somme de 1,5 million de dollars pour deux nouvelles études, l'une de nouveau sur le SIDA et l'autre sur le traitement des gliobastomes multiformes, un type de tumeur du cerveau très agressive. Malheureusement, elle est elle-même diagnostiquée avec une telle tumeur et meurt peu après, malgré les efforts de ses guérisseurs à distance.
La médecine traditionnelle a été longtemps muette face aux médecines alternatives et complémentaires, ce qui est considéré comme une erreur par certains. Elles sont toutefois maintenant prises au sérieux par le NIH, et des médecins diplômés s'adonnent à de véritables recherches scientifiques à ce sujet. Ainsi, le Congrès américain a créé en 1993 l'OAM, un office pour les médecines alternatives, et le mandat de la NIH a été par la suite étendu avec la création du National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM) dont la mission est d'identifier, d'investiguer et de valider des traitements de MAC ainsi qu'informer les gens à ce sujet.
Au Canada, une initiative similaire a donné naissance en 1999 à la Direction des produits de santé naturelle, dont le rôle est de « s'assurer que la population canadienne ait un accès rapide à des produits de santé naturels sécuritaires, efficaces et de grande qualité, tout en respectant la liberté de choix ainsi que la diversité philosophique et culturelle. »
Le NIH continue aussi ses études sur les effets de la guérison à distance. L'étude à plus grande échelle que demandait Elizabeth Targ est maintenant terminée, mais ses résultats n'ont toujours pas été publiés. On recrute en ce moment pour une étude sur l'impact de la guérison à distance sur les blessures.
Janicki nous invite en terminant à nous demander si la guérison quantique est une nouvelle science ou du charlatanisme. À son avis, « l'esprit, la perspicacité, ainsi que le sens commun du scientifique n'est pas suffisant pour rejeter les MAC, même si elles sont considérées comme un pur non-sens ou du charlatanisme » et le vrai scientifique doit rester neutre jusqu'à ce qu'elles aient été prouvées valables ou non scientifiquement. Il précise donc que les recherches scientifiques concernant les MAC ont un certain mérite, mais croit tout de même que même si les résultats de ces recherches sont négatifs, ils ne pourront jamais convaincre les adeptes de la fausseté de leurs croyances ; car, pour accepter une vérité scientifique, il faut avoir un esprit scientifique et comprendre la démarche scientifique. Il s'agit donc, selon Janicki, d'un combat perdu à l'avance.
Janicki a mentionné pendant sa conférence l'idée que (selon certains auteurs) sans conscience il n'y aurait pas d'univers. Parle-t-on ici d'une conscience humaine ou d'une conscience qui pourrait être plus d'ordre divin ? Dans le premier cas, comment se comportait donc la matière avant l'apparition de la première conscience humaine ?
En réponse à ces questions, il serait, de l'avis de Janicki, prétentieux d'affirmer que seulement la conscience humaine ait un rôle à jouer dans ces théories. Il précise que la conscience joue un rôle dans ces théories (Stapp, Hameroff & Penrose), car elle serait responsable de la réduction de la superposition quantique des états du cerveau à une seule réalité classique.
Certains sont sceptiques quant à l'application des effets microscopiques de la théorie quantique sur les objets macroscopiques. Quelqu'un est d'avis qu'il faut chercher l'explication de la conscience dans la biologie et non la physique, car elle émerge de plusieurs niveaux d'organisation de la matière. Janicki est d'accord avec le fait que, dans le monde macroscopique, les effets quantiques sont négligeables. Il précise par ailleurs que des physiciens au NIST ont déjà réussi une expérience avec 6 atomes de béryllium entrelacés dans laquelle l'observation d'un seul atome précipitait les cinq autres immédiatement dans le même état (appelé « cat state« ou »état du chat« en référence au chat de Shrödinger). Cela laisse toutefois un énorme ordre de grandeur (approx. 1026) avant d'expliquer le sort du chat de Shrödinger. Néanmoins, ajoute-t-il, dans le cas des explications de la conscience comme celles de Penrose, les mécanismes en jeu se situent au niveau microscopique, dans les molécules de tubuline des microtubules. Cela ne convainc pas l'auditeur, qui fait remarquer que les effets quantiques sont aléatoires et qu'il semble donc impossible que notre cerveau puisse penser de façon cohérente alors que le hasard détermine dans quel état il se trouvera parmi un ensemble de possibilités.
(Note du conférencier: En fait, selon ces croyances ou théories, c'est la conscience qui détermine l'état final parmi les différentes possibilités pré-conscientes!)
On discute de l'importance de continuer à étudier des médecines alternatives et complémentaires, et aussi de l'importance cruciale de ne pas enseigner ces techniques dans les facultés de médecine avant d'avoir des preuves scientifiques véritables, comme cela est le cas à l'Université Laval. Un auditeur croit qu'il s'agit là d'une infiltration des pseudosciences dans la médecine. Janicki fait remarquer qu'il s'agit aussi d'un marché de plusieurs milliards de dollars et que même certaines cliniques traditionnelles y trouvent leur compte en offrant également des traitements alternatifs. C'est probablement mieux, ajoute-t-il, que de tels traitements soient supervisés par de véritables médecins.
Quelqu'un reproche au conférencier d'avoir présenté une vieille physique. Il précise que la terminologie de principe d'incertitude et de dualisme onde-particule n'est plus utilisée et qu'on utilise maintenant une quantité nommée « action » plutôt que la masse d'un objet pour prédire l'importance des effets quantiques. Il ajoute que le courant dominant a depuis longtemps abandonné l'effet de la conscience sur la matière, ce avec quoi le conférencier se dit d'accord, précisant qu'il s'agit d'un mouvement très marginal. Ce dernier rappelle aussi qu'avec Elizabeth Targ on a eu une première publication qui semblait démontrer un tel effet et qui concluait que des études plus poussées étaient souhaitables. Enfin, le conférencier précise qu'il n'est pas d'accord avec les commentaires concernant la « vieille physique« , mentionnant au passage que la mécanique quantique, telle que présentée dans sa conférence, se trouve dans tous les manuels d'enseignement (Note du conférencier: Max Plank a énoncé le quantum d'action dès 1901).
Enfin, une autre personne s'oppose à la vision idéaliste de la physique adoptés par les physiciens et mystiques qui étudient la physique de la conscience. L'idéaliste croit que la conscience est la réalité ultime et qu'elle engendre la matière. À l'inverse, les réalistes, tel le physicien Claude Cohen-Tanouji, croient que la conscience émerge d'un certain type de fonctionnement matériel. L'auditeur croit que l'on confond observation par une conscience et interaction. Ainsi, une superposition d'état fragile sera détruite par une interaction avec un instrument de mesure ou tout autre particule dans un phénomène que l'on appelle « la réduction du paquet d'ondes » ou « la décohérence ».
Le conférencier répond qu'il est bien au courant de ces arguments, mais mentionne que la décohérence n'explique pas tout. On n'a toutefois pas eu l'occasion d'aller plus avant dans ces considérations.
Note du conférencier : Le conférencier Christian Janicki tient à préciser qu'il n'adhère aucunement aux croyances Nouvel-Âge et ne supporte en aucune façon les théories de la Conscience et les interprétations de la mécanique quantique présentées lors de sa conférence. Il n'est pas non plus dans son intention de faire la promotion du film « What the Bleep ...« ou de tout autre mouvement ou groupe Nouvel-Âge, technique de méditation, guérisseurs quantiques ou autres gourous ésotériques. Son intention était, tout au plus, d'informer à la manière journalistique le public de l'existence de telles croyances qui se transforment de plus en plus en un mouvement social et qui s'infiltrent dans nos écoles, nos universités, nos institutions et même dans nos vies privées. Il laisse le soin au public de juger de la valeur scientifique de l'ensemble de ces théories et croyances, comme tout bon sceptique sait le faire.