LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du 13 mars 2006

Scientificité de l'évolutionnisme et du créationnisme

Cyrille Barrette et Laurence Tisdall

Texte annonçant la soirée

Ce thème fera l'objet d'un débat structuré entre l'évolutionniste Cyrille Barrette et le créationniste Laurence Tisdall. Chaque camp aura l'occasion de présenter son point de vue en 20 minutes, suivi d'une réplique de son opposant de 10 minutes. Durant la période de questions venant de la salle, chaque partie aura droit à une brève réplique. Nous espérons un échange d'idées productif révélant la validité des arguments de part et d'autre. Notre animateur s'assurera que les règles d'un sain débat sont respectées.

Position évolutionniste

La mission première de la science, c'est de découvrir et d'expliquer la vérité sur les mystères du monde. Mais elle a aussi le devoir d'exposer les mythes, les illusions et les erreurs, et de dénoncer les mensonges. L'évolution est un fait attesté et c'est aussi une science; ses théories principales ont résisté avec succès à 147 ans d'attaques.

Cyrille Barrette, spécialiste reconnu du comportement et de l'écologie des mammifères, est professeur de biologie à l'Université Laval depuis 1975. Il s'intéresse à l'évolution depuis 40 ans et a récemment publié Le miroir du monde, un livre sur l'évolution par sélection naturelle.

Position créationniste

L'origine de tous groupes majeurs de vie s'est faite de façon distincte, simultanée et par une création intelligente. Les espèces existantes proviennent de variations génétiques d'archétypes originaux. La complexité et les interdépendances de tout système biologique pointent directement vers la nécessité d'un créateur intelligent.

Laurence Tisdall est titulaire d'une licence en Agriculture générale et d'une maîtrise en sciences (micropropagation) de McGill. Président/fondateur de l'Association de Science Créationniste du Québec depuis 1990. Il est aussi membre votant de la Creation Research Society (États-Unis).

Annonces

François Filiatrault, l'animateur de la soirée, présente d'abord les membres du nouveau Conseil d'Administration élu lors de la dernière assemblée générale. Il s'agit de Louis Dubé, élu au poste de président, Vincent Carrier, vice-président, Dominic Claveau, trésorier et secrétaire, Monique Bélanger, François Benny, Anne-Sophie Charest, André Payette, Daniel Picard et enfin Claude Laforest et Christian Trempe, deux nouveaux venus.

Notre animateur, et modérateur du débat, explique ensuite le déroulement de la soirée. Chaque conférencier dispose de 20 minutes pour expliquer sa pensée, puis de 10 minutes pour réfuter les arguments adverses. Ensuite, il y a aura une période de questions et réponses.

DÉBAT : Scientificité de l'évolutionnisme et du créationnisme

Présentation de Cyrille Barrette : évolutionniste

Cyrille Barrette

Cyrille Barette remercie d'abord les Sceptiques du Québec pour leur invitation à participer à ce débat. Il précise d'entrée de jeu qu'à son avis le but du débat n'est pas de se demander si la valeur scientifique du créationnisme est plus grande que celle de l'évolutionnisme, puisqu'il a été jugé à maintes reprises que la valeur scientifique de la première est nulle. Ainsi, dans les congrès de science, on n'aborde jamais la doctrine créationniste, les créationnistes eux-mêmes n'ayant rien à dire de scientifique sur la création.

Barrette expose ensuite deux sujets qui intéressent autant les évolutionnistes que les créationnistes, soit l'origine et l'évolution.

L'origine

Il est somme toute relativement aisé d'imaginer une certaine évolution des espèces. Il est autrement plus difficile de saisir comment cette évolution a pu commencer sans faire intervenir un être surnaturel, tel que dans le mythe d'Adam et Ève. Barrette souligne que les évolutionnistes admettent qu'on ne pourra probablement jamais savoir sans aucun doute comment s'est produite l'origine de la vie. On peut toutefois émettre à ce sujet des hypothèses possibles, les tester avec des données objectives et vérifiables et les améliorer. Notre connaissance des origines s'est d'ailleurs grandement améliorée avec les années et on en sait maintenant beaucoup plus qu'il y a quelques siècles. Barrette fait toutefois remarquer qu'aucune de ces nouvelles connaissances sur l'origine n'a été établie par les créationnistes.

Il tente de définir plus précisément ce qu'on entend par origine. L'origine est avant toute chose une lente émergence de longue durée et non une apparition soudaine. Par exemple, l'origine de l'homme s'est déroulée sur 3 à 4 millions d'années. Ainsi, précise Barrette, dans un livre sur la vie il faudrait consacrer tout un chapitre à l'origine, pas seulement le premier mot. L'origine est aussi caractérisée par des changements imperceptibles et continus. Ainsi, quand on observe aujourd'hui certaines espèces, on ne se rend pas compte qu'elles évoluent toujours. Cette évolution se passe trop lentement. En fait, ajoute le conférencier, l'origine est la suite des éléments qui constituent la définition même de l'objet dont on cherche l'origine. En effet, pour parler de l'origine de la vie, il faut d'abord s'entendre sur une définition de la vie. L'origine d'une chose et sa définition sont donc indissociables. Enfin, il est important de mentionner que l'origine, c'est le fruit d'un mélange de hasard et d'histoire (soit la contingence). L'émergence des nouvelles espèces n'est donc ni nécessaire ni prévisible, mais toujours incertaine tant qu'elle n'est pas accomplie.

Conséquemment à cette définition de l'origine, on peut conclure qu'il n'y a pas eu de premier homme, de premier mammifère... tout comme il n'y a pas eu de premier adepte de la langue française. D'ailleurs, s'il y avait eu un premier adepte de la langue française, celui-ci n'aurait pas pu l'apprendre de ses parents, qui ne la connaissaient pas. Il aurait donc fallu que ceux-ci lui apprennent une langue qui leur était inconnue, ou alors que ce premier francophone naisse en sachant déjà une langue inconnue des autres ! Barrette fait en outre remarquer que l'idée d'un premier homme vient toujours de l'idée d'une création, d'une apparition soudaine de la vie. Ainsi, si on n'a pas a priori un point de vue créationniste, on peut expliquer comment le vivant a pu émerger du non-vivant, tout comme le français a émergé du latin, et ce, sans faire appel à la notion maintenant rejetée de génération spontanée ou à toute autre cause surnaturelle.

L'évolution

L'évolution, affirme Barrette, est un fait avéré, démontré et attesté. Autant que le fait que la Terre est ronde, ou que le sang circule du cœur jusqu'au reste du corps. On ne peut pas, à son avis, nier le fait que toutes les espèces ont un ancêtre commun.

La science cherche toujours à démontrer ce qu'elle affirme. Pour illustrer cette idée, Barrette fait appel à un exemple de Gaarden, cité dans livre de Normand Baillargeon. Supposons qu'il ouvre un jeu de carte encore non utilisé, en extrait une carte, la remette dans le jeu et affirme que c'était le 8 de cœur. Pour valider cette affirmation, nous devons chercher des preuves de cet événement, examiner les cartes objectivement. Si la carte de Barrette était bien le 8 de cœur, il devrait y avoir des empreintes sur le 8 de cœur et seulement sur cette carte et ces empreintes devraient être celles de Barrette. Si ces trois prédictions sont confirmées, on pourra croire sans trop de risques de se tromper que l'affirmation était vraie. En outre, si on maintient encore à ce moment qu'il est faux que la carte choisie ait été le 8 de cœur, il faudra expliquer pourquoi les empreintes de Barrette ont été relevées sur celle-ci. On peut tenir un raisonnement similaire quand on s'interroge sur la scientificité de la thèse évolutionniste.

Si évolution a eu lieu, on devrait en observer des traces dans le monde vivant. D'abord, on serait en droit de s'attendre à une répartition des espèces ni homogène, ni uniforme, ni aléatoire. Effectivement, affirme Barrette, les espèces qui se ressemblent s'assemblent, ou, de façon plus scientifique, les différentes espèces sont réparties de façon contagieuse. Ainsi, le kangourou ne se retrouve qu'en Australie, alors qu'il pourrait facilement vivre au Texas ou en Inde. De même, tous les singes possédant une queue préhensile se retrouvent en Amérique du Sud, alors qu'une telle queue pourrait être utile également aux espèces de singes qui peuplent l'Afrique.

On pourrait aussi s'attendre à observer des traces d'organes maintenant inutiles, mais qui ont été utiles pour certaines espèces plus vieilles et transmis d'une espèce à l'autre lors de l'évolution. Barrette nous fournit justement de multiples exemples de ces vestiges inutiles. Par exemple, le cheval possède, en plus d'un doigt principal, un petit doigt inutile, vestige de ses ancêtres ayant trois doigts. Aussi, chez l'homme, on observe un coccyx, hérité d'ancêtres ayant une queue, et un appendice, vestige d'un organe digérant la cellulose. On peut également, mentionne-t-il, déceler dans le génome les vestiges d'une descendance commune des espèces. Ces vestiges s'expriment très rarement, mais cela peut mener à la naissance d'animaux surprenants. Ainsi, on a vu une poule naître avec des dents, la description pour celles-ci étant encore contenue dans son code génétique, ou un cerf voir le jour avec 4 prémolaires, alors que la dernière de ces dents est disparue il y a des milliers d'années chez les membres de cette espèce. Il naît même à l'occasion des êtres humains avec une queue, ajoute le conférencier.

Il serait aussi normal de voir des animaux avec des ressemblances frappantes, signes de leur descendance commune. C'est effectivement le cas comme en témoigne, par exemple, la ressemblance entre l'homme et la baleine au niveau squelettaire. Les nageoires d'une baleine sont munies des mêmes os et des mêmes articulations que nos bras, bien qu'une seule de ces articulations ne soit flexible chez la baleine. C'est donc une complexité inutile.

Un même ancêtre commun devrait en outre avoir laissé des caractères qui n'ont rien à voir les uns avec les autres. On peut observer cette situation si on s'attarde à la baleine, et à l'espèce qui lui est le plus semblable, l'hippopotame. La baleine possède sans aucune raison biologique ou mécanique, un astragale (os de la cheville) à deux poulies comme l'hippopotame, alors que tous les autres mammifères ont un astragale à une seule poulie.

Enfin, la théorie évolutive prévoit la présence de fossiles d'âge et de forme intermédiaires qui trahissent une parenté commune. Cette prévision a été vérifiée, entre autres, par des fossiles d'archéoptéryx : munis de bras en forme d'ailes et de plumes, mais pourvus de dents et d'une longue queue, ceux-ci démontrent qu'il y a eu une transformation des reptiles aux oiseaux. Barrette mentionne également les monotrèmes : des animaux qui ont des poils et nourrissent leurs petits comme des mammifères, mais pondent des œufs comme des reptiles ; ils attestent d'une certaine évolution entre les reptiles et les mammifères.

En somme, conclut Barrette, au cours des 150 dernières années, on a pu expliquer avec la théorie évolutionniste - de manière simple, scientifique et éclairante - de nombreux faits de biologie que personne ne peut expliquer autrement. Barrette tient toutefois à mentionner qu'en tant que personne, et même en tant que scientifique, il respecte parfaitement la croyance qu'un dieu existerait et aurait créé la vie et l'univers. Cependant, cette réponse aux mystères de la vie est non scientifique, car en science on ne peut jamais faire appel à la magie ou au surnaturel. C'est pourquoi, en tant que scientifique, il proteste vigoureusement aux prétentions de scientificité de la théorie créationniste.

Présentation de Laurence Tisdall : créationniste

Laurence Tisdall

Laurence Tisdall se dit également très heureux de venir nous entretenir de son modèle de la création. Il croit que, contrairement à ce qui a été dit, le créationnisme est une théorie qui peut s'exprimer en termes de science. Il fait d'ailleurs remarquer qu'il a lui-même une maîtrise en biotechnologie : il est donc capable de science lui aussi. Il ajoute que le créationnisme répond aux critères de scientificité que sont la réfutabilité et la capacité à faire des prédictions. Il décrit le créationnisme comme une théorie voulant expliquer l'origine de la complexité de l'organisation, qu'elle attribue à une cause intelligente. Une façon simple de réfuter cette hypothèse serait d'observer dans la nature des membranes plasmiques, des molécules d'ADN et des enzymes nécessaires à leur synthèse se former spontanément, coexister et interagir entre elles. L'hypothèse créationniste prévoit aussi une discontinuité entre les formes vivantes de différents groupes de vie, car le procédé créationniste implique une apparition distincte des diverses créations, c'est-à-dire que les créations distinctes dérivent du Créateur et non les unes des autres par des modifications de l'une à l'autre.

Tisdall présente quatre arguments qu'il affirme scientifiques pour appuyer la thèse créationniste.

1 - Apparition soudaine et discontinuité dans le vivant et le registre fossile

Jusqu'au 17e siècle, on croyait que la vie pouvait apparaître spontanément du non-vivant, que la viande transmutait en vers. Par après, on s'est rendu compte que la génération spontanée était impossible. Louis Pasteur a aussi ensuite prouvé qu'une cellule vivante doit nécessairement provenir d'une autre cellule vivante. Si on accepte ces conclusions scientifiques, affirme Tisdall, la seule conclusion logique à l'apparition d'une première cellule est la nécessité d'une aide extérieure l'ayant créée. Il s'appuie en outre sur les propos de Stephen J. Gould, un scientifique qui, mentionne-t-il, n'est toutefois pas créationniste :

« L'extrême rareté des formes de transition est le secret de fabrique de la paléontologie... L'historique de la plupart des espèces fossiles comprend deux caractéristiques allant à l'encontre du gradualisme :

1. La fixité. La plupart des espèces ne démontrent aucun changement de direction tout au long de leur durée sur terre. Dans le registre fossile, leur apparence demeure à peu près la même jusqu'au moment de leur disparition ; les changements morphologiques sont habituellement limités et sans direction.

2. L'apparition soudaine. Peu importe la zone locale, les espèces n'apparaissent pas graduellement à la suite de la transformation constante de leurs ancêtres ; elles apparaissent plutôt tout d'un coup et complètement formées « (Natural History - 1977)

Tisdall ajoute que rien ne fait le pont entre les eucaryotes et les procaryotes, les vertébrés et les invertébrés, les organismes unicellulaires et les organismes pluricellulaires, les insectes sans ailes et les insectes ailés...

« Plutôt que de trouver un déroulement graduel de la vie, ce que les géologues de l'époque de Darwin et de notre temps trouvent, c'est un registre très inégal et incohérent ; c'est-à-dire que les espèces apparaissent très soudainement dans la séquence, qu'elles démontrent peu ou pas de changements durant leur existence dans le registre, et qu'elles quittent abruptement le registre. » (David M. Raup)

« Il n'en demeure pas moins : l'apparition et surtout la diversité de nombreux grands groupes zoologiques à l'aube du Cambrien restent ce que Darwin appelait déjà « une sérieuse difficulté » dans l'histoire de l'évolution. Darwin expliquait cet « événement » paléontologique par le fait que le registre fossile était incomplet, mais cet argument tient de moins en moins et l'on connaît maintenant des séries géologiques complètes montrant le passage du Précambrien supérieur au Cambrien (544 millions d'années) et, toujours, on constate cette apparition soudaine des faunes. » (Pour la science - octobre 2002)

2 - Stabilité des espèces

Selon Tisdall, la stabilité des espèces est un argument important contre la théorie de l'évolution. En effet, les fossiles retrouvés nous permettent de conclure que les grenouilles n'ont pas changé en 100 millions d'années, alors que les hommes auraient évolué des singes en moins de 20 millions d'années. Comment, en outre, les dinosaures auraient-ils pu disparaître, alors que les grenouilles, qui sont pourtant de sensibles indicateurs environnementaux, ont survécu ?

3 - Ensemble minimal des gènes nécessaires à la Vie

Il apparaît assez important à Tisdall de mentionner que la forme de vie la plus simple connue soit un parasite comportant 468 gènes de 1000 bases chacun. De plus, même sur papier, les scientifiques ont calculé un seuil minimal du vivant de 250 gènes (nombre corrigé par la suite à 297), après quoi on ne pourrait enlever aucun gène pour conserver une forme vivante. Tisdall ne croit pas possible qu'on puisse passer de 0 à 250 gènes de 1000 bases chacun sans aucune forme d'intelligence dirigeant les travaux. Tisdall demande encore d'où vient l'information codée sous forme d'ADN ? Tout ordinateur doit être programmé pour fonctionner. Rejeter la nécessité d'un créateur revient, selon lui, à affirmer que le papier et l'encre sont responsables de ce qui se trouve dans le journal.

Tisdall affirme aussi que la thèse créationniste est une certitude mathématique, prouvée à l'aide des probabilités. Il s'appuie sur les deux citations suivantes :

« Nous n'avons pas d'autre choix que de conclure que l'origine de la vie était un événement unique, qui ne peut être discuté en termes de probabilités. » (Prof. E. J. Ambrose, cité par Bird, W.R., The origin of species revisited. Ed. Thomas Nelson (1991) pp. 302-303)

« La vie ne peut en aucun cas être le résultat du simple hasard... Le problème est qu'il y a 2000 enzymes et la probabilité de les obtenir tous dans une suite aléatoire est seulement de un sur 1040000 une probabilité si petite que même si tout l'univers était une soupe organique, les chances seraient insurmontables. Sans les préjugés, les croyances et l'éducation, ce simple calcul enlèverait toute idée que la vie aurait pris naissance sur la Terre. » (Fred Hoyle et N. ChandraWickramisinghe,  Evolution in Space)

4 - Complexités irréductibles

Il met aussi l'accent sur le fait que le domaine vivant possède une complexité irréductible : « La biologie occupe une place de choix dans l'étude de la complexité, et tous les systèmes vivants, même les plus simples, sont des systèmes complexes. » (La complexité biologique, Pour la science, (décembre 2003, p.31)

Il cite en exemple le cas des flagelles bactériens :

« Le moteur flagellaire est muni de plusieurs pistons et d'une relation originale de vitesse-torque [...] Qui aurait imaginé : de complexes récepteurs qui comptent les molécules et effectuent des comparaisons temporelles ? [...] » (Current Biology, mars 2005)  

« Ça fonctionne comme une pile, bouge comme une hélice de bateau, possède un engrenage réversible afin de pouvoir tourner dans les deux sens et c'est sous le contrôle de l'information de l'environnement. Voici des fonctions biologiques dans leur forme la plus simplifiée et, déjà, il y a 60 différents types de composants dans ce petit moteur. » (Nature Science Update : Acid stops bacteria swimming, février 2003)  

Il ne faut pas oublier, ajoute-t-il, qu'on parle ici d'un organisme vivant parmi les plus simples sur Terre. Si on laisse tomber à répétition un casse-tête avec 500 morceaux par terre, ils ne pourront jamais tous s'assembler correctement par hasard.

Tisdall résume ainsi les arguments biologiques liés à la complexité :

- C'est un fait que les systèmes biologiques sont tous des systèmes complexes. - C'est un fait que les systèmes complexes sont tous issus d'une cause intelligente. - La conclusion directe et logique est donc que les systèmes biologiques sont issus d'une cause intelligente.

Tisdall ajoute que certains s'étonnent que les organismes aient l'air d'avoir un but : « La biologie est l'étude des choses compliquées qui ont l'apparence d'avoir été conçues pour un but. » (Richard Dawkins, The Blind Watchmaker) Si elles semblent avoir été conçues dans un but, c'est tout simplement parce qu'elles ont été conçues dans un but !

Tisdall conclut en disant qu'il cherche dans la science la vérité. Que la conclusion soit métaphysique ou naturaliste, c'est la vérité qu'il recherche. Contrairement à l'évolutionnisme, le créationnisme est une théorie scientifique qu'on peut constater tous les jours être prouvée.

Réplique de Barrette à l'exposé de Tisdall

Barrette souligne en premier lieu la fréquence du mot hasard dans le discours de Tisdall. À son avis, les créationnistes veulent faire croire que les évolutionnistes affirment que l'évolution s'est produite complètement par hasard, ce qui rendrait cette théorie beaucoup moins crédible. Or, cela est totalement faux, c'est un mensonge, une désinformation, dénonce-t-il.

Barrette admet pourtant que les exemples de Tisdall semblent convaincants - à première vue. Ce ne sont toutefois que des critiques des limites de l'évolution. Avec cette façon de raisonner, ajoute-t-il, on devra rejeter la science tant qu'elle n'expliquera pas à la perfection l'origine de l'homme, de l'univers et des espèces ! Pour ensuite conclure à l'existence d'un créateur. Barrette fait remarquer que les créationnistes critiquent l'approche évolutive, mais ne parlent jamais directement de la création. En quoi contribuent-ils à notre compréhension de l'origine de la vie ?

Le biologiste illustre son point avec l'histoire d'une fourchette trouvée dans la savane en Afrique. Un scientifique face à cette situation sera porté à se demander quelle est l'origine de la fourchette, son histoire. Il voudra connaître les endroits où la fourchette s'est rendue à partir de l'usine avant d'arriver dans la savane. Son travail de recherche sera fort probablement long et dur. À l'opposé, devant une même situation, un créationniste conclura que retracer l'histoire de la fourchette est beaucoup trop de travail, et que c'est probablement le grand esprit de la savane l'a mise là pour témoigner de sa bonté. Le créationnisme est ainsi à son avis une attitude non scientifique, dans le sens où elle fait intervenir un être surnaturel comme explication, et anti-scientifique, car elle mène à la conclusion qu'il ne sert à rien de chercher de façon scientifique les moyens par lesquels la vie est apparue et a progressé. Ce n'est donc pas une démonstration scientifique, mais plutôt une capitulation de la raison devant l'ignorance.

Réplique de Tisdall à l'exposé de Barrette

Tisdall s'excuse de ne pouvoir répondre à toutes les questions de Barrette. Il affirme ensuite que la théorie évolutionniste, n'est rien d'autre qu'une fable pour adultes. Tout comme un jeune enfant peut croire qu'un baiser puisse transformer une grenouille en un prince charmant, certains croient qu'avec beaucoup de temps une baleine puisse devenir un éléphant. Il dit regretter ne pas avoir assez de foi pour croire à cette histoire.

Pour se défendre contre les arguments de Barrette, il cite la loi de la biogenèse comme une preuve qu'il doit y avoir un premier humain. D'ailleurs, à son avis, il y a effectivement eu un premier homme qui a développé le français, contrairement à ce qu'affirme son adversaire.

Il souligne qu'il y a plusieurs trous dans le registre fossile et que certaines espèces intermédiaires manquent totalement. Il cite Steven M. Stanley : « Les espèces établies évoluent si lentement que les transitions majeures entre les taxa généraux et supérieurs doivent se produire au sein de petites populations évoluant rapidement, qui ne laissent aucun fossile visible. » On aboutit donc clairement, affirme-t-il, à une irréfutabilité de la théorie de l'évolution, car peu importe si on réussit à trouver ou non des fossiles de ces transitions, la théorie sera toujours prouvée.

Tisdall déplore le fait que Barrette ne parle pas des mécanismes pour transformer un hippopotame en une baleine. Comment la sélection naturelle peut-elle conserver de très petits changements ? On ne peut pas voler avec seulement une petite partie d'une aile !

Tisdall fait aussi remarquer que les mutations se produisent toujours par hasard et que la majorité d'entre elles sont nuisibles ou neutres. La majorité détruit donc l'organisme hôte, elles n'ajoutent pas d'information dans son bagage génétique. Il faut aussi noter que les mutations doivent avoir lieu dans des cellules transmises et ensuite se répandre dans toute la population. Les mutations sont donc selon Tisdall quasi inutilisable.

De l'avis de Tisdall, l'évolution n'est donc qu'une religion, tel que le croit Michael Ruse, professeur de philosophie et de zoologie à l'Université de Guelph :

« L'évolution est élevée par ses partisans au-dessus de la simple science. Elle est véhiculée comme une idéologie, une religion séculière - un choix au même titre que le christianisme, avec un sens et une morale... L'évolution est une religion. C'était le cas au début et perdure jusqu'à maintenant... L'évolution a donc pris naissance en tant qu'idéologie séculière, comme substitut explicite du christianisme. »

QUESTIONS ET DISCUSSION

Précision de la vision créationniste

Plusieurs personnes désirent que Tisdall élabore sur la vision créationniste. On lui demande d'abord comment le créationnisme explique les distributions de fossiles, soit le fait qu'on retrouve des espèces différentes dans des strates différentes. Comment il explique l'universalité de la biologie du vivant, et comment il rend compte de l'anatomie comparée.

Tisdall ne voit pas en quoi l'universalité des éléments chimiques, qui composent les organismes vivants, constitue un problème pour la théorie créationniste. C'est en fait ce à quoi on devrait s'attendre si tous les êtres vivants ont le même créateur, tout comme toutes les automobiles ont quatre roues. Concernant la question des fossiles, il répond que c'est une fable qu'il y a une échelle géologique mondiale. On ne trouve que très rarement les 10 échelles géologiques réunies. Ainsi, au Québec il n'y a que les trois strates du bas, donc il manque 350 millions d'années. Comment cela peut-il être possible ? Enfin, en ce qui concerne l'anatomie comparée, Tisdall déplore qu'on impose toujours un point de vue évolutionnisme, sans donner le mécanisme génétique qui explique ces ressemblances anatomiques. Car, ce ne sont pas toujours les mêmes gènes qui codent pour les mêmes caractéristiques physiques. Il lui semble certainement très logique que le créateur ait créé des structures semblables pour des espèces vivant dans un même environnement.

Barrette est en désaccord avec ces propos, particulièrement sur le dernier point. Il signale qu'il n'y a aucune raison fonctionnelle pour la structure du bras de la baleine. Et il se demande comment on peut affirmer que les ressemblances anatomiques que partagent les baleines, les chauves-souris, et les humains s'expliquent par la similitude de leur environnement.

On demande également à Tisdall comment le créationnisme traite les virus, qui ne sont pas vivants, mais composés d'ADN et capables d'évoluer et de se répandre rapidement à travers la planète.

De l'avis de celui-ci, un virus n'évolue pas, mais c'est en fait un agent de distribution des codes génétiques. Le virus dépend de vie plus complexe que lui pour vivre, et ne fait que ce qu'il a été programmé pour faire. Il ne voit d'ailleurs aucun rapport entre les échanges de matériel génétique entre les bactéries et l'hypothèse d'une évolution d'un éléphant à un hippopotame. Ainsi, en se donnant la main, on ne s'échange pas de code génétique.

Précisions de la vision évolutionniste

On demande à Barrette comment les scientifiques peuvent bâtir une théorie évolutionniste alors que celle-ci va à l'encontre de plusieurs principes scientifiques tels que : la loi de la biogenèse, soit du vivant venant du non vivant, et aussi la deuxième loi de la thermodynamique, soit de l'évolution allant du plus simple au plus complexe.

Barrette refuse cette vision que la vie est apparue spontanément. Pour un biologiste, il s'agit d'une émergence lente et continue, et ainsi donc la question du premier ne se pose pas. Il ajoute que la deuxième loi de la thermodynamique n'est pas contraire à la théorie de l'évolution, car cette loi s'applique à un système fermé, par exemple l'ensemble de l'univers. Si on ajoute de l'énergie dans un système ouvert, il est possible qu'il acquière une plus grande complexité, ainsi qu'un cristal de neige hexagonal et symétrique se forme à partir de gouttelettes d'eau désordonnées. Tisdall n'est toutefois pas d'accord avec cette dernière affirmation. Il cite un scientifique qui affirme que la deuxième loi s'applique également à des systèmes ouverts et ajoute que si on donne de l'énergie à un flocon de neige, celui-ci va fondre.

Barrette ayant dit à maintes reprises qu'on ne peut pas parler d'une première cellule vivante, on lui demande s'il y a eu des moments où les organismes étaient en partie vivants et en partie non vivants, tout comme la langue française fut un long moment en partie latine et en partie française.

Celui-ci répond qu'effectivement, si on s'entend sur la liste des éléments qui constituent la définition de la vie, on pourra toujours trouver des animaux qui possèdent certaines caractéristiques, mais pas d'autres, de même qu'il y a eu des animaux en partie reptile et en partie mammifère. Il mentionne l'existence d'une chimie prébiotique avant la vie, et de molécules organiques plus ou moins stables. Les plus stables durant plus longtemps, elles peuvent servir à créer des organismes vivants. On peut d'ailleurs synthétiser en laboratoire certains de ces intermédiaires.

Tisdall réplique en disant qu'on ne connaît pas de sélection naturelle pouvant agir directement sur des molécules. Il ajoute que les intermédiaires, que Barrette dit avoir été synthétisés, ne sont en fait que quelques acides aminés, et qu'ils ont tous une forme particulière, dite gauche, alors que les molécules organiques ne se forment qu'à partir d'acides aminés dits droits.

On demande en outre à Barrette comment on peut étudier de façon scientifique l'évolution si celle-ci se produit de façon imperceptible, donc est impossible à étudier par les sens.

Barrette rejette la conclusion des créationnistes selon laquelle une chose non perceptible est nécessairement non étudiable scientifiquement. Par exemple, les rotations de la Terre sur elle-même et autour du Soleil sont indéniables, mais pourtant imperceptibles. Et la pousse des cheveux en une seconde est indétectable, mais sur un an (31 millions de secondes) elle devient évidente.

Tisdall souligne, quant à lui, qu'on croyait que la paléontologie allait nous permettre de constater l'évolution, mais elle ne fait que mettre en évidence des trous dans le registre fossile.

Comment expliquer que les très rares mutations favorables aux individus réussissent à se répandre dans une espèce entière ?

Barrette affirme que ceci s'explique en partie par le fait que la sélection naturelle est un processus très gaspilleur. Ainsi, une femelle morue pond des millions d'œufs par année, mais il n'y en a qu'environ 2 qui vont survivre. Des millions d'individus sont sacrifiés pour qu'il y ait une amélioration. Sur une échelle de millions d'années, cela peut avoir un impact énorme.

Tisdall croit quant à lui que la science ne devrait pas parler de hasard. À son avis si on recule de plus de 3000 ou 4000 ans, on sort du domaine de la science et on entre dans celui de la croyance, car les événements ne sont alors plus observables.

Probabilités et origine

Que peut-on dire statistiquement sur l'incroyable improbabilité que les molécules s'organisent d'elles-mêmes pour créer la vie ? Comment est-ce possible ?

Barrette souligne que cette question est en fait un faux problème. On allègue que les biologistes affirment que l'évolution s'est produite par pur hasard. Ce qui est faux. La sélection naturelle est le mécanisme essentiel pour produire des améliorations, dans un environnement donné, limitées par l'histoire des améliorations précédentes - seules les mutations génétiques se produisent vraiment au hasard.

Il croit également que la question de ce qui est possible n'est pas adéquate. Il est théoriquement possible qu'à un instant précis toutes les particules dans la salle se regroupent d'un côté seulement de la salle. Donc, c'est théoriquement possible que les molécules s'organisent d'elles-mêmes, mais en fait il y a plus que le hasard qui les y pousse, elles subissent les contraintes constantes de l'environnement physique. De plus, le scientifique ne croit pas à l'évolution ou à la gravitation. Il observe que l'évolution s'est déroulée, que la gravitation agit.

Le créateur

Il semble à certains que le dieu qui a créé cet univers est un dieu inférieur, imparfait. Il fait des erreurs, crée une multitude d'espèces et les fait disparaître de façon capricieuse. Il n'est pas bienveillant, car il crée des organismes et les laisse disparaître.

Bien que respectant la liberté d'opinion de chacun, Tisdall est d'avis que la nature est très bien faite. Tout comme en regardant une peinture, on peut conclure à l'intelligence de son auteur, la nature entière est pour lui une manifestation de l'intelligence du créateur. Il ajoute qu'il y a des explications de l'origine des souffrances dans le monde, mais que ses réponses sont spécifiques à une approche judéo-chrétienne.

Barrette affirme quant à lui que les imperfections des espèces sont des traces claires du travail de l'évolution. Par exemple, la rétine de tous les vertébrés est montée à l'envers, c'est-à-dire que les extrémités des cônes et des bâtonnets pointent vers l'intérieur, et non vers l'extérieur pour capter la lumière. Cet accident évolutif, affectant les vertébrés, a des inconvénients, tels un possible décollement de la rétine et la présence d'une tache aveugle sur la rétine. Les pieuvres pourtant possèdent un œil monté à l'endroit. L'évolution est donc un processus gaspilleur et imparfait ; un ingénieur n'aurait jamais créé un œil à l'envers de cette façon.

Réfutabilité du créationnisme et de l'évolutionnisme

Une personne de l'assistance s'inquiète du caractère irréfutable du créationnisme, qui aura toujours un créateur à fournir en réponse aux questions qu'on lui adresse.

Barrette partage son opinion : la force de la science réside dans le fait qu'elle propose des théories qui peuvent se transformer avec le temps. On pourrait d'ailleurs très bien réfuter l'évolution, par exemple en observant dans les mêmes couches de roches des squelettes humains et des squelettes de dinosaures, ou encore des fossiles mammifères plus vieux que les plus vieux fossiles de reptiles. Le créationnisme est quant à lui irréfutable. Quelles sont donc les observations qui pourraient réfuter cette théorie ?

Tisdall présente alors des photos d'ossements d'humains présumés trouvés avec ceux de dinosaures dans le Dakota Sandstone et qu'on dit datant de 140 millions d'années. On y distinguerait l'empreinte d'un pied humain et aussi des empreintes de chat.

La datation

En interrogeant Tisdall sur la chronologie concrète de la création, on apprend qu'il considère que Dieu a créé l'Homme et la Terre il y a moins de 10 000 ans. Cela semble paradoxal, compte tenu du fait qu'il nous a affirmé avoir des preuves de fossiles humains et de dinosaures datant de 140 millions d'années.

Tisdall souligne d'abord que cette vision d'une jeune Terre n'est pas propre à tous les créationnistes, mais bien le point de vue judéo-chrétien de la création. Il explique que le champ magnétique terrestre diminue de 5% chaque siècle. En interpolant, on doit conclure qu'il y a 20 000 ans ce champ magnétique était trop fort pour permettre la vie d'exister sur la planète. Il ajoute que des recherches de créationnistes détenteurs de doctorats ont d'ailleurs montré des incohérences dans les différentes méthodes de datation. Il cite une expérience, rapportée dans la revue Géochronique du mois d'août 1990, dans laquelle 15 000 échantillons de fossiles ont été analysés pour leur teneur en carbone 14. Tous avaient des quantités substantielles de C14, bien que celui-ci soit sensé disparaître rapidement. Il ajoute qu'il ne croit donc pas qu'on puisse effectivement avoir trouvé des fossiles de plusieurs millions d'années, mais il peut utiliser les méthodes de datation, dont il doute grandement de la précision, aux fins d'argumentation.

De son côté, Barrette fait remarquer que les créationnistes tentent souvent de discréditer la science, en particulier la paléontologie et la physique. Ils se disent toutefois scientifiques, mais ils veulent redéfinir la science pour y admettre le recours à des causes surnaturelles.

Redéfinir la science

Quelqu'un veut savoir pourquoi tant tenir à garder Dieu en dehors de la définition de la science, à part le fait de vouloir imposer que tout s'est fait naturellement,. On ne peut pas expérimenter pour savoir si la Terre a été créée.

Barrette explique que les scientifiques adhèrent à une position nommée matérialisme méthodologique, c'est-à-dire que la méthode scientifique les limite à travailler sur des choses mesurables, testables et réfutables. Il a d'ailleurs la certitude qu'un jour tout ce qui sera expliqué le sera sans faire appel aux miracles ou à la religion. Barrette reprend également l'argument de David Hume : Si quelqu'un me dit qu'il a vu un miracle, il y a beaucoup plus de chance que je me trompe en le croyant, car les miracles sont très rares. Par contre, on rencontre souvent des gens qui se trompent, et aussi parfois des gens qui nous trompent, intentionnellement ou non.

Il faut donc se demander quels arguments les créationnistes amènent qui pourraient nous convaincre qu'on ne se trompe pas en acceptant leur idée d'un Créateur à l'origine de la vie. Et, puisqu'il y a sur l'ensemble de la planète autant de mythes de la création que de sociétés, il faut aussi se demander quelles raisons pourraient nous permettre de conclure à une meilleure théorie.

Barrette n'a rien contre une position qui nie l'importance de la recherche scientifique (comme le créationnisme), du moment qu'on ne dit pas qu'elle fait de la science ! Affirmer qu'on perd son temps à chercher les causes naturelles de l'origine de la vie - parce qu'elles n'existent pas - va à l'encontre de la démarche scientifique elle-même.

Tisdall réplique qu'affirmer que, dans le lointain passé, une cellule eucaryote serait devenue procaryote au cours de millions d'années n'est aucunement scientifique, car la science n'examine que ce qu'on peut voir. Le fossile étant maintenant scellé dans une roche, il n'appartient plus au domaine de la science.

Compte-rendu rédigé par Anne-Sophie Charest

Voir aussi résumé des preuves de l'évolution et des erreurs du créationnisme.