LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence
Vies Brisées : Les erreurs judiciaires

Conférence du dimanche 13 novembre 2005

Vies Brisées : Les erreurs judiciaires

Par Michel Dumont, Injustice Québec

Texte annonçant la soirée

« Victime d’une erreur judiciaire, je viens partager mon expérience tumultueuse dans les dédales de la justice criminelle canadienne. Accusé de viol en 1990 à la suite d’une plainte fondée sur le témoignage de la victime, je fus convoqué en procès en 1991.

Malgré six témoins solides (tous prêts à m’appuyer) et armé d’un alibi en béton, je fus quand même reconnu coupable. Suite à mon incarcération, j’ai décidé d’aller en appel. En 1992, la victime reconnaît le véritable agresseur dans un club vidéo de Boisbriand. Réalisant l’erreur judiciaire, elle en avise les policiers et le procureur de la Couronne. Ceux-ci ignorent toutes ses demandes. Ce n’est qu’en 1994 que l’on entend mon appel et la Couronne omet délibérément d’informer la justice, ainsi que mon avocat, des faits additionnels à mon endroit. L’appel fut rejeté.

Ce n’est qu’en 1997, lors de ma sortie de prison, que la victime m’informe de ceux-ci. Elle le fit même devant les caméras de l’émission Enjeux en 2001. Entre-temps, mon innocence a été prononcée, cependant, le gouvernement ne veut toujours pas reconnaître son erreur à mon endroit. C’est pour cette raison que j’ai décidé de fonder Injustice Québec afin d’exiger du gouvernement Charest et du Ministre de la Justice, Yvon Marcoux, une action rapide pour toutes les victimes d’erreurs judiciaires au Québec. Dans un pays aussi progressiste que le Canada, nous avons tous les moyens nécessaires pour implanter un tel programme et nous devrions même nous en faire un devoir.

Notre système de justice est-il infaillible? Loin de là! Est-ce que son système de preuves et témoignages est efficace pour savoir toute la vérité, rien que la vérité? Chose certaine, j’ai été victime d’une flagrante erreur judiciaire et nous devons intervenir afin que de telles tragédies cessent. »

Michel Dumont a été emprisonné pendant 3 ans et 2 mois pour un crime qu’il n’a jamais commis. La Couronne a même omis délibérément la divulgation de preuves qui auraient pu prouver son innocence. Il est maintenant le porte-parole d’Injustice-Québec, un groupe militant pour un meilleur soutien aux victimes d’erreurs judiciaires.

Annonce – collection des anciens numéros du Qs

Dominic Claveau, vice-président des Sceptiques du Québec, rappelle que vient d’être mis en vente un disque compact comprenant l’entière collection des anciens numéros du Québec Sceptique (du no1 au no54). Chaque numéro est accessible dans un fichier PDF exactement tel que paru. Le CD comprend aussi un outil de recherche permettant d’effectuer une recherche par titre, auteur ou mots-clés à travers ces quelque 900 articles parus entre 1987 et 2004. Ce disque compact est vendu au coût de 30$ pour les membres ou abonnés et 40$ pour les non-membres, alors que le coût d’une collection complète version papier est de 150$.

Mot du Président

Daniel Picard, président des Sceptiques du Québec, s’informe de la présence de nouveaux auditeurs dans la salle et présente l’association des Sceptiques du Québec. C’est un organisme à but non lucratif qui existe depuis 1987. Il fait la promotion de l’esprit critique et de la pensée rationnelle en organisant, entre autres, des conférences le 13 de chaque mois. Ces conférences abordent évidemment des sujets liés aux pseudosciences, mais également des thèmes de plus en plus diversifiés, par exemple la conférence de ce soir qui porte sur la justice. Les Sceptiques du Québec produisent aussi le magazine Le Québec Sceptique, trois fois par année, et distribuent également des livres et articles dans des écoles de la province pour y promouvoir l’esprit critique et la pensée rationnelle. Les Sceptiques du Québec décernent également à chaque année un prix Sceptique, à une personne ayant fait preuve d’un grand esprit critique, et un prix Fosse Sceptique remis à un organisme qui a fait preuve d’un manque flagrant d’esprit critique. Il nous encourage à consulter le site Internet pour la liste des candidatures pour les prix en 2005 et à nous faire parvenir des suggestions de récipiendaires.

Actualité sceptique

François Filiatrault, animateur de nos soirées, désire soumettre la candidature du Cégep de Lanaudière au prix Fosse Sceptique, car cette institution d’enseignement supérieur offre un cours de caractériologie d’une durée de 10h. Cette pseudoscience affirme pourvoir déterminer la personnalité des individus par les proportions de leur visage et n’a aucune valeur scientifique.

Présentation du conférencier

M. Filiatrault rappelle le concept des théories implicites présenté lors de sa dernière conférence, et souligne que chacun a une idée personnelle de la justice. La plupart des gens croient à un équilibre entre leurs fautes et leurs punitions, leurs bonnes actions et leurs récompenses. Toutefois, ajoute-t-il, ce qui est arrivé à Michel Dumont infirme ce genre de théorie. Il invite donc M. Dumont à venir présenter les événements tragiques qui ont brisé sa vie et le livre issu du récit de ses mésaventures.

Vies Brisées : Les erreurs judiciaires

Michel Dumont

Par Michel Dumont, Injustice Québec

Voici l’histoire vécue d’une terrible erreur judiciaire, racontée sur le ton anecdotique utilisé par le conférencier lui-même.

Le début du cauchemar

Le cauchemar de Michel Dumont commence en 1990 quand la police communique avec lui pour connaître son âge et le prendre en photo, quelqu’un ayant appelé pour dire qu’il ressemblait à l’agresseur d’un crime récent commis à Boisbriand. Dumont croit alors qu’on rit de lui, l’agresseur étant décrit comme grassouillet (180 livres) alors que lui ne pèse que 125 livres.

Tout ceci s’avère toutefois bien réel, et il s’ensuit une enquête préliminaire lors de laquelle Dumont rencontre la victime pour la première fois, qui d’ailleurs le reconnaît comme son agresseur. Pourtant, cinq témoins affirment qu’ils jouaient aux cartes avec Dumont ce soir-là, mais le juge décide tout de même qu’il y aura un procès. Ce même juge le déclare ensuite coupable, malgré l’absence de preuves matérielles telles des tests d’ADN ou des empreintes digitales. On l’envoie donc en prison; il y attendra sa sentence.

 

Alors que Dumont patiente en prison, le juge qui doit prononcer la sentence est arrêté en état d’ébriété, ce qu’on ignorait à l’époque. Était-il à ce moment-là en état de juger sa cause, se demande maintenant Dumont ? Le juge est donc suspendu, et Dumont doit attendre en prison le retour du juge. Son avocat réussit heureusement à le faire sortir de prison pendant l’attente et la Couronne demande qu’il soit jugé devant un autre juge. Il est toutefois décidé qu’il devra attendre le retour du juge suspendu pour avoir sa sentence. Durant l’attente, un policier l’arrête pour possession et vente de drogues, mais il s’avère que ce n’est pas lui qu’on recherche. La Couronne voulait encore l’incarcérer pour rien, déplore Dumont !

Quelques mois plus tard, le juge revient et le condamne à 52 mois de prison. Son avocat réussit à le faire à nouveau libérer et s’en va en appel. On le libère, raconte-t-il, le soir avant la fermeture du métro, mais après l’heure à laquelle ses conditions de libération l’obligeaient à être dans sa maison. Terrorisé à l’idée que les autorités pourraient le reprendre pour bris de conditions, il court jusqu’au métro puis jusqu’à sa résidence. Il attend alors des nouvelles de la cour d’appel.

Peu après, il rencontre pour la première fois Solange, celle qui deviendra sa compagne dévouée, par le biais de l’organisation SSD (pour personnes seules, séparées ou divorcées). C’est le coup de foudre. Ils s’échangent leurs numéros de téléphone et Dumont l’invite à sortir un soir. Ils se fréquentent ainsi quelque temps, puis il va chez elle rencontrer ses enfants. Solange et Michel rêvent de réunir tous leurs enfants. Après deux semaines de fréquentation, il lui explique qu’il est accusé d’agression sexuelle, mais l’assure que tout va s’arranger en appel.

Appel rejeté

Malheureusement, le 14 février 1994, Dumont perd en appel (il apprendra plus tard que la victime avait affirmé en 1992 s’être trompée sur l’identité de son agresseur). Dumont n’est même pas averti immédiatement du résultat de l’appel ! C’est sa sœur qui, 1 ou 2 mois plus tard, lui dit d’appeler son avocat, car il a perdu. Il se rend compte à ce moment-là que son avocat n’a pas vraiment travaillé pour lui et tente d’en trouver un autre avant d’aller en prison. Étant alors recherché par la police, Dumont est considéré comme un fugitif aux yeux de la justice.

Dans les mois qui suivent, Dumont se prépare à aller en prison. Il dit à ses enfants qu’il va travailler à l’extérieur de la ville, prépare son sac, complète ses déclarations d’impôts… Malheureusement, les policiers viennent finalement l’arrêter à la maison, la veille de la journée où il aurait vraisemblablement obtenu la garde de ses enfants.

À la réception de la prison, Dumont appelle son avocat. Celui-ci lui dit qu’il risque de devoir rester incarcéré pour une certaine durée. À ce moment, Dumont se met à paniquer : il pleure et se dit qu’il n’y a pas de justice au Québec. Mais tout n’est pas si noir pour autant, car ce même soir, son amie Solange lui propose de l’épouser. Ils se marient donc en prison. Cela s’avère toutefois plutôt compliqué puisque Dumont a d’abord beaucoup de difficulté à obtenir son jonc de mariage. De plus, son agent de cas enquête sur des bénévoles qui offrent de payer le buffet du mariage. Solange et lui réussissent tout de même à se marier et ils ont droit à deux fins de semaine de suite dans une roulotte comme voyage de noces.

La vie en prison

C’est très difficile en prison pour Dumont, car celui-ci refuse d’admettre le crime pour lequel il a été condamné. Son agent de cas lui donne de faux espoirs : comme d’être transféré à Ste-Anne-des-Monts, prison à sécurité minimum, qui est beaucoup plus proche de chez lui. Il lui fait croire à quelques reprises qu’il passera au jugement de cas bientôt, alors que ce n’est pas vrai. Dumont explique que son agent de cas essaie de le casser, pour qu’il rentre dans le moule.

En prison, les gens condamnés pour agression sexuelle se font aussi fréquemment battre par les autres détenus. Il ajoute que les gardiens ne se gênent pas pour révéler l’identité des agresseurs sexuels aux autres prisonniers. Dumont a été la cible de graffitis, d’actes violents… Il qualifie de négligence criminelle de la part du système de justice le fait de ne pas assurer adéquatement la sécurité des prisonniers. Il lui est aussi impossible de manger à la cafétéria avec les autres détenus. Les tables y sont d’ailleurs réservées. Les nouveaux détenus doivent soigneusement vérifier quelles tables sont disponibles de quelle heure à quelle heure par crainte d’occuper une table déjà retenue.

Il y aurait même des détenus payés pour casser la gueule des autres. Certains prisonniers se sont livrés à une petite enquête pour arriver à cette conclusion. L’un d’eux a marqué ses tabacs et un autre est allé dire aux gardiens qu’il excédait la limite permise de possession de tabac. Les gardiens sont alors venus les saisir, mais les prisonniers ont remarqué qu’une semaine plus tard, ces mêmes tabacs étaient encore en circulation. Dumont prétend que certains gardiens donnent des tabacs à d’autres détenus en échange de services, tels battre d’autres prisonniers.

Dumont soutient également que, pour survivre en prison, il faut devenir criminel. Il gagne 5$ par jour en travaillant comme électricien à la prison, mais il doit chercher à se nourrir lui-même, car il ne peut pas manger à la cafétéria – on lui y rend la vie difficile puisqu’on le considère comme un abuseur sexuel. Il doit demander à sa femme de déposer de l’argent dans le compte d’un détenu. En échange, celui-ci lui donne des tabacs qu’il échange par la suite avec d’autres détenus pour de la nourriture. Il peut aussi amasser de l’argent en vendant des alambics pour distiller des alcools frelatés à partir de boissons fermentées, mettant ainsi à contribution ses talents d’électricien.

Le long chemin vers la libération

Quelque temps plus tard, il reçoit une lettre de la victime : elle lui révèle qu’en 1992 elle a averti la police et la Couronne qu’elle s’était trompée sur l’identité de son agresseur et qu’elle tient à ce qu’il en soit avisé. Contrairement à ses attentes, cette annonce ne change rien pour Dumont et son avocat lui assure qu’il n’y a rien à faire pour le faire libérer. Son épouse Solange décide donc de mener elle-même une enquête. Elle envoie la lettre de la victime à Alan Rock, le ministre de la Justice de l’époque. Celui-ci accepte de rouvrir le dossier de Dumont, qui pourrait profiter de l’article 6-90 du code judiciaire. Cet article prévoit que si on a des éléments nouveaux et qu’on a épuisé toutes les requêtes du Québec, le Canada a le devoir de faire un nouveau procès ou de retourner la cause en appel. Malheureusement pour lui, des élections surviennent et Anne McLennan remplace Alan Rock au ministère de la Justice; lors d’un changement de ministre de la Justice, tous les dossiers sont détruits, car ce sont des documents confidentiels. Dumont doit donc remplir et envoyer à nouveau tous les documents. Sa demande est finalement acceptée par la nouvelle ministre.

 

Par la suite, Solange communique avec le recherchiste de l’émission de Guy Mongrain et celui-ci se montre intéressé par le sujet. La victime passe donc à l’émission pour dire publiquement qu’elle maintient les propos qu’elle a eus acquittant Michel Dumont. Toutefois, contrairement aux attentes de Dumont, cette déclaration publique ne lui permet pas non plus de sortir de prison. Toutefois, après la diffusion de l’émission, le patron des motards va lui tendre la main; il le félicite de sa persévérance et s’excuse pour les mauvais traitements que les détenus lui ont fait subir. La pression diminue.

Pendant toute la durée de son incarcération, Dumont a refusé d’admettre le crime pour lequel il était condamné. Il ne se repentait pas. Ce qui en a fait un criminel dangereux aux yeux de son agent de cas, la plupart des autres criminels acceptant de suivre une thérapie. Mais, il se voyait assez mal aller en thérapie, car il n’aurait absolument rien eu à raconter. Pour ces raisons, les gardiens désiraient le garder en prison jusqu’à la fin de sa peine. Toutefois, grâce à la diffusion de l’émission de Mongrain et aux efforts de Solange qui a écrit au ministre de la Justice, il lui est permis de purger les 17 derniers mois de sa peine à l’extérieur des murs.

La libération

Dumont est enfin libéré le 23 mai 1997, après une attente qui lui semble interminable. Il est fouillé à nu pour s’assurer qu’il ne vole pas de matériel, puis on lui offre les vêtements de son choix pour sa sortie. Il demande des bottes de travail afin de pouvoir aller travailler dès sa sortie. L’équipe de l’émission Enjeux, contactée par le recherchiste de Guy Mongrain qui était intéressé à aller au fond de cette histoire, l’attend à sa sortie, ainsi que son épouse, bien évidemment. La victime est aussi présente. Elle vient s’excuser à Dumont et lui dit qu’elle s’en veut pour son erreur. Celui-ci accepte ses excuses.

À sa sortie, il se rend chez son ex-conjointe pour aller chercher ses enfants, qui reviennent des foyers d’accueil. Elle lui annonce alors qu’un de ses enfants a été abusé par un pédophile, qui a par la suite été accusé et condamné. C’est un choc pour Dumont. Encore aujourd’hui, il est incapable d’en discuter avec son fils. Comble de malheur, sa fille s’est aussi faite abusée par le fils de sa famille d’accueil. L’affaire a été étouffée, et la famille d’accueil est encore en fonction. Dumont souligne que le gouvernement considère le problème réglé, car ils y placent maintenant uniquement des enfants en bas âge, ce qui lui semble tout à fait ridicule. Il dénonce également la violence qu’il y a dans les foyers pour jeunes. Une violence qu’on tolère dans des foyers où on envoie des enfants en raison de cette même violence dans le foyer familial.

Vers le mois de juin, son avocat lui propose de passer le test du polygraphe. Ça fait longtemps qu’il voulait passer au polygraphe, mais personne n’y avait jamais consenti. Dumont sait bien que ce test n’est pas reconnu en cour, mais il affirme que les jurés en tiennent compte une fois les résultats mentionnés, même si le juge leur dit de ne pas en tenir compte. Pour l’article 6-93, le polygraphe est accepté. Une bonne nouvelle pour les personnes victimes d’erreurs judiciaires, mais un peu tard selon lui. Dumont dénonce aussi le fait qu’au Québec on ne fait pas beaucoup d’enquêtes sur les cas d’erreurs judiciaires, alors que cela se fait couramment dans plusieurs autres provinces du Canada.

Le test du polygraphe dure trois heures. L’accusé est attaché, filmé et enregistré pour toute la durée du test. On procède d’abord à une longue séance de préparation pour l’examen. L’accusé doit par exemple choisir une carte parmi les cinq qui lui sont présentées et répondre non à la question “ Est-ce cette carte que vous avez choisie ? ” pour chacune les cartes. Cela permet d’avoir des informations sur le comportement de celui-ci lorsqu’il ment. L’interrogatoire en tant que tel dure très peu de temps. On lui pose trois questions, puis ces mêmes questions une deuxième fois dans un ordre inversé et une troisième fois où il doit répondre dans sa tête. On lui annonce finalement après le test qu’il dit la vérité lorsqu’il affirme n’être pas relié au crime pour lequel il est accusé. Un petit soulagement pour Dumont qui savait toutefois cela depuis le début.

Il reste néanmoins qu’au début il lui est très difficile de se trouver un emploi, car il a encore une mention d’agression sexuelle à son dossier. De 1997 à 2001 il se bat, fait toutes les pressions possibles pour que le ministre de la Justice intervienne. Jusqu’à ce qu’il soit blanchi, il restera un criminel aux yeux de la société. Il se promène encore avec un manteau de violeur, et il y a même fréquemment un policier posté au coin de sa rue pour le surveiller.

Enfin blanchi !

Un peu avant 2000, le Canada demande une enquête sur son cas. Voici les quatre points de la conclusion de l’avocate chargée de l’enquête :

C’est grâce à ce rapport qu’il est blanchi en 2002. Lorsqu’un juge demande à l’avocat de la Couronne pourquoi il n’avait pas mentionné que la victime avait dit que Dumont n’était pas le bon gars, celui-ci répond que ce n’est pas son travail. Le juge rétorque qu’il travaille pour le ministre de la Justice et donc qu’il n’est pas là pour condamner à tout prix, mais pour que justice soit faite. Une mise au point qui s’imposait, souligne Dumont.

Un combat loin d’être terminé

Aujourd’hui, Dumont est un homme épuisé, mais qui se bat à tous les jours. Il doit travailler 14 heures par jour pour rembourser toutes les dettes qu’il a contractées en prison et pour sa défense. Il doit payer à la Direction de la Protection de la Jeunesse 700 $ par mois pour toute la durée de son incarcération et 300 $ de pensions alimentaires par mois. Il lui a aussi coûté 5000 $ de frais pour avoir la garde de ses enfants. Il a également dû payer 180 000 dollars de frais d’avocat pour sa défense. Afin qu’il puisse payer toutes ces dettes, la caisse lui prêté 41 000 $ qu’il doit maintenant rembourser. Au lieu de faire faillite, il a fait une consolidation de dettes.

Il attend toujours une indemnisation pour cette erreur judiciaire. Il doit continuer à se battre pour cela, mais il refuse d’accepter que les gens qui gouvernent ne s’occupent pas d’aider les gens qui souffrent des injustices. Il lui arrive parfois de vouloir tout abandonner. Mais il arrive toujours du nouveau pour lui redonner de l’espoir. Ainsi, après un moment de découragement, il a été invité à participer à l’émission de télévision Tout le monde en parle.

Il se bat aussi pour les autres. Il a fondé Injustice Québec, car il ne veut plus que de tels incidents tragiques arrivent. Il mentionne que présentement 35 cas d’erreurs judiciaires sont à l’étude au Canada. Le gouvernement a eu peur de son passage à Tout le monde en parle. Des rencontres avec des gens du gouvernement commencent à s’organiser. Il est aussi présent à la radio pour dénoncer toutes les injustices qu’il voit autour de lui.

Vies brisées

De plus, il ramasse de l’argent, avec la vente de son livre*, pour une petite fille de huit mois qui a subi un arrêt cardiaque. Le seul traitement possible, c’est la chambre hyperbare au coût de 50 000 dollars, mais ce n’est pas reconnu et payé ici par l’assurance-maladie. La petite fille pourrait probablement parler et marcher à la suite de ce traitement. Sans aide financière, cela n’arrivera peut-être jamais, et le gouvernement devra donc lui payer une chaise roulante et des soins personnalisés.

* Vies Brisées / L’affaire Michel Dumont. Écrit par François Gignac, Editions C.A.R.Q.G.G.

Questions et discussion

Fonctionnement de la justice

Quelqu’un dans la salle affirme qu’il aurait tendance à croire que le système judiciaire fonctionne, lentement certes, mais tout de même de façon équitable. L’avocat de Dumont ne serait-il pas responsable en bonne partie des problèmes de celui-ci ? Dumont souligne que les policiers étaient au courant de son innocence à la suite de la déclaration de la victime et que c’était donc leur responsabilité de ne pas l’accuser à tort. En outre, il ajoute que c’est l’avocat de la Couronne, et non pas celui de l’accusé, qui a le devoir d’exiger des preuves matérielles et physiques.

Acceptation des témoignages

Justement, se demande-t-on, comment est-il possible d’être inculpé uniquement sur la base d’un témoignage ? Dumont précise que le procès a eu lieu à huis clos, donc il n’y avait que les avocats, lui, la victime et les témoins venant à tour de rôle. Il explique que les témoignages de ses amis affirmant avoir joué aux cartes avec lui toute la soirée n’ont pas été retenus, car ils ne se souvenaient pas précisément des vêtements et souliers qu’il portait ce soir-là. De plus, le témoignage de son ex-conjointe a été refusé parce qu’elle était trop agressive, et un autre de ses témoins a été refusé, car il avait un dossier judiciaire lorsqu’il était adolescent. Enfin, le témoignage de la concierge qui l’avait vu a aussi été refusé, parce qu’elle s’est informée de l’heure à laquelle avaient lieu les parties de hockey en semaine et en fin de semaine.

Pour couronner le tout, son propre témoignage n’a pas été retenu puisqu’il a parlé en dernier et aurait donc, selon le juge, changé son histoire pour qu’elle corresponde à ce que les autres témoins avaient raconté. Il ne restait donc que le témoignage de la victime, que la juge a cru, bien que celle-ci se soit contredite à plusieurs reprises. Dumont explique que la victime n’a pas réalisé qu’il n’était pas le coupable lors du procès par le fait qu’elle n’avait pas ses lunettes. Il ajoute que l’avocat de la Couronne aurait dû mentionner qu’elle avait un problème de vision, car c’est à lui de présenter toute information pouvant servir à condamner ou libérer la victime. On se demande quelle part de responsabilité a son avocat dans cette histoire. Dumont mentionne que son avocat a correctement questionné la victime et qu’il lui a fait changer son témoignage.

Lacunes du système judiciaire

On fait remarquer que les cas d’abus ne semblent pas isolés. On demande à Dumont s’il croit qu’il y a un manque dans la formation universitaire des policiers, ou si ceux-ci deviennent corrompus une fois au travail, ou alors si ces abus sont causés pas une attitude présumée assez répandue de je-m’en-foutisme au sein du corps policier ? Celui-ci croit qu’il y a des lacunes importantes à la Couronne, car toutes les informations pertinentes ne sont pas toujours déclarées. Il affirme que certains avocats sont prêts à faire libérer des coupables et certains policiers à condamner des innocents. Les policiers devraient admettre les erreurs qu’ils commettent. Quand les policiers seront assez humbles pour admettre leurs erreurs, il n’y aura plus de tels problèmes, croit Dumont.

Quelqu’un suggère à Dumont de porter plainte en déontologie contre le substitut du procureur général, car celui-ci n’a pas de cause ni à gagner ni à perdre et n’a pas le droit de cacher des éléments de preuves. Dumont répond qu’il n’a pas fait une telle plainte, et que c’est l’avocat qui décide contre qui il porte les dommages et intérêts.

A-t-il l’intention de faire une pétition pour demander une enquête publique sur l’administration de la justice, lui demande-t-on, puisque plusieurs groupes veulent déjà une telle enquête. C’est effectivement un projet, affirme Dumont, mais il a très peu de temps à y consacrer pour le moment, car il doit beaucoup travailler pour payer ses dettes. On propose aussi de créer un vaste réseau pour regrouper tous les gens avec des intérêts communs en lien avec la justice. Dumont souligne que les victimes d’actes criminels ne veulent pas s’associer aux victimes d’erreurs judiciaires. Beaucoup d’entre elles ont aussi peur de parler ou d’être nommées, car les avocats les ont averties que ça pourrait jouer contre eux.

Complications possibles

On se demande aussi jusqu’à quel point il subit encore des tracasseries, même après avoir été blanchi. Peut-il, par exemple, se procurer un passeport ? Dumont dit que, n’ayant pas les moyens de voyager, il ne sait pas s’il pourrait en obtenir un facilement. Il sait tout de même qu’il n’est plus fiché, ayant demandé à un policier de vérifier. Mais, ajoute-t-il, il y a toujours un dossier à son nom dans les bureaux de la police et on pourrait bien le ressortir si jamais il avait d’autres problèmes avec la justice.

Portraits-robots

On demande enfin à Dumont son opinion sur la fiabilité des portraits-robots. Celui-ci rapporte une enquête de l’émission Enjeux : trois témoins, ayant assisté à la même scène de crime, avaient alors produit trois portraits-robot bien différents - cela démontre le manque de fiabilité de cette méthode. Dumont souligne de nouveau la nécessité de baser les jugements sur de solides preuves chimiques et physiques.

Compte-rendu rédigé par Anne-Sophie Charest