LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du dimanche 13 mars 2005

Lily Dale, le Disneyworld des médiums

Par Geneviève Dubé et Valérie Martin

Texte annonçant la soirée :

Lily Dale, une petite bourgade près de Buffalo, abrite une trentaine de médiums. Chaque été, la Cité de la lumière, comme on la surnomme, ouvre ses portes aux 30 000 aficionados de la croissance personnelle, du reiki et du spiritisme. Les clairvoyants offrent également, moyennant plusieurs billets verts, des séances avec les défunts et anges gardien préférés des fidèles. Si on le désire, on peut aussi apprendre les rudiments de la clairvoyance. Leçon no 1 : ne pas faire taire les voix dans la tête. « Ce sont des entités qui nous visitent. Il faut les apprivoiser et leur accorder le droit de venir à des heures appropriées », affirme une médium. Lily Dale a même son propre musée dans lequel on peut admirer des œuvres d’art peintes par nul autre que des esprits! « The truth is out there », comme dirait l’autre (maxime bien connue de la télésérie à saveur ésotérique X-files).

Courtes biographies (humoristiques) des présentatrices :

  1. Geneviève Dubé
    Ah mon Dieu! Qui est-elle? Et bien, recherchiste, étudiante, rédactrice… Depuis son séjour à Lily Dale, la demoiselle doute de son titre de bachelière en animation et recherche culturelles et considère un retour aux études afin d'être plus près de son moi profond. un week-end qui a rapporté gros!

  2. Valérie Martin
    Journaliste et recherchiste à la pige depuis trois ans. Détentrice d’un baccalauréat en Communications Médiumniques de l’UQAM. Depuis sa visite à Lily Dale, la jeune femme converse chaque soir avec de lointains ancêtres. Elle songe maintenant à écrire un livre sur sa bouleversante expérience.

Mot du président

Le nouveau président Daniel Picard a présenté l’association des Sceptiques du Québec, fondée en 1987, ainsi que son but : promouvoir la pensée rationnelle et l’esprit critique face aux pseudosciences et aux allégations de phénomènes paranormaux. Les sceptiques croient que l’esprit critique s’applique également à la vie de tous les jours, par exemple dans les domaines de l’environnement, de la finance, de la politique ou encore de la vulgarisation scientifique. Picard a salué et félicité le président sortant, Louis Dubé.

Lily Dale, le Disneyworld des médiums

Par Geneviève Dubé et Valérie Martin, Agence Science-Presse

Introduction

Geneviève Dubé et Valérie Martin

L’agence Science-Presse existe depuis 1978 et est la seule agence de presse scientifique au Québec. Elle possède son site Web qui présente différents kiosques : recherche, technologie, sciences humaines, religions, etc.

Dubé et Martin ont offert au public une visite guidée de Lily Dale par l’entremise d’un diaporama-photos et d’un vidéo. Lorsqu’elles étaient sur place, elles ont caché leur identité de journalistes scientifiques afin de ne pas susciter la méfiance. Elles ont parfois même dû éteindre la caméra, sinon les médiums, ayant peur que Dubé et Martin réalisent un documentaire pour la télévision, refusaient de se confier.

Un endroit très kitch

Temple de Lily Dale

Lily Dale est un petit village victorien de la taille du parc Lafontaine (Montréal) qui existe depuis 125 ans. Il se situe dans l’état de New York, à 100 km de Buffalo. Lily Dale compte 300 habitants, très amicaux et qui se connaissent tous les uns les autres, et reçoit quelque 30 000 visiteurs chaque année, dont la majorité sont des femmes. La passe pour accéder au site coûte 7 $ par adulte par jour.

Lily Dale a conservé son cachet d’antan. La plupart des maisons situées le long des 5 ou 6 rues que compte le village sont centenaires; elles sont entourées de lumières blanches et des bougies sont placées devant les fenêtres afin d’éloigner les mauvais esprits. L’hôtel n’a pas été rénové depuis 1880, année de sa construction. Le coût est de 150 $ par chambre pour 2 nuits… et il n’y a pas d’eau chaude. Le village possède son bureau de poste ainsi qu’un temple extérieur pour prier et invoquer les défunts; les conférences s’y donnent lorsque le temps le permet.

Il n’y ni télévision, ni radio ni téléphone à Lily Dale, parce que les esprits brouillent les ondes (ou l’inverse !). Néanmoins, Dubé et Martin ont observé un homme faire usage d’un téléphone cellulaire; peut-être que les esprits ne connaissent pas les micro-ondes..

Les activités

Le village offre donc des conférences et des séminaires, mais aussi des cours pour devenir médium, des cours de reiki, etc. Même si les médiums donnent des cours, ils soutiennent que devenir médium n’est pas à la portée de tous : il faut un pouvoir inné ; le but du cours est de le développer. L’école primaire de Lily Dale enseigne aux enfants du village le paranormal et la médiumnité en cours d’été. La plupart des parents qui habitent Lily Dale sont dans les domaines du paranormal et de la médiumnité.

Des infirmières, des travailleurs sociaux et des intervenants, qui doivent prendre sur eux les problèmes des autres dans l’exercice de leurs fonctions, viennent se faire guérir et chercher du ressourcement à Lily Dale. Ils viennent aussi chercher une formation spirituelle pour éventuellement l’intégrer à leur travail. Dubé et Martin ont même croisé des médecins.

Lily Dale prétend être le plus grand rassemblement de médiums au monde : on y dénombre entre 30 et 35 médiums enregistrés, qui offrent des consultations dans leurs maisons privées. Les tarifs varient entre 30 et 50 dollars de l’heure. La majorité des médiums sont des femmes; celles-ci croient que les femmes sont plus près de leurs sentiments et de leur spiritualité que les hommes, et qu’elles doivent enseigner à ceux-ci comment être heureux. Dubé et Martin ont aussi vu un couple dont les deux partenaires sont médiums.

Le village est dédié à la religion spiritualiste; l’assemblée de Lily Dale définit le spiritualiste comme « celui qui croit à la base de sa religion au prolongement de la vie et à la responsabilité individuelle ». Quelques spiritualistes sont des médiums et/ou des guérisseurs. Le but ultime du spiritualiste est de trouver la vérité en toutes choses et de vivre sa vie dans ce sens. Les médiums croient que la mort est une transition; ils croient qu’ils peuvent recevoir des messages des gens décédés ainsi que des esprits purs, dont ils font la distinction. Il s’agit d’une petite communauté, ainsi tous les membres de l’assemblée comptent un ou plusieurs médiums dans leur parenté.

Les médiums se définissent comme des « traducteurs du langage des fantômes ». Les médiums se défendent devant les sceptiques et les incrédules en disant qu’un médium ne peut connecter avec tout le monde : comme dans le cas des psychologues, des médecins ou d’autres types de thérapeutes, il peut y avoir ou non des affinités entre un médium et une personne qui consulte. Un médium ne peut pas lire les pensées de tout le monde. Une même personne peut donc désirer consulter plus d’un médium.

Une personne désirant devenir elle-même médium à Lily Dale doit passer trois examens devant l’assemblée, qui octroie ou non une licence.

Lily Dale possède son musée, fondé en 1986, où sont exposés des portraits qui auraient été peints par des esprits. Le procédé est simple : on met de la peinture dans un pot que l’on place près d’un canevas vierge. La peinture sèche, puis la poussière de peinture va se déposer sur le canevas vierge et le portrait apparaît. Ces peintures sont d’un style très réaliste, près de la photographie. Y sont également exposées des cuillères tordues par des esprits. Le musée comporte de plus une bibliothèque consacrée exclusivement au spiritisme et à Lily Dale.

Des personnages célèbres ont visité Lily Dale « de leur vivant » (y sont-ils retournés depuis leur mort ?) : May West, Théodore Roosevelt et Arthur Conan Doyle.

Le récit de la création de Lily Dale

Un beau jour, le docteur Morgan a organisé une conférence sur l’imposition des mains, technique toujours utilisée par les guérisseurs de Lily Dale. Après sa conférence, il devait rendre visite à un patient, mais en fut empêché. Ceux qui avait assisté à sa conférence ont décidé d’utiliser les pratiques tout juste apprises et, avec l’aide d’une entité de l’au-delà, auraient réussi à guérir le patient en question. Ce fut l’événement qui mena ces gens à s’unir, puis à fonder Lily Dale quelques années plus tard. Le village tire son nom des lys qui sont abondants dans la région. Dubé et Martin ont mentionné au passage que Lily Dale a servi de refuge aux suffragettes qui furent chassées des états conservateurs, l’état de New York étant plus libéral.

L’assemblée de Lily Dale a acheté les terres (environ 167 acres) et en est donc propriétaire. Les 500 membres de l’assemblée, qui sont aussi membres de l’association des églises spiritualistes, disposent d’un budget annuel de 750 000 dollars pour administrer le territoire. Seuls les membres de l’assemblée ont le droit de posséder une maison dans le village. C’est l’assemblée qui gère le village et qui décide de tout par vote démocratique.

Une journée à Lily Dale

À Lily Dale, la journée commence par une session de guérison (healing session) dans une petite église où les gens se rassemblent. Une dame donne un discours, les gens peuvent ensuite rencontrer des guérisseurs, qui pratiquent l’imposition des mains, art qui consiste à déplacer ses mains autour du corps de la personne qui consulte (qui – bien entendu ! – doit y croire pour que ça fonctionne), puis les gens vont se recueillir. Les guérisseurs croient agir directement sur les cellules, et même sur l’ADN pour guérir le cancer.

Dans l’après-midi se tiennent, dans des lieux publics, des séances où les médiums démontrent leurs pouvoirs à tour de rôle, en transmettant aux membres du public des messages de personnes décédées et d’esprits purs. Ces séances sont en réalité très peu spectaculaires (pas d’exorcisme, etc.); les messages eux-mêmes se résument à des généralités, à des messages d’amour et de protection, à des vœux de bonheur ou à l’envoi d’« ondes positives ». Les noms des défunts qui ont un message à transmettre à leurs proches toujours vivants sont choisis parmi les plus courants : John, Peter, etc. ; ainsi, le médium a peu de chances de se tromper lorsqu’il annonce à une personne de l’assistance « qu’un Peter (ou John, etc.) a un message pour elle ». Lors de ces démonstrations publiques gratuites, une dizaine de médiums défilent tour à tour, chacun s’adressant à environ 4 personnes. La séance dure environ une heure.

Après le souper, tout le monde se rassemble sur le porche de l’hôtel pour se raconter des histoires liées à la médiumnité, aux esprits et au spiritisme.

L’été 2005 à Lily Dale

Lily Dale a invité, pour l’été 2005, entre autres deux personnes qui ont contribué au contenu du film White noise, qui traite du electronic voice phenomenon (phénomène de voix électronique), à venir donner une conférence sur ce sujet très à la mode.

Période de questions et d’échanges

Les fonctions socio-affectives de Lily Dale

Quels sont les besoins psychologiques et émotifs auxquels un endroit comme Lily Dale répond ? Dans un monde où les gens sont hyperstressés et coupés de leurs émotions, des activités telles que celles offertes par Lily Dale peuvent les aider à chercher qui ils sont et pourquoi ils sont sur la Terre. Ces gens désirent aussi savoir s’il y a quelque chose derrière l’existence; ils veulent en outre nourrir l’espoir que la mort n’est pas la fin de tout. Dubé et Martin rappellent qu’il n’y a pas que des hurluberlus qui vont à Lily Dale : elles y ont aussi rencontré des professionnels, notamment dans le domaine de la santé. Ceux qui consultent les médiums désirent communiquer avec des proches décédés dans l’espoir de conserver un lien avec ces êtres aimés ou encore désirent communiquer avec leur ange gardien par recherche de sécurité. D’autres visitent Lily Dale simplement pour le divertissement.

On a indiqué que dans les sociétés traditionnelles, il existait des rapports entre les femmes qui, de façon informelle, remplissaient les mêmes fonctions socio-affectives que Lily Dale. On pense, par exemple, aux assemblées de sorcières ou de sages-femmes.

Le spiritisme

Le spiritisme serait une tradition dans le monde anglo-saxon; il était très à la mode de la fin du XIXe siècle jusqu’à la première guerre mondiale : on faisait tourner des tables, on photographiait des ectoplasmes, etc.

Dans son livre The psychic mafia, le médium Lamar Keene, qui a œuvré dans un petit village qui ressemble fort à Lily Dale – il se pourrait bien qu’il s’agisse effectivement de Lily Dale –, explique comment il a exploité sa clientèle pendant une vingtaine d’années; il donne ses trucs et explique comment les médiums s’échangent de l’information entre eux.

Il semble ridicule de montrer à des gens que des esprits ont le pouvoir de plier des cuillères; si les esprits existaient réellement et avaient réellement un pouvoir sur la matière, ils auraient certainement quelque chose de plus utile à faire que de plier des cuillères !

On a fait remarquer que, bien que le conservateur du musée prétend avoir démontré que ce sont bel et bien des esprits qui ont peint les tableaux exposés, celui-ci n’a jamais filmé ni photographié les esprits au travail.

Il y aurait autour de 8 000 adeptes de la religion spiritualiste aux États-Unis.

Le plus grand rassemblement de médiums…

Lily Dale prétend être le plus grand rassemblement de médiums au monde : on se serait attendu à quelque chose de plus grand qu’un petit village qui se compare au salon de l’ésotérisme de Montréal ou de New York ! Il n’y a pas de quoi inquiéter un sceptique…

Une tendance inquiétante

On s’inquiète du fait que des infirmières, des travailleurs sociaux, des intervenants et même des médecins désirent intégrer une formation reçue à Lily Dale à leur pratique professionnelle. À cet effet, on a rappelé que les Sceptiques du Québec ont décerné le prix fosse sceptique 1995 à l’École des sciences infirmières de l’Université Laval parce que cette école voulait introduire dans le corpus médical des actes comme le balancement des chakras, le toucher thérapeutique, etc. On peut consulter le magazine américain du CSICOP (Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal) : The Skeptical Inquirer, de même nature que la revue Le Québec sceptique, pour obtenir l’avis des sommités du domaine médical sur les médecines alternatives. Incidemment, le siège social du CSICOP se situe à Buffalo – tout près de Lily Dale ! –; il y a un musée où l’on peut retrouver, notamment, des exemplaires du magazine Le Québec sceptique.

On souligne aussi que les professions officielles peuvent elles-mêmes causer des gâchis. François Filitrault, dans sa conférence du 13 janvier 2005, a dénoncé les dégâts causés par la psychanalyse; on ajoute que dans le domaine de la psychiatrie biologique, on découvre aujourd’hui que des antidépresseurs provoquent des suicides.

Une nouvelle mission pour les Sceptiques du Québec ?

Les Sceptiques du Québec ont déjà loué un kiosque lors d’un salon de l’ésotérisme tenu à Montréal, et certains visiteurs se disaient soulagés de trouver un peu d’esprit critique. Les Sceptiques du Québec devraient-ils louer une maison à Lily Dale ?

Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier.