La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'association des Sceptiques du Québec. M. Dubé a énoncé le but de l'association : promouvoir la pensée rationnelle et l'esprit critique face aux pseudosciences et aux phénomènes paranormaux. La démarche sceptique, faite de doute, d'examen et de vérification, s'applique aussi à tous les phénomènes d'intérêt humain, ce qui inclut phénomènes psychologiques.
M. Dubé a poursuivi avec son introduction à la conférence : « Selon un récent reportage de Radio-Canada, il existerait plus de 200 types de thérapies au Québec et plus de 6000 psychothérapeutes. Par contre, il n'y a aucun ordre professionnel pour les encadrer, contrôler leur travail et recevoir les plaintes. N'importe qui peut s'autoproclamer psychothérapeute. Comment faire la différence entre une thérapie sérieuse et une autre plutôt douteuse ? Comment discerner un thérapeute expérimenté d'un thérapeute improvisé ?
Les thérapies efficaces ne devraient pas être basées sur des notions métaphysiques, religieuses ou pseudo-scientifiques, telles la réincarnation ou les énergies vitales. Elles ne devraient pas reposer sur la croyance que la personne qui consulte n'est pas du tout responsable de son problème. Elles ne devraient pas attribuer les problèmes des clients seulement à des événements traumatiques passés.
Quelques indices peuvent aussi nous aider à déterminer les compétences du thérapeute. Demande-t-il à ses patients une confiance absolue ? Insinue-t-il que le patient est persécuté et que lui seul, le thérapeute, peut le sauver ? Croit-il le patient sur parole sans tenter de corroborer divers éléments de son histoire personnelle ? »
François Filiatrault a pris la relève pour animer la soirée et diriger la période de questions et d'échanges. « Diane Borgia est détentrice d'un baccalauréat en criminologie de l'Université de Montréal, doublé d'une formation professionnelle en psychothérapie Émotivo-Rationnelle acquise au Centre Interdisciplinaire de Montréal (CIM). Elle est cofondatrice en 1998 du Centre de Formation Professionnelle en Psychothérapie Émotivo-Rationnelle du Québec. Le CFPPERQ offre une formation aux intervenants du domaine de la psychologie et de la santé mentale. » Mme Borgia a précisé qu'elle agit autant en tant que clinicienne qu'en tant que formatrice au CFPPERQ. C'est le psychologue Lucien Auger, décédé en 2001, qui a fait connaître l'approche Émotivo-Rationnelle au Québec. Il a fondé la première école de formation en psychothérapie Émotivo-Rationnelle au Québec; le CFPPERQ est la deuxième. C'est avec M. Auger que Mme Borgia a suivi sa propre formation.
Dans le passé, Mme Borgia a travaillé à titre de criminologue pour le service correctionnel canadien pendant plusieurs années, principalement au service de libération conditionnelle. Elle a également œuvré à la Maison Jean Lapointe à titre de responsable du programme d'aide à la famille. En 1988, elle ouvrait le centre CAFAT, le Centre de prévention et de traitement de la codépendance et des multiples dépendances.
Mme Borgia reconnaît que le titre de psychothérapeute, contrairement à celui de psychologue, est non encadré et laisse place à beaucoup de charlatans. Il faut être vigilant !
Le texte qui annonçait la conférence disait ceci : « Appliquer la démarche sceptique dans sa vie quotidienne a des avantages certains. Arriver à le faire efficacement demande une grande vigilance et une certaine sagesse. La méthode scientifique en est une des plus précieuses. Parmi les autres techniques qui existent pour aider à développer l'esprit critique, il y en a une très efficace, c'est la démarche Émotivo-Rationnelle créée par le psycho-analyste américain, Albert Ellis.
Basée sur des préceptes de certains philosophes grecs dont Épictète et Socrate, cette approche permet de diminuer l'intensité des émotions et des sentiments qui font souvent entrave à une approche sceptique rigoureuse.
La conférence portera sur les principes de base de cette approche ayant, entre autres, comme objectif de développer une vision plus juste de la réalité. Des exemples et des mises en situation viendront enrichir cette conférence. »
La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et Mme Borgia.
La démarche Émotivo-Rationnelle (ou DER) est une approche psychothérapeutique qui constitue en même temps un outil efficace au développement de l'esprit critique et de la démarche sceptique. Il faut un esprit critique pour être capable d'appliquer une démarche sceptique. Mme Borgia a débuté sa conférence en rappelant quelques thèmes essentiels de la conférence donnée par Louis Dubé le 13 juin 2003 et intitulée « Comment appliquons-nous la démarche sceptique dans notre vie ? » :
Mme Borgia a également rappelé cette mise en garde de Louis Dubé : l'observation des faits n'est pas aussi simple, directe et fiable qu'on pourrait le croire. Des éléments viennent l'influencer, entre autres :
Mme Borgia a ajouté ceci :
C'est sur ces bases que sera présentée l'approche Émotivo-Rationnelle, aussi nommée démarche Émotivo-Rationnelle.
Mme Borgia a fait passer un petit test à l'assistance : elle a demandé à chacun de dire si les énoncés suivants sont vrais, faux ou douteux.
Selon Mme Borgia, ces dix idées sont fausses dans la réalité. Cela peut être évident pour certains, mais pas pour tous, selon l'éducation reçue, le milieu dont on est issu, selon qu'on ait ou non appris à critiquer ses propres croyances. Bon nombre de personnes adhérent fortement à ces dix idées. Dans la DER, il faut se débarrasser de ces dix idées de base, car celles-ci entraînent énormément d'émotions désagréables et de comportements inappropriés.
La démarche Émotivo-Rationnelle joue simultanément sur deux tableaux : celui des émotions et celui de la raison, du raisonnable, du développement de sa raison face à la réalité. La DER fait partie de la gamme des approches cognitivo-comportementales, à l'autre extrême des approches analytiques. Les approches cognitivo-comportementales visent à changer à la fois les cognitions, les émotions et les comportements.
La DER est efficace pour réduire l'intensité des émotions, qui souvent voilent notre vision des choses, que ce soit au quotidien, en relation avec nos proches, au travail, en regard d'un test ou d'une croyance, etc. La DER a pour but de diminuer la souffrance et de développer un meilleur équilibre dans nos émotions et nos comportements. Elle a pour conséquence le développement d'un meilleur esprit critique et d'une meilleure capacité d'appliquer la démarche sceptique au quotidien. La DER demande une capacité d'auto-réflexion.
Trois facteurs causent les émotions :
Chez les enfants, la cause principale est le sensori-moteur (faim, couche souillée, froid, …). Chez les adultes, ce sont les idées.
Après avoir demandé à l'assistance de tenter de reconstruire la chaîne de production des émotions à partir de ses éléments, Mme Borgia a présenté cette chaîne correctement construite :
Ce sont souvent les conséquences négatives vécues qui amènent un individu à rechercher la cause de ses comportements, dans le but de changer les choses. En général, les émotions agréables sont plus susceptibles d'engendrer des comportements appropriés et les émotions désagréables des comportements inappropriés. Or, les émotions sont principalement causées par les idées : ainsi, avec la DER, changer ses comportements pour les rendre plus raisonnables et plus lucides passe principalement par un travail sur les idées. Changer les idées permet de changer les émotions, et donc les comportements.
Par exemple, si je suis malheureux au travail, je peux changer de travail. J'ai alors changé ma situation, mais je n'ai pas changé mes idées. Je risque tôt ou tard de revivre les mêmes émotions négatives à l'égard de mon nouveau travail. À ce sujet, Mme Borgia a cité le philosophe grec Épictète : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais les jugements qu'ils portent sur ces choses. »
Ces outils peuvent améliorer l'application de la démarche sceptique dans notre vie quotidienne car, à l'instar de la démarche sceptique, la DER privilégie le doute et la rigueur.
La confrontation, avec la DER, n'est pas un face à face dans lequel les gens expriment directement le fond de leur pensée à l'égard des autres. Il s'agit plutôt d'un travail de comparaison des idées avec la réalité, qui se fait en amenant la personne à se poser des questions pour arriver à reconnaître parmi les idées qu'elle croit vraies celles qui sont fausses.
Il existe une seule réalité : ce qui existe, ce qui est prouvable. Mais il existe autant de perceptions de la réalité qu'il y a d'individus. Lorsqu'une personne emploie l'expression « dans ma réalité », elle veut « en réalité » dire « dans ma vision de la réalité. » La confrontation consiste à vérifier si la perception de la réalité est conforme ou non à la réalité.
L'objectif premier de la confrontation est de réduire l'intensité des émotions pour nous permettre d'avoir une vision plus juste et un comportement plus approprié. La confrontation s'effectue en suivant les étapes suivantes :
Pour éveiller l'esprit critique des jeunes Athéniens, Socrate leur posait des questions précises devant les aider à découvrir les erreurs dans leurs pensées et leurs jugements. Socrate voulait ainsi aider les gens à trouver la vérité, la réalité. C'est la technique utilisée par la DER pour faire la confrontation.
Avec la DER, on ne cherche pas à convaincre, mais à démontrer, à apporter des preuves de la véracité ou de la fausseté des idées. Le thérapeute évite d'affirmer des choses afin que l'autre ne se ferme pas par peur : le thérapeute utilise plutôt le questionnement, à l'instar de Socrate. Et lorsqu'une idée n'est pas vérifiable, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de preuve disponible pour établir sa véracité ou sa fausseté, elle doit être jugée « douteuse. » De cette manière, la DER aide les gens à développer leur esprit critique.
Mme borgia a lancé ici un petit débat.
1. Chacun a droit à ses opinions, en autant qu'il ne perturbe pas l'ordre public.
Certaines personnes de l'assistance ont dit vrai, d'autres faux. Mme Borgia a répondu (1) que dans la réalité, il est vrai qu'on a droit à ses opinions, mais (2) qu'il est faux, dans la réalité, de prétendre qu'on n'a plus droit à son opinion si cela perturbe l'ordre public. On a le droit d'avoir des opinions complètement erronées ou qui perturbent l'ordre public, de les exprimer et d'agir en conséquence : c'est là un fait concret. Beaucoup de gens entretiennent effectivement, dans la réalité, des opinions complètement erronées ou qui perturbent l'ordre public. Même un sceptique le peut ! Donc, globalement, dans la réalité cet énoncé est faux. Mais il peut y avoir des conséquences, par exemple si l'on propage des opinions haineuses.
La réponse de Mme Borgia a lancé une controverse sur la signification du mot « droit ». Ce mot a un sens légal ! Il semble y avoir confusion entre « avoir le pouvoir de » et « avoir la permission de ». Par exemple, j'ai le pouvoir de ne pas arrêter ma voiture sur un feu rouge, mais je n'en ai pas la permission : donc je n'en ai pas le droit. Pour Mme Borgia, le mot « droit » est synonyme de « capacité. »
Mme Borgia a ajouté que croire que l'énoncé 1 est vrai risque d'entraîner des émotions négatives, comme l'intolérance, le mépris, l'inacceptation. De telles émotions risquent ensuite de brouiller le jugement. Avec la DER, on accepte que chacun a droit à ses opinions, pour ensuite se demander si ces opinions sont réalistes ou non, utiles ou dommageables, avantageuses ou nuisibles.
Une personne du public a affirmé que si l'on veut chercher la vérité, en science par exemple, alors il faut tolérer toutes les opinions, car dès que l'on fait de la censure, on court le risque de se tromper et d'interdire des idées vraies. Le prix à payer pour chercher la vérité en toute liberté est d'accepter que des idées fausses ou aberrantes soient véhiculées et répandues. C'est là le moins imparfait des systèmes.
Dû à un problème informatique, il fut malheureusement impossible de discuter des six autres énoncés. En voici la liste; Mme Borgia invite les sceptiques à en discuter et serait heureuse de participer elle-même à ces discussions. On peut la rejoindre à l'adresse électronique suivante : dborgia@cafat.qc.ca
2. Un bon sceptique doit, obligatoirement, remettre en question les religions et leurs dogmes.
3. La tolérance et l'acceptation sont des synonymes parfaits.
4. Il est possible d'agir avec altruisme.
5. Si on fait des efforts, on peut devenir moins égoïste.
6. Certaines personnes sont plus méritoires que d'autres.
7. Il existe de bonnes et de mauvaises personnes.
Selon Mme Borgia, tous ces énoncés sont faux et c'est prouvable.
Mme Borgia a rappelé que les émotions négatives entraînent souvent des comportements inappropriés. Le but de la DER est de changer, en les confrontant à la réalité, les idées qui causent les émotions négatives afin de diminuer l'intensité de ces dernières, et donc de diminuer les risques d'adopter des comportements inappropriés.
Les idées associées à l'émotion de culpabilité s'expriment sous la forme « j'aurais dû » ou « je n'aurais pas dû. » Il faut remplacer ces idées par : « il aurait été préférable que je … mais rien ne m'y obligeait. J'ai fait ce que j'ai cru bon de faire au moment où je l'ai fait. Je n'aurais pas pu agir autrement à ce moment-là en raison des idées, déficiences, difficultés, etc. que j'avais alors. J'ai agi selon ma vision, peut-être déformée, de mes avantages du moment. » Réaliser cela diminue considérablement la culpabilité, voire la fait disparaître.
Lorsqu'elle travaille auprès de criminels condamnés, Mme Borgia les amène à réaliser que se sentir coupable n'est pas utile. Diminuer la culpabilité aide l'individu à se responsabiliser par rapport au futur afin que le comportement ne se reproduise plus. Mettre l'accent sur la responsabilité plutôt que sur la culpabilité donne de meilleurs résultats, c'est pourquoi la DER est l'une des approches les plus répandues actuellement dans le milieu carcéral. Mme Borgia a précisé que se libérer de la culpabilité ne dispense pas l'individu d'assumer les conséquences de ses gestes.
La culpabilité est dirigée vers soi : l'hostilité et la révolte constituent le pendant de culpabilité dirigé vers les autres personnes ou vers les choses. Les idées associées à ces émotions sont :
Par la confrontation des idées qui causent l'hostilité, la personne change son point de vue : l'autre a agi en fonction des idées et des avantages qu'il avait au moment où il a agi, donc il ne pouvait pas agir autrement. L'autre a fait ce qu'il a cru bon de faire au moment où il l'a fait. Mais comme tout être humain, l'autre a pu se tromper. Mme Borgia ne juge pas ici si les idées ou les actions posées sont bonnes ou mauvaises. Elle énonce plutôt le principe universel que suivent les humains lorsqu'ils posent des gestes.
Par la confrontation des idées qui causent la révolte, la personne change son point de vue : on sait bien que les choses arrivent comme elles doivent arriver, même si ça nous déplaît. Dans la réalité, aucune chose n'est juste ou injuste en soi. Selon Mme Borgia, juger après coup qu'une chose qui arrive est une injustice, autrement dit que cette chose n'aurait pas dû arriver, relève de l'interprétation et est une erreur. C'est l'idée d'injustice qui cause le sentiment de révolte. Cela a suscité une controverse dans l'assistance : beaucoup de personnes ont rejeté cette idée selon laquelle les choses qui se sont produites n'auraient pas pu se produire différemment au moment où elles se sont produites, comme les meurtres, les viols, la guerre en Irak, etc. tout en reconnaissant qu'après coup il n'est plus possible de changer le passé.
L'anxiété est une émotion composée des émotions de peur et d'impuissance. Pour diminuer l'intensité de l'anxiété, il faut donc changer les idées qui causent la peur et celles qui causent le sentiment d'impuissance.
L'idée qui cause la peur est qu'un danger ou un ennui me menace. Il faut confronter cette idée : en général notre vision du danger est faussée. Une chose désagréable n'est pas forcément dangereuse, comme par exemple faire rire de soi en public.
L'impuissance est causée par l'idée que je suis incapable de faire face au danger
On compense souvent le sentiment d'infériorité par une attitude de supériorité, ce qui est en général une mauvaise solution ! Les idées qui causent cette émotion sont en général les suivantes :
Il faut confronter ces idées à la réalité par le questionnement. Selon Mme Borgia, dans les faits, l'humain n'a pas de valeur en soi, pas plus que quoi que ce soit, pas plus qu'un papier mouchoir par exemple. La valeur est un qualificatif que l'humain accorde subjectivement, en tant qu'opinion ou idée. Mais cela ne signifie pas que tous les humains sont identiques ! Ainsi, il ne faut pas s'évaluer soi-même en tant qu'humain, mais plutôt évaluer ses capacités et ses caractéristiques.
Les idées qui causent cette émotion sont en général les suivantes :
Il faut confronter l'idée implicite selon laquelle le passé est garant du futur : ai-je des preuves de cela ? La confrontation mène à cette conclusion : dans la réalité, je n'ai certainement pas tout essayé, ou encore je n'ai pas mis tout le temps ou l'effort nécessaire. Ce redressement des idées diminue l'intensité du découragement.
La tristesse et l'ennui sont causés par l'idée que ce qui m'arrive est désavantageux, ennuyeux, sans intérêt… Les clients qui suivent la DER ressentiront souvent de la tristesse : selon Mme Borgia, cela est bon signe car cela signifie qu'ils ont réussi à diminuer l'intensité des autres émotions.
Pour confronter l'idée derrière la tristesse et l'ennui, il faut se dire que dans la réalité, aucune situation n'est ennuyeuse en soi : c'est toujours une question d'interprétation et de croyance. L'interprétation d'une même situation peut être changée.
La honte est une émotion composée des émotions de culpabilité et d'infériorité. Pour travailler la honte, il faut confronter les idées qui causent ces deux émotions.
La jalousie est une émotion composée des émotions d'anxiété (peur et impuissance), de culpabilité et d'infériorité. Pour travailler la jalousie, il faut confronter les idées qui se situent derrière ces quatre émotions.
Il existe deux types de lois : (1) les lois universelles (ou naturelles) et (2) les lois humaines (incluant tous les codes : moraux, civils, criminels, routiers, les codes des diverses associations, …) Ces deux types de lois se distinguent en ce que les premières ne peuvent pas être transgressées, mais les secondes le peuvent.
Les lois universelles ne causent pas de colère, de culpabilité, de souffrance, etc. parce qu'elles sont impossibles à transgresser. On les applique naturellement. Par exemple, on ne peut pas respirer sous l'eau et on ne peut pas voler en battant des mains. On peut tenter de le faire, mais on n'y arrivera pas. Une partie de la population prétend néanmoins être capable de transgresser ces lois : lévitation, télékinésie, télépathie, …
Par contre, les lois humaines causent de la colère, de la culpabilité, de la souffrance, etc., car elles sont créées par les humains et il est possible de les transgresser, même s'il n'est pas nécessairement utile ou avantageux de le faire.
Mme Borgia a de nouveau suscité la controverse en affirmant que « si on regarde la réalité, on peut avancer que tout être humain a pleinement et entièrement le droit de transgresser toute loi humaine. » Mais il peut y avoir des conséquences ! Un nouveau débat a eu lieu sur la distinction entre « avoir le pouvoir ou la capacité de… » et « avoir le droit ou la permission de … » Pour Mme Borgia, le mot « droit » est synonyme du mot « capacité. » Nous n'avons pas besoin de permission pour exercer un droit ou un pouvoir dans la mesure où nous ne sommes pas restreints physiquement.
Mme Borgia a indiqué qu'adopter la philosophie qu'elle propose ici nous évite d'éprouver de la colère et de l'hostilité envers ceux qui transgressent les lois humaines, ce qui nous aide à mieux communiquer avec ces gens et à mieux faire passer notre message. Il en va de même des victimes d'actes criminels : plutôt que de s'enfermer dans l'idée « il / elle n'avait pas le droit de me faire cela, c'est injuste », idée qui cause de la révolte et de la colère, les victimes peuvent réduire l'intensité de ces émotions en changeant leurs idées, pour ensuite chercher à guérir. Cette philosophie est donc utile. Mme Borgia a de nouveau précisé que cela ne dispense pas les gens qui transgressent les lois humaines d'en subir les conséquences. Le fait que le thérapeute ait de la compréhension, de la compassion, de l'acceptation pour un criminel ne veut pas dire qu'il approuve ni qu'il fait montre d'inertie.
Une personne de l'assistance a affirmé que certaines situations sont désagréables en soi : avoir un incendie chez soi, avoir un accident, être pauvre plutôt que riche. Il ne s'agit pas ici d'une simple question de perception ! On ne dirait pas à une personne dans l'une de ces situations qu'elle perçoit mal les choses et qu'elle changera sans doute de point de vue le lendemain ! Mme Borgia a répondu qu'il est toujours possible de recadrer sa perception d'une situation, en réalisant par exemple les nouvelles possibilités qui peuvent en émerger. Par exemple : « peut-être que la perte de ta maison et de tous tes biens te permettra d'accepter un contrat outremer que tu n'aurais pas accepté sinon. » Diminuer l'intensité des émotions négatives vécues en rapport avec une situation peut aider la personne à prendre confiance en elle et à prendre ensuite les actions requises pour se sortir de la situation. Mme Borgia a ajouté qu'il est impossible de prouver qu'une situation, comme la pauvreté, est triste ou désavantageuse en soi.
Comment faire la distinction entre un besoin et un désir, notamment dans le cas du besoin d'être aimé ? En se demandant : pourquoi aurais-je besoin de cela ? Pourquoi aurais-je besoin d'être aimé ? Réponse : pour être heureux ! Il faut ensuite confronter ses idées à la réalité : ai-je réellement besoin d'être aimé pour être heureux ? Qu'est-ce qui cause mon bonheur ou mon malheur ? Les autres, en m'aimant ou non, ou mes idées ? La cause principale de notre bonheur ou de notre souffrance réside dans nos idées, pensées et croyances, et non dans les situations que nous vivons. Il ne faut pas confondre les objectifs (être heureux) avec les moyens (être aimé). Un moyen n'est pas un besoin, mais un désir ou une préférence.
Un membre de l'assistance a proposé une mise en situation. Une personne ouvre un compte à la banque et on lui assure qu'il n'y a aucun frais. Mais avec le temps, cette personne découvre que la banque prélève des frais. Elle va voir le responsable, qui lui explique alors qu'on ne lui avait pas dit ceci ou cela. Cas 1 : la personne se tait, elle comprend. La banque s'en tire gagnante. Cas 2 : la personne se révolte. Elle se met en colère, vivant ainsi une émotion négative, dénonce qu'on lui ait menti et exige réparation. La banque change de position et rétablit les choses. Ainsi, la DER serait la technique rêvée pour un gouvernement qui veut des citoyens neutres, qui ne réagissent pas devant les injustices ! Mme Borgia a répondu qu'il existe un 3e cas possible : s'affirmer sans hostilité. La personne peut dénoncer qu'on lui ait menti et exiger réparation sans avoir besoin d'être en colère. Le membre de l'assistance a rétorqué qu'une affirmation sans colère risque fortement d'avoir moins d'impact.
Une personne du public a senti que la conférencière laissait sous-entendre que les émotions sont mauvaises. Il ne faut pas éradiquer nos émotions : cela tuerait l'humain en nous. Mme Borgia a répondu que ressentir des émotions n'est pas nocif en soi. Il faut savoir identifier et exprimer sans agressivité nos émotions, puis canaliser nos énergies dans l'action. C'est lorsque l'on trouve que l'on vit des émotions négatives trop intenses ou trop fréquentes qu'il faut changer celles-ci.
Quelqu'un a relevé que Mme Borgia fait complètement abstraction de la nature biologique et animale de l'humain. Si l'on se compare aux autres espèces grégaires, que ce soit les mammifères en général ou les primates en particulier, on se rend compte que les émotions, négatives comme positives, font partie de la nature même des animaux grégaires. En particulier le besoin d'être aimé. Être aimé, avoir une position sociale et une reconnaissance sociale est un besoin réel dont on ne peut se passer : cela n'est pas vrai uniquement chez l'humain, mais l'est également chez toutes les espèces animales sociales. Par exemple, le rite social chez les singes qui consiste enlever les parasites n'a pas seulement une fonction hygiénique : il a aussi une fonction sociale de renforcement des liens affectifs entre les individus.
Autre exemple : j'ai un accident, je me casse une jambe et je suis pénalisé pendant plusieurs semaines. Ce n'est pas ma faute : je n'ai rien fait pour mériter cela. C'est injuste et frustrant. Tenter de nier ces émotions ou de cesser de les vivre en rationalisant n'aide pas. Au contraire, c'est en acceptant de vivre ces émotions négatives qu'on finit par en sortir. Sinon, ces émotions risquent d'être refoulées et de nous travailler à un niveau inconscient. Mme Borgia a demandé, en guise de réponse, si c'était utile de vivre des émotions négatives intenses pendant une période prolongée. On lui a rétorqué que le point de vue utilitariste est réducteur : les émotions ne sont pas qu'une question d'utilité. Elles relèvent de notre nature et il faut apprendre à vivre avec elles. Nous ne sommes pas des Vulcains comme dans Star Trek ! Mme Borgia a précisé qu'elle ne veut pas réduire les émotions à une question utilitariste, mais qu'elle s'intéresse aux moyens de réduire la souffrance, donc de réduire l'intensité des émotions négatives. La DER ne vise pas à rationaliser les émotions en les justifiant, mais à développer la capacité à être réaliste et raisonnable dans nos idées.
On a souligné qu'aucune donnée empirique, comparant la DER à d'autres approches qui soignent les mêmes problèmes, n'a été présentée. Ce genre d'études doit recourir à des groupes-contrôle qui ou bien ne vivent pas ces problèmes ou bien suivent d'autres thérapies, pour voir ensuite si les résultats obtenus diffèrent ou non de ceux obtenus par la DER. Mme Borgia a indiqué qu'une telle étude a été faite aux États-Unis par le groupe d'Albert Ellis, l'auteur de la DER, mais pas au Québec. Mme Borgia a dit qu'elle serait la première à collaborer si une telle étude devait se faire au Québec.
Comment motiver son enfant à faire ses devoirs et ses leçons ? En l'aidant à découvrir, par le questionnement, les avantages qu'il peut tirer de les faire. De façon générale, un bon mode d'éducation pour vaincre l'inertie et le je-m'en-foutisme est de faire réaliser les avantages à tirer de faire telle ou telle chose.