LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du mercredi 12 novembre 2003

La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'association des Sceptiques du Québec, fondée en 1987. M. Dubé en a profité pour résumer les buts de l'association : promouvoir la pensée rationnelle et l'esprit critique. Aujourd'hui, les Sceptiques du Québec comptent 400 membres et abonnés.

M. Dubé a précisé que les Sceptiques doutent de l'existence des phénomènes paranormaux : la position sceptique ne constitue pas un refus de croire en ces phénomènes, mais plutôt un constat de l'inexistence de preuves faites en contexte contrôlé. M. Dubé s'est ensuite demandé si les religions sont apparentées au paranormal. Il a répondu oui pour certains aspects, comme les miracles. M. Dubé en est alors venu à la grande question : la démarche sceptique s'applique-t-elle aux religions? M. Dubé a indiqué que l'association des Sceptiques du Québec n'a pas de position officielle sur cette question : chaque membre se forge son opinion personnelle en toute liberté de conscience. À cet égard, M. Dubé a cité les résultats d'un sondage effectué lors de la conférence qu'il a lui-même donnée le 13 juin 2003 (voir le compte-rendu, également disponible sur notre site Internet) : deux tiers des membres présents (échantillon de 33 personnes) lors de cette soirée ont affirmé qu'ils croyaient que la démarche sceptique s'applique aux religions.

Evelyne Gadbois a enchaîné avec la lecture de l'actualité sceptique. Mlle Gadbois a ensuite présenté le conférencier, Yvon Théroux, et sa conférence : « Au-delà de l'obscurantisme idéologique. Science et religion en dialogue. » Yvon R. Théroux a débuté sa carrière comme professeur et chercheur en sciences biologiques. Puis il a bifurqué vers les sciences humaines (théologie, sciences de l'éducation, science de la religion). Écrivain, en solo, duo ou au sein de collectifs, il aura contribué à ce jour à 20 ouvrages publiés ici, à Paris ou à Rome. Conférencier pour plus de 300 communications ici et à l'extérieur, il aura enseigné, à ce jour, dans cinq universités. Il est actuellement vice-président de la Compagnie des Philosophes.

Le texte qui annonçait la conférence disait ceci :

Le discours scientifique qui marque profondément la culture de notre époque a émergé au XVIIème siècle des discours philosophique et religieux. Il faut savoir assumer cette paternité en comprenant les enjeux de chaque pas évolutif des discours humains sur le Réel. Il nous faut nous rendre capables de respecter intégralement le magistère de chaque discours présidé par le principe NOMA (NOn-empiétement des MAgistères) si cher à l'éminent paléontologue S. J. Gould. Ce principe est généralement admis par une très forte majorité de scientifiques et de leaders religieux. Les deux sphères de réflexion et d'activité, la science et la religion, sont à considérer comme d'égale valeur et aussi nécessaires l'une que l'autre à toute existence humaine accomplie. Mais évitons ici toute forme de syncrétisme désuet comme tout réductionnisme plat. La critique historique des querelles entre science et religion, réelles ou fictives, fomentées ou provoquées débouche sur la compassion envers notre propre nature humaine située elle-même au sein de la Nature qui nous a engendrés tardivement, inconsciemment, et nous a abandonnés à notre propre sort. Dans un contexte préjudiciable, souvent fondé sur l'ignorance, on est toujours loin du compte! Faisons un pas désintéressé, tous ensemble.

La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Théroux.

Au delà de l'obscurantisme idéologique, science et religion en dialogue

Définitions

Yvon Théroux

M. Théroux a pris la parole en abordant les sens possibles que peuvent revêtir les mots « science », « religion » et « dialogue », qui forment le titre de sa conférence.

Le mot « science » renvoie généralement aux sciences de la nature, ou sciences dites exactes : la physique, la chimie et la biologie. Un préjugé circule à l'effet que ces trois disciplines seraient les seules sciences valables. M. Théroux a proposé une définition plus générale du mot science, qui englobe à la fois

  1. les sciences de la nature,
  2. les sciences de la santé,
  3. les sciences humaines et
  4. les sciences sociales.

M. Théroux a mentionné que la biologie est la « plus humaine » des sciences de la nature. Il a également abordé la distinction que l'on fait parfois entre « sciences dures » et « sciences molles » : les premières fonctionnent avec l'appui du langage formel que sont les mathématiques, mais non les secondes, qui regroupent les sciences humaines et sociales. M. Théroux a terminé cette réflexion en se demandant si la méthode scientifique, qui existe depuis le 17ème siècle, est unique, impériale, inclusive, exclusive ou excluante.

Le mot « religion » est aussi vaste que le mot « science » : il se doit donc, lui aussi, d'être précisé. Le mot « religion » nous renvoie, nous Occidentaux, d'abord et avant tout aux trois grandes religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l'islam. Mais il existe également des philosophies et des sagesses orientales, tels l'hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme, le shintoïsme, etc. que l'on inclut aussi en général dans le terme « religion ». Pourtant, ces philosophies et sagesses sont bien différentes des religions monothéistes. En outre, les arts martiaux possèdent une dimension religieuse.

L'humain est un être hybride qui possède un cerveau droit et un cerveau gauche. Le cerveau droit est le siège de l'intuition, de la création et des arts. Le cerveau gauche préside aux activités des facultés intellectuelles et est le siège de la logique formelle ainsi que du langage chiffré. Chaque humain est donc un être à la fois de raison et d'affect, bien que chaque individu ait un hémisphère dominant. Un scientifique est d'abord et avant tout un humain! Un scientifique est un humain qui fait des efforts inouïs de rationalité, mais qui n'en demeure pas moins touché affectivement par les événements de sa vie. Les humains sont « sortis » des animaux… tout en restant, comme on l'oublie souvent, des animaux!

M. Théroux s'est ensuite demandé si le dialogue entre science et religion était possible. Il a précisé qu'il prenait comme postulat de départ que oui. Le dialogue est possible entre des gens reconnus par la communauté scientifique et des gens qui ont des croyances. Le dialogue constitue un outil de la pensée, une approche ouverte, pour clarifier des données factuelles, des expériences scientifiques ou personnelles (dont on doute parfois du devoir d'en parler), etc.

D'un point de vue rationnel, il y a lieu de se demander si la science et la religion forment des pôles extrêmes et irréconciliables. Mais du point de vue de l'affect, tout peut être concilié.

M. Théroux a enfin précisé que la science et la religion n'existent pas en elles-mêmes : il existe en fait des humains, qui font de la science et de la religion.

La connaissance

M. Théroux nous a ensuite présenté plusieurs acétates. La première était un tableau synthèse regroupant et organisant les diverses disciplines du savoir humain. On y a distingué, d'abord, les disciplines non scientifiques des disciplines scientifiques, selon qu'elles utilisent ou non la méthode scientifique développée depuis le 17ème siècle.

  1. Du côté des disciplines non scientifiques, on retrouve, entre autres, la philosophie, la méthodologie, la logique, les mathématiques, la psychanalyse, le marxisme, l'astrologie, les mythes et les croyances ainsi que les arts et les savoirs techniques et appliqués.
  2. Du côté des disciplines scientifiques, on reconnaît trois grands groupes :
    1. les sciences historiques (histoire, géographie, etc.);
    2. les sciences sociales (psychologie, économie, sociologie, anthropologie, etc.);
    3. les sciences de la nature (physique, chimie, biologie et leurs sous-disciplines).

M. Théroux a indiqué que tout, dans les sciences, n'est pas expérimentable ou quantifiable. Il a cité comme exemple le Big Bang : on ne peut pas recréer un univers en laboratoire! Le Big Bang est une hypothèse rationnelle, mais non une théorie. Une théorie doit reposer sur des faits vérifiables et vérifiés. Dans le but de démontrer les limites de la science, M. Théroux a mis sonauditoire au défi de donner une définition scientifique de l'amour en faisant référence aux processus biologiques à l'intérieur du cerveau.

M. Théroux a poursuivi en affirmant que les sciences - c'est-à-dire

  1. les sciences de la nature,
  2. les sciences de la santé,
  3. les sciences humaines et
  4. les sciences sociales

- fonctionnent par essais et erreurs. Elles sont limitées, fragiles et vulnérables, comme tout discours sur le réel, mais constituent l'une des plus belles aventures de l'esprit humain.

La recherche de la connaissance se fait par la discussion rationnelle et critique, qui requiert la pratique d'une approche appelée « epoche » : faire abstraction de ses idées acquises afin de regarder les choses pour ce qu'elles sont, plutôt que tel qu'on les perçoit. Il s'agit là d'un exercice très difficile qui vient à l'usage - mais non à l'usure. M. Théroux en a profité pour spécifier les différents sens possibles du mot « critique » : être critique peut signifier « être critiqueux », mais également « avoir la capacité objective d'évaluer et/ou de mesurer la portée d'un énoncé, d'une équation, d'une affirmation, etc. »

Les idéologies

M. Théroux nous a présenté une deuxième acétate, traitant des idéologies. M. Théroux qualifie celles-ci du pire ennemi à éviter! Il a discuté, en particulier, du positivisme et du scientisme.

Le positivisme est une idéologie rattachée à la pensée d'Auguste Comte, qui prétend que les seules choses valables sont celles qui sont directement perceptibles par nos cinq sens. Hors des sens point de salut!

M. Théroux nous a cité la définition suivante du mot « scientisme » : « néologisme employé pour désigner soit :

  1. l'idée que la science fait connaître les choses comme elles sont, résout tous les problèmes réels et suffit à satisfaire tous les besoins légitimes de l'intelligence humaine;
  2. l'idée que l'esprit et les méthodes scientifiques doivent être étendus à tous les domaines de la vie intellectuelle et morale sans exception.

 »

(Extrait de : Lalande, André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1962, p. 960-961.) Le scientisme, fruit du 19ème siècle, prétendait que lorsque l'on pourra expliquer toutes les réalités de manière scientifique, tout le reste tombera : religions, poésie, etc. La science pourra régler tous les problèmes humains.

En réalité, la science ne peut satisfaire à tous les besoins de l'intellect humain. Elle s'intéresse aux « comment? », mais non aux « pourquoi? » Par exemple, la science expliquera « comment je meurs » ou « comment je suis amoureux », mais non « pourquoi je meurs » ou « pourquoi je suis amoureux ». M. Théroux constate que l'humain, avec son ignorance des réponses aux « pourquoi » et avec ses prétentions, se croit immortel et agit comme s'il l'était!

Certains scientifiques peuvent nier leurs propres recherches si les résultats ne concordent pas avec leurs idéologies personnelles. M. Théroux a cité le cas d'un psychiatre, athée convaincu, qui a jeté aux poubelles ses propres résultats d'observation qui tendaient à démontrer que les gens qui ont la foi sont moins anxieux.

Le sacré

La troisième acétate de M. Théroux discutait de l'univers du sacré et de son expérience par l'humain. Devant son ignorance, l'humain ancestral - ou humain archaïque - tentait de comprendre et de s'expliquer les phénomènes. Il avait tendance à sacraliser ce qui le dépassait et ne pouvait être soumis à son intelligence. Ainsi naquit ce que M. Théroux a nommé « l'univers du sacré ».

M. Théroux a distingué trois stades principaux dans l'histoire humaine.

  1. Le stade horticole est survenu lorsque la chasse et la cueillette ont cessé de suffire aux besoins alimentaires des humains, dont la population ne cessait de croître. Ce sont alors les femmes qui ont pratiqué l'agriculture : celles-ci étant les seules à pouvoir enfanter, on croyait qu'elles étaient les seules à être fécondes et donc à pouvoir faire pousser les plantes. Les premières divinités furent des femmes, telle Gaia, la déesse de la fertilité chez les grecs.
  2. Vint ensuite le stade agraire, ou âge du métal et de la charrue. La pratique de l'agriculture a alors exigé de la force physique, et les hommes ont remplacé les femmes dans ce travail. M. Théroux a ainsi constaté que les déterminants biologiques jouent un grand rôle dans l'histoire humaine.
  3. Arrive enfin le stade industriel, où l'humain distingue deux sortes de sacré : le « sacré sacré » et le « sacré profane ». Le « sacré sacré » se réfère à la transcendance, celle-ci ne se rapportant pas automatiquement au divin ou au religieux. Par exemple, l'humanisme athée a pour objet de transcendance l'humain, en qui il croit. Le « sacré profane » se situe au niveau du sens conféré aux objets. Par exemple, un bijou offert en cadeau revêt un caractère sacré pour la personne qui le reçoit pour ce qu'il symbolise.

L'évolution de la pensée n'est pas une progression linéaire, mais une progression en spirale : montée, plateau, descente, remontée, et ainsi de suite.

Selon le schéma de l'acétate présentée par M. Théroux, l'univers du sacré englobe et dépasse deux « sous-univers » : l'univers du spirituel et l'univers du religieux.

L'univers du spirituel

Il ne faut pas confondre le spirituel avec le religieux : le spirituel représente ce qui relève de l'esprit et n'est pas un synonyme du religieux. Le religieux renvoie à la croyance en la divinité. Il y a cependant un chevauchement entre le spirituel et le religieux.

L'expérience spirituelle tente de donner des réponses à des « pourquoi? » qui dépassent et transcendent les réponses scientifiques. L'expérience spirituelle appartient à tous les humains, aux athées autant qu'aux croyants. M. Théroux a cité comme exemple d'expérience spirituelle les rites funéraires pratiqués par Cro-Magnon. Le respect porté au cadavre ne relevait pas de la croyance religieuse (croyance en la divinité), mais constituait bien une expérience spirituelle reliée à la question métaphysique « y a-t-il quelque chose après la mort? »

M. Théroux a cité la définition suivante du « spirituel » :

« Le spirituel fait appel à ce qui relève de la conscience, de l'être à sa source. Il désigne cette caractéristique de l'être humain qui consiste à n'être ni totalement assujetti ni absolument souverain dans l'univers, de telle sorte qu'il accède à la liberté en reconnaissant et en respectant une vie qui vient de plus loin que lui et l'appelle au dépassement. Une expérience spirituelle consiste à s'ouvrir à cette vie profonde, intime et cosmique à la fois, à entendre ses appels, à y conformer son agir. Elle conduit à donner un sens unifiant, décisif et fondamental à l'existence. Pour ceux et celles qui nomment cette réalité Dieu, le spirituel prend une connotation religieuse et se vit sous le mode de la communion à une présence, de la fidélité à un amour.

D'autres y voient plutôt un niveau de conscience, une disponibilité aux exigences intérieures, un radical affranchissement du matérialisme, une orientation de sa vie en fonction d'un absolu qui peut prendre la forme d'une cause sociale ou politique, d'une recherche du beau ou du vrai, d'un service à l'humain. On peut parler de spirituel quand on dépasse l'ordre des considérations purement utilitaires et immédiates, pour accéder au domaine de l'altruisme, de la gratuité, de la liberté intérieure, de la contemplation. » (Conseil supérieur de l'éducation, Éthique, spiritualité et religion au cégep, Québec, Direction des communications du Conseil supérieur de l'éducation, 1992, p. 53.)

L'univers du religieux

L'univers du religieux est entre autres choses une modalité de l'univers du spirituel.

Si l'on inclut dans le terme « religion » les philosophies et les sagesses orientales, tels le bouddhisme ou le confucianisme, il faut modifier le sens habituellement donné au terme « religion », car celui-ci se trouve alors à inclure des traditions sans divinités. Le terme « religion » devrait alors aussi incorporer les arts martiaux.

M. Théroux a mis en évidence la différence entre « athéisme » et « agnosticisme » : un athée ne se pose pas la question de l'existence de Dieu, alors qu'un agnostique se la pose, mais conclut que, puisque l'on ne peut rien en dire, il vaut mieux se taire.

Il est faux d'affirmer que les religions n'évoluent pas. Ainsi, on ne devrait pas parler « d'une » tradition religieuse en particulier, mais « des » traditions religieuses relevant d'un même courant, en différents endroits et à différentes époques : les traditions judaïques, les traditions bouddhistes, etc.

De la même manière, tous les discours humains sont des produits qui évoluent dans le temps : les arts et les sciences, par exemple, autant que les religions. De même, chaque humain est pluriel : chaque humain change dans le temps, passant de l'enfance à l'adolescence, à l'âge adulte, à « l'autre » âge… Un même humain n'est pas le même à ses différents âges!

Les questions métaphysiques

Les deux « sous-univers » que sont l'univers du spirituel et l'univers du religieux, tous deux inclus à l'intérieur de l'univers du sacré, ne sont pas mutuellement exclusifs : ils se chevauchent et partagent un territoire commun, celui des grandes questions métaphysiques ou existentielles : L'univers? La vie? Je suis? La souffrance? La mort? Le mal? Les humains ont tenté de répondre à ces questions par l'art, depuis l'époque des peintures rupestres des grottes de Lascaux.

Les mythes

Le discours mythique vise à expliquer l'inexplicable. Par exemple, le mythe grec de Prométhée a pour but d'expliquer comment les humains ont acquis la maîtrise du feu. Selon ce mythe, le feu était à l'origine l'apanage des dieux. Prométhée a fauté en dérobant le feu sacré aux dieux et en le transmettant aux humains. Il fut puni.

L'humain est composé de différents discours, qui doivent tous être respectés dans leur intégralité : leurs capacités, leurs potentialités et leurs limites. Cela est vrai du discours mythique comme du discours scientifique.

M. Théroux a ajouté que la science générait ses propres mythes : par exemple les extraterrestres, les sorcières qui volent sur des balais ou encore les phénomènes paranormaux, telle la télépathie. Il a affirmé que des recherches sérieuses à l'université de Kiev auraient démontré que la télépathie existe, mais que ces preuves seraient ignorées de la communauté scientifique internationale.

M. Théroux s'est aventuré à comparer les récits scientifiques des origines à deux récits mythiques des origines. Il a vu un parallèle entre Darwin, le récit assyro-babylonien de Gilgamesh et le récit biblique d'Adam et Ève. Selon M. Théroux, ces trois discours, qui constituent trois tentatives de rendre compte des origines à partir des outils de l'époque, arrivent à une même logique : l'histoire commence avec le néant indescriptible de « l'avant », puis « quelque chose » émerge. Il y a un rapport entre le céleste et le terrestre. La vie sort des eaux. L'humanité apparaît à la fin.

M. Théroux a enfin affirmé que le discours scientifique construit plus qu'il ne découvre : la science ne se réduit pas aux données factuelles. M. Théroux a également cité Albert Jacquart : « un scientifique qui n'est pas aussi un philosophe est un dangereux bricoleur. »

Le devoir des philosophes devant la science

M. Théroux a souligné que le vrai philosophe d'aujourd'hui ne peut pas se situer en dehors de la culture scientifique contemporaine, qui émerge d'une longue évolution.

À cet effet, M. Théroux a cité un extrait d'un article de Pauline Gravel, intitulé « La philosophe Joëlle Proust a découvert auprès des schizophrènes et des autistes le « rôle capital de l'agir » dans l'appréhension de ce qu'est « être soi » :

« Si, sur le plan de la construction de l'argumentation rationnelle, il n'existe pas de distinction tranchée entre les énoncés scientifiques et ceux purement conceptuels, comme le prétendait Quine, cela veut dire que les philosophes ne peuvent ignorer ce qui se fait dans les sciences. Ils doivent s'informer des résultats de la recherche scientifique et tenter de les intégrer dans leurs propres travaux », rappelle Joëlle Proust, qui a également étudié la psychologie.

La philosophe reconnaît tout de même que certains aspects de la conscience demeurent inaccessibles à l'investigation scientifique. La science est peut-être parvenue à mettre au jour l'activité neuronale associée aux impressions qualitatives particulières que l'on a face à certains stimuli comme un tableau de Chagall, une mélodie de guitare, une odeur de rose, une douleur ou une source de chaleur. « Mais subsiste toujours cette difficulté à comprendre pourquoi telle activité neuronale produit une impression de douleur plutôt qu'une impression de couleur ou une odeur », souligne-t-elle. » (L'entrevue - Biologie et conscience, édition du lundi 29 septembre 2003)

Conclusion

M. Théroux a conclu sa conférence par un commentaire personnel, extrait d'une conférence qu'il a donnée à Montréal le 1er novembre 2003 : « le dialogue ouvert et respectueux est un apprentissage exigeant et difficile : il préfère la compassion à la complaisance, la vérité authentique au mensonge déguisé. Parce qu'en dialogue la vérité de soi vaut plus que tout, et jamais ne se marchande à aucun prix. »

Période de questions et d'échanges

Une personne de l'auditoire a fait remarquer qu'il y a eu peu d'éclaircissements et d'explications, tout au long de la conférence, au sujet du dialogue possible et du rapport entre science et religion. Le conférencier a répondu que la science et la religion sont des discours complémentaires, chacun ayant son propre domaine (principe NOMA : NOn-empiétement des MAgistères), et a ajouté que l'on retrouve du dogmatisme en science comme en religion. La science cherche à répondre aux « comment? »; pour les « pourquoi? », il faut d'autres discours. Mais aucun discours ne doit prendre une position impérialiste en cherchant à s'imposer aux autres. M. Théroux a mentionné que les catégories mentales, grâce auxquelles l'esprit morcelle le réel afin de se le rendre intelligible, sont différentes dans différentes cultures. Ainsi, selon M. Théroux, les Orientaux harmonisent plus naturellement le discours scientifique aux autres discours que les Occidentaux.

Un membre de l'assistance a demandé à M. Théroux des références précises supportant son affirmation que la télépathie avait été démontrée par des recherches sur le paranormal à l'université de Kiev. Le conférencier n'avait pas à la main des références précises, mais il a ajouté qu'il les lui fournirait ultérieurement.

Une autre personne de l'assistance a souligné qu'en science on porte peu attention aux noms des gens cités : on se concentre plutôt sur ce qu'ils disent et sur quoi ils s'appuient. De plus, les sciences et les mathématiques sont universelles, et non culturelles : elles mettent l'accent sur ce qui est objectif dans le réel plutôt que sur ce qui est culturel ou personnel. Ainsi, durant toute sa carrière, un scientifique fait de grands efforts pour se dégager de ce qui relève du culturel et du personnel. M. Théroux a répondu que l'objectivité en science est un idéal à atteindre, mais n'existe pas à l'état pur. La vie d'un scientifique possède deux facettes : la profession, pour laquelle le scientifique fait de son mieux avec ses outils, et la vie subjective, qui influencera par exemple les choix de sujets de recherche du scientifique.

M. Théroux a poursuivi en prévenant que le danger qui guette, dans tout discours, est l'idéologie. Lorsque l'idéologie intervient, nous ne sommes plus dans le discours scientifique. Malheureusement, la science peut être - et a déjà été - utilisée pour servir des idéologies. Par exemple, les Nazis ont invoqué la biologie pour justifier l'existence d'une race supérieure.

Une autre personne de l'auditoire a précisé que l'humain fait des efforts inouïs non pas de rationalité, mais plutôt de rationalisation. L'humain est davantage un être qui cherche à rendre les choses et les événements rationnels après coup qu'un être qui, dès le départ, penserait et agirait de manière rationnelle. Le conférencier a répondu à ce sujet que la partie la plus fragile du discours scientifique est l'herméneutique - c'est-à-dire l'interprétation. C'est au niveau de l'interprétation des faits que les scientifiques d'une même discipline se querellent entre eux.

Un autre membre du public considère que le dialogue entre science et religion est possible en principe. Selon cet individu, la science et la religion ne constituent pas deux magistères ayant des domaines mutuellement exclusifs. Un scientifique est d'abord et avant tout un être humain, interpellé autant par les « pourquoi? » que par les « comment? » Mais, toujours selon cet individu, le dialogue entre science et religion est impossible en pratique parce que les discours non-scientifiques n'invitent pas à la critique et à la transparence, contrairement au discours scientifique proprement dit. Or, la critique et la transparence sont les critères nécessaires pour pouvoir prétendre à l'universel.

Une autre personne, s'affichant relativiste (c'est-à-dire adhérant à l'idée selon laquelle tous les discours sur le réel sont d'égale valeur, aucun discours n'étant supérieur aux autres), a dit que le conférencier a réellement ouvert la porte au dialogue. Pour arriver au dialogue, il faut ouvrir son coeur et son esprit pour comprendre l'autre. Il ne faut pas rejeter du revers de la main ce qui nous dépasse. Les sceptiques, a-t-on ajouté, devraient éliminer toute expression contenant le mot « pseudo » dans un effort sérieux d'établir un dialogue avec les autres discours.

La fin de la période de questions et d'échanges a été marquée par un débat sur l'objectivité des tests de QI (quotient intellectuel). Un chercheur et professeur en psycho-éducation, présent dans l'auditoire, a affirmé qu'il n'existait aucune recherche montrant que les tests de QI actuels (à distinguer de certains tests de QI du passé) seraient culturellement biaisés.


Résumé rédigé par Daniel Fortier