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Sulfate d'hydrazine: est-ce un agent anti-cancéreux?

Saul Green, Ph.D.

La cachexie est le résultat d'une variété complexe d'anomalies métaboliques suite à perte d'appétit, atrophie des tissues, des muscles et des viscères, faiblesse, et pertes de réserves de graisses. Elle peut être accompagnée par un manque d'énergie, d'anémie, un taux abaissé d'albumine sérique, fonction immune réduite, d'acidose lactique, d'hyperlipidémie, intolérance au glucose et gluconéogénèse augmentée. Ces anomalies sont des signes cliniques de la possibilité d'une maladie sous-jacente.

La relation entre la cachexie et le cancer est connue depuis longtemps [1]. Malgré que la cachexie n'est pas un signe universel dans le cancer, elle survient fréquemment dans le cancer du poumon, du pancréas, et de l'estomac. Comme conséquence, il a été suggéré que la cachexie puisse contribuer à la mort [2,3].

Les oncologistes connaissent les différences entre la cachexie et la famine ou l'inanition, ce qui a stimulé plusieurs chercheurs à investiguer les mécanismes impliquées dans la cachexie avec l'espoir de pouvoir l'inverser. La cachexie est le résultat d'une interacion complexe entre la tumeur qui s'aggrandit et l'hôte; quand toute la tumeur est enlevée, le métabolisme normal et le gain de poids reprennent.

La gluconéogénèse est la production de glucose à partir des molécules qui ne sont pas nécessairement des sucres. Cette synthèse de glucose nouveau prend place dans les tissus comme le foie et les reins lorsqu'un composé à haute énergie appelé le phosphoenolpyruvate (PEP) est synthétisé par l'enzyme PEPCK présent dans les mitochondries.

L'entrée du sulfate d'hydrazine

Le sulfate d'hydrazine (HS) est un produit chimique commun peu coûteux qui est disponible pour environ 11 cents le gramme. HS est utilisé dans le traitement des métaux rares, dans les analyses sanguines, et comme antioxidant dans le flux (ou fondant) de la soudure. HS est carcinogénique. Il induit une gamme d'effets génotoxiques in vitro incluant dommage au DNA et aux gênes dans les cellules mammifères et dans les bactéries, et des aberrations chromosomiques dans les cellules mammifères [4]. En 1986, HS a été démontré comme cause d'adénomes pulmonaires, d'adénosarcomes et carcinomes hépatiques chez les rats mâles [5]. HS est soit génotoxique ou un carcinogène non-génotoxique, i.e., il agit comme un protecteur de la tumeur chez des cellules initiées pré-existantes[6].

Le HS produit l'hypoglycémie chez les chiens et lapins [7]. En 1966, Brown et al ont rapporté que le HS causait des mutations génétiques dans les cellules normales et ont averti qu'il ne devrait pas être utilisé chez les animaux à long terme; le HS devrait être considéré carcinogène. [8]

Joseph Gold, MD, est un omnipracticien et le directeur du Syracuse Cancer Research Institute. Gold a postulé qu'un circuit métabolique existe chez les cancéreux qui permet l'énergie nécessaire pour la croissance de la tumeur d'être retirée des acheminements métaboliques normaux. Selon Gold, l'acide lactique de la glycolyse de la tumeur, les acides aminés du métabolisme protéinique, et le glycerol de la mobilisation des matières grasses, stimulent la gluconéogénèse ce qui réduit l'énergie que les processus métaboliques normaux ont besoin pour produire et maintenir l'intégrité tissulaire. Ce supposé "court circuit de l'énergie" causerait la cachéxie dans le cancer. Si le circuit pouvait être brisé, la cachexie serait combattue et le cancer n'aurait pas l'énergie nécessaire pour son évolution [9].

En 1966, P.D. Ray a premièrement publié les résultats de ses études sur l'effet de la L-tryptophane et le HS sur la formation de phosphoenolpyruvate dans la gluconéogénèse dans le foie de rats. [10] Plus tard il rapporta les effets d'agents variés induisant l'hypoglycémie sur le métabolisme d'hydrates de carbone chez les rats. [11] Malgré que le HS ne réagissait pas directement avec le PEP, il inhibait la conversion de l'oxaloacetate en PEP, le composé haut en énergie considéré essentiel à la synthèse du glucose par la gluconéogénèse dans le foie et tissu rénal. Il a trouvé que l'enzyme la carboxynase phosphoenolpyruvate (PEPCK) qui contrôle la formation de glucose nouvelle dans le foie et les tissus rénaux était inhibée par le HS.

Quand Gold a appris ces résultats, il a conclut que le HS était le moyen de renverser la cachexie. Il a suggéré qu'en donnant du HS aux patients cancéreux, on pouvait bloquer la gluconéogénèse sans bloquant le métabolisme normal d'enérgie, ainsi combattant la cachexie et renversant la progression cachexie-dépendante de la tumeur

En 1971 Gold rapporta que le HS inhibait la croissance d'une tumeur expérimentale (W-256) chez les rats. [12] En 1973 il rapporta que le HS inhibait la PEPCK et la croissance des tumeurs Walker 256, le Mélanome B-16, le Lymphosarcome M-S, et la Leucémie L 1210 chez les rats. [13] En 1974 il étudia la relation entre l'inhibition de la PEPCK et l'abilité de plusieurs inhibiteurs connus de gluconéogénèse sur l'effet de la croissance des cellules tumorales dans des cultures de tissus. Il rapporta que le HS n'était pas toxique pour ces cellules. [14] En 1975 Gold rapporta que le HS potentialisait les agents chimiothérapeutiques standards comme le cytoxan, la mitomycine, le méthotrexate, et la bléomycine, chez les rats et souris. [15] En 1975 il publia les résultats d'un essai clinique IND dans lequel il traita 84 patients cancéreux en phase terminale avec le HS. L'essai a duré un an et n'était pas fait sur des patients choisis au hasard, à double insu ou avec contrôle placébo. Les résultats étaient une amélioration subjective, avec les trois-quarts des patients avouant qu'ils avaient un meilleur appétit, un gain de poids, et une sensation générale de "bien-être." Ces effets variaient largement en terme de durée, de quelques jours à plusieurs mois. Le cancer chez 14 des 84 patients se serait stabilisé." (Il n'y avait pas mention de la croissance des tumeurs chez le reste du groupe de patients.) Il n'y avait pas d'effets toxiques significatifs du au HS. Aucun effort n'a été fait pour évaluer l'abilité du HS d'influencer le métabolisme du glucose des patients. Il n'y a pas eu d'études de suivi à long terme. [16]

Recherche additionnelle

Il y a eu par la suite plusieurs essais cliniques avec patients choisis au hasard, à double insu, avec groupe contrôle placébo: Ochoa et al en 1975, [17] H. J. Lerner, [18] S. B. Strum et al., [19] et E. Spremulli et al. [20] Tous ont trouvé que le traitement avec le HS n'avait aucun effet dans la réduction de la tumeur ou dans l'augmentation de la survie des patients. Jusqu'â 1980, Regelson aurait traité 66 cancéreux en phase avancée et les a examiné pour évaluer les réponses subjectives et objectives comme Gold avait fait. [21] Aucun des patients de Regelson avait des réponses objectives sur les tumeurs qui pouvaient être attribuées au traitement avec le HS. Il y a eu des réponses subjectives de courte durée mais elles n'étaient pas différentes de celles qui pouvaient être attribuées à l'effet placébo simplement. Le HS n'a eu aucun effet sur la survie. En 1982 Gold a questionné les conclusions de Regelson et d'Ochoa, disant que leurs conclusions étaient "politiques" le résultat d'un complot de "l'Establishment" de cacher une cure peu dispendieuse et efficace du cancer. [22]

Un groupe en Russie rapporta des résultats appuyant la thèse de Gold. [23-25] Les effets étaient les mêmes effets subjectifs que Gold avait rapportés, i.e., une diminution de la douleur, de la fièvre, de l'hémoptysie, et un appétit augmenté. Filov rapporta que le HS produisait un effet psychotropique marqué chez les patients qui survenait 23 semaines après le début du traitement avec le HS. Filov l'a décrit comme une "euphorie" marquée et a dit que les patients cachectiques en phase terminale de leur cancer intestinal n'étaient pas en mesure de reconnaître la réalité de leurs conditions.

En 1984 et 1987, R. T. Cheblowski [26,27] a confirmé que la diminution de la tolérance au glucose et une augmentation du taux de production totale de glucose étaient démontrées chez les patients avec la cachexie. Le traitement avec le HS pendant un mois améliorait le métabolisme anormal du glucose, causait un gain de poids, et augmentait l'appétit chez quelques patients.

En 1990 Cheblowski a examiné l'influence du HS sur le statut nutritionnel et la survie de 65 patients atteints de cancer pulmonaire à cellules non-petites. [28] Les essais étaient faits sur des patients choisis au hasard, à double insu, avec groupe contrôle placébo. Il n'y avait pas de différence significative entre le groupe traité avec le HS et le groupe contrôle pour ce qui est de la progression du cancer ou le taux de survie des patients. Le groupe traité avec le HS n'a pas montré d'augmentation de l'appétit ou de gain de poids. Encore une fois le HS semblait induire un état d'euphorie chez les patients qui leur donnait l'impression qu'ils étaient en voie de guérison. A cause de la neuro-toxicité discrète du HS, Cheblowski croyait qu'il ne serait pas un bon candidat à employer comme traitement à long terme avant que des études appropriées soient entreprises sur la sécurité du HS. Cheblowski conclut, "Considérant tous les patients, la survie était légèrement augmentée pour le groupe traité avec le HS comparé au groupe placébo, mais la différence n'était pas statistiquement significative." Des études additionnelles, mieux structurées, doivent être faites.

En juin 1994 trois articles [29-31] ont décrit les effets d'ajouter le HS aux traitements chimiothérapeutiques de patients avec cancer pulmonaire avancé à cellules non petites, leucémie, cancer avancé colo-rectal, et cancer pulmonaire nouvellement diagnostiqué à cellules non-petites. Les trois essais cliniques à double insu avec groupe contrôle placébo ont donné des résultats qui ont porté les auteurs à conclure: "Cette étude démontre qu'il n'y a aucun bénéfice apporté en ajoutant le HS à un programme cytotoxique efficace."

Évaluation par les médias

En juillet 1994, le magazine Penthouse contenait un article par Jeff Kamen qui déclarait aux lecteurs, "Les russes benificient du médicament du Dr. Gold contre le cancer, un médicament que notre propre gouvernement semble vouloir détruire." Kamen, un écrivain free-lance, non un scientifique en recherche médicale, est arrivé à cette conclusion après une visite (non à ses frais) au N.N. Petrov Research Institute of Oncology à St Petersburg, Russie, où Gershanovich et Filov, deux adeptes de l'utilisation du HS depuis longtemps comme traitement du cancer, oeuvraient. Les russes ont dit à Kamen qu'ils avaient traité 1000 cancéreux avec le HS et les ont guéris. Puisque Kamen les a cru, il a conclu que la vérité au sujet du HS àvait été supprimée aux Etats-Unis par le NCL et la FDA.

Dans ce même article, Kamen a cité le témoignage du docteur Joanne Daniloff, Dept de Médecine Vétérinaire de l'Université de Louisiana State à Baton Rouge, LA. Elle est citée avoir dit que suite à l'exérèse presque complète de sa tumeur (un glioblastome multiforme grade IV), son médecin local lui aurait dit que son cancer était incurable. Elle a pris du HS, et la tumeur n'a pas récidivé. Le docteur Daniloff continue, "J'ai lu des études qui ont clairement démontré de l'évidence que le HS était un agent chimiothérapeutique. Le HS seul a été démontré pouvant réduire la grosseur de nombreuses tumeurs." Parce que Daniloff ne donna aucune référence pour ces déclarations, une recherche de Medline a été faite pour la période 1980-1990. Aucune publication n'a été trouvée qui montre cette évidence. Un appel téléphonique a été fait au département de médecine vétérinaire le 2 janvier, 1997, pour demander personnellement ces références du docteur Daniloff. Le département de ressources humaines et la secrétaire du département de médecine vétérinaire ont mentionné qu'il n'y avait aucune personne de ce nom faisant partie de leur personnel.

Kamen a fini son article en annonçant que suite à une pression du Congress, le GAO a accepté d'investiguer le comportement du NCI au sujet des essais cliniques mentionnées ci-haut. En sept. 1995 le GAO a conclu que les trois grandes études, avec patients choisis au hasard, avec groupe contrôle placébo, subventionnées par le NCI avaient été faites correctement et que la conclusion que le HS était inefficace pour augmenter la survie des patients cancéreux était aussi valide.

En 1996 des scientifiques médicaux britanniques ont publié deux très grandes revues sur le sujet de la cachexie du cancer. [32]

Sommaire et conclusion

Une revue de la littérature, incluant celle de Gold sur le sujet de l'efficacité du sulfate d'hydrazine (HS) montre: (1) le HS n'a jamais été démontré comme agent anti-cancéreux; (2) les patients n'ont pas de rémissions ou régressions de leur cancer suite au traitement avec le HS; (3) les patients traités avec le HS ne vivent pas plus longtemps que les patients qui ne sont pas traités avec le HS. Malgré que le HS puisse corriger le métabolisme anormal des hydrates de carbone chez certains patients cancéreux, le raisonnement qu'il agisse comme agent anti-cancéreux parce qu'il prive les cancers de leur énergie en inhibant la formation de glucose de l'acide lactique (gluconéogénèse) est erronné. Le HS n'a pas été démontré efficace comme agent anti-cancéreux.

 

Références:

  1. Rohdenherg GL. JAMA. 1919;72: 1528-1529.
  2. Warren S. Am J Med Sci. 1932; 185: 610-615.
  3. Fearon KCH. Ann Surg. 1988; 208: 1 -5.
  4. DeSerres F] et al. Evaluation of Short Tests for Carcinogenesis. Oxford, UK Elsevier/North Holland; 1981: 77-85.
  5. Sever L. J Natl Cancer Inst. 1968; 41: 331-349.
  6. Douglas GR et al. Carcinogenesis. 1995; 16: 801-804.
  7. Underhill FP. J Biol Chem. 1911; 10: 159.
  8. Brown et al. Biochem Biophys Res Comm. 1966; 24: 967. 14. 15.
  9. Gold J. Oncology. 1968; 22: 185.
  10. Ray PD.J Biol Chem. 1966; 241: 3904-3908.
  11. Ray PD.J Biol Chem. 1970; 245: 690-696.
  12. Gold J. Oncology. 1971; 25: 66-71.
  13. Gold J. Oncology. 1973; 27: 69 8013.
  14. Gold J. Oncology . 1974; 29: 74-89.
  15. Gold J. Oncology. 1975; 31: 44.
  16. Gold J. Use of hydrazine sulfate in terminal and preterminal cancer patients: results of investigational new drug (IND) study in 84 evaluable patients. Oncology 32 1-10, 1975.
  17. Ochoa et al. Cancer Chemotherapy Reports. 1975; 59:1151-1154.
  18. Lerner HJ. Cancer Treat Rep. 1976; 60:959.
  19. Strum SB et al. Proc Amer Assn Cancer Kes. 1975; 16: 243.
  20. Spremulli E. et al. Cancer Chemo Pharm. 1979; 3: 121.
  21. Regelson W. JAMA. 1980; 243 337.
  22. Gold J. Cancer Journal News. 1982; 16 (3/4).
  23. Gershanovich Ml et al. Cancer Treat Rep. 1976; 60: 933.
  24. Tret V et al. Probl Oncol. 1977; 23 94. 25.Filov VA et al. Vopr Onkol. 1990; 36 721.
  25. Cheblowski RT. Cancer Research. 1984; 44: 857.
  26. Cheblowski RT. Cancer. 1987; 59: 406.
  27. Cheblowski RT. Hydrazine sulfate influence on nutritional status and survival in non-small-cell lung cancer. Journal of Clinical Oncology 8:9-15, 1990.
  28. Kosty MP et al. Cisplatin, vinblastine, and hydrazine sulfate in advanced, non small-cell lung cancer a randomized placebo-controlled, double-blind phase III study of the cancer and leukemia group B. Journal of Clinical Oncol.ogy 12:1113-1120, 1994.
  29. Loprinzi CL. Randomized placebo-controlled evaluation of hydrazine sulfate in patients with advanced colorectal cancer. J Clin Oncol. 1994; 12: 1121-1125.
  30. Loprinzi CL. Placebo- controlled trial of hydrazine sulfate in patients with newly diagnosed non small-cell lung cancer. J Clin Oncol. 1994; 12: 1126-1129.
  31. Euro J Surg Oncol. 1996; 22: 192-196,286-297.
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  33. Black M, Hussain H. Hydrazine, cancer, the internet, isoniazid, and the liver. Annals of Internal Medicine133:911-913, 2000. [PDF]

 

Au sujet de l'auteur

Le docteur Green est un biochimiste qui a fait de la recherche dans le cancer au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center pendant 23 ans. Il est conseiller en méthologie scientifique et a un intérêt spécial dans les méthodes non-prouvées. On peut l'atteindre au (212) 957-2029.

 

Message spécial pour cancéreux

 

Cet article a été publié dans le numéro d'Automne/Hiver 1997 du Scientific Review of Alternative Medicine

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Dernière mise à jour le 10 mars 2019.

Source: Quackwatch