LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du mardi 13 septembre 2005

Comprendre et dépasser les limites de nos processus mentaux

Par Nicolas Sarrasin

Texte annonçant la soirée

« Cette conférence se propose d’aborder les processus psychologiques – dits cognitifs – à partir desquels l’être humain traite l’information provenant de l’environnement. Les recherches en sciences cognitives, notamment en psychologie et en neurosciences, nous permettent de comprendre de mieux en mieux la manière dont le cerveau, à travers l’évolution, s’est spécialisé pour maximiser la survie de l’être humain dans un milieu complexe et changeant. Ces nouveaux champs de recherche scientifique soulèvent différents enjeux fondamentaux face à l’expérience humaine : Comment sélectionnons-nous les informations dans l’environnement pour raisonner et pour réagir ? Dans quelle mesure nos connaissances influencent-elles l’interprétation subséquente des événements ? Quelle est l’incidence de notre interprétation sur notre expérience de la vie ?

Malheureusement, les processus cognitifs du cerveau sont limités et nous font souvent interpréter la réalité à travers une grille simpliste et fallacieuse. Ce sont les distorsions cognitives. Pour retenir une illustration abondamment documentée en psychologie sociale, les personnes qui croient vrais les phénomènes paranormaux tendent à ne se concentrer que sur les informations qui valident leurs croyances antérieures même si, dans les expériences, on leur présente de réels canulars. En fait, grâce à une meilleure compréhension des processus cognitifs et de leurs limites, nous pouvons véritablement utiliser notre esprit critique (les capacités métacognitives) pour corriger les conclusions fallacieuses que nous tirons trop souvent à travers les événements quotidiens.

Les sceptiques vivent heureux même s’ils ne croient pas aux phénomènes « extraordinaires ». En fait, dans la mesure où le scepticisme passe par une quête d’informations nouvelles et plus valides, cela permet d’être plus ouvert au monde. Et, contrairement à ce qu’affirment leurs détracteurs, le doute est une attitude d’ouverture. Ce sont ceux qui ont conclu une fois pour toutes, sans disposer d’informations suffisantes, qui se ferment à ce que la réalité peut leur offrir, apparemment sans s’en apercevoir. Ainsi, l’on est plus heureux si l’on utilise son esprit critique !

Depuis qu’il a terminé sa maîtrise en Études françaises à l’Université de Montréal, Nicolas Sarrasin se passionne pour les sciences cognitives, notamment pour la psychologie, la philosophie et la psycholinguistique. Il vient de faire paraître aux éditions de l’Homme un livre intitulé Petit traité antidéprime, qui porte sur les limites naturelles des processus psychologiques du cerveau. Il a également publié deux essais. »

Mot du Président

Daniel Picard, président des Sceptiques du Québec, s’informe de la présence de nouveaux auditeurs dans la salle et présente l’association des Sceptiques du Québec. C’est un organisme à but non lucratif qui existe depuis 1987. Il fait la promotion de l’esprit critique et de la pensée rationnelle en organisant, entre autres, des conférences le 13 de chaque mois. Au départ, l’organisation se préoccupait particulièrement des phénomènes paranormaux, mais avec le temps les sujets des conférences se sont diversifiés, les Sceptiques du Québec croyant que l’esprit critique s’applique à tout aspect de la vie quotidienne. Les Sceptiques du Québec produisent aussi le magazine Le Québec Sceptique, trois fois par année, et distribuent également des livres et articles dans des écoles de la province pour y promouvoir l’esprit critique et la pensée rationnelle.

M. Picard annonce aussi la mise en vente de la collection des anciens numéros du Québec Sceptique (du no1 au no54) maintenant disponible sur disque compact. Chaque numéro est accessible dans un fichier PDF exactement tel que paru. Le CD comprend aussi un outil de recherche permettant d’effectuer une recherche par titre, auteur ou mots-clés à travers ces quelques 900 articles parus entre 1987 et 2004. Ce disque compact est vendu au coût de 30$ pour les membres ou abonnés et 40$ pour les non-membres, alors que le coût d’une collection complète version papier est de 150$.

Présentation de l’Association Humaniste du Québec

M. Cloutier vient ensuite présenter l’Association Humaniste du Québec qu’il vient tout juste de fonder. L’idée d’une telle initiative prend sa source dans la conclusion d’un de ses textes, Réflexions sur la vérité (paru dans le Québec Sceptique 57), c’est-à-dire qu’il est nécessaire pour chacun de développer un esprit critique et que cela devrait être enseigné.

Depuis décembre 2004, un organisme associé, la Fondation Humaniste du Québec (FHQ), constitué d’un groupement de donateurs, amasse des dons et des legs pour aider des organismes qui travaillent pour la pensée critique, tels les Sceptiques du Québec et le Mouvement Laïque Québécois. La Fondation Humaniste du Québec possède déjà un fonds immobilier de 15 000$ pour construire un centre humaniste, comme on en trouve dans plusieurs autres grandes villes.

L’organisme qu’il vient de créer, l’Association Humaniste du Québec (AHQ) , est une association de membres dirigée par un conseil d’administration, dont le mandat est d’organiser des conférences, des débats, et des rencontres pour favoriser l’esprit critique. Il invite les auditeurs à consulter le site Web de l’association pour plus d’informations, et à participer aux débuts de l’AHQ pour discuter et décider de son orientation et de son évolution.

Présentation de deux livres traitant de la pensée critique

François Filiatrault, l’animateur de la soirée, présente deux bouquins qui ont été publiés cet été. Le premier s’intitule Petit cours d’autodéfense intellectuelle et a été écrit par Normand Baillargeon, auteur de plusieurs livres, et qui enseigne les fondements de l’éducation à l’UQÀM. Ce livre aborde la façon dont les mots peuvent nous tromper, montre comment les mathématiques peuvent être utilisées de façon fautive, explique comment notre vécu peut nous amener à faire des paralogismes, rappelle les principes de la démarche scientifique et nous met en garde contre les façons non valides de se convaincre dans la vie quotidienne. Comportant de nombreux exemples, il peut être particulièrement utile pour les personnes travaillant dans le domaine de l’éducation.

Le deuxième livre que présente M. Filiatrault s’intitule La Guerre des Mondes a-t-elle eu lieu ? Son auteur, Pierre Lagrange, un sociologue, examine le canular d’Orson Welles qui a rapporté de façon très convaincante une invasion fictive de martiens à la radio. Il est généralement admis que le public avait cru à ce canular et que des émeutes, suicides et fausses couches avaient suivi sa diffusion. Lagrange affirme que tout cela est faux, qu’il n’y a eu que quelques appels dans les postes de police. À travers cet exemple, l’auteur aborde le préjugé anti-population, c’est-à-dire l’idée selon laquelle une rumeur comme celle-ci vient du fait que les gens rationnels sont portés à croire que le peuple peut être très stupide. Un livre très intéressant selon notre animateur.

Présentation du conférencier

Nos perceptions, qui sont souvent le résultat de l’évolution du cerveau, influencent nécessairement nos pensées. M. Picard se demande jusqu’à quel point on est esclave de ces dernières, même si on veut utiliser notre esprit critique. Dans cette optique, M. Sarrasin, le conférencier de ce soir, décrira les limites de nos processus mentaux et expliquera comment les dépasser.

Comprendre et dépasser les limites de nos processus mentaux

Nicolas Sarrasin

Par Nicolas Sarrasin
Auteur

Nicolas Sarrasin remercie d’entrée de jeu les Sceptiques du Québec de lui permettre de partager ses connaissances sur un sujet qui l’intéresse, soit l’esprit critique et son substrat cognitif. Il souligne que le contenu de cette conférence constitue une partie du livre qu’il vient d’écrire : Petit traité antidéprime. Ce soir, Nicolas Sarrasin explorera avec nous la manière dont le cerveau a développé, au cours de l’évolution, des processus qui nous permettent de fonctionner dans l’environnement de façon généralement adaptée, bien qu’ils peuvent parfois nous jouer des tours. Il expliquera aussi comment il est possible d’exercer un contrôle sur ces processus une fois que l’on a pris conscience de leur existence.

Notre cerveau

La survie d’une espèce est sujette au mécanisme de l’évolution, un processus arbitraire par lequel seuls les individus les mieux adaptés survivent. Le succès de l’être humain est lié à son intelligence, qui lui a permis de créer des outils pour transcender ses limites biologiques. Toutefois, précise le conférencier, bien que notre cerveau nous ait permis de survivre jusqu’ici, nul ne sait si nous serons assez intelligents pour survivre encore longtemps.

La compréhension de notre cerveau a grandement évolué au cours de la deuxième moitié du 20e siècle avec le développement des sciences cognitives. Celles-ci comprennent des disciplines telles que l’anthropologie, la philosophie, la psychologie cognitive, les neurosciences et certaines spécialités de l’informatique, notamment le domaine de l’intelligence artificielle, qui tente de reproduire certains processus cognitifs. On peut diviser les sciences cognitives en deux grands types selon le point de vue qu’elles adoptent face au cerveau. D’un côté, la neurologie s’intéresse plus au « hardware » du cerveau, aux mécanismes physiques qui régissent son fonctionnement. De l’autre, la psychologie cognitive étudie davantage le côté « logiciel » du cerveau, c’est-à-dire la manière dont il produit des résultats. Ainsi, alors que les behavioristes percevaient le cerveau comme une boîte noire produisant des réponses à partir de stimuli et le croyaient impossible à étudier pour une question de rigueur scientifique (argument tout à fait valable à l’époque), les sciences cognitives nous permettent aujourd’hui d’étudier son fonctionnement de façon scientifique.

Le conférencier résume ainsi le processus de fonctionnement du cerveau : les stimuli de l’environnement sont perçus par le corps, puis traités par notre cerveau, et celui-ci produit ensuite des réponses non arbitraires, puisqu’elles sont influencées par nos apprentissages préalables. Les processus qui prennent place dans le cerveau peuvent être divisés en deux catégories : les processus inférieurs, inconscients pour la plupart, comme l’attention et la reconnaissance, et les processus supérieurs, tels que le raisonnement, le langage et la conscience. Ce sont ces derniers types de processus qui intéressent particulièrement M. Sarrasin. On peut aussi parler de processus ascendants, dans la mesure où l’information sur l’environnement « monte » jusqu’au cerveau, et de processus descendants à partir du moment où le cerveau, traitant l’information, maximise la réponse comportementale aux stimuli de l’environnement.

Importance de la mémoire

La mémoire est formée de réseaux parallèles de neurones, et le cerveau effectue plusieurs types de traitements selon le lobe qui est activé. Ainsi, c’est le lobe occipital qui est le siège de la vision, mais le lobe frontal s’active également si on prend conscience de ce que l’on voit et l’aire de Broca s’active quant à elle si on nomme l’objet observé (langage).

Sarrasin souligne que la mémoire joue un rôle extrêmement important parmi les processus cognitifs. Chacun d’entre nous a probablement déjà expérimenté des troubles de la mémoire, tel que le mot sur le bout de la langue, et donc comprend l’importance du stockage des informations. Dans son livre Seven Sins of Memory, Daniel Schacter présente sept biais naturels de la mémoire. Il raconte entre autres l’anecdote d’un violoniste qui, après un concert, a oublié son Stradivarius sur le toit d’un taxi, pour ne le retrouver qu’un an plus tard ; un exemple flagrant de manque d’attention. Schacter aborde aussi le problème du mélange de souvenirs, problème qui peut porter préjudice à un individu jugé à la cour de justice sur la base de témoignages.

La catégorisation

Le processus cognitif de base est celui de la catégorisation. On catégorise tous, tout le temps et partout, sans nécessairement s’en rendre compte. C’est une manière extrêmement économique et efficace développée par le cerveau pour retenir et associer des unités d’information entre elles, aussi appelées unités de sens. La catégorisation utilise les propriétés des éléments (rouge, par exemple, peut être la propriété d’une chemise) pour les classifier. Ainsi, à l’épicerie, on retrouve une classification des éléments selon leurs relations sémantiques ; les fruits sont à un endroit, les légumes à un autre. Sarrasin souligne que ces catégories n’existent pas a priori, mais sont des construits du cerveau.

La catégorisation élabore des représentations, ou concepts, qui sont des associations de plusieurs propriétés (unités de sens). Ainsi, on définit un chien comme un mammifère possédant quatre pattes et qui aboie, la propriété d’être un mammifère étant elle-même une association de plusieurs autres propriétés. Les concepts créés par catégorisation sont économiques et efficaces, car leurs connexions permettent d’avoir accès facilement à un ensemble d’informations utiles, ce qui nous permet par la suite d’apprendre.

Sarrasin mentionne les résultats d’une expérience des années 70 qui conclut que l’on reconnaît plus rapidement des mots sémantiquement reliés. Ainsi, bien qu’elle se mesure en millisecondes, une différence est visible entre la reconnaissance des mots dans les expressions table-chaise et table-train.

Inférences

L’organisation des concepts en catégories est ce qui permet le raisonnement, ou inférences qui permettent d’obtenir de nouvelles connaissances à partir de celles dont on dispose. Deux exemples bien connus d’inférences sont la déduction et l’induction, qui dépendent toutes deux de l’organisation en réseaux des neurones dans le cerveau.

L’induction consiste à induire des règles générales à partir d’un ensemble d’éléments discrets. Sarrasin nous met toutefois en garde : ce type d’inférence ne permet jamais d’obtenir une conclusion absolument valide. Ainsi, pour conclure que tous les corbeaux sont noirs, il faudrait pouvoir tous les attraper un par un et vérifier leur couleur.

La déduction, dont il existe plusieurs variantes, arrive quant à elle, à partir de certaines prémisses, à obtenir des conclusions vraies, en autant que les prémisses soient vraies. La déduction fonctionne par sous-catégorisation, c’est-à-dire qu’elle met les catégories en relation les unes par rapport aux autres. Par exemple, explique le conférencier, à partir des deux prémisses « Le nez fait partie du visage. » et « Le visage fait partie de la tête. », on peut déduire que le nez fait partie de la tête. On voit ici très bien les trois catégories (nez, tête, visage) mises en relation afin de dériver la conclusion de la déduction. Sarrasin souligne que les inférences du type déductif sont très importantes si on se préoccupe de la validité de nos résultats.

L’interprétation

L’interprétation fait appel à un ensemble de processus cognitifs ayant lieu de façon presque simultanée, comme la reconnaissance et le raisonnement, ainsi qu’à nos connaissances antérieures. Le conférencier cite la définition de l’interprétation du chercheur Costermans : « […] opérations par lesquelles l'individu, au départ de l'information sensorielle, élabore des “représentations” et effectue des transformations sur ces représentations, pour finalement les utiliser dans la mise en place de ses comportements […] ». L’interprétation permet donc de transformer des stimuli sous une forme cohérente en faisant appel à nos connaissances.

Le processus de l’interprétation se produit en quatre étapes distinctes. Premièrement, on perçoit des informations et on tente de les comprendre. Sarrasin souligne que ce désir de comprendre ce que l’on perçoit est partagé par tous les êtres humains et est lié à notre survie. Deuxièmement, il y a constitution d’un espace de réflexion. L’espace de réflexion est l’ensemble des informations que l’on va chercher en mémoire pour résoudre un problème. Le conférencier souligne que le contenu de l’espace de réflexion influence grandement nos résultats. Par exemple, on a demandé à des volontaires de relier les neuf points ci-dessous à l’aide de quatre traits et sans lever le crayon. La plupart des gens n’ont pas réussi, car ils ont essayé de le faire tout en restant à l’intérieur du carré.

Neuf Points

Cet exemple montre que si l’on ajoute des contraintes supplémentaires non désirées, dans ce cas-ci ne pas sortir du carré, cela peut nous empêcher complètement de résoudre le problème. Le conférencier souligne que le même genre de problème se produit aussi dans notre vie personnelle. Ainsi, plusieurs couples se séparent en croyant avoir tout essayé alors que c’est faux. Troisièmement, après s’être constitué un espace de réflexion, on compare les nouvelles informations avec celles dont on dispose en mémoire. Quatrièmement, on arrive à une conclusion, idéalement appropriée. Malheureusement, affirme Sarrasin, trop souvent nos conclusions sont trop rapides, et elles sont parfois carrément inappropriées.

Les croyances

Sarrasin définit une croyance comme une connaissance sur le monde que l’on juge vraie. Nos croyances nous permettent de comprendre, de prévoir, de choisir, d’agir et ont une incidence sur notre évaluation des événements. Il souligne qu’il est important de reconnaître que nous ne faisons pas que recevoir les nouvelles informations, nous agissons sur celles-ci, car l’interprétation forge nos croyances en tenant compte de nos apprentissages antérieurs.

Le conférencier rappelle également que le processus d’interprétation n’est pas totalement rationnel. Beaucoup d’autres éléments entrent en ligne de compte pour définir nos croyances, tels que nos attentes et nos émotions. Ainsi, on est porté à interpréter les informations pour corroborer nos attentes et une personne émotionnellement chargée réagit différemment face au même événement que si elle ne l’était pas. La compréhension de ces facteurs (et de plusieurs autres) nous permet de voir comment procède l’interprétation, ce qui est très important puisque c’est elle qui forge nos croyances et que nos croyances modifient à leur tour nos comportements.

Jugements et croyances

Herbert Simon, un chercheur multidisciplinaire et pionnier des sciences cognitives, s’intéressait au traitement de l’information dans les organisations. Son hypothèse était que notre rationalité est limitée, notre cerveau ayant développé certaines limites au cours de l’évolution. Par la suite, d’autres chercheurs ont étudié justement pourquoi l’être humain ne raisonne pas selon les lois des statistiques, ni ne suit la logique dite mathématique, mais se fie plutôt à la plausibilité des choses et aux connaissances qu’il en a. Par exemple, le livre Judgement under Uncertainty : Heuristics and biases, de Daniel Kahneman et ses collègues, présente une description des phénomènes qu’ils ont observés à travers deux heuristiques qui favorisent l’interprétation. Sarrasin précise qu’une heuristique est un ensemble de moyens économiques utilisés par le cerveau pour comprendre une information. D’abord, il y a l’heuristique de disponibilité, c’est-à-dire qu’on évalue la probabilité d’un phénomène selon le nombre de cas similaires dont on se souvient. Par exemple, ceux qui croient que la pleine lune augmente le nombre d’accouchements retiennent majoritairement les informations favorables à cette hypothèse. Aussi, il y a l’heuristique de représentativité selon laquelle on accorde une probabilité plus élevée à une information qui est représentative de la catégorie à laquelle elle appartient. Par exemple, les chercheurs ont fait lire le court texte suivant à un groupe de volontaires :

« Linda a 31 ans. Célibataire, franche et très intelligente, elle a étudié la philosophie à l’université. Pendant ses études, elle s’est beaucoup intéressée aux problèmes de discrimination et de justice sociale et elle a également participé à des manifestations contre l’usage de l’énergie nucléaire. » (Kahneman, cité dans le livre de Sarrasin)

Les chercheurs ont ensuite demandé aux volontaires lequel des deux énoncés était le plus plausible :

a) Linda est caissière dans une banque.

b) Linda est caissière dans une banque et est active dans un mouvement féministe.

La plupart des gens ont opté pour le deuxième énoncé. Pourtant, explique Sarrasin, il est moins probable d’avoir deux propriétés plutôt qu’une seule. De plus, il fait remarquer que la propriété que la plupart des gens considérait moins plausible, soit que Linda est caissière dans une banque, est présente dans les deux énoncés.

En outre, une recherche publiée en 2001 et utilisant l’imagerie cérébrale concluait que souvent, lors de raisonnements moraux, c’est le système limbique (la partie du cerveau qui traite les émotions) qui est la plus active. Ainsi, on n’est pas toujours si rationnel, même quand on veut bien le croire…

Limites des processus cognitifs : Les distorsions cognitives

Une distorsion cognitive est une croyance irréaliste qui suscite des émotions et des pensées négatives qui nous rendent inadaptés (au sens large). Par exemple, explique Sarrasin, si avant de donner sa conférence il s’était dit que nous allions tous détester sa présentation, cela aurait influencé sa physiologie et ses émotions de façon négative. Les distorsions cognitives amènent de fausses croyances, et celles-ci ont une influence sur la vie de tous les jours. Il présente quelques distorsions cognitives fréquentes.

La sélection d’informations

La sélection d’informations, soit le fait que l’on se concentre sur certaines informations plutôt que d’autres, est souvent utile. Par exemple pour comprendre quelque chose de nouveau il faut porter notre attention sur certains détails à la fois. Toutefois, cette sélection d’information a parfois des effets négatifs, elle peut nous confiner à une vision partielle de la réalité. Sarrasin, citant son livre, explique que « Ce mécanisme est particulièrement néfaste parce qu’il finit par nous faire croire que notre bonheur dépend de ce que nous ne possédons pas. Nous oublions vite d’apprécier tout ce qui nous rend véritablement heureux. L’élaboration de nos idéaux passe ainsi par la recherche d’éléments positifs mais souvent fictifs que nous avons envie de vivre et qui, en comparaison, font paraître le quotidien peu attrayant. Le glissement vers cette distorsion cognitive », ajoute-t-il, « s’opère progressivement. On commence par amplifier quelques aspects désagréables d’une situation, de manière à oublier complètement ses côtés attrayants. On peut aussi interpréter soigneusement les éléments neutres d’une situation jusqu’à les rendre totalement négatifs. On élabore habituellement la sélection des informations négatives à travers une forme de rumination qui dénature certains détails ou événements anodins jusqu’à les rendre désagréables. »

La prédiction qui se réalise d’elle-même (ou Self fulfilling prophecy)

Les prédictions qui se réalisent d’elles-mêmes sont des croyances qui semblent se confirmer tellement une personne y porte attention et y croit fermement. Par exemple, en 1968, Robert Rosenthal et Lenore Jacobson ont fait une expérience sur des professeurs à qui ils avaient annoncé que les QI de leurs élèves augmenteraient au cours de l’année. Ils ont par la suite remarqué que les professeurs avaient, probablement inconsciemment, augmenté les notes de leurs élèves au cours de l’année. De même, quelqu’un qui croit que les autres vont le rejeter agit souvent sans s’en rendre compte de façon à ce que les autres le rejettent effectivement.

La généralisation

Généraliser consiste à établir une loi universelle à partir de quelques éléments seulement et ce processus est souvent avantageux au niveau de la survie. Ainsi, on n’a qu’à se brûler une seule fois pour savoir que le feu brûle. Mais la généralisation peut aussi être dangereuse, car nos conclusions ont des chances de ne pas être valides. Dans notre vie personnelle, il nous arrive parfois de généraliser le sens que l’on donne aux comportements des autres, par exemple en se disant face à la colère d’autrui que l’autre agit toujours de la même façon. Les conséquences négatives de la généralisation sont le manque de validité des croyances qui en découlent, des conclusions trop hâtives, et éventuellement, de l’agressivité.

Le faux rapport de cause à effet

Sarrasin mentionne que « nous avons une tendance naturelle à interpréter les événements en les regroupant par catégories ou par séquences et à croire à leurs relations entre eux même lorsque cette relation est purement illusoire. » Cette idée est illustrée par l’anecdote suivante : Deux personnes prennent le train pour la première fois et rencontrent un étranger qui leur propose de goûter à une banane, fruit qu’ils ne connaissent pas encore. L’homme prend une première bouchée juste au moment ou le train entre dans un tunnel, et crie tout de suite à sa femme : N’en mange pas, ça rend aveugle.

Favoriser la validité

Sarrasin souligne que, tout comme on se préoccupe de l’essence que l’on met dans notre auto, ainsi que du type de nourriture que l’on mange, il est essentiel de se préoccuper des croyances qui sont à la base de nos comportements.

Un exemple un peu dramatique d’un sens critique absent se trouve dans le livre How we Know what isn’t so de Thomas Gilovich. On y présente l’histoire d’un père qui a tué sans le vouloir sa fille atteinte d’une maladie incurable en lui faisant suivre une cure de jus de fruits. Un autre exemple de l’effet de fausses croyances, c’est la méprise du joueur compulsif, c’est-à-dire que le joueur croit que l’équilibre « économique » entre lui et la machine finira par se rétablir tôt ou tard, alors que cela n’est statistiquement vrai que pour de très grands nombres d’essais successifs. Citant Kahneman dans une publication de 1982, il ajoute qu’« au lieu de voir le hasard s’exprimer à chaque coup, comme dans le cas de la chance sur deux avec la pièce de monnaie, ce dernier est perçu comme un processus qui se « corrige » de lui-même, qui rétablit l’équilibre entre les couleurs. [dans le cas de la roulette] »

Le critère de démarcation de Sarrasin entre une fausse et une vraie croyance est sa validité. Bien sûr, on ne possède pas de manière de garantir la validité d’une information à 100%, mais certains critères nous permettent de nous en approcher.

Dans cette optique, il est souvent souhaitable d’avoir une attitude de doute, de scepticisme. La méthode scientifique est probablement la méthode la moins mauvaise dont on dispose face à l’absolu pour augmenter la validité de nos croyances, car la science est basée sur un ensemble de critères qui favorisent la validité. Ces critères sont l’empirisme, la reproductibilité (être capable de reproduire la compréhension d’un phénomène), la critique par les pairs, et le critère de falsifiabilité de Popper. Ce dernier critère a été ajouté par Karl Popper quand il a remarqué qu’Alfred Adler, qui étudiait alors la notion de complexe d’infériorité, tentait constamment de valider ses interprétations en fonction de ses hypothèses. Ainsi, il devenait impossible de falsifier sa théorie. Ce « stratagème immunisateur » est utilisé fréquemment par certains croyants qui affirment, peu importe si leur prière est exaucée ou non, que c’est la volonté de Dieu. En aucun cas, réussite ou échec de la prière, l’existence de Dieu n’est remise en question. Elle devient donc infalsifiable. Le terme « infalsifiable » est utilisé ici dans le sens de « que l’on ne peut rendre faux », et pourrait être remplacé par réfutable.

Personnellement, on peut favoriser la validité de nos croyances en portant attention à trois éléments particuliers :

  1. La quantité d’informations

     

    Le conférencier admet qu’on ne peut pas toujours être des scientifiques dans la vie de tous les jours. Toutefois, il souligne que beaucoup d’informations, et des informations variées, favorisent la validité de nos croyances.

  2. La qualité des informations

     

    Sarrasin met l’accent sur l’importance de s’assurer que nos informations soient pertinentes, liées au sujet de nos conclusions.

  3. L’utilisation des informations

     

    Il faut aussi évidemment s’assurer qu’on ne fait pas de distorsions cognitives, comme la sélection, ou la généralisation, lors du traitement des informations.

Autovalidation des croyances

L’autovalidation des croyances est une distorsion courante qui passe par la sélection des informations. Une recherche récente de Hergovich a présenté un présumé médium à 91 personnes, dont certaines croyaient au surnaturel, et d’autres pas. À la suite d’une démonstration du médium, celles qui croyaient au surnaturel ont été impressionnées, ont cru aux démonstrations et ont ignoré la possibilité d’un canular, contrairement à ceux de l’autre groupe. Hergovich conclut que : « Les personnes qui croient au surnaturel, en comparaison aux sceptiques, tendaient à voir les démonstrations comme des exemples de phénomènes paranormaux sans égard aux informations qu’elles recevaient. » L’autovalidation des croyances explique aussi pourquoi certaines personnes croient à une relation de cause à effet entre la Lune et d’autres variables, tels le nombre de naissances, la pousse des cheveux et le nombre d’appels d’urgence (911). Cet effet est si fort que parfois, même si les chiffres leur montrent qu’elles ont tort, ces personnes continuent d’y croire.

Le conférencier ajoute que c’est effectivement une caractéristique humaine que de résister longtemps à nos croyances, comme en témoigne une expérience de Wright effectuée en 1960. Le chercheur a demandé à des volontaires d’utiliser un grand tableau plein de boutons et de manivelles et muni d’une sonnerie activée par une minuterie à intervalles de plus en plus rapprochés. Lorsque les volontaires étaient convaincus d’avoir découvert la suite d’actions à respecter pour faire retentir la sonnerie, il leur expliquait que la sonnerie n’était pas reliée au tableau, mais à une minuterie préprogrammée. Les volontaires avaient toutefois beaucoup de difficulté à accepter cette information, car ils avaient développé un ensemble de croyances sur la façon de faire retentir la sonnerie.

Un peu d’astrologie

L’astrologie survit depuis longtemps entre autres parce que la relation entre les planètes et le destin est irréfutable. Les astrologues font aussi le sophisme d’appel à l’autorité, c’est-à-dire qu’ils défendent leurs affirmations sur la base qu’on ne peut pas se tromper durant 5000 ans. Pourtant, affirme le conférencier, il est tout à fait possible d’avoir tort durant des millénaires quand on reproduit la même erreur. Un autre aspect qui favorise le développement de l’astrologie, c’est le fait que tout le monde se reconnaît dans un texte astrologique, comme celui-ci composé par le conférencier :

« Il semble parfois que votre vie ressemble à une montagne difficile à escalader, mais la plupart du temps vous ressentez toute l’énergie nécessaire pour relever les nouveaux défis. Autour de vous, vos amis proches vous donnent le réconfort lorsque vous en avez besoin. À certains moments, vous manquez de confiance mais votre tempérament combatif vous fait affronter l’avenir avec optimisme. »

Une expérience assez étonnante du Dr Persinger effectuée en 2001 a réussi à induire une impression de décorporation chez certaines personnes à l’aide d’un champ magnétique induit sur le lobe temporal droit. L’hypothèse avancée par le chercheur pour expliquer cet effet est que le cerveau ne peut procéder à l’intégration sensorielle à ce moment-là à cause du champ magnétique, d’où l’impression de décorporation.

Comment la compréhension des processus cognitifs peut influencer notre vie

Des mauvaises émotions peuvent être causées par des distorsions cognitives. Ainsi, la culpabilité, ou le sentiment de responsabilité face à un événement, peut venir d’un faux rapport de cause à effet.

Ainsi qu’un grand cuisinier qui a développé une expertise n’a plus besoin de recette pour agir sur les ingrédients et qu’un mécanicien peut diagnostiquer les problèmes d’une automobile grâce à sa connaissance de son fonctionnement, notre compréhension de nos processus cognitifs nous permet de déceler leurs lacunes. On peut ainsi agir sur nous-mêmes, dans une perspective globale de bien-être, qu’on peut comparer à un bonheur sceptique.

Le cerveau est le substrat de l’esprit critique, de la conscience. La métacognition, dont le nom indique qu’elle est au-dessus de la cognition, est en fait un processus cognitif qui peut agir sur nos processus cognitifs. Il s’agit d’une prise de conscience face aux stimuli, à nos manières d’interpréter, qui nous permet, si on y porte attention, de modifier nos interprétations. La métacognition n’est développée que chez les êtres humains, et un peu chez les mammifères supérieurs, car l’on raisonne surtout à travers le langage et les concepts linguistiques.

Les concepts sont un ensemble d’informations très complexe. Les mots permettent de les décrire de façon abstraite, mais ne sont pas limités au lexique. Le langage met des « étiquettes » sur nos connaissances, mais les mots ne forment pas la totalité de ces connaissances. Autrement dit, le langage permet d’expliciter une certaine partie de nos connaissances du monde (pour des informations étoffées sur cette question, Sarrasin suggère de consulter le livre The Big Book of Concepts de Gregory L. Murphy).

Les étapes de l’utilisation de la métacognition :

  1. Identification

     

    Puisque nous sommes tous humains, il est certain que nous faisons tous des distorsions cognitives. Il faut d’abord identifier nos distorsions cognitives, et identifier le contexte dans lequel on les fait, ainsi que leur intensité et leur influence sur nos émotions.

  2. Exercice du doute

     

    Il faut par la suite s’adonner à l’exercice du doute, c’est-à-dire remettre en question nos interprétations, enrichir notre espace de réflexion et réviser nos conclusions souvent trop rapides ou fondées sur un nombre insuffisant d’informations.

  3. Retour sur cet exercice

     

    Cette dernière étape n’est pas toujours nécessaire, mais réfléchir au processus et au résultat nous permet de se souvenir qu’on a réussi à diminuer l’influence négative de nos distorsions cognitives. Cela s’avère très utile pour les enfants ou les gens qui n’ont pas l’habitude d’utiliser leur esprit critique.

Conclusion

En conclusion, l’esprit critique est extrêmement utile. Les personnes plus critiques sont plus ouvertes, s’adaptent plus facilement aux nouvelles situations, et ont un contexte de vie plus agréable. La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de s’éduquer à l’esprit critique. Dans cette optique, le projet « la philosophie à l’école » a même été développé aussi tôt qu’au primaire par un professeur de philosophie de l’Université Laval.

Selon Sarrasin, l’esprit critique nous aide ainsi à nous réaliser en tant que personne. En somme, on peut être à la fois sceptique et heureux. Mais, comme le disait Jean Rostand : « Avoir l’esprit ouvert ne signifie pas l’avoir béant à toutes les sottises. »

En terminant, Sarrasin nous invite à consulter son livre pour plus d’informations. Il contient des explications plus complètes sur le fonctionnement du cerveau, ainsi que des exemples personnels. On peut aussi consulter son site Web au http://www.nicolassarrasin.com.

Période de questions et de discussion

Développement de la métacognition

Sarrasin explique que la métacognition se situe au niveau du lobe frontal, qui est myélinisé vers l’âge de 8 ou 9 ans, et continue à se développer progressivement jusqu’à la maturité du cerveau, vers 15-16 ans. L’utilisation de la métacognition n’est pas la même chez tous les individus. Cela s’explique par de nombreux facteurs tels que le degré d’utilisation du lobe frontal et des facteurs environnementaux et culturels. Aussi, ajoute le conférencier, pour se servir de sa métacognition, encore faut-il connaître les concepts de croyance, de validité, d’esprit critique et autres.

Interrogé sur la capacité du cerveau de se déprogrammer de ses mauvaises habitudes, par exemple à cesser de faire de mauvaises relations de cause à effet, le conférencier se montre confiant que tous peuvent améliorer leurs capacités à la métacognition. Bien qu’avec l’âge on s’enferme habituellement dans nos mauvaises habitudes, à force de répéter le processus, cela va finir par s’encoder avec force dans notre cerveau. Le chercheur Daniel Wegner a d’ailleurs montré que la répétition peut favoriser l’encodage au point où des pensées négatives apparaissent automatiquement chez certains sujets tellement elles sont encodées fortement. Les enfants peuvent donc être plus perméables à l’influence critique, mais la clé pour changer nos habitudes c’est d’être convaincu des conséquences positives de ce changement. Dans ce cas-ci, il mentionne comme exemples une augmentation du bien-être et une plus grande facilité à l’adaptation.

On s’interroge aussi sur la façon de protéger les gens plus à risque contre ceux qui utilisent ces informations sur les processus cognitifs contre eux. Par exemple, Loto Québec tente de faire croire aux joueurs qu’ils sont sur le point de gagner en faisant mine d’aligner les cerises et les autres images sur les machines. Sarrasin ne croit pas que ce soit nécessaire d’empêcher de publier ces connaissances, tels certains livres qui parlent en détail de la manipulation dans un contexte de marketing (Robert Cialdini, Influence : Science and Practice). La meilleure solution est à son avis de promouvoir un esprit plus critique.

Les recherches en sciences cognitives

On se demande si les études sur les processus cognitifs sont multiculturelles. Sarrasin affirme qu’il y a effectivement des études de partout, mais que les États-unis, l’Europe et le Japon publient plus souvent sur le sujet car ils ont plus de fonds. Il y a toutefois eu une certaine attention sur la question multiculturelle, par exemple une étude a été menée sur le bonheur sur tous les continents.

On interroge Sarrasin pour savoir si l’effet Rosenthal (l’expérience avec les professeurs et les notes de leurs élèves) a déjà été reproduit. Personne ne peut confirmer, ce qui amène la possibilité que ces conclusions soient fausses.

Quelqu’un veut savoir si des recherches sur la métacognition au niveau neuronal ont déjà été publiées. Sarrasin répond que Mario Beauregard de l’Université de Montréal a publié une recherche à ce sujet en 2001. De plus, la revue scientifique Consciousness and Cognition étudie plus spécifiquement des problèmes reliés à la métacognition.

On veut aussi savoir si la place des arts dans les processus cognitifs a déjà été étudiée. Le conférencier mentionne un livre nommé The Way we Think (Fauconnier et Turner) qui vise à expliquer la création au sens large, c’est-à-dire comment on peut arriver à de nouvelles connaissances à partir de celles que l’on possède. Il ajoute qu’il risque d’exister des substrats neuronaux communs à la création artistique et à la création scientifique.

Quelques personnes questionnent également Sarrasin sur des aspects sur lesquels il ne possède pas de connaissances approfondies comme la façon d’identifier les croyances globales d’un individu et les effets de l’alimentation sur les processus cognitifs. Il répond que ces domaines ont probablement déjà fait l’objet de recherches et qu’il serait possible de trouver de l’information à ce sujet.

Les limites de notre cerveau

Le cerveau peut-il créer quelque chose plus grand que lui ? Sarrasin croit que oui, grâce aux propriétés émergentes, c’est-à-dire la possibilité que des phénomènes nouveaux et imprévus découlent de la collection de phénomènes qui les composent. Par exemple, un organisme est la propriété émergente des cellules qui le composent. L’être humain, dans son égocentrisme, a tendance à se considérer comme la finalité de l’évolution des espèces alors qu’il n’en est qu’un résultat parmi d’autres. L’intelligence des ordinateurs, par exemple, pourrait nous dépasser. En fait, ils nous dépassent déjà dans certains domaines précis comme la mémoire et le calcul.

Le cerveau peut-il se comprendre lui-même ? Ne fait-on pas une énorme distorsion cognitive en créant des théories du cerveau qui ressemblent tant au fonctionnement d’un ordinateur ? Le conférencier souligne que c’est une question pour le moment davantage du domaine épistémologique. De plus, bien que ce modèle du traitement de l’information soit utile pour ouvrir de nouvelles pistes de réflexions, cela ne reste qu’une analogie. Ainsi, le classement de la mémoire en différents types par exemple n’est qu’un construit conceptuel.

M. Cloutier souligne que les personnes intéressées à réfléchir sur la convergence entre le cerveau et l’informatique peuvent se joindre au comité de biotechnologies de la Fondation Humaniste du Québec. Le comité traitera de génétique, de robotique, d’informatique, des nanotechnologies, entre autres, et la fondation a pour tâche de financer l’établissement d’une documentation dans ces domaines. Aussi, il ajoute qu’aux États-unis il existe déjà un mouvement transhumaniste qui amène un certain brassage politique, mais que le comité de la fondation croit qu’il est essentiel d’avoir une meilleure connaissance des biotechnologies pour se pencher sur les problèmes éthiques qui y sont reliés.

Varia

Quelqu’un s’informe de la proportion de gens qui croient aux effets de la pleine lune, ou à l’augmentation des dangers le vendredi 13. Logiquement, affirme cette personne, si une majorité des gens y croit alors on devrait observer une variation dans les statistiques causée par les croyances qui se valident d’elles-mêmes. Or, cela n’est pas le cas. À son avis, il n’y a qu’environ 1% de la population qui croit à de tels phénomènes. Sarrasin n’a pas de données à ce propos, mais il est d’avis qu’il a plus de 1% de la population qui partage de telles croyances. Quelqu’un dans la salle possède toutefois de telles informations. Au dernier sondage, fait en 2005 au Canada et aux États-unis, 41% des gens ont déclaré croire à la perception extra-sensorielle, 25% à l’astrologie, 17% aux fantômes et les chiffres sont tout aussi élevés pour les autres croyances.

On demande aussi à Sarrasin si on sait comme le cerveau arrive à faire des déductions. Celui-ci répond que chez l’humain, il s’agit plus d’inférences que de déductions. La déduction se base sur des règles établies artificiellement, mais qui peuvent s’apparenter à ce qui se produit généralement dans le cerveau. Les personnes raisonnent toutefois plus logiquement à l’aide de variables que de mots, car elles déduisent dans ce dernier cas selon ce qui est le plus vraisemblable compte tenu du sens des mots.

Compte-rendu rédigé par Anne-Sophie Charest et révisé par le conférencier.