LES SCEPTIQUES DU QUÉBEC

Conférence

Conférence du jeudi 13 mai 2004

La soirée a débuté avec le mot de notre président, Louis Dubé, qui a présenté l'association des Sceptiques du Québec, fondée en 1987. M. Dubé a énoncé le but de l'association : promouvoir la pensée rationnelle et l'esprit critique face aux pseudosciences et aux phénomènes paranormaux. Aujourd'hui, les Sceptiques du Québec comptent environ 400 membres et abonnés. Ils publient leur propre revue : « Le Québec Sceptique. »

M. Dubé a expliqué que la démarche sceptique est faite de doute, d'examen et de vérification. Elle s'applique à tous les phénomènes d'intérêt humain. On demande souvent aux Sceptiques, qui n'acceptent que les preuves expérimentales, mesurables et quantifiables, s'ils croient en l'amour. M. Dubé répond par l'affirmative : l'amour, son intensité et son caractère désintéressé ou non se manifestent au travers de comportements humains « mesurables ». Il en est de même de la jalousie, de la bonté ou de la malhonnêteté. M. Dubé a précisé que les concepts abstraits et immatériels peuvent être mesurés, quantifiés et vérifiés en autant qu'ils soient définissables en faisant référence à des objets matériels.

François Filiatrault a ensuite présenté le conférencier.

Michel Pruneau est conseiller pédagogique à la Formation continue du Cégep Marie-Victorin. Après avoir fait une formation en massothérapie et en acupuncture, au début des années quatre-vingt, il a fondé et dirigé l'École de santé holistique du Cégep Marie-Victorin de 1985 à 2000. Il a publié quatre ouvrages dont un essai critique sur le nouvel âge intitulé : Les Marchands d'âmes. Lors de la publication de cet ouvrage aux éditions Stanké, Michel Pruneau s'est vu décerner le prix Sceptique 1999.

Le texte qui annonçait la conférence disait ceci :

Le conférencier abordera la dimension socioculturelle qui a favorisé l'émergence des médecines douces tout en situant le phénomène de croyance qui est profondément ancré dans ce mouvement. En expliquant ses propres recherches philosophiques face à la santé, qui l'ont mené à la pratique de la massothérapie et de l'acupuncture puis à la fondation de l'École de santé holistique du Cégep Marie-Victorin, il s'appliquera à « déshabiller » les thérapies et les thérapeutes qui utilisent leurs connaissances dans une perspective sectaire.

Il expliquera aussi les raisons pour lesquelles il a abandonné la pratique de la massothérapie et de l'acupuncture, tout en fermant l'École de santé holistique en janvier 2000. Cette autopsie lui permettra aussi de faire le point sur les croyances actuellement à la mode. Il tentera finalement de rendre compte des valeurs de liberté et d'autonomie de pensée qui sont au coeur d'une définition humaniste de la santé. Là où le doute sceptique est essentiel à l'exploration de la réalité et de l'expérience humaine.

Le conférencier traitera des thèmes suivants : la culture judéo-chrétienne dans le Québec des années 60, le doute athée, la désobéissance religieuse et l'exil en héritage, les philosophies orientales et la santé holistique, la prolifération de la pensée sectaire rentable, la prétention à la vérité, de la croyance à l'intégrisme guerrier, la fonction réelle des approches non traditionnelles dans la prise en charge de la santé, les angoisses et les plaisirs du doute sceptique comme moteur de l'existence.

La soirée s'est terminée par une période de questions et d'échanges entre l'auditoire et M. Pruneau.

Strip-tease d'un ex-acupuncteur! : dimension socioculturelle des médecines douces

Michel Pruneau

par Michel Pruneau

M. Pruneau, qui a abandonné la pratique de la massothérapie et de l'acupuncture, tout en fermant, en janvier 2000, l'École de santé holistique qu'il avait fondée, a toujours eu un point de vue critique dans sa pratique. Dans cette conférence, il veut réfléchir sur la place que les médecines douces peuvent avoir dans le développement de la santé, mais aussi sur le fait qu'elles ont très souvent un rôle qui va à l'encontre de la liberté des individus et de leur développement global et que très souvent elles contribuent à développer une dépendance des individus à l'égard du thérapeute plutôt qu'une autonomie par rapport à la santé.

PLAN DU STRIP-TEASE

  1. La source du phénomène des médecines douces : la culture religieuse au Québec.
  2. Comment l'athéisme se situe par rapport aux médecines douces et à la santé.
  3. La pensée orientale sexy, à laquelle se rattachent beaucoup d'approches en médecines douces.
  4. Les médecines douces et autres jeux de docteurs.
  5. Quelques mensonges déshabillés : ce par quoi les médecines douces vont à l'encontre de la liberté des individus.
  6. Last-call : période de questions et d'échanges.

(1) CULTURE RELIGIEUSE FONDÉE SUR LES CROYANCES

Dans sa jeunesse, M. Pruneau, à l'instar de sa famille, fut fondamentalement croyant en un Dieu personnel créateur de toutes choses ainsi qu'en la survie de l'âme après la mort. Il ne lui venait jamais à l'esprit de douter. En grandissant, plusieurs doutes se sont successivement insinués en son esprit. Il n'est plus croyant aujourd'hui, mais sa famille l'est toujours.

Son premier doute fondamental, face à la pensée religieuse, est survenu lorsqu'une petite fille, dans la cour d'école, lui a expliqué que la Vierge Marie avait enfanté sans avoir eu de relation sexuelle. Cette petite fille lui a aussi expliqué ce qu'est la virginité, concept que M. Pruneau ne connaissait pas alors. L'idée qu'une femme vierge puisse enfanter lui parut absolument incongrue. Lorsqu'il en parla à sa famille, on lui répondit qu'il était peut-être en train de devenir protestant, le protestantisme niant la virginité de Marie.

Son second doute, plus important, est arrivé à une époque où il posait beaucoup de questions. Son petit voisin lui a expliqué qu'aller au Paradis après la mort n'est pas une certitude : il est possible de se retrouver en Enfer, un lieu dont M. Pruneau n'avait encore jamais entendu parler. Il en fut terrorisé. Ses parents lui confirmèrent la très concrète possibilité d'aller en Enfer… pour les méchants. M. Pruneau s'est naturellement demandé qui sont les méchants. Il découvrit qu'il existe un lien possible entre la sexualité et la possibilité d'aller en Enfer. Mais il ne pouvait admettre que le monde puisse fonctionner de telle sorte que l'acte même de la vie et de la reproduction puisse conduire au châtiment éternel.

M. Pruneau traversa une période désagréable d'anxiété et de remise en question. Il se demanda à quoi les croyances pouvaient bien servir. D'une part, il a constaté que la croyance participait au plan imaginaire que se tracent les gens qui tentent de se dépasser et de se réaliser, comme les sportifs et les artistes. D'autre part, l'autre visage du pouvoir des croyances et du pouvoir religieux se révèle lorsque l'on se place dans une perspective historique : inquisition, chasse aux sorcières, massacre et acculturation des Amérindiens au nom du pape et de la religion. Où est-ce que la bonté, l'amour et l'idée de Dieu s'inscrivent dans ces horreurs? Au Québec, la religion a certes permis la poursuite de l'identité québécoise en contribuant à la survie du fait français en Amérique, mais en contrepartie elle a exercé un pouvoir et une emprise sur les personnes.

La religion devient problématique lorsqu'elle déborde du cadre de la vie privée et de la liberté personnelle pour devenir une réalité sociale. Elle s'institue alors en un pouvoir public qui détermine ce qui est bien ou mal et quelle personne sera sauvée ou sera exclue. Elle impose aux individus ce en quoi ils doivent croire.

Vers l'âge de 16 ans, M. Pruneau a rencontré le prosélytisme. Un groupe de chrétiens a tenté de le convaincre d'entrer dans une religion… qui s'avérait déjà être la sienne! En fait, M. Pruneau a réalisé que ce qu'ils lui reprochaient surtout, c'était de ne pas participer à leurs rencontres à eux. C'était l'époque des cafés chrétiens.

(2) L'ATHÉISME DEVANT LES MÉDECINES DOUCES ET LA SANTÉ.

Toujours à la même époque, M. Pruneau a rencontré l'athéisme. Un ami et collègue de travail athée lui a présenté l'athéisme sur une base scientifique : le monde est le résultat de l'organisation de la matière. L'humain est un animal parmi les autres. Tous les phénomènes mentaux sont le résultat du fonctionnement du corps; rien ne survit à la mort du corps. Il n'y a pas beaucoup d'argent à faire avec l'athéisme : les croyances sont beaucoup plus rentables! M. Pruneau s'est ouvert, pour la première fois de sa vie, à une thèse totalement opposée à ce qu'on lui avait inculqué sans qu'il n'ait le choix. Il s'est même dit que son ami avait peut-être raison… Des considérations historiques venaient d'ailleurs soutenir ce point de vue : Marx a démontré que la religion est l'opium du peuple parce qu'elle asservit l'individu et l'empêche de prendre en mains sa destinée, sa réalité économique et son développement. Cette étape de sa vie fut intéressante sur le plan de l'exploration intellectuelle, mais angoissante sur le plan émotif. L'idée que les croyances que nous avons entretenues toute notre vie et qui nous ont fondé puissent être fausses ainsi que l'idée de la finitude de l'existence humaine ne sont pas agréables.

M. Pruneau a constaté que l'athéisme, tout comme la religion, avait un autre visage. L'athéisme aussi devient problématique lorsqu'il déborde du cadre de la vie privée et de la liberté personnelle pour devenir une réalité sociale. Des groupes sociaux et des structures politiques émergent et tentent d'imposer leur volonté et leur pouvoir. Pensons entre autres au communisme de Staline et au fascisme d'Hitler.

Toutes ces réflexions ont mené M. Pruneau à considérer que l'existence ou la non-existence d'une force créatrice de l'univers est de l'ordre de l'hypothèse. Ni le croyant ni l'athée ne peuvent affirmer avoir raison. On peut cependant se demander s'il est plus facile de vivre en adoptant l'une ou l'autre thèse. D'une part, la croyance est une certitude sécurisante : les choses sont ainsi et la question est réglée. Mais l'athéisme est aussi une croyance! D'autre part, le doute est difficile à supporter : il est source d'angoisses.

M. Pruneau a fini par faire le choix de l'agnosticisme, un courant philosophique qui considère qu'il y a quelque chose de fondamentalement inconnaissable, notamment la question de l'existence ou de la non-existence de Dieu. L'agnostique préfère la communication et l'échange à l'affrontement. M. Pruneau a ajouté que la position d'incertitude et de doute de l'agnostique stimulait le désir de connaître, contrairement à la certitude du croyant ou de l'athée. L'émerveillement devant la réalité fabuleuse et complexe qui nous entoure est un bénéfice secondaire qui vient avec la position du doute. Dans cette perspective, l'alliée est la démarche scientifique. Elle nous permet de connaître de façon précise, quoique parfois temporaire.

M. Pruneau a cité une parabole du Mahatma Gandhi qui explique la distinction entre vérité subjective et vérité objective. Cette distinction jouera un rôle important dans la réflexion sur ce que les gens pensent des médecines douces et des différentes approches par rapport à santé.

Voici une expérience très simple. Prenez deux contenants : l'un contient de l'eau très chaude et l'autre de l'eau très froide. Plongez une main dans chacun et attendez que vos deux mains s'habituent. Ensuite, retirez vos mains et plongez-les toutes les deux dans un troisième contenant d'eau tiède. Pour la première main, cette eau paraîtra froide et pour la seconde, chaude. Pourtant, il s'agit de la même eau! Le caractère chaud ou froid de l'eau relève de la vérité subjective. Cependant, il est possible à l'aide d'un thermomètre de mesurer la température de l'eau des trois contenants : 80°C, 1°C et 40°C. La température de l'eau ne dépend pas de la sensation de chaud ou de froid : elle relève de la vérité objective.

M. Pruneau a réalisé que le domaine médical, en Occident, a beaucoup trop tendance à mettre l'accent sur la réalité objective - la maladie - jusqu'à en faire disparaître la personne. Par exemple, des gens souffrant de malaises ou de maladies psychosomatiques se font dire qu'ils n'ont rien par les médecins. Ces derniers devraient plutôt déclarer qu'ils n'ont pas pu trouver la cause du problème à l'aide des outils dont ils disposent. On ne peut nier une souffrance parce qu'elle n'est pas de l'ordre de la maladie, donc de l'objectivité : cette souffrance fait bel et bien partie de la réalité subjective dans laquelle vit la personne.

(3) LES APPROCHES ORIENTALES SEXY

La cosmogonie chinoise se démarque considérablement de la cosmogonie chrétienne qui énonce une conception clairement définie de la genèse du monde. En cosmogonie chinoise, on place toujours un point d'interrogation devant le signe du tao (qui est un cercle coloré en noir et blanc symbolisant le Yin et le Yang), pour signifier que la cause de l'univers n'est pas connaissable. Le taoïsme, à l'instar du bouddhisme, est une approche philosophique agnostique qui ne nomme pas un dieu et ne personnalise pas une force créatrice particulière. Pour M. Pruneau, cette pensée agnostique a constitué une sorte de synthèse de sa réflexion sur la tension qui peut exister entre la certitude de la croyance et la certitude de l'athéisme.

Le taoïsme est un courant philosophique chinois qui est à la source de plusieurs approches thérapeutiques en massothérapie et en acupuncture. Tout comme l'hindouisme et le bouddhisme, le taoïsme affirme que la santé est un état d'équilibre. La recherche de l'équilibre, qui relève du domaine de la subjectivité, favorise l'état de santé. Ces courants de pensée sont devenus populaires en Occident à une certaine époque et toutes sortes de pratiques en ont émergé : yoga, tai-chi, différentes approches en massage, etc.

Un élément occidental entra aussi dans la réflexion de M. Pruneau. Selon le professeur Henri Laborit, un organisme placé dans une situation de stress n'a que deux options possibles : lutter ou fuir afin de se soustraire au stress. S'il ne peut pas agir d'une manière ou de l'autre, si l'action est inhibée, alors la pathologie s'installe. Cette idée est soutenue par des expériences scientifiques.

(4) LES MÉDECINES DOUCES ET AUTRES JEUX DE DOCTEURS.

M. Pruneau a d'abord suivi une formation en massothérapie, qui est une approche concrète et non magique, contrairement à d'autres approches en médecines douces. Lors d'un massage, il y a un toucher et une action mécanique.

M. Pruneau a ensuite suivi une formation en acupuncture. Dans la culture orientale, l'idée de guérir est secondaire. L'idée principale est de prévenir la maladie. Les interventions ne sont pas conçues pour guérir et n'en ont pas le pouvoir : elles sont conçues pour favoriser l'état de santé. Des pratiques comme l'acupuncture et le tai-chi font ainsi partie du quotidien des gens. Les maîtres acupuncteurs sont très humbles : pour passer un examen d'acupuncture, il faut guérir 7 patients sur 10, parce que les 6 premiers sont guéris par la nature.

M. Pruneau a affirmé que « dans une perspective subjective générale, on peut dire que les médecines douces contribuent au mieux-être global. Mais en présence d'études scientifiques liées aux pathologies, les liens sont soit faibles ou inexistants. » Lorsqu'un lien est observé entre une approche en médecines douces et la guérison d'une maladie, il n'est jamais supérieur à celui de l'effet placebo.

À ce jour, il n'y a à peu près rien d'objectivé dans le domaine des médecines douces. Parfois même, aucune recherche scientifique n'est possible. Par exemple, en massothérapie, il est impossible de faire une intervention en double aveugle où une personne reçoit un vrai massage et une autre un faux.

Les médecines douces servent à détendre l'organisme et à le maintenir dans un état d'équilibre, mais ne peuvent guérir la maladie. En état d'équilibre, le système nerveux oscille entre un état de tension et un état de détente. L'état d'équilibre favorise l'état de santé, mais ne peut empêcher la mort. Lorsqu'une personne entre dans un état de stress, son système nerveux se met dans un état de tension élevée et y demeure. Les phases de détente ne se produisent plus. L'organisme entre dans une phase de résistance. Celle-ci peut durer de quelques minutes à plusieurs dizaines d'années, selon l'importance de l'agent stresseur, celui-ci pouvant être un facteur physique comme le froid ou un facteur psychosocial comme un problème relationnel au travail. Éventuellement, l'organisme s'épuise : la phase de résistance est suivie de la phase organique. La maladie s'installe alors et la mort peut même survenir.

La plupart du temps, la phase de résistance est accompagnée de troubles fonctionnels, mais non de maladie reconnue et répertoriée. Il peut y avoir des troubles de digestion, mais non un ulcère. Il peut y avoir de la tension musculaire, mais pas de maladie des muscles. Les médecins ne trouvent rien. C'est dans cette phase de tension que différentes approches peuvent être utiles pour relâcher le système nerveux. M. Pruneau a précisé que le mot « approche » a ici un sens très large : il inclut autant les médecines douces que n'importe quelle activité qui procure du plaisir, comme la pratique d'un sport, d'un art, les rencontres sociales, etc. Toutes ces « approches » donnent les mêmes résultats face aux troubles fonctionnels.

Mais lorsqu'une personne arrive dans la phase d'épuisement de l'organisme et qu'une maladie véritable s'installe, l'intervention en médecine douce n'a en général aucun effet. Et ce, même si la personne traitée considère, subjectivement, que l'approche en médecine douce lui fait du bien.

M. Pruneau a cité deux études démontrant la sensibilité de l'organisme au stress dans le cas du taux de cholestérol. Celui-ci monte en situation de stress et revient à la normale en situation d'équilibre. Une autre étude a démontré que la pratique d'une activité plaisante - la peinture dans ce cas-ci - augmente l'espérance de vie et prévient la dégénérescence liée au vieillissement.

Bref, les médecines douces ont certainement un effet sur les troubles fonctionnels, mais aucun sur les maladies. M. Pruneau voit un problème lorsqu'un thérapeute en médecine douce prétend avoir le pouvoir de guérir. Or, l'idée de contribuer à l'état de santé général sans prétendre guérir n'est pas rentable en affaires. La réalité pratique en Occident est que pour avoir des clients en médecines douces, il faut promettre la guérison. C'est pour cette raison que M. Pruneau a cessé sa pratique.

(5) QUELQUES MENSONGES DÉSHABILLÉS

M. Pruneau a raconté « l'époque 007 » au Québec, dans les années 70. Augustin Roy, alors président de la corporation des médecins, envoyait des espions visiter des thérapeutes de toutes les médecines douces. Ceux-ci allaient chercher un diagnostic et un traitement, qui n'avaient pas à être très poussés. Ce pouvait être, par exemple, un diagnostic de tension musculaire dans le dos et une proposition de massage pour aider. Lorsqu'un espion obtenait son diagnostic et son traitement, le thérapeute était dénoncé à la corporation des médecins, qui lançait alors une poursuite judiciaire pour intervention médicale illégale.

Au cours des vingt dernières années, le titre « N. D. » (« Naturopathic Doctor ») est apparu dans le système de santé américain. Ce titre est reconnu par la plupart des compagnies d'assurances américaines, qui remboursent les honoraires. Les compagnies d'assurances canadiennes ont emboîté le pas. Pour recevoir le titre N. D. aux États-Unis, il faut suivre un cours universitaire de quatre années. Mais au Québec, ce titre ne veut absolument rien dire. Des écoles de naturothérapeutes et de naturopathes ont poussé comme des champignons et décernent un premier diplôme après seulement une fin de semaine de formation. On peut se déclarer massothérapeute après avoir participé à une soirée d'information et commencer à pratiquer dès le lendemain, en ayant un titre qui permet d'émettre des reçus remboursés par les compagnies d'assurances. Depuis le début des années 90, on observe une prolifération incroyable de titres d'à peu près n'importe quoi. Les compagnies d'assurances ont été avisées de cette réalité, mais rétorquent que leurs clients sont satisfaits et qu'il n'y a donc rien à changer. M. Pruneau a fait remarquer que, d'autre part, certains professionnels ayant une formation universitaire, comme les sexologues, ne sont pas reconnus par les compagnies d'assurances.

L'École de santé holistique du Cégep Marie-Victorin avait établi une base de formation de 1000 heures sur 3 années, incluant 250 heures qui portaient spécifiquement sur la relation d'aide et la compréhension psychologique des individus. Mais en raison de la facilité et de la rapidité, dans d'autres écoles, à obtenir des titres reconnus, l'École de santé holistique avait de plus en plus de difficulté à recruter des étudiants.

Au cours des dernières années, de nouveaux courants ont pris place, comme le reiki. Celui-ci ne prétend rien de moins que d'avoir le pouvoir de guérir tout. Le reiki vient d'Orient. Il se fonde sur la pensée magique : en ouvrant certaines zones d'énergie par des rituels, le maître reiki devient un canal d'énergie capable de tout guérir. Si la personne traitée ne guérit pas, ce n'est pas la faute du thérapeute, puisque le reiki a un pouvoir absolu et total. C'est la faute de la personne elle-même : elle n'était pas prête pour guérir. Elle n'était pas assez évoluée ou a des blocages. Elle n'était pas réceptive aux forces universelles du cosmos. Le reiki est une sorte de prêtrise rénovée : le pouvoir de guérir se transmet par des rituels. M. Pruneau a précisé qu'on ne dit pas « qu'une personne fait du reiki », mais « qu'une personne est reiki. » Aujourd'hui, la plupart des écoles de massothérapie donnent des cours de reiki.

M. Pruneau a dénoncé cette tendance actuelle, très répandue en médecines douces, qui consiste à blâmer le patient si celui-ci ne guérit pas. Le thérapeute émet alors un jugement divin, un diagnostic fatal : si l'intervention n'a pas fonctionné, c'est qu'il y a quelque chose de plus profond qui ne va pas avec le patient, puisque l'intervention fonctionne toujours dans des circonstances normales. Les gens qui ne sont pas capables de guérir ont donc, en plus du problème pour lequel ils ont consulté, un second problème plus grave, plus inconscient, plus cosmique. Le thérapeute émet un diagnostic psychologique très lourd de sens. Par exemple, la théorie sur laquelle se fonde l'ostéopathie affirme qu'un certain mouvement lié aux structures osseuses se produit à la naissance. Ce mouvement doit être fait d'une certaine façon et nécessite l'intervention d'un ostéopathe. Lorsque ce mouvement n'est pas bien fait, des blocages irréversibles s'installent. Ainsi, lorsque le patient d'un ostéopathe ne guérit pas, on lui dit, à la fin du traitement, qu'il souffre vraisemblablement de blocages irréversibles qui l'empêchent de guérir, ceux-ci étant apparus au moment de sa naissance. Le patient est venu consulter en ayant un problème et ressort en ayant deux problèmes.

Beaucoup d'intervenants en médecines douces vivent avec le fantasme que leur approche permet à la personne de régler à tout jamais ses problèmes et d'être immortelle.

M. Pruneau a ensuite discuté de l'homéopathie. Des gens affirment que l'homéopathie leur fait du bien : nul ne peut nier ces témoignages. Cependant, aucune étude à double insu (ou double aveugle) n'a démontré que l'homéopathie a une efficacité supérieure au placebo. En général, les intellectuels ont de la réticence à admettre qu'ils puissent être réceptifs à l'effet placebo. Pour eux, réagir à l'effet placebo signifie être faible d'esprit. Cela est absolument faux. Des expériences ont démontré que l'effet placebo peut atteindre des taux de 40% à 50% d'efficacité dans l'amélioration de l'état de santé et même dans la guérison. L'homéopathie doit être considérée comme une intervention fondée sur l'effet placebo. Certains penseurs approuvent ce genre d'interventions, puisque celles-ci répondent à des besoins positifs.

M. Pruneau ne dit pas qu'il faut rejeter toutes les approches en médecines douces. Il s'intéresse plutôt à ce que l'on fait avec celles-ci. Il y a problème lorsqu'un intervenant prétend que son approche a le pouvoir de guérir, affirme que son approche peut tout guérir ou blâme le patient en cas d'échec de l'intervention. L'incapacité à reconnaître ses limites et à les expliquer est le critère principal qui fait la différence entre un charlatan et un intervenant honnête. Malheureusement, comme l'a rappelé M. Pruneau, un intervenant qui reconnaît et explique les limites de son approche perd ses clients.

M. Pruneau a dénoncé un courant très à la mode en ce moment : la biologie totale. Tous les intervenants en médecines douces sont renseignés ou même formés en biologie totale. Ce courant se fonde sur l'idée que la maladie est un cadeau. Les gens se servent des moments de maladie pour effectuer des remises en question sur leur vie, celles-ci pouvant être suivies de changements importants. Le moment de maladie devient un moment charnière qui amène les gens à mieux vivre par la suite. M. Pruneau a fait la lecture d'un texte expliquant le point de vue de la biologie totale sur les tumeurs cancéreuses. Ce texte, qui fait des liens entre masse, vide, infini, zéro, univers et anti-univers, ordre et chaos, cancer et anticancer, est un lot d'absurdités et de non-sens totalement incompréhensible. C'est sur cette base que les tenants de la biologie totale affirment qu'une personne qui a un cancer ne doit pas recevoir de chimiothérapie ou être opérée : l'intervention serait pire que le cancer lui-même.

M. Pruneau a fait observer que des textes qui font partie intégrante des bases théoriques d'intervention en médecines douces sont souvent tellement nébuleux et obscurs… qu'on considère qu'ils sont géniaux ! Moins l'on comprend et plus le texte est extraordinaire ! De plus, ces textes ne sont basés sur aucune recherche fondée ; néanmoins, on pose des jugements définitifs à partir d'eux.

M. Pruneau a dit être encore plus inquiété par l'idée du combat entre les forces du bien et du mal dans l'univers. Cette idée est encore bien présente dans la tête de beaucoup de nos contemporains. Elle fait carrément partie intégrante de la culture actuelle; elle ne se limite pas à ce qui serait un petit phénomène de nouvel âge. M. Pruneau a cité en exemple une photo des attentats du 11 septembre 2001. On peut voir le visage du Diable dans la fumée qui a suivi l'une des explosions. M. Pruneau a rappelé que l'on peut voir toutes sortes de choses dans les nuages. Néanmoins, le réseau CNN a tenu un débat sur cette photo. Beaucoup d'intervenants en médecines douces appliquent leur intervention en fonction de cette idée archaïque du combat cosmique entre le bien et le mal.

CONCLUSION

M. Pruneau a souhaité à tous :

  1. de développer la capacité de réfléchir de façon critique aux phénomènes sans avoir peur de penser contre soi-même;
  2. de développer la capacité de penser contre soi-même, c'est-à-dire de se remettre soi-même en question, d'être sceptique face à soi-même et en conséquence de démontrer une certaine ouverture pour tenter de mieux comprendre les phénomènes qui font partie de la vie.

PÉRIODE DE QUESTIONS ET D'ÉCHANGES

LA PRATIQUE DES MÉDECINES DOUCES

On a suggéré que, puisque le pseudo-médecin de médecine douce doit promettre la guérison s'il ne veut pas perdre sa clientèle, il y aurait possibilité de développer un marché incroyable en faisant la promotion de la nécessité de suivre un traitement en médecine douce pour demeurer bien portant.

On a discuté de la création récente, à l'Université Laval, d'une chaire de médecines douces. Son doyen affirme que peu importe si des recherches ont été faites ou non, ces approches sont enseignées aux futurs médecins.

M. Pruneau a cité le cas d'un enfant qui était devenu dépendant des granules homéopathiques. À tel point qu'il se réveillait la nuit pour en demander à sa mère. Face à ce problème, l'homéopathe a prescrit à la mère une deuxième sorte de granules contre ce phénomène de dépendance aux granules.

M. Pruneau n'a pas fait de recherches personnelles : il a tenté de vivre sa pratique clinique en acupuncture et en massothérapie en essayant le plus possible d'aider les gens à découvrir un état de détente qui favorise le processus d'autoguérison. Mais avec le temps, il s'est rendu compte que cela était extrêmement difficile et qu'il était plus important d'éduquer pour favoriser la compréhension du phénomène de santé. Les médecines douces sont à cheval entre la médecine, qui s'occupe de la maladie mais non de la personne, et la psychologie, qui fait l'inverse. Souvent, les gens ne veulent pas consulter un psychologue : ils préfèrent consulter un intervenant en médecines douces qui ne les remettra pas trop en question. En général, les gens ne veulent pas entendre parler de la dimension psychologique de leur problème : ils veulent se faire dire que le traitement sera efficace. Voilà la réalité face à laquelle M. Pruneau s'est retrouvé. M. Pruneau a fini par juger qu'il n'était plus apte à aider les gens par la pratique clinique. Il avait davantage de préoccupations pédagogiques. C'est alors qu'il s'est mis à l'écriture.

Les approches plus mécaniques et physiques, comme le massage, ont des effets clairs. Pratiquement tous les sportifs se font masser. Mais du côté des approches plus subtiles, on ne sait pas trop où se situe l'effet. L'effet ne se distingue plus de celui de n'importe quelle activité plaisante. M. Pruneau a aussi souligné que l'on retrouve un aspect de pensée magique en homéopathie.

Il existe des moyens très simples qui favorisent l'état de santé, comme l'activité physique, qui sont aussi intéressants que la plupart des approches en médecines douces, mais qui correspondent davantage à un projet de prise en charge de sa propre santé, plutôt que de remettre sa santé entre les mains de quelqu'un d'autre. C'est à ce niveau que se situe maintenant la réflexion de M. Pruneau.

Pourrait-on remplacer l'anesthésie par l'acupuncture ? Avant de répondre, il faut se mettre à la place de la personne qui subit une chirurgie : voudrait-on remplacer l'anesthésie par l'acupuncture ? En Orient, l'acupuncture est effectivement utilisée lors de chirurgies. M. Pruneau a vu des reportages montrant des gens qui se faisaient extraire ainsi des tumeurs de l'abdomen et qui semblaient ressentir très peu de douleur. Mais, de rappeler M. Pruneau, les Orientaux sont des gens très peu expressifs. Des amis de M. Pruneau, qui ont étudié en Chine, ont vu des gens anesthésiés par acupuncture qui souffraient énormément. C'était à une époque où il n'y avait pas de produits anesthésiants.

LA CRITIQUE ET L'AUTOCRITIQUE

On a dénoncé le fait qu'au dernier congrès de l'ACFAS (Association canadienne-française pour l'avancement du savoir), on a encore une fois retrouvé, en sciences humaines, des approches très ésotériques présentées comme de nouveaux savoirs. M. Pruneau a complété en disant qu'une caractéristique de ces approches très sectaires est de considérer la moindre critique comme un rejet de l'ensemble de l'approche. Il n'y a pas d'espace pour critiquer, pour ouvrir et poursuivre la réflexion, l'expérimentation ou la recherche. En outre, adopter une ouverture absolue et ne jamais rien remettre en question est une tendance très présente dans le milieu des médecines douces.

Dans son livre « Les marchands d'âmes », M. Pruneau reprochait beaucoup aux Sceptiques du Québec de n'être sceptiques que par rapport aux croyances des autres. M. Pruneau a indiqué que le scepticisme doit impliquer un doute par rapport à tout, donc aussi par rapport à soi-même. Aujourd'hui, M. Pruneau se dit prêt à réviser cette critique puisque

  1. il a néanmoins reçu un prix Sceptique et
  2. seuls les Sceptiques du Québec ont continué de lui parler après la publication de son livre. Plus aucun intervenant en médecines douces ne veut lui adresser la parole.

L'absence d'acceptation de la critique et de l'autocritique témoigne que l'enjeu véritable n'est pas le désir de savoir quelle approche fonctionne ou non : c'est le désir de croire que ce que l'on aime fonctionne. Comme si « vouloir croire que ça marche » était automatiquement synonyme de « ça marche ». La négation de la mort se cache aussi derrière cette attitude : les gens qui consultent un intervenant en médecines douces ne veulent pas savoir s'ils vont mourir ; ils veulent qu'on leur dise que l'approche utilisée va les guérir, leur donner accès au bonheur et à la vie éternelle. Ce désir de croire fait aussi partie de l'expérience humaine : il est difficile d'accepter qu'un jour l'on va disparaître.

DES TENDANCES INQUIÉTANTES

M. Pruneau a dit être de plus en plus inquiété par le phénomène de religiosité au Québec. Notamment, les médecines douces sont de plus en plus parasitées par des idées religieuses qui accompagnent les traitements, comme la réincarnation, les niveaux spirituels, etc.

Certains courants philosophiques, notamment en philosophie des sciences, utilisent la parabole des trois contenants d'eau de Gandhi pour conclure que, étant donné qu'il est impossible de dire objectivement si l'eau du troisième contenant est chaude ou froide, il n'existe aucune vérité objective, mais que des vérités subjectives. Certains courants en philosophie des sciences tentent de diminuer la portée et la valeur réelles de la science pour affirmer que celle-ci n'est qu'une approche parmi d'autres, toutes les approches philosophiques qui tentent de comprendre la réalité étant aussi valables que la science.

Une tendance actuelle importante consiste à tenter d'occulter tout ce qui est objectif, absolu et indépendant de notre volonté. Selon cette tendance, tout serait subjectif et relatif. Ne serait vrai que ce que l'on veut croire vrai. Cette tendance permet aux extrémistes d'avoir davantage voix au chapitre que ceux qui tentent de regarder toutes les réalités. On trouve même extraordinaires les gens qui ont des positions extrémistes : on dit qu'il est merveilleux d'être aussi avancé dans un domaine ! Pourtant, la quête de savoir est quelque chose de très humble et de pas très extraordinaire. On a rappelé que Socrate et ses successeurs s'étaient élevés contre les sophistes dont le discours avait pour but de convaincre et non de distinguer le vrai du faux. On en est encore là !

Compte-rendu rédigé par Daniel Fortier.